Gauchir la pensée du vivant

(essai de gnoséosophie 6)
Fred Bozzi

Fred Bozzi - paru dans lundimatin#415, le 12 février 2024

A ma gauche, Andréas malmène Baptiste [1]. Il porte des coups au Capital qui nuit à la Nature pendant que son adversaire se contente d’infléchir de pauvres Pensées. La preuve en est que les forces anti-écologiques s’enquièrent de savoir qui lit Malm, et ignorent Morizot. Devons-nous donc applaudir l’activiste contre le penseur du vivant ? Encourager le premier à renvoyer celui-ci à ses chères études – là où il s’agit de « pleurnicher » avec Latour, comme l’a prétendu Lordon il y a deux ans [2] ?

Peut-être pas – ou pas complètement. Car si la question de l’efficience est cruciale, il ne faut pas évacuer celle de nos façons de connaitre. En remarquant que Morizot affirme que son dernier livre, l’Inexploré (Wild Project, 2023), est un livre d’épistémologie, et qu’il est passé d’un appui positiviste à une démarche réflexive par rapport à la science, il est même possible d’affirmer avec lui l’importance des enjeux épistémiques dans notre situation. A condition de gauchir la pensée du vivant, c’est-à-dire de la dévier, pour qu’elle aille de l’« épistémopolitique » et de la « diplomatie » vers la gnoséosophie.

1- L’inexploré

Dans l’Inexploré [3], Baptiste Morizot nous invite à partir de l’idée que nous sommes dans une situation particulièrement instable, et affirme qu’il est nécessaire d’inventer une façon de penser qui soit en prise avec cette situation si nous voulons en faire quelque chose – y jouer un rôle.

Disons-le d’emblée : la difficulté tient au fait que pour faire le bon constat sur la situation afin de trouver la bonne attitude, il faut adopter la pensée apte à faire le bon constat [4]. Ceci renvoie à la nécessité de partir de la situation actuelle en considérant que la pensée fait partie de la situation – et même, que les événements qui nous arrivent sont pour partie constitués de et par la façon dont on les reçoit et y réagit, en plus de les avoir peut-être agi.

Dans cette perspective, Morizot pense que la situation est la suivante : il y a une « crise écologique systémique » et une crise de la pensée. Les deux se conjuguent dans le fait qu’il y a une crise de la nature : la nature est troublée, et on ne sait plus ce qu’est la nature. En ce sens, nous en serions revenus au « temps du mythe » – quand on ne comprend plus ce que sont les êtres alentour [5].

Il pense heureusement que si la crise de la pensée fait partie de la situation et la réfléchit, elle peut aussi l’infléchir. Et pour le faire en un sens opportun, l’auteur propose en premier lieu d’être fidèle à cette crise : accepter d’être dans une situation instable et d’avoir à prendre des décisions (c’est l’étymologie du mot crise). C’est-à-dire qu’il faut éviter de nier la crise, bien sûr, mais aussi d’être catastrophiste, ou de se complaire dans le chaos [6] ; ou encore de continuer la critique as usual, ne jurer que par l’opposition frontale.

Comment faire ? Pour infléchir cette situation réfléchie, Morizot nous invite à transformer en nous la crise de la nature en crise du vivant, et entreprendre de modifier, par là-même et par la suite, notre rapport au vivant – à mieux traiter le vivant en le sortant de la « nature ».

Il s’agirait de devenir « diplomate ». La bonne attitude est la diplomatie parce qu’elle permet de ne plus être dans un schéma où l’homme ferait face à la nature : elle opère le glissement vers le vivant en échappant à une situation où deux camps sont irréconciliables. Mieux : elle permet d’être côte à côte avec le vivant (puisque nous sommes vivants) plutôt que face à face avec la nature. Ainsi ouvre-t-elle à la multiplicité des relations possibles avec le vivant. Ainsi ouvre-t-elle au « continent » englouti et « au middle ground » entre la Politique et la Nature, par conséquent à « l’alterpolitique ». En un mot : à l’inexploré [7].

Ce que prétend Morizot, donc, c’est que la « diplomatie » caractérise une pensée autant qu’une pratique [8] : alors que l’on avait tendance à stabiliser la Nature directement, par principe et avant même de la connaître, cette attitude permet de stabiliser des relations avec le vivant à même l’enquête menée à son sujet [9]. C’est en ce sens qu’elle est une « épistémopolitique ». Elle sait que « pour sortir les non-humains de l’ancienne nature, c’est la manière de décrire, présenter, stabiliser des formes de production de savoir qui est en jeu » (183). Il en va de la possibilité de cohabiter avec les vivants pour faire de la terre un endroit vivable.

2- L’inexplosé

Le problème, si l’on prend au sérieux l’idée centrale d’efficience de la pensée devenue « épistémopolitique », efficience dans la situation réfléchie, c’est que l’on peut arriver au constat suivant : elle est « fragile et dérisoire » (Morizot l’écrit rapport à l’usage du terme « anthropocène », 95). Après s’être équipé d’un affect, il propose en effet peu d’exemples d’ajustements censés émerger de la nouvelle connaissance conquise, ni ne se prononce sur la nature de ces ajustements, ni ne dit qui va faire quoi dans ce qui va être fait (à part quand il dit que les praticiens savent quoi faire [10]), ni ne dit qui est ce « nous » qui voudrait faire quelque chose au sein de la situation actuelle. Après avoir écarté la morale, il évoque même une morale de consommateur basée sur un affect, le sentiment du juste [11].

Quant au lien de la pensée à la pratique, il semble enclin à le faire en pensée, pas en acte. Il s’en tient à déclarer que la diplomatie fait ce lien à même les « égards ajustés » qui caractérisent la relation décente et réciprocitaire (75), et pourrait sembler vouloir établir la connexion entre les idées épistémologiques et les pratiques politiques de façon métaphorique en usant du terme « épistémopolitique ». Ce dernier pourrait avoir pour seule efficience de masquer que même désolidarisée de la tradition, l’épistémologie reste inoffensive.

Le comble, c’est que Morizot annonce d’emblée que tout ce dont il parle n’a « pas lieu sur la terre concrète, mais dans l’espace des idées », et voudrait nous rassurer par l’opération du Saint-Esprit : « ces idées conscientes et inconscientes, qui peuplent nos esprits et nos cultures, nous font voir et agir d’une certaine manière sur la terre concrète ». Ce sont des « abstractions réelles » qui nous forcent à nous comporter de façon étrange envers le monde. Autrement dit si nos mauvaises idées sont efficientes, alors les bonnes vont tout changer [12].

Peut-être faut-il alors se dire qu’il ne s’agit pour lui que de jouer sur les mots, et qu’il ne pouvait que nous faire aboutir à cette annonce sidérante : « ce que je propose pour nommer, et donc faire exister, et donc pouvoir faire exister cet espace de relations avec les vivants non humains, c’est simplement d’ajouter le préfixe « alter » devant les formes de relations qui ont lieu normalement exclusivement entre humains, ou entre vivants – pour les métamorphoser » (482) [13]. Ainsi serait ouvert « un espace d’imagination politique, utopie réaliste » (485), et même un « espace virtuel » (486).

Désenchantés, nous pourrions en venir à l’idée que dans notre situation écologique et sociale, où l’abîme est immense entre les mots et les actes, un tel apport « épistémopolitique » est effectivement « fragile et dérisoire ». Nous pourrions penser avec Malm qu’il faut agir directement contre le capitalisme destructeur de nature plutôt que perdre du temps à penser ce que c’est que connaître le vivant – faire l’inventaire de ce qui reste inexplosé alentour plutôt que s’émerveiller de l’inexploré englouti.

Car en réalité, que font les diplomates contre ceux qui tentent de nier la crise écologique et sociale ? Ignorent-ils sciemment que les agents du Capital font en sorte de remettre de force les non-humains dans l’ancienne Nature ? Le refus prétendument stratégique de la pensée anticapitaliste n’est-il pas pour Morizot une façon de se détourner du réel et de la lutte ? Ses contradictions par rapport à de précédents écrits [14], et au sein même de ce livre [15], dont on aurait pu d’abord croire qu’elles étaient signe de la crise (à période troublée, pensée troublée), ne sont-elles pas signe d’une autodestruction, liée elle-même au refus du combat ?

Affirmons-le : il n’est pas possible de souscrire pleinement à la proposition diplomatique. Et pourtant… Pourtant, il faut bien remarquer que ne jurer que par l’action n’exempte pas de se demander : quelle pensée pour quel constat ? Et au bout du compte, pour quels résultats – qu’a véritablement explosé Malm ? Suffit-il pour la pensée de se constituer en plan d’attaque, et qu’il s’agirait d’appliquer ? [16] Penser que les pensées sont inoffensives n’est-il pas d’ailleurs aussi délirant que se laisser aller à croire qu’elles vont changer les choses comme par enchantement ? N’existe-t-il pas des « abstractions réelles », comme dit Morizot, des fictions efficaces et des mythes porteurs ?

Malgré les doutes portés à l’encontre de la pensée du vivant, la question de l’efficience de la pensée reste donc entièrement ouverte. Je propose alors, plutôt que de nous en remettre à la formule pragmatiste censé produire elle-même des effets plus amples, de reconsidérer l’imbrication de la pensée et de la pratique dans notre situation, mais en cherchant à voir où coince l’« épistémopolitique », où elle ne porte pas. Et certes, il s’agit en cela de suivre Morizot, qui nous invite très judicieusement à partir de plusieurs endroits [17].

Pour ceux qui ne jurent que par l’action, ceci revient à s’enquérir de ne pas passer à côté d’une chose à faire – même si elle peut se limiter aux effets de nos façons de connaitre. Pour ceux qui sont déjà convaincus de la nécessité de changer nos façons de connaître, ceci revient à étendre la réflexion gnoséosophique. Entre l’inexploré de Morizot et l’inexplosé de Malm, à saisir un certain inexploité.

3- L’inexploité

Partons donc du vivant. Et même, avec l’auteur, d’un certain amour du vivant (plus que de la haine du capitalisme). Quelle est alors la pensée apte à « faire justice au vivant » [18], à faire le bon constat et la bonne action ? La pensée nietzschéenne – cette pensée qui se sait vivante. L’auteur s’y réfère parfois, y fait souvent penser, et écrit en aphorismes, dit-il.

Son propos invite ainsi à penser que la vie est essentiellement interprétative : ce qu’est devenue chaque forme de vie relève de la sédimentation de possibles, qui ont en propre d’avoir réussi, mais il y aurait eu d’autres réussites possibles dans l’évolution, comme il y a toujours des interprétations [19]. Ceci veut également dire – c’est le corollaire de la contingence fondamentale du vivant – qu’il y a nécessairement une « réserve exaptative » en chaque forme de vie : « si le vivant passe son temps à inventer de l’inadressé, c’est parce qu’il possède, sédimenté en lui, mais disponible à la surface du présent, des traits très élaborés, bien adaptés, et dans un second temps, disponibles, plastiques, pour inventer des usages inouïs » (256). Aussi les vivants possèdent-ils « un art natif du détournement des héritages, c’est-à-dire une disponibilité comportementale » (260).

Autrement dit il est question de penser que c’est la vie elle-même qui est une activité interprétative – à tel point que « l’exaptation est une interprétation réelle, par le vivant, de son propre passé » (285). C’est dans cette perspective que Morizot nous conduit à l’idée que pour « faire justice au vivant » – Nietzsche dit être « loyal au réel » –, il est judicieux de multiplier les interprétations [20]. Plutôt que s’en tenir à l’analyse des conditions d’existence, il faut voir l’ex-istence du vivant – sa façon de se porter plus loin que lui-même –, et favoriser un certain « surmatérialisme » (259) au lieu de s’en tenir au matérialisme de la critique orthodoxe. Réflexivement, nous pourrions dire qu’il s’agit d’épouser le mouvement de la vie en pensant nos pensées comme une strate de la vie qui avance. Et à partir de là, profiter de la réserve exaptative pour faire naître et nourrir une pensée qui invite à modifier la façon de se lier au vivant à même la connaissance qu’on en prend.

Cette fois, on voit mieux le projet « épistémopolitique » : le vivant est en constante évolution ; or aujourd’hui il est en crise et il se lève [21] ; mais puisque nous appartenons à l’évolution du vivant, notamment en tant que nous connaissons, nous pouvons évoluer dans notre façon de connaître pour lui « faire justice ». En ce sens, l’auteur affirme la nécessité de laisser de côté l’objectivation positiviste pour mieux participer à ce que l’on connait [22]. Pourquoi ? Car la réciprocité du rapport de vivant à vivant poussera à avoir des « égards ajustés » vis-à-vis de ce qui sera ainsi connu. Ceci vaudra à même son usage, voire son exploitation (449) : par exemple, plus on connaît, plus c’est difficile de tuer ; et plus c’est difficile de tuer, plus on a d’égards quand on le fait (ainsi « manger terrestre » apparaît-il pertinent – cf note 11).

Par contre Morizot ajoute que cette pratique des « égards ajustés » doit être tenue en bride : pour être concret, il faut absolument éviter de verser dans l’ontologie, le discours philosophique global, la métaphysique, ces propensions à la généralité qui consacrent l’émergence de la « Nature », « abstraction réelle » qui advient face à une « culture » (entendue comme pensée et pratique) et entérine la séparation de l’homme et du vivant [23].

A mon avis, c’est là où coince la perspective « épistémopolitique ». Car le refus du global conduit à n’avoir pas de théorie de la propagation – théorie qui traiterait notamment de l’efficience de la pensée et du lien entre théorie et pratique. Or si les forces capitalistes n’ont pas besoin d’en avoir (pour amuser le public, elles proposent la théorie du ruissellement, mais de fait, par exemple, la moindre augmentation des prix se propage en cascade…), il semble qu’un penseur et défenseur du vivant devrait en avoir une, sans quoi il en reste à imaginer celle-ci sur le mode de la métaphore (plante invasive, traînée de poudre…). Morizot la refuse pourtant manifestement (en la matière, le pluralisme n’est qu’une anesthésie), et c’est peut-être pour cette raison qu’il peine à donner des exemples concrets de « regards ajustés », eux qui sont sensés se multiplier aisément du moment où l’on a « libéré l’imagination théorique » (619), où l’on a renoncé aux propos trop généraux [24].

Faut-il alors laisser entendre qu’il y a chez les critiques comme Malm une telle théorie de la propagation ? Pas vraiment. En l’occurrence, il faut plutôt remarquer qu’ils sont d’accord sur le fait qu’il est nécessaire de rejeter les grands discours, histoire d’être concret, pragmatique. Nous pourrions même en arriver à nous dire que tous pensent de concert qu’il faut s’en remettre au réel pour propager nos bonnes intentions, les conséquences pertinentes de nos bonnes actions. Exit la primauté de la bonne pensée pour faire les bons constats.

Or ce que je soutiens à l’inverse, c’est qu’il faut maintenir la primauté de la pensée en question, s’efforcer de trouver la perspective apte à saisir la situation de façon à pouvoir y jouer un rôle – s’insérer dans la situation pour en épouser le mouvement et en souligner un aspect. Ne risque-t-on pas sans cela de renoncer à toute pensée, alors même qu’on désirait une pensée ajustée en lieu et place d’une pensée systématique ?

Certes, il faut d’emblée le dire, une telle pensée devra avoir en propre d’aller contre le capitalisme. Mais justement, il ne faut pas croire qu’il suffit d’opposer le niveau concret au niveau global pour y parvenir (réflexe prétendument pragmatique) : car la moindre lutte menée en un lieu met aux prises avec le global qui le traverse (toujours la même agriculture intensive, par exemple), et parce que les forces capitalistes disposent elles-mêmes d’histoires, de savoirs et de larges concepts qui portent loin (au premier chef, la science capitaliste) [25].

Il faut donc lutter à tous les niveaux – précis contre précis, global contre global –, et avoir le souci de la cohérence – pas dans le sens du systématisme, mais dans le sens de la possibilité de faire varier les échelles, et sans se débarrasser des contradictions. En d’autres termes, plutôt qu’être de fainéants abstraits, il faut cultiver la terre, aller en manifestation, agir directement, partir se ressourcer… Mais plutôt qu’être de fainéants concrets, il faut penser l’épistémologie, voire la méthode, et encore le global, le concept [26]. C’est s’intéresser à l’inexposé plutôt qu’à l’englouti.

4- L’inexposé – 1

Résumons : nous considérons la difficulté de trouver la pensée apte à faire le bon constat afin de trouver la bonne attitude, et sommes d’emblée concernés par la question de l’efficience de la pensée. Dans cette perspective, nous avons des doutes sur « l’épistémopolitique » que propose Morizot, mais ne nous en remettons pas à une critique pragmatiste qui voudrait évacuer la pertinence de la question épistémologique. Nous préférons plutôt repartir de ce qu’il propose – de l’amour et de notre appartenance au vivant –, mais en y adjoignant la globalité (pour disposer peut-être d’une idée générale sur la façon dont les idées peuvent infléchir la situation réfléchie) et en assumant l’opposition au capitalisme.

Pour aller plus avant, il est nécessaire d’en revenir au constat initial de l’auteur : nous vivons dans le « temps du mythe », nous faisons l’expérience de la crise écologique. Mais dans l’idée de trouver la bonne pensée pour faire le bon constat et adopter la bonne attitude, je propose de reconsidérer la nature plutôt que le vivant. D’abord pour ne pas se soustraire à la bataille des mots (refuser de parler de « nature » pour la raison que le terme est plein de naturalisme par exemple) [27], et pour affronter les problèmes épistémiques (la science parle de nature, et il ne faut peut-être pas la laisser la définir). Ensuite parce que le terme « nature » renvoie à une certaine globalité : si la nature n’est pas réductible au vivant (Gaïa), si elle comprend l’abiotique, c’est qu’elle comprend une généralité (déjà, dans le sens où la nature ne se réduit pas à nous : elle nous dépasse, elle n’est pas du même registre ontologique que nous sommes). Et surtout parce qu’il ne s’agit pas de considérer la nature comme concept universel, qui renverrait à la Nature en tant que séparée de la culture humaine, mais bien de la considérer comme généralité aujourd’hui largement rencontrée et expérimentée.

Il s’agit en effet, en l’occurrence, de dire qu’à travers les tempêtes, inondations, sécheresses, nous rencontrons la nature. Ceci vaut pour les arpenteurs passionnés du sauvage et pour ceux qui essuient les catastrophes, mais aussi pour les capitalistes. Certes ces événements naturels avaient lieu avant, mais ces derniers les oubliaient volontiers au profit d’une habitude d’affairement. Aujourd’hui il n’est plus possible de les oublier : les capitalistes installent les réseaux (Linky, Gazpar…) qui vont permettre de prévenir et amortir les effets néfastes pour leurs habitudes [28]. Bref, la rencontre du naturel concerne tout le monde : parler de la pluie et du beau temps devient un ciment profond, et non plus superficiel [29].

Or ce qu’il faut ajouter à ce constat, c’est que cette expérience de rencontre se décline sous le mode du face à face. S’il a peut-être fallu lutter contre l’idée que l’Homme fait face à la Nature (par exemple, pour faire la critique du dualisme cartésien ou de la wilderness), il faut aujourd’hui insister sur le fait que dans notre expérience partagée, la nature est une altérité (il ne s’agit pas de dire que ce n’était pas le cas auparavant, mais d’affirmer que, crise oblige, c’est le cas aujourd’hui). Morizot ne dit pas le contraire, puisqu’il signale que tous les peuples font « face à la crise environnementale planétaire » (333), mais il tend à caractériser la relation de face à face comme problème a priori, à tel point qu’il propose de considérer le vivant pour réussir à être côte à côte [30]. Je ne vais pas en ce sens.

Quel est l’intérêt d’insister à l’inverse sur le face à face  ? D’abord d’affirmer que c’est parce qu’il y a cette altérité qu’il y a amour de la nature, et d’ajouter que si cette expérience commune se décline en réciprocité, comme le dit Morizot, il en va d’une fragile exposition et d’une vulnérabilité mutuelle : même s’il y a une intensification du sentiment d’existence, les amants sont en risque constant de se séparer. Et dès lors, de dire que nous ne pouvons pas espérer contracter avec la nature (mariage, institution) pour stabiliser notre amour, et le trouble rencontré, comme il le laisse entendre quand il parle du castor (Dernière halte. Pactiser avec un faiseur de mondes).

Le second intérêt, c’est de mettre sur le même plan notre rapport au capitalisme et notre rapport à la nature : dans les deux cas nous lui faisons face en effet, et chaque fois il y a vulnérabilité et lutte. C’est-à-dire qu’au lieu de penser que nous sommes côte à côte avec les vivants dans notre face à face avec le capitalisme, il s’agit de considérer que nous sommes face à la nature et face au capitalisme [31]. A quoi il faut ajouter qu’il y a inclusion : nous faisons partie du capitalisme autant que de la nature, dans le sens où nos usages du monde mobilisent les produits du capitalisme (c’est ce que nous renvoient d’emblée nos objecteurs). Ceci veut d’ailleurs dire, vice-versa, qu’il y a du global dans chaque situation de lutte (toujours la même agriculture intensive, par exemple) et dans chaque tempête autant que dans chaque randonnée (nous expérimentons la nature ; et même, nous éprouvons que nous lui appartenons comme globalité [32]).

Ainsi pouvons-nous voir, au lieu de séparer les deux à bon compte, que notre expérience se décline chaque fois sur le mode du face à face instable : vulnérabilité de l’amant de la nature, inquiétude quand il subit la tempête, étrange inclusion dans une chose à laquelle il ne se réduit pas ; vulnérabilité de l’opposant écologiste au Capitalisme, inquiétude quand il en subit les foudres, appartenance de fait à un système combattu. Evidemment, il n’y a pas de confusion entre les deux face à face (nature et capitalisme) du point de vue du ressenti ou de la politique. Mais justement, ce qu’il faut apercevoir, c’est que cette distinction révèle quelque chose à propos de notre situation : notre expérience se décline chaque fois sur le mode du face à face, mais elle n’est pas unifiée. D’où la désunion, la déchirure théorique entre amour de la nature et haine du capitalisme. Autrement dit les oppositions Latour/Lordon et Morizot/Malm sont une objectivation de ce qui nous habite et nous mine.

Voici donc : plutôt que déclarer l’objectivité du lien de notre pensée au vivant, j’invite à penser dans le vif du sujet, à assumer avec Morizot que le premier pas est la déclaration d’amour, et que ceci dessine les traits d’une existence terrestre. Mais à partir de là, plutôt que d’insister sur la nécessité de se mettre côte à côte, je voudrais faire l’hypothèse qu’infléchir la situation réfléchie doit notamment consister à unifier notre expérience du face à face. Car dans notre situation de militants écologistes, concilier les deux est une nécessité interne : si courage et abnégation sont de rigueur, nous avons besoin de repos, et de nous ressourcer. Et c’est aussi une contrainte externe : il n’y a qu’un monde, et même s’il y a des expériences différentes, ne pas les concilier reviendrait à faire comme s’il y avait deux mondes [33].

Il ne s’agit pas d’en appeler à un simple entre-deux, voire à un mélange (ou à une « chimère » à la « malmorizot »). Il est au contraire question d’accepter la réalité des deux face à face (nature et capitalisme). Mais plutôt que de rester ou bien tranquille face à la nature ou bien intransigeant face au capitalisme, il s’agit de chercher à compatibiliser les deux face à face, à aller par tous les degrés – de la place de paix au trouble de l’opposition – plutôt que de croire à la magie de pouvoir « lutter pour, là où fatalement on luttait contre » (725), comme l’écrit Morizot. C’est chercher à faire la jonction entre celui qui en nous aime passionnément la nature et celui qui en veut aux forces qui détruisent la nature, celui qui en nous éprouve et celui qui fait l’épreuve du mal [34]. C’est concéder aussi qu’il est nécessaire de vivre le troublant passage de la théorie à la pratique, et que tout activisme est plus troublant qu’héroïque.

Il n’est donc pas question de s’en tenir à la « diplomatie ». Il s’agit au contraire, nouvel apport, d’épouser le mouvement d’une nouvelle dialectique. La première chose, c’est en effet de ne pas exclure l’autre a priori (qu’il soit nature, capitalisme ou penseur du vivant). Et même, d’assumer intimement le face à face, de voir que je rencontre d’abord la nature comme altérité. Mais à partir de là, second temps dialectique, il s’agit de voir que je peux penser cette altérité comme mienne : pas dans le sens où je pourrais la réduire, mais dans le sens où je l’aime. Et dès lors, troisième temps dialectique, de saisir que je peux respecter cette rencontre, et la défendre contre celui qui dit qu’il n’y a pas d’autre qui ne soit moi – contre le capitalisme qui veut réduire la nature à ce que l’on peut en faire (ou contre le fascisme qui veut défendre la civilisation, pas la nature).

Et alors, concrètement – diront les critiques ? Pas plus que la victoire sur le capitalisme ne peut être l’objet d’une déclaration, la compatibilisation en question ne peut certes être déclarée a priori. Elle ne sera qu’en acte et, même si l’on sait qu’il devra valoir à tous les niveaux, cet acte dépassera l’entendement. Il nous appartient donc seulement de nous exposer aux différents face à face en cherchant à les compatibiliser. Par contre, et puisqu’il ne faudrait pas paraître sécréter ici un nouvel inexposé, il est possible d’en revenir aux enjeux épistémiques en précisant la façon dont l’acte de connaissance pourrait justement compatibiliser les deux face à face – histoire d’être concrets et de faire écho à la proposition « épistémopolitique » de Morizot. Tentons donc de le faire en suivant la dialectique évoquée : rencontre de la nature, respect de cette rencontre, lutte contre ce qui l’attaque.

5- L’inexposé – 2

Considérons ainsi celui qui veut connaître comme étant face à la nature. Mais plutôt que faire fonctionner la connaissance sur le mode de l’espionnage – comme dans la science moderne où le sujet soustrait l’énonciation à un objet qui ne peut le repérer, et qui ne l’affecte pas –, acceptons que la situation de connaissance relève de la rencontre en vis-à-vis, c’est-à-dire que celui qui connaît est vu par celui/ce qui est connu.

Certes, cette situation de rencontre rend difficile l’émergence de l’acte de connaître : elle est instable (l’un et l’autre peuvent partir, alors que dans la situation de science l’un est assigné par l’autre à la place d’objet stable), et la prise en compte de l’unicité de ce qui fait face pourrait conduire à l’ignorance [35]. Mais à condition de penser différemment ce qu’est la connaissance, de « chimériser » le naturalisme positiviste avec une dose d’animisme comme le propose Morizot [36], il est possible d’envisager une telle émergence.

Partons en effet de la situation de rencontre, mais admettons que le sujet qui est vu par l’autre dans le face à face est lui-même objectivé sous son regard – au moins, par sa présence. Emerge en ce sens un nouveau type de réciprocité : par l’objet – l’un et l’autre sont objets pour l’autre et l’un. Il est dès lors possible d’emprunter la perspective de Morizot, mais en allant résolument plus loin : proposer une méthode de production de connaissance, la méthode des objets réciproques [37].

Il est en effet possible de rapporter l’instabilité de la situation à un seul sujet de la rencontre, et de voir que coexiste en lui une relation de soi à l’autre d’une part, et une relation de soi à soi sous le regard de l’autre d’autre part. C’est dire qu’il y a pour le sujet de la rencontre double regard (étymologiquement : respect), par conséquent qu’il est possible de ne plus considérer seulement l’unicité de ce qui fait face, et qui rendait impossible la connaissance, mais de considérer au contraire le double regard comme creuset épistémique et moral [38]. Autrement dit de penser qu’une connaissance peut en émerger.

Certes, la connaissance sera en l’occurrence abstraction et rupture de réciprocité, dans le sens où elle va être tirée de la situation de rencontre. Mais en considérant déjà la rencontre comme déconfusion des deux sujets par rapport au lieu (déconfusion qui est prime abstraction), et en apercevant que l’autre rencontré subsiste à titre d’instance alter-subjective (résidu de réciprocité), il est envisageable de maintenir une possibilité de connaître à partir de la rencontre.

Quelle forme prendra alors cette connaissance à partir de la situation de vis-à-vis ? Par exemple, la forme de l’histoire – celle que l’on raconte. Car si l’histoire est certes abstraite du contexte, puisqu’on peut la raconter plusieurs fois, elle étire le sens à partir de l’autre, sachant que celui-ci peut réinterpréter l’histoire de son seul point de vue : elle étire le sens à partir de l’autre sans se présenter comme découverte du sens de l’autre [39]. Ainsi l’histoire respecte-t-elle la nature en tant que rencontrée, étant amour et double regard et couche d’interprétation.

Or ce qu’il faut d’emblée ajouter ici, c’est qu’il y a dans cette forme de connaissance une opposition au savoir capitaliste. Car en soutenant les histoires comme façons de connaître, nous allons rendre manifeste le savoir capitaliste, qui ne va pas manquer de contester que c’est un savoir – nous allons l’exposer. Et justement, c’est là qu’il va falloir défendre la nature rencontrée et respectée sous le mode de l’histoire racontée.

Sur ce point, Morizot manque de fermeté. Car il dit d’un côté qu’« il faut raconter » (Détour 1, 1) et que « nous avons besoin de récits qui fonctionnent comme des savoirs » (620), mais reste méfiant à l’égard des histoires qui voudraient remplacer les savoirs, et note leur inefficience dans la lutte contre les savoir et les histoires capitalistes [40]. Tout vient probablement du fait que face à l’alternative « révolutionner ou accepter », il penche pour « accepter » – par pragmatisme [41].

Je propose donc, nouvelle nuance, de faire le choix inverse : viser à changer quelque chose dans les façons de connaître. C’est certes difficile, mais si l’on veut être efficient et qu’on en vient à parler d’épistémologie, la moindre des choses est de se confronter au problème du changement dans la connaissance. Par contre, si c’est une objection à Morizot, je dois dire qu’elle ne va pas dans le sens des critiques habituelles : car elle entend que les enjeux épistémiques ne condamnent pas à l’idéalisme ou à l’a-politique, et que ces enjeux importent d’autant plus dans notre situation que le débat entre contemplation et production, arboré par les critiques, se rejoue au sein même de la connaissance.

Il s’agit donc d’assumer de refonder, réviser, réformer ou même révolutionner nos savoirs – Morizot l’annonce, mais ne le fait peut-être pas. Et dans cette perspective, la première chose est de ne pas se laisser aller à penser, comme beaucoup, que la révolution dans les sciences a déjà eu lieu parce que la critique philosophique de la science a été faite – parce que des idées globales ont été formulées. C’est l’inverse : la critique a été faite, et pas seulement par des philosophes, mais rien n’a vraiment changé.

Il faudra ensuite engager la guerre des mythes [42]. Cela, Morizot le dit bien : nous en sommes revenus au temps du mythe, sachant que le mythe raconte une histoire qui rend le monde habitable et sensé (Détour 2, 18) ; or aujourd’hui il faut aller contre le mythe du dernier mythe, celui qui dit qu’il n’en est pas un (« la science va stabiliser les choses une fois pour toutes » – 97 ; voir aussi 102), sachant qu’« en finir avec le mythe moderne ne peut se faire qu’avec un mythe concurrent » (176). Voici donc : avec la science, c’est mythe contre mythe.

Ceci n’autorise évidemment pas à raconter n’importe quoi. Il s’agit au contraire de lutter contre la science capitaliste sur le plan de la rationalité qu’elle revendique, en affirmant qu’il est plus rationnel de proposer une méthode de production de la connaissance encastrée dans l’interdépendance des vivants (la méthode des objets réciproques) et ainsi, dixit Morizot, « enrichir le naturalisme jusqu’à en faire craquer les coutures » (363). Or ceci nous oblige, car il n’est pas seulement question de se constituer contre d’autres récits (contre les articles scientifiques qui, eux, se constituent en disqualifiant d’autres récits), mais de prendre à charge une dimension supplémentaire par rapport à ces derniers (rencontre, implication, respect).

Mais qui va le faire – demandent les critiques ? Quid de la propagation ? Evidemment, il faut affirmer ici que rien ne se fera sans les scientifiques. Il s’agit donc de leur demander de changer la connaissance. Mais aussi, de leur venir en aide. La proposition fait ainsi évidemment suite à celle de Stengers, qui dans l’introduction à la réédition des Cosmopolitiques écrit : « les activistes ne doivent pas critiquer la science, mais lui demander de trahir son rôle ». Comment aider les scientifiques à bien trahir ? La science étant une activité plutôt qu’une vision du monde, il s’agirait de participer à transformer les valeurs qui la guident, comme l’« objectivité » (pas celles qu’elle brandit en écran de fumée), par exemple en faisant accepter celle de « tact » dont parle Stengers [43]. Quant à moi, après avoir signalé qu’il est insuffisant de dire comme Morizot que « les savoirs sont démocratiques dans leur usage » (Détour 1, 4), puisqu’il est question de penser la façon dont les savoirs déloyaux se propagent, et d’aller contre, j’ajoute volontiers qu’il peut s’agir de proposer des valeurs immanentes, en lien avec la situation de connaissance, comme le « respect » (double regard).

J’ajoute aussi, et cependant, qu’il est nécessaire de signaler certaines habitudes prises par les chercheurs, et qui nuisent à la possibilité de faire des changements dans la connaissance. Par exemple : s’en tenir à disqualifier d’autres discours pour fonder le sien propre (notamment se départir des opposants radicaux ou des catastrophistes pour paraître raisonnable), ou à valider les savoirs de terrain avec force arrogance ; s’émouvoir de recevoir une leçon pour ne pas avoir à réfléchir sa situation de production de connaissance ; brandir la séparation science/technoscience pour n’avoir pas à assumer l’efficience de la science ; ignorer sciemment les tenants et aboutissants quand c’est à son tour de profiter, jouer ensuite au repenti [44]… Il s’agit en tout cas de confronter les scientifiques à l’expérience du choix (pas celui qui se fait en connaissance de cause, mais celui qui est affirmation d’une troublante liberté) pour qu’ils puissent être en mesure de se prononcer contre la science capitaliste (modèle où l’homme fait face à la nature mais s’adosse aux capitaux – en voulant l’oublier).

Mais évidemment, ceci n’ira pas sans se rappeler d’abord qu’ils sont en porte-à-faux, et qu’il ne peut être question de leur reprocher que leur expérience ne soit pas d’emblée unifiée. C’est d’ailleurs ce dont s’aperçoivent les courageux scientifiques qui pensent agir pour la nature au nom de la science : ils voient parfois qu’il n’y a pas de lien évident entre leur activisme et cette connaissance. Et c’est un bon point de départ, car il les invite justement à compatibiliser les deux face à face (nature/capitalisme) à même l’acte de connaissance. L’acte politique nouveau surgira probablement quand la tentative de changer le monde en fonction d’une façon de le connaître ira de pair avec celle de changer ladite façon de connaître. Nouvel écho à la difficulté initiale : il s’agit de trouver la bonne pensée pour faire le bon constat afin d’adopter la bonne attitude. Et dans cette perspective, l’approche gnoséosophique est utile, puisqu’à condition de concerner les scientifiques eux-mêmes, elle peut réussir à faire ce qu’elle dit : amener les scientifiques à réfléchir leurs valeurs méthodiques reviendrait à s’insérer dans le processus de production de connaissance auquel ils prennent part. Cette prime action pourrait faire espérer que change le sens de la connaissance – au moins son statut et sa fonction, au mieux sa situation et sa portée.

Fred Bozzi

[1Il s’agit d’Andréas Malm et de Baptiste Morizot. Dans Avis de tempête : Nature et culture dans un monde qui se réchauffe (La Fabrique, 2023), Malm s’en prend à la pensée du vivant, dans laquelle il inclut Baptiste Morizot (Les diplomates, 2016, Manières d’être vivant, 2020 et l’Inexploré, 2023).

[3Le livre, qui est un « parcours d’exploration », contient huit chapitres : une introduction, six « reconnaissances » et une « dernière halte ». Il est d’autre part constitué de 729 paragraphes suivis (l’auteur dit « aphorismes »), plus trois « détours » (avec leurs propres paragraphes suivis). Les numéros que j’utilise renvoient à ces paragraphes.

[4C’est d’ailleurs ce que dit Malm, pourtant critique des penseurs du vivant : « quand on ne panique pas de façon appropriée, on ne peut pas prendre de mesures radicales en conséquence » (Avis de tempête). Et certes, paniquer est plus pertinent que s’en tenir à être raisonnable. Encore faut-il trouver la bonne façon de paniquer pour agir.

[5Le temps du mythe, c’est « quand les êtres dont vous ne connaissez plus le statut, et envers lesquels vous n’avez plus de relations stabilisées, passent de l’anomalie à la norme » (37).

[6La rhétorique catastrophiste est inhibante, insoutenable affectivement, induit déni et résignation (126). Le métamorphisme permet le renouveau, mais il est invivable comme tel : autant habiter le chaos (67). Le refus romantique de l’idée de stabilisation au profit des devenirs, des nomadismes, n’est plus de mise aujourd’hui (75).

[7L’inexploré est le continent englouti dont on avait occulté l’existence même et nié la possibilité – le continent de l’alterpolitique (476).

[8Ce ne sont plus de lignes de fuite, de schizophrénie, de chaos dont nous avons besoin, mais de relations décentes, soutenables, avec une étiquette qui fasse justice aux êtres avec qui on interagit. C’est ce que j’appelle diplomatie : une théorie et une pratique des égards ajustés envers les non-humains (75).

[9Cette enquête porte sur les conditions de possibilités épistémologiques [nécessaires] pour penser les relations avec et entre les vivants dans des termes politiques (182).

[10Détour 3, 46 (depuis 524).

[1152 « Le mangeur terrestre mange de la viande, mais de manière consciente et ajustée ». Si Morizot refuse le plan moral (la stratégie intentionnelle n’a rien à voir avec une décision éthique de bien-être animal 346) pour paraître efficient (politique), on voit par là qu’il en reste au plan moral. On a d’autre part envie de l’inviter à agir directement contre les distributeurs de viande non-terrestre. Son laïus est en tout cas agrémenté de sophismes qui rappellent ceux de Lestel dans Apologie du carnivore : il prétend ne pas critiquer les végans mais le véganisme ontologique, qui affirme qu’il est universellement immoral de consommer des animaux qui ont été mis à mort pour cela (Détour 1, 27). C’est-à-dire qu’il exagère l’argumentaire, puis le sauve à bon compte : il n’y a plus grand monde à se trouver sous le coup de ses arguments massues – le compromis est sauf.

[12Cette idée était présente chez Morizot dès Les diplomates : « On sous-estime généralement les liens qu’entretiennent les représentations (par le biais des mots ou concepts) et l’action : le sens commun sépare spontanément leurs domaines en théorie et pratique. Philosophiquement, cette distinction dessine une frontière mal localisée. De fait, le modus operandi de l’activité humaine articule organiquement toute action à une représentation, au point que l’on peut même déduire d’une représentation les types d’action qu’elle va impliquer. Par exemple, si l’on élabore une représentation collective du loup comme « nuisible », l’action conséquente sera spontanément et nécessairement du type régulation/extermination » (Les diplomates, article in Revue Semestrielle de Droit Animalier – RSDA 1/2014). Le propos n’est pas dénué de pertinence, mais l’expression « spontanément et nécessairement » permet d’évacuer la question cruciale de l’efficience de la pensée. Or en s’y laissant aller, on finit par identifier pensée et action. Ou l’on donne trop de pouvoir au langage – à cet égard, l’extension du domaine du performatif dans Manières d’être vivant (pour Morizot, « je te conseille de t’enfuir » ou « je t’ordonne de venir » sont des énoncés performatifs comme « je vous déclare mari et femme », p69) est symptômatique.

[13« Altersociété et altermutualisme, alterparasitisme et altercommunauté ; altercollectif et alterassociation ; altercoopération et alterfamille ; alterpeuple et alterbande ; altermeutes, alteressaims et altercivilisation ». J’en passe, et des meilleures.

[14Morizot abandonne les hélicoptères et les caméras thermiques présents dans Manières d’être vivants (p222, 227) pour essayer de « démilitariser nos relations au monde vivant ». Il écrit aussi que « la dynamique du vivant est analogue à la dynamique épistémologique des interprétations, pas à celle de l’explication scientifique (de style poppérien), où la dernière explication annule les précédentes [Popper, La logique de la découverte scientifique] » (282), alors qu’il écrivait dans Les diplomates que « l’acte vivrier de pister » (p208), et plus précisément le pistage spéculatif (voir l’invisible avec l’œil de l’esprit, en complément du pistage systématique, trace à trace), est à l’origine des capacités cognitives spécifiques de la science et de leur articulation, c’est-à-dire : « créer une hypothèse portant sur quelque chose d’inaccessible aux sens (invisible), puis déduire ce qu’on devrait observer si jamais l’hypothèse était vraie, enfin chercher effectivement sur le terrain pour mettre l’hypothèse à l’épreuve » (p214). Autrement dit la dynamique vitale de la chasse est analogue à la logique de la découverte scientifique telle que la pense Popper. Morizot s’appuie certes sur l’anthropologue Liebenberg (The Art of Tracking. The Origin of Science), et rapporte plutôt l’articulation des « trois inférences fondamentales » (p209) à ce que Peirce appelle la méthode scientifique, mais on ne peut ignorer les accointances avec la méthode déductive de contrôle. D’ailleurs si Popper invitait initialement à formuler des hypothèses librement, c’est-à-dire à inventer des hypothèses obéissant à des contraintes empiriques seulement en aval (ce qui pourrait éloigner de l’activité cognitive du pisteur, qui fait certes des hypothèses sur ce qu’il ne voit pas, mais à partir de ce qu’il a déjà vu, ou en adoptant le point de vue de la proie – délocation, p216), il a été largement contesté par les praticiens et, surtout, a peu à peu reconsidéré le statut de l’empirie : il est passé du falsificationnisme dogmatique au falsificationnisme méthodique, dans lequel la base empirique falsifie sans réfuter, puis au falsificationnisme sophistiqué, dans lequel les épreuves ne sont que des combats entre théories rivales et expérimentation ; accordant ainsi moins d’importance à l’empirie en aval, il lui en accordait plus en amont (Voir Lakatos, Histoire et méthodologie des sciences).

[15Voir par exemple l’opposition « les vivants ne peuvent entrer en politique » (458) et « les interdépendances ne sont pas des modèles politiques » (564) versus « il y a quelque chose comme du politique chez les vivants » (483) ; ou « il n’y aura jamais de contrat social avec les autres vivants » » (535) versus il faut « pactiser avec un faiseur de monde » (Dernière halte) (s’il s’agit certes d’un « pacte sans parole » (700), on peut se rappeler que le premier contrat de Rousseau était « implicite »). Voir ensuite l’opposition « condamner la prédation implique une dénégation cosmique » (détour 1, 22) versus « il y a un confort dommageable à parler à l’échelle cosmique » (619), et plus largement celles entre l’exigence d’être concret/peu d’exemples, lutte/pas lutte, récit/pas récit… Pour finir, à l’endroit de la philosophie : espoirs en la philosophie (713) versus « philosophe en fauteuil » (46) et « nous ferons des systèmes métaphysiques quand il n’y aura plus rien de mieux à faire » (398). Et au sein de l’acte philosophique : « ce ne sont plus de lignes de fuite dont nous avons besoin » (75) et « une idée reste un dispositif pour rendre la vie plus vivable » (305) versus invitation à « se perdre dans l’inconnu » (titre du 2e chapitre). Ou encore : « Patel et Moore l’ont fait sous l’angle de l’économie politique, je voudrais le faire dans le champ philosophique et scientifique – ontologique et épistémologique » (229) et « multiplier les sens possibles du comportement d’un vivant, c’est faire justice à sa nature ontologique » (287) versus « se décaler à un niveau qui n’est plus celui des ontologies, mais celui, plus discret et plastique, des épistémologies » (322). Voire : faire écho à Viveiros de Castro, qui est « contraint d’utiliser quand même les termes nature et société » (401) versus « il s’agit de montrer, hors du dualisme moderne, qu’il y a déjà quelque chose comme du politique chez les autres vivants » (493).

[16Selon Malm, « toute théorie adaptée à l’état de réchauffement doit avoir comme point de repère pratique la lutte pour la stabilisation du climat – dont la première étape nécessaire est la destruction de l’économie fossile. Une telle théorie doit dégager des marges d’action et de résistance » (Avis de tempête). Ainsi faudrait-il commencer par le béton ou les pipelines. Or contre l’idée de plan à appliquer, voir par exemple les notions d’ « effectivité » et de « propension des choses » chez Jullien.

[17Il ne s’agit pas d’être relativiste, mais de s’appliquer à rester ouvert. Morizot l’induit très judicieusement à partir de l’expérience de l’erreur de lecture de carte en montagne : 297, 299, 304. Voir aussi l’« autre tactique » : attribuer une intentionnalité aux non humains pour voir les effets d’intelligibilité (343).

[18Les égards doivent être ajustés, non pas justes, car les êtres en présence sont inconnus dans leurs puissances : on ne dispose pas de leur statut moral ; il faut constamment ajuster et réajuster les égards aux réponses qu’ils nous font. L’ajusteur est un artisan (453). Peut-être faudrait-il alors renvoyer le « juste » à l’idée de justesse, plutôt qu’à celle de « justice » (« faire justice au vivant »).

[19Les hypothèses qu’on fait sur le sens d’un comportement ne sont rien d’autre que les couches possibles de leur ancestralité sédimentées. La dynamique du vivant est analogue à la dynamique épistémologique des interprétations, pas à celle de l’explication scientifique (Popper), où la dernière explication annule les précédentes (282).

[20La dimension herméneutique, dans sa pluralité intrinsèque (on accepte pour une œuvre d’art qu’il y ait plusieurs interprétations justes) est l’approche pertinente pour rendre compte du bruissement pluriel déposé en chaque vivant par son histoire immémoriale. On se trompe souvent, on fait des hypothèses qui ne doivent pas se prendre pour des savoirs établis. Mais en étant conscient de cela, on a des raisons de penser que la multiplication des hypothèses comme de nouvelles interprétations qui s’intègrent aux interprétations passées est la seule manière de faire justice à un vivant, car dans son histoire réelle, les ascendances se sont sédimentées et se composent dans le temps comme le font les interprétations elles-mêmes dans le monde de l’exégèse (282). Le bon régime pour parler du vivant, ce sont les interprétations multiples qui se reconfigurent mutuellement (285). Multiplier et composer des interprétations fait honneur à l’étrangeté du vivant. En racontant des fonctions possibles et multiples, on suit la très lente explosion qu’est l’évolution. On lui ressemble (286). Multiplier les sens possibles du comportement d’un vivant, c’est faire justice à ce qu’est un vivant si on lui restitue son épaisseur historique subversive : chaque vivant est épais de temps. C’est faire justice à sa nature ontologique (287).

[21Les vivants se lèvent et demandent qu’on traite avec eux (601).

[22L’affect exploratoire mute en affect d’exploration diplomatique dans la mesure où il n’y a pas de nature à explorer objectivement (154). Ce que cherche l’enquête, ce n’est plus l’explication objectivante : c’est l’essor d’intelligibilité et de soutenabilité des relations (396). L’alterdiplomate n’est plus aux frontières avec la wilderness, biologiste dans une réserve intégrale, qui monitore une nature laissée à elle-même : il est appelé au milieu de nous, en chaque point où il faut composer avec un quelque chose qui s’est levé en un être (594).

[23Après avoir énoncé la nécessité de faire « un peu de philosophie, car on ne sait plus ce qu’est la nature » (19), il écrit que « nous ferons des systèmes métaphysiques quand il n’y aura plus rien de mieux à faire » (398). Après avoir dit « Patel et Moore l’ont fait sous l’angle de l’économie politique, je voudrais le faire dans le champ philosophique et scientifique – ontologique et épistémologique » (229), il écrit que « l’enjeu est de se décaler à un niveau qui n’est plus celui des ontologies, mais celui des épistémologies qui leur sont solidaires » (322). Il voudrait faire « un peu de philosophie » et penser comme Moore et Patel, mais sans céder à la globalité ? C’est d’autant plus étonnant que même s’il refuse les « globalivernes » (Face à Gaïa), Latour affirme dans le Mémo sur la nouvelle classe écologique qu’il « ne faut pas laisser de côté les disputes métaphysiques » (55) , et que Morizot lui-même pressent le global : au sujet des dégâts causés par les chats, il écrit que « c’est l’art des modernes de croire que tout vivant dénaturé pour devenir personne n’est plus une force biologique globale » (Détour 3, 9), que « condamner cette circulation de la vie qui a lieu par la prédation impliquerait une dénégation cosmique du monde qui nous a faits » (Détour 1, 22). Par contre, certes, il n’aperçoit pas la globalité de l’« espace » (le terme est omniprésent dans le texte) : c’est très étonnant de proposer d’échapper à la « nature », mais pas à l’« espace », quand on considère la portée du concept de res extensa. Voir : https://lundi.am/Ecologie-une-histoire-d-espace

[24Pour faire exister du possible capable ensuite de se réticuler à grande échelle, loin des abstractions vides, il est nécessaire de trouver une échelle où s’expérimentent des sentiments de puissances d’agir effectives. J’appelle cette échelle un lieu (726). Commencer par un lieu vivant ou une lutte précise, plutôt que par des prises de positions abstraites concernant la nature de l’ennemi, a des effets importants concernant le sésame de l’action, à savoir le sentiment de la puissance d’agir (727).

[25Morizot se méfie des globalités : « cela n’aurait aucun sens de stabiliser abstraitement quelles sont les relations qu’on doit entretenir avec les vivants… il faut des petits récits (Détour 1, 3). Mais au sujet de ces derniers, ses doutes persistent : « les récits tombent du côté des discours qui réenchantent l’expérience au prix de la fiction, donc ils n’ont pas le droit de jouer dans la cour des savoirs vrais » ; « ils ne pourront entrer dans la fabrique du monde, qui est épistémopolitique, et qui, en tant que telle, exige des objets formulés par la moulinette des sciences au sens large » (Détour 1, 5). Par ailleurs, s’il ne récuse pas le changement d’échelle, l’auteur insiste sur la nécessité de partir du lieu – le lieu est la mesure de toutes choses, quand il est question d’agir : « pour faire exister du possible capable ensuite de se réticuler à grande échelle, loin des abstractions vides, il est nécessaire de trouver une échelle où s’expérimentent des sentiments de puissances d’agir effective. J’appelle cette échelle un lieu » (726). Or la question subsiste : comment le possible va-t-il « se réticuler à grande échelle » ?

[26Notons par exemple que Morizot stipule que « penser les vivants comme des altérités revient peut-être à reconnaître qu’ils habitent » (581), et insiste sur leur statut de cohabitants (591), mais ne propose pas véritablement de philosophie de l’habitation.

[27On trouve la nécessité de la lutte pour le sens chez Hegel (la vérité est ce qui doit s’imposer, je gagne quand mon sens est plus évident que ton sens) bien sûr, mais aussi chez Latour, pour qui il faut imposer le concept de nature-processus en lieu et place de celui de nature-univers.

[28Rapport à la propagation des idées, notons ici qu’il ne faut pas se laisser aller à penser que le système capitaliste va être mis à terre par la nature elle-même.

[29Seul le fascisme, et ce sera sa fonction, va tenter de masquer cette expérience désormais commune – et qui fera naître l’empathie pour les réfugiés africains autant que pour ceux du Nord Pas de calais.

[30Par exemple, il invite à considérer que des peuples historiquement face à face sont aujourd’hui côte à côte dans ce face à face avec la crise environnementale (333). Et s’il dit qu’« on ne sait plus ce qu’est la nature », il n’en prend pas vraiment acte : il s’intéresse au vivant, qu’il a en propre de connaître. Il faut d’ailleurs remarquer que si Latour assume que nous soyons « face à Gaïa », il ne l’identifie justement pas à la nature. Quant à Malm, qui insiste sur l’opposition nature/culture pour être en mesure de faire face au capitalisme destructeur de nature, il continue de caractériser le face à face comme une relation à un mauvais terme (capitaliste ou nature capitaliste).

[31Morizot dit que le vivant n’est pas une petite chose fragile, mais un allié dans la lutte contre le capitalisme (https://reporterre.net/Baptiste-Morizot-Le-vivant-n-est-pas-une-petite-chose-fragile-mais-un-allie). Or certes, accorder l’intentionnalité à l’autre a des effets (Détour 2, 14) ; certes, pour peu qu’on l’y invite, il peut être un allié (c’est le cas du castor, plutôt que des chats qui détruisent les oiseaux). Mais si on veut venir en aide à la nature pour nous venir en aide, n’est-ce pas parce que la nature est en difficulté, et qu’elle appelle notre pitié, au moins notre aide ? Et surtout, n’y a-t-il pas lieu de se méfier des tempêtes ? A quoi il faut ajouter que si s’accoter au capitalisme à même l’anticapitalisme peut constituer une béquille existentielle – et il faut s’en méfier –, il faut tout autant voir que le rapport d’alliance plutôt que le face à face peut conduire par inertie à l’abandon du face à face avec le capitalisme fossile – connexion avec la critique : l’habitude de négociation avec le vivant pousse à négocier avec les capitalistes vivants (inertie crédible – c’est moins le cas de l’idée que ceux qui en viennent à abandonner la distinction nature-culture finissent par ignorer les classes sociales).

[32Naess écrit : « le fait est que plus nous nous sentons petits par rapport à la montagne, et plus nous parvenons à partager sa grandeur. Ne me demandez pas pourquoi il en va ainsi car je l’ignore ».

[33Morizot écrit lui-même qu’« il n’y a pas deux espaces, il n’y a qu’un monde » (450). Voir aussi : https://lundi.am/Nous-vivons-dans-le-meme-monde-que-les-ennemis-du-monde

[34Quand Malm affirme que les catastrophes sont des bonnes occasions de réfléchir, il signale une telle compatibilisation (sous le mode de la panique tranquille). Idem quand Julien le Guet (qu’on ne peut accuser d’inaction) déclare vouloir, en pleine guerre de l’eau, la paix de l’eau.

[35« Être unique mais interdépendant est la condition partagée par toutes les formes de vie dans le cosmos » (494). Morizot insiste sur « interdépendant » mais oublie « unique ». Or à l’inverse de Kant (l’unité est résultat de la synthétisation du sujet, et fait la connaissance – Critique de la raison pure), Rosset traite de cette expérience profonde de l’unique : tout ce qui est réel est absolument singulier, et tout ce qui est singulier est rebelle à l’interprétation ; « le rapport le plus direct de la conscience au réel est un rapport de pure et simple ignorance » (L’objet singulier).

[36330, 383, 391, 489.

[37Pour un exposé plus complet, voir : https://lundi.am/Ecologie-une-histoire-de-methode. Alors que Morizot vise à « stabiliser des formes de production de savoir » (183) et pense que « chacun est voué à vivre exposé aux autres » (541), il ne va pas en ce sens. C’est probablement parce qu’il cherche à dire le vivant sans en recourir à l’idée d’intention, alors même qu’il écrit que « la stratégie intentionnelle revient à une nécessité épistémologique » (346).

[38Vu son amour pour les « chimères », Morizot dirait probablement « épistémoral ».

[39On trouve un écho à cette idée chez Morizot : « on accepte pour une œuvre d’art qu’il y ait plusieurs interprétations justes » (282).

[40Nos adversaires se lèchent les babines qu’on veuille faire des histoires plutôt que des savoirs, car eux aussi font des histoires, et leur capacité de les propulser et de les défendre est bien supérieure aux nôtres. Eux sont experts en storytelling. Quand c’est histoire contre histoire, ils savent qu’ils ont déjà gagné. Mais les savoirs, eux, peuvent être utilisés pour attaquer leurs histoires fausses. Les histoires dont on a besoin doivent donc être enrichies de savoirs, fonctionner comme des savoirs : c’est de là que proviendra leur pouvoir politique (Détour 1, 5).

[41Soit il faut révolutionner ce partage des privilèges entre différentes formes de savoirs (mais ce n’est pas à notre échelle), soit il faut accepter l’effet tragique de cette affaire (Détour 1, 5). Voir aussi 324 : attention à ne pas récuser les sciences massivement, car ce sont elles qui nous procurent des connaissances précises qui nous invitent à sortir du naturalisme

[43Stengers, Cosmopolitique, Sixième partie, La vie et l’artifice, p490 : le tact est une qualité scientifique qui doit se faire jour au sein d’une « relation créée avec un être à qui l’on suppose un problème, et dont on croit pouvoir identifier le problème, mais dont on ne sait pas comment ce problème se pose pour lui » – une telle obligation ayant en propre de limiter le pouvoir de celui qui connaît le problème.

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