Taureaux, masculinité et fascisation

Retour sur un toro-piscine en Camargue

paru dans lundimatin#392, le 4 août 2023

Cet été, une vachette a profité d’un toro-piscine camarguais pour salement amocher l’un de nos lecteurs. Ce dernier a profité de sa convalescence pour partager ses réflexions sur notre rapport au jeu, au danger, au fascisme et à la Camargue.

Scène

La vachette tourne dans l’angle de la piste de l’arène, devant le toril. Elle s’approche d’un coup en courant et me charge. Je réfléchis à comment l’éviter, la feinter ou l’esquiver. Pas le temps, elle accélère et me renverse, je vole assez haut et je retombe lourdement. Au sol, elle s’acharne sur mon corps. C’est super rapide. D’abord dans les jambes, face à moi qui suis allongé en boule sur le sable. Puis elle tourne autour et vient me taper vers la nuque et le dos. Par réflexe, je finis par lui attraper une corne pour l’empêcher de continuer de se ruer sur ma tête. D’autres l’appellent, elle finit par me lâcher et va ailleurs. J’entends les cris de peur qui descendent du public. On m’aide à me relever, je suis sonné et j’ai sacrément mal. Mon corps est tuméfié, recouvert de plaies. Alors qu’on me fait sortir de la piste pour vite rejoindre le centre de secours, je fais un signe à ma sœur et mon cousin dans les gradins pour leur dire que ça va. C’était super rapide mais très long. Je viens de me faire violemment taper par une vachette dans les arènes d’un petit village pendant un toro-piscine, pas très loin de là où j’habite, il faut rapidement aller aux urgences parce que les blessures sont assez graves. C’est n’importe quoi.

Camargue fascisée

Il y a quelques semaines, Zemmour s’est rendu à la « fête de la manade » organisée par l’antenne gardoise de son officine fasciste à Bellegarde. On le voit au milieu des protagonistes du monde taurin, assemblée de vieux racistes, monter à cheval en galérant, s’émerveiller des taureaux et parler d’identité française, provençale et camarguaise. Au milieu de sa campagne pendant les dernières présidentielles, Le Pen était allée assister à une abrivade pas très loin au Grau-du-Roi, avant un meeting à Aigues-Mortes. Elle était accompagnée de personnalités locales de son parti tout aussi fasciste, ainsi que d’une députée En Marche : le macronisme réactionnaire et l’extrême-droite dégueulasse main dans la main pour sauver les traditions. Des manadiers avaient interpellé la candidate à propos des difficultés qui menacent leur affaire, inquiétude à laquelle elle avait répondu ceci : « Il faut qu’ils puissent continuer de transmettre cette tradition aux jeunes. C’est une activité qui rend tellement de gens heureux. On va trouver des solutions, parce que quand on le veut, on le peut ». Ces jours-là, aucun taureau n’est malheureusement allé taper, renverser ou encorner ces ordures, qui ont eu plus de chance que moi.

Urgences

Aux urgences à Nîmes l’attente est longue, très longue : on est samedi soir, plein été, il y a du monde et tout type de blessures. Des personnes ont des afflictions bien plus importantes que la mienne, ce qui me fait relativiser. Un homme avec qui je sympathise me raconte que le meilleur copain de son fils, dix-sept ans, s’est lui aussi fait taper par une vachette la semaine dernière. Il est en fauteuil roulant pendant plusieurs semaines, ça aurait pu être encore plus grave. On me dit d’abord que l’épaule est luxée, qu’il faut faire une radio puis me la remettre en place. Finalement ce n’est pas tout à fait ça, c’est plus grave. Une infirmière à l’accueil s’exclame : « C’était aux taureaux ça non ? C’était où la fête votive ? D’habitude c’est les touristes qu’on doit soigner pour ça ». On se rend compte, une fois au service des urgences, de l’agonie totale dans laquelle se trouve l’hôpital public. Les personnels qui galèrent mais qui essaient de faire au mieux, la désorganisation, la salle où on doit attendre des heures encore et encore, les cris de celleux qui ont trop mal, avec en plus la chaleur moite de la nuit chaude.

L’opération doit avoir lieu dans plusieurs jours, il faut patienter le temps de trouver une place. Il y aura pas mal de points de suture et des semaines de soin et d’immobilisation, puis de kiné. Pendant ce temps, j’ai super mal, la douleur est vive.

Toro-piscine

C’était un toro-piscine auquel on voulait vraiment aller parce que c’était le premier de notre été. Une petite piscine est installée au milieu d’une arène, elle fait quelques mètres de diamètre et une quarantaine de centimètres de profondeur. Le but est d’amener la vachette dans l’eau, en l’attirant par différentes techniques. Cette fois, c’était le jeu des quilles : se tenir sur les bords de la piscine et être la dernière personne à en partir face à la menace de la vachette. Si tu tombes du bord, qu’un de tes pieds touche l’eau d’un côté ou le sable de l’autre, alors tu es éliminé·e. Cela fait partie du vaste ensemble des animations taurines camarguaises : toro-piscine, abrivado, bandido, encierro, ferrade, course camarguaise, à quoi s’ajoute, quoique d’un autre ordre, la corrida.

Contrôle franquiste

Sous son pouvoir fasciste, Franco avait fait de la corrida un divertissement d’État, un symbole de l’Espagne traditionnelle, virile et sacrée. Cependant, ce qu’on sait moins, c’est qu’il avait interdit toutes les autres animations taurines : les festivités populaires dans les villages et les villes où cours desquelles la populace s’amusait avec les taureaux devaient prendre fin. Plus aucune course de rue, il fallait contrôler ces socialités qui divergeaient de l’ordre du régime [1].

Ce soir-là

D’habitude les animations taurines c’est pour les touristes. L’ambiance est un pur produit de folklore, un divertissement ritualisé et caricatural, une attraction comme vitrine d’une région qui ne survit aux étés caniculaires et aux hivers vides que grâce à l’afflux estival. Mais ce soir-là, c’est sensiblement différent, il y a surtout des gens des villages alentours, la fête votive n’a pas pour but de faire venir le plus de monde possible mais seulement des groupes d’ami·es, des vieux et des vieilles du coin. Ça se sent, elle est petite, presque confidentielle. À la fin de l’après-midi, l’abrivade est joyeuse et calme. Il fait chaud, la journée se termine dans les rues du village avec les chevaux, les taureaux, les rires, les gens qui regardent, certain·es derrière les barrières de protection, d’autres dehors. Puis, un peu après quand la nuit commence, c’est enfin au tour du toro-piscine. Les petites arènes sont garnies, c’est le cœur de la soirée, tout le monde est là.

Vengeance

Il y a trente ou quarante ou cinquante ans quelque part en Espagne, à la lumière de la lune, une femme est allée tuer le toro qui avait donné la mort, d’un coup de corne dans l’arène, au torero dont elle était amoureuse. Elle avait fait la route jusqu’à la granaderia à laquelle il appartenait, l’avait retrouvé parmi les autres dans un champ où les bêtes pâturaient et lui avait tiré un coup de fusil. C’est ce que m’avait raconté un ami de mon père alors qu’on rentrait de nuit de Nîmes en voiture après une corrida. Je suis enfant, peut-être sept ou huit ans, j’écoute tout ce qu’ils racontent, les légendes, les anecdotes, leurs avis de ceux qui n’y connaissent pas grand-chose de tous ces codes mais qui ont quand même leur mot à dire.

Pas ici

Je ne veux pas aller tuer cette vachette, pas parce que ce serait disproportionné, dès lors il suffirait de lui rendre la pareille en lui défonçant l’épaule gauche. Elle souffre déjà assez : sortir au milieu d’une arène pleine doit engendrer un niveau de stress considérable. J’avoue que l’antispécisme ne fait pas partie de mes préoccupations politiques, pour autant la souffrance qu’endurent ces bêtes et à laquelle j’ai participé ne me rend pas bien.

La race des taureaux camarguais est, comme la quasi-majorité des espèces animales, réduite à une fausse alternative : les bêtes les plus belles sont réservées aux courses camarguaises, les autres aux animations taurines de bas étage, la plupart finissent leurs jours à l’abattoir pour être mangé dans une gardiane. Mais, mi-domestiques, mi-sauvages, il y a assurément quelque chose de beau dans le travail des gardian·es et des manadier·es avec ces animaux - parce que oui, s’il s’agit d’une profession essentiellement masculine, elle est aussi pratiquée par des femmes [2]. En Camargue et autour, les distinctions entre espace naturel et humain ne font pas vraiment sens : les salins, les plages, les marais, les plaines arides et les champs où sont élevées les bêtes attestent de l’interpénétration, ancienne et constante, de la société, des animaux et du milieu [3].

Je n’en veux aucunement à cette vachette, elle a dû se venger du supplice que tout cela constituait pour elle, pour les autres bêtes du taureau piscine et pour celles de l’abrivade avant. J’ai perdu, ça faisait partie de cette sorte de jeu qui n’a pas grand-chose de marrant. On s’est dit qu’elle était probablement, comme toutes ses congénères, d’extrême-droite : c’est pour ça qu’elle m’a renversé et tapé mais que d’autres ont laissé Le Pen et Zemmour tranquilles. Ou alors c’est l’inverse : étant de notre côté, elle m’a puni de participer à cette animation.

Chaque taureau est d’ailleurs doté d’une personnalité. Par ses mouvements, son attitude ou encore sa manière de s’en prendre aux personnes face à lui, on lui attribue des traits particuliers qui le caractérisent et le différencient des autres. Même si c’est facile à dire et que ça peut paraître hypocrite, il y a une sorte de respect quand on se trouve face à la bête qui charge, un mélange d’appréhension et d’humilité. C’est comme cette philosophe australienne qui s’est rappelée que notre corps n’est que de la chair lorsqu’un crocodile l’a attaquée et s’est saisi de son corps pour la manger, avant qu’elle ne parvienne à s’échapper [4]. J’aime bien quand c’est le taureau qui gagne : petit, aux corridas, j’étais content quand le torero se faisait renverser. Pas parce que ça rendait effective l’idée, totalement mensongère, d’un affrontement à égalité entre l’animal et l’homme, mais juste par vengeance. Cette vachette était plutôt sympa, on en parlait dans l’arène avec d’autres. Pourtant, juste après, elle m’a défoncé. S’il y avait un petit moi dans les gradins des arènes, il a dû être content.

Masculinité

La masculinité est inséparable du fait de descendre dans l’arène : s’y affirme un ordre masculin, qui repose sur des actions faites de courage et de brutalité. Déjà, par le danger, le risque opère comme un rite d’acceptation [5]. La valorisation des corps qui s’exposent à la blessure structure, sans aucun doute possible, les attributs masculins comme synonymes de force et de pouvoir. Mais la masculinité agit aussi avant, dans le fait-même de croire qu’il y a quelque chose d’intéressant ou d’important à se confronter à un taureau ou à une vachette. Même si je cherche à m’en défaire et même si je ne coche pas l’ensemble des cases de la masculinité hégémonique, je ne suis pas non plus, du fait de ma socialisation, tout à fait étranger aux bénéfices symboliques qu’elle accorde. Inconsciemment, j’ai sûrement envie d’impressionner mon cousin de treize ans qui me regarde. C’est aussi une sorte de capital d’autochtonie, qui montre que j’ai grandi dans la région même si je n’y vis plus maintenant, que j’en maîtrise les codes [6].

J’avais bien peur de me faire renverser. J’ai fait attention mais ça n’a pas suffi. Je sais aussi qu’une raison particulière m’a fait descendre dans l’arène, comme les autres fois avant : l’argent. À chaque action, une prime est reversée. Je voulais faire soixante euros, je n’ai eu le temps que d’en amasser trente. S’il n’y avait pas cette récompense monétaire, je n’aurais pas pris le risque. C’est cher payé.

Care

Maintenant, l’essentiel de mon été va dépendre du soin que vont me dispenser d’autres personnes, essentiellement des femmes : surtout ma mère, ma sœur, ma grand-mère, ma tante et une infirmière mais aussi mon père et mon grand-père ainsi que des ami·es. C’est aussi et surtout à cette étape que joue la question du genre dans cette affaire de toro-piscine : si c’est mon épaule qui est défoncée, c’est bien sur elles que repose la charge de me préparer à manger, de me conduire, d’aller faire les courses, de nettoyer, de faire la vaisselle. Autant de tâches qui me sont en ce moment impossibles et qui m’obligent à rester chez mes parents le temps de me soigner. Il y a, en plus de cette matérialité, la charge psychologique : ma mère s’inquiétait avant que j’aille dans l’arène, elle n’était pas franchement d’accord. Je ne l’ai pas écoutée, je regrette, je m’en veux, je lui présente mes excuses et la remercie. Ma grand-mère et une amie que j’ai au téléphone me disent qu’il faut accepter : c’est fait, ça ne sert à rien d’ajouter de la culpabilité, mais il est possible de comprendre ce qu’il s’est passé. Aujourd’hui, ma mère s’inquiète toujours, pour l’opération, pour les médicaments, pour la douleur. De mon côté, je m’en veux toujours un peu aussi.

Un territoire empoisonné

Le territoire camarguais et autour est celui d’une vieille xénophobie violente. À Aigues-Mortes eut lieu en 1893 le massacre des Italiens, au cours duquel six personnes furent tuées sous des mots d’ordre furieusement nationalistes [7]. Depuis, cela n’a jamais véritablement cessé : ce n’est par hasard que la campagne des assassinats racistes dans les années 1970 a commencé dans le Sud [8]. L’extrême-droite institutionnelle (dont la figure locale est la raclure Gilbert Collard) et groupusculaire (Ligue du Midi, Action française) est ici bien trop à l’aise. Cette fascisation est dans l’air, c’est une atmosphère avec ses conséquences concrètes : des menaces, des insultes, des agressions et des meurtres. Les racistes du territoire en arrivent à doubler les flics pour s’en prendre aux Arabes et autres personnes à la vie moindre, comme à Vauvert il y a vingt-cinq ans [9]. Quand on entre dans un petit village qui a à ses portes le panneau jaune « voisins vigilants », c’est que la population elle-même se charge de la surveillance mortifère de l’espace pour assurer la sécurité de leur ordre réactionnaire [10].

Extrême-droite et tauromachie

Qu’est ce qui lie autant la tauromachie et l’extrême-droite ? Qu’est ce qui fait de ce taureau piscine l’élément d’un ensemble plus vaste de la fascisation avancée de cette région ? À y regarder de plus près, des éléments ne trompent pas sur place. Pendant l’abrivade, on est gêné par le petit drapeau français que tiennent des adolescent·es dans la rue, celui qui, lorsqu’il est accroché à l’entrée des maisons, sert à dire aux autres : ici on vote Le Pen, ici on tient à notre terroir, ici on défend nos traditions. Qu’importe que ces traditions soient vieilles d’à peine plus d’un siècle, qu’elles aient été inventées pour attirer les gens d’ailleurs, qu’il s’agisse d’animations changeantes évoluant de décennies en décennies au gré des évolutions plus larges de la société locale. Sur leur cheval, les manadier·es et les gardian·es portent l’habit traditionnel camarguais. Un peu après, on voit le président du comité des fêtes discuter et rigoler avec les gendarmes : on sait qu’avoir ce genre d’amis ne trompe pas. Ce village a choisi la candidate d’extrême-droite à plus de 40% au premier tour des dernières présidentielles et à plus de 62% au second : ahurissant. Il y a conjonction entre l’attachement à la tradition taurine et l’attitude raciste : les deux sont fondées sur une pureté du territoire qu’il faut préserver de l’extérieur [11].

Ce sont pleins d’affects réactionnaires qui traversent la tauromachie et qui composent une certaine ambiance. Il n’y a qu’à voir la manière dont cet ouvrage spécialisé commence, similaire en cela à tous les autres qui traitent du même sujet : « La présence de taureaux sauvages a, de tout temps, incité la jeunesse à les défier et à jouer avec eux. […] C’est dans cette attirance, exercée sur l’homme par la bravoure du taureau sauvage, qu’il faut voir, sans doute, l’origine et la raison du développement des combats de taureaux. En cédant au besoin de se mesurer avec la bête, l’homme libère des instincts de courage et d’habileté auxquels ne fait pas communément appel la mécanisation progressive de la société moderne. Il redevient, un moment, le héros des premiers temps de l’humanité aux prises avec une force de la nature, sans autre recours que sa décision virile, son sang-froid et son pouvoir de réflexion [12] ». Ce sont des propos éculés, qui inscrivent l’action dans des temps immémoriaux et figent le récit de manière essentialiste, comme c’est le cas de toutes les affaires de légende, d’hommes et de valeurs. La jeunesse qu’il dépeint n’est qu’un fantasme du vieux monde. Il n’y a rien de vivant dans cette réification conservatrice, il s’agit d’une culture morte. La réalité diffère-t-elle de ces mots ? Quelques fois oui, sûrement, mais c’est rare.

C’est une erreur de parler d’ « instrumentalisation » pour qualifier la politisation réactionnaire de la tauromachie comme certain·es le font [13]. Cela relève d’une croyance trop naïve : pas sûr qu’il soit possible de séparer l’extrême-droite et les taureaux et de ne garder que les seconds. Pour autant, je ne crois pas qu’il faille les abandonner totalement. Il ne s’agit pas de préserver des traditions, ça on s’en fiche, ni de tenir à une identité, ça on s’en moque encore plus. Il faut distinguer au milieu de l’ensemble : si les corridas sont à jeter, spectacle dégueulasse auquel je n’ai plus assisté depuis des années et auquel je ne retournerai jamais, les petites courses de rue sont des festivités populaires bien différentes. Apanage barbare de la haute société locale, les premières renvoient à un ethos aristocratique, alors que les secondes sont synonymes de jeux, de fêtes et de foules. La bourgeoisie locale regarde les beaufs qui y participent d’un œil moqueur et méprisant, tandis que les touristes de passage s’en amusent mais n’en pensent pas moins. Ce n’est pas être Fabien Roussel que de dire ça : ce mépris transpire dans la plupart des conversations. Que crèvent la Camargue maurassienne et sa symbolique virile et raciste. Il n’y a rien à romantiser, rien à sauver. Je crache aussi sur le festival « Agir pour le vivant » qui se tient depuis plusieurs étés à Arles : la bourgeoisie intellectuelle s’y presse pour parler des manières diverses de se (re)lier au vivant, d’habiter les territoires et de défendre le capitalisme vert [14]. Ces initiatives publiques-privées ne sont pas les bienvenues, participent à la gentrification de notre région, déjà ravagée par la pression foncière, le tourisme de masse et l’urbanisation : loin de remédier à ces phénomènes, elles n’en sont que le pendant hautain, réservées aux plus riches qui viennent consommer la Camargue, la garrigue et les activités qui y survivent [15].

Au toro-piscine, avant que la troisième vachette ne soit mise en dans l’arène, celle qui m’a eu, un veau a été sorti, pour les plus jeunes. Une adolescente Arabe s’est avancée et s’est confrontée à lui, essayant de l’esquiver d’abord puis de le faire venir dans la piscine. Elle s’est faite renverser une première fois mais y est retournée. Il faut imaginer la surprise première d’une partie du public, puis sa circonspection et son incompréhension. C’est que ça emmerde les racistes quand ce sont des Arabes qui jouent avec la bête, mais là en plus c’était une gamine. D’ailleurs, le commentateur au micro l’a vite rappelée à l’ordre : fais attention à toi, c’est un jeu pour les garçons et, surtout, c’est un jeu pour ceux qui viennent d’ici. Alors même si l’objet est miné, qu’il paraît impossible de le séparer de l’ordre traditionnel et des dominations de genre et de race sur lesquelles il a été bâti et se perpétue, je ne crois pas qu’il faille le délaisser entièrement. Ce n’est pas une défense de la tauromachie populaire, mais un appel à la regarder autrement et à dégager les ordures d’extrême-droite qui polluent depuis trop longtemps ce territoire très ensoleillé.

[1Frédéric Saumade, « De la mondialisation considérée comme une tauromachie », L’Homme, 2012, 201, p. 131-154, disponible à l’URL suivant : https://journals.openedition.org/lhomme/22987

[2Sophie Vignon, « Les manadières et les gardianes dans la tauromachie camarguaise », Cahiers du genre, 2019, 66, p. 181-199

[3Bernard Picon, L’espace et le temps en Camargue, Arles, Actes Sud, 2008 (1978)

[4Val Plumwood, Dans l’œil du crocodile. L’humanité comme proie, Marseille, Wildproject, 2021

[5Raewyn Connel, « Vivre vite et mourir jeune », in Masculinités. Enjeux sociaux de l’hégémonie, Paris, Éditions Amsterdam, 2022

[6Nicolas Renahy, Les gars du coin. Enquête sur une jeunesse rurale, Paris, La Découverte, 2010

[7Gérard Noiriel, Le massacre des Italiens, Aigues-Mortes, 17 août 1893, Paris, Fayard, 2010

[8Rachida Brahim, La race tue deux fois. Une histoire des crimes racistes en France (1970-2000), Paris, Syllepse, 2021

[9David Dufresne, « Une vérité qui ne tient qu’à un coup de fil. Dans le meurtre de Vauvert, les gendarmes ont-ils été coupables de négligence ? », Libération, 8 octobre 1999, disponible à l’URL suivant : https://www.liberation.fr/societe/1999/10/08/une-verite-qui-ne-tient-qu-a-un-coup-de-fil-dans-le-meurtre-de-vauvert-les-gendarmes-ont-ils-ete-cou_285702/

[10« La société de vigilance. Auto-surveillance, délations et haines sécuritaires. Entretien avec Vanessa Codaccioni », lundimatin, #287, 15 mai 2021, disponible à l’URL suivant : https://lundi.am/La-societe-de-vigilance

[11Frédéric Saumade, « Race régionale, identité nationale », Terrain, 1996, 27, p. 101-114, disponible à l’URL suivant : https://journals.openedition.org/terrain/3398

[12Claude Popelin, Le taureau et son combat, Paris, Julliard, 1981 (1952)

[13Justine Guitard, « La corrida est-elle franquiste ? Vers la déconstruction d’une légende noire », HispanismeS, 2021, 17, disponible à l’URL suivant : https://journals.openedition.org/hispanismes/13662#bodyftn55

[14Isabelle Fremeaux et Joan Jordan, « Quelle culture voulons-nous nourrir ? », Terrestres, 4 août 2020, disponible à l’URL suivant : https://www.terrestres.org/2020/08/04/quelle-culture-voulons-nous-nourrir/

[15Les voisins vigilants, manger LUMA. Recueil et menu critique, 2021, disponible à l’URL suivant : https://lundi.am/IMG/pdf/manger_luma_-_2021.pdf

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