Pièges et principes de l’horizontalité

Considérations sur les dynamiques d’organisation
Hanane al-Jouri

paru dans lundimatin#395, le 19 septembre 2023

Depuis la Loi Travail et Nuit Debout (2016) en passant par le soulèvement des Gilets Jaunes (2018) et le mouvement contre la réforme de retraites (2023) jusqu’à la montée en puissance des Soulèvements de la terre(2023) et la révolte suite à l’assassinnat de Nahel (2023), la France vit un niveau de conflictualité politique assez impressionnant et presque sans interruption : 5 mouvements plus ou moins massifs et offensifs (blocs, émeutes, grèves, blocages et sabotages) d’ampleur nationale en 7 ans et cela malgré une pandémie et trois périodes de confinement.
Dans ce qui suit, quelques considérations afin de reprendre, continuer et rouvrir des conversations. Certaines réflexions présentes ici pourraient être perçues comme sacrilèges, au mieux hétérodoxes. D’autres ne sont peut-être que des redites avec d’autres mots. Bref, ceci est une invitation à réfléchir et à discuter de comment nous pourrions faire mieux.

Chiapas et Rojava

Chez les partisans de l’autonomie, les deux expériences contemporaines qui font office de référence sont le mouvement Zapatiste au Chiapas et le mouvement Kurde, notamment au nord-est de la Syrie, dit Rojava. Pour les milieux libertaires, les dynamiques de démocratie directe et l’organisation horizontale de la vie quotidienne de ces deux territoires sont des sources majeures d’inspiration.

Pourtant, dans les deux cas, un des ingrédients qui leurs a permis d’occuper des territoires considérables et de survivre pendant toutes ces années, est sans doute la coexistence de structures militaires et politiques, horizontales et verticales : l’EZLN (armée zapatiste de libération nationale) et les conseils de bon gouvernement au Chiapas, le PYD-PKK (le parti des travailleurs du kurdistan) avec ses branches armés d’une part, et les communes de l’autre, au Rojava.

Paradoxalement, beaucoup de personnes qui soutiennent ces processus révolutionnaires contestent et refusent, chez elle, toute forme de verticalité dans les expériences d’organisation politique. Il faut dire que dans les innombrables récits, analyses et brochures sur le Chiapas ou le Rojava, le rôle des instances centralisatrices et verticales y est souvent absent laissant penser que les assemblées des habitant.e.s décident de tout, sans délégation ni médiation [1].

Les sympathisant.e.s justifient souvent l’existence des formes verticales de gouvernance par le contexte militaire hostile, d’autant plus dans le cas du Rojava. Au Chiapas comme au nord-est de la Syrie, la militarisation du territoire n’est évidemment pas comparable à Bure ou à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Cependant, ce degré inférieur de militarisation n’enlève pas le caractère « guerrier » de toute confrontation sérieuse avec les pouvoirs en place. Les collectifs et organisations qui font le choix de l’action directe sans récuser l’exercice de la violence politique (même de faible intensité) seront obligés de penser les rapports entre pouvoir militaire et politique.

Plusieurs modèles existent. Par exemple, dans l’armée de guérilla Tupak Katari en Bolivie, Raquel Gutiérrez Aguilar explique qu’il y avait des structures verticales mais qu’elles étaient temporaires puisqu’elles se dissolvaient en structures horizontales dès que l’action était terminée : « nous avons commencé à expérimenter des formes d’organisation anti-autoritaires… Nous avons travaillé sur la co-production de la prise de décision : celles et ceux qui réalisent les actions décidaient ensemble de leur caractère, de leur lieu et de leur temps. De cette façon, nous avons rompu avec un commandement de type militaire » [2].

De leur côté, les Zapatistes reconnaissent les inconvénients d’avoir une structure armée indépendante de l’organisation civile : « le problème c’est que la partie politico-militaire de l’EZLN n’est pas démocratique, parce que c’est une armée » ce qui implique l’interférence du politico-militaire dans les sphères civiles d’en « haut ». D’où l’élaboration du principe « diriger en obéissant » [3]. Pour le PYD-PKK, une telle autocritique publique ou une remise en question de ses instances de direction partisane paraît impensable.

Ces expériences ne sont pas reproductibles telles quelles ailleurs. L’histoire de chaque territoire ainsi que le contexte géopolitique contribuent largement à forger des hypothèses politiques, organisationnelles et stratégiques qui seront le plus susceptibles de remporter des victoires. Pourtant, ces exemples démontrent que des formes horizontales peuvent coexister avec des formes verticales : verticalité et horizontalité ne sont pas mutuellement exclusives malgré leur opposition théorique.

Ce qui est à noter dans ces exemples, est le substrat identitaire qui fonctionne comme un sujet révolutionnaire (« kurde » ou « indigène ») autour duquel il est possible de construire une base populaire pour l’organisation ou le parti [4]. Entre marxisme-léninisme (sujet, parti, idéologie, cadres formés) et communalisme libertaire (territoire, auto-organisation, communs, délégué.e.s mandaté.e.s par des assemblés) les Zapatistes comme le mouvement Kurde sous l’influence du PKK persistent comme vestiges des mouvements révolutionnaires du 20e siècle, tout en s’adaptant aux nouvelles réalités politiques du 21e siècle, soit, l’horizontalité et la décentralisation.

Comment et quoi faire au 21e siècle ?

Si on regarde les révoltes du 21e siècle, on constate une fragmentation identitaire et idéologique ambiante [5] : Egypte 2011, Libye 2011, Syrie 2011, Ukraine 2014, France 2018, Hong Kong 2019, etc. La fragmentation et la confusion vont probablement continuer d’exister dans les années à venir créant des configurations politiques peu stables ou consistantes [6]. Les attachements identitaires multiples et combinés (race, genre, orientation sexuelle, religion, ethnie, territoire, âge, etc.) ne peuvent plus être homogénéisés sous des catégories majeures telles que « ouvrier » ou « prolétaire ». En fait, aucune catégorie n’est capable aujourd’hui d’homogénéiser la diversité d’attachements. Ce qui fait que les pratiques insurrectionnelles, l’organisation matérielle de la révolte ou la survie tout court, plus que les visions du changement ou les convictions idéologiques [7], produisent une unité éphémère et négative (en opposition à) qui, passé les premiers temps, se fait souvent fracturer par les lignes de divisions qui traversent le mouvement. Dès lors, les processus de recompositions internes peinent à garder l’intensité et l’ampleur.

La manque d’une boussole éthique et politique transversale aux différents fronts de luttes en plus de la défaillance des formes plus classiques, comme les partis ou les organisations de masse avec un pouvoir plutôt hiérarchique et central, fait qu’aujourd’hui, non seulement il est plutôt sensé de revendiquer l’horizontalité et la décentralisation, mais qu’effectivement, ce sont les seules options possibles et voies praticables. Ainsi, il est assez fréquent de lire ces derniers années des affirmations telles que : « toute action de masse significative aujourd’hui est horizontale » [8].

La diffusion à des échelles massives de tactiques plutôt anarchistes (action directe, groupes affinitaires, sous-culture, organisation en réseaux, illégalisme, etc.) se fait par mimétisme [9], c’est-à-dire plus ou moins « spontanément » (sans beaucoup de délibération collective en amont) sans devoir recourir à des institutions ou organisations politiques. Vu ainsi, nous – partisan.e.s de l’autonomie – n’aurions qu’à nous fondre dans des mouvements et y « injecter »[Adrian Wohlleben, Autonomy in Conflict ]] deux ou trois pratiques. Au fond, nous n’avons pas énormément de choses à y apporter. Puisqu’en ajoutant quelque chose au moment insurrectionnel, il y a toujours le risque de le recoder et ainsi participer comme n’importe quelle organisation de gauche à le transformer en mouvement social classique, moins offensif et plus vulnérable aux récupérations institutionnelles. [10]

Ce point de vue, que l’on pourrait appeler "destituant" est lucide puisqu’il met le doigt sur l’importance de se laisser bouleverser au lieu de tenter de remodeler la situation via et selon les canons militants [11] en y (re)fermant les potentiels présents. Toutefois, ce point de vue est insuffisant. Une situation insurrectionnelle est forcément limitée dans le temps. Déjà par la répression armée qui est tout simplement et immédiatement mortelle dans certains coins du monde. Et puis car la fenêtre de tir est souvent très courte : pour qu’un mouvement réussisse à maintenir à la fois son intensité et son autonomie vis-à-vis des captures politiques (y compris gauchistes) il faut un niveau élevé d’innovation tactique, des intuitions religieusement justes et beaucoup de chance. Enfin, comme disait un camarade et un participant au soulèvement George Floyd aux USA en 2020 : « à un moment donné, il y a juste moins de gens dans la rue, on est de plus en plus fatigué.e.s et puis ça s’arrête ». Le problème, c’est que les insurrections (même quand elles ne dégénèrent pas en mouvement social) s’arrêtent souvent sans forcément obtenir grand chose [12] et puis dès que ça s’arrête, la plupart des participant.e.s reprennent leur vie « d’avant ».

Dans Memes without end, Adrian Wohlleben explique que ce que « nous voulons, c’est à la fois plus et moins qu’un mouvement social ». Plus, car on a besoin de quelque chose de plus fort et plus antagonique mais moins focalisé sur les identités et les positions sociales ou la formulation et la négociation de demandes et revendications. Pour résumer, il faudrait participer aux mouvements, qu’ils soient sociaux ou insurrectionnels, essayer de s’y fondre tout en apportant quelque chose de plus - mais pas trop non plus.

Dans la même lignée, le Comité invisible dans les dernières pages de Maintenant parle aussi de cette chose en plus qu’il faudrait parfois introduire dans une situation. Pour eux, les mouvements du 21e siècle sans leaders ni structure, répandent l’horizontalité non seulement comme la forme organisationnelle la plus efficace mais aussi comme la bonne forme. C’est en cela que l’horizontalité devient en elle-même une sorte de nouvelle « verticalité ». Les auteurs appellent cela la « verticalité de la situation » seule capable de commander. Encore une fois, on retrouve l’idée que c’est depuis l’intérieur d’un mouvement, son contexte propre, ses forces et ses composants qu’il faudrait réfléchir comment et quoi faire. Tout en admettant la prédominance de l’horizontalité comme forme générique d’organisation aujourd’hui, ça n’empêche pas les auteurs de reconnaître que parfois « il faut du décollement vertical pour faire pencher certaines situations dans le sens désiré » mais bien entendu ceci « s’improvise à l’occasion ».

L’inertie de l’horizontalité

Les avantages de l’horizontalité comme façon de s’organiser sont multiples. On peut surtout noter une certaine souplesse permettant des niveaux d’engagement et des types de participation multiples donnant aux mouvements des sources d’énergie et de créativité. On peut penser à Hong Kong, encore, avec l’organisation de la première ligne et sa coordination avec la 2e et 3e ligne grâce aux réseaux sociaux, applications et tutoriels. Or, comme n’importe quelle proposition ou idée, quand elle s’exerce de manière dogmatique, l’horizontalité en tant que principe absolu déconnecté d’un horizon stratégique (une vision et des objectifs) pourrait créer l’inefficacité et l’inertie (et c’est la critique la plus courante) voire saboter des dynamiques pourtant prometteuses et puissantes.

Sous le terme « horizontalité », nous pouvons entendre et concevoir une grande diversité de formes organisationnelles. Dans un spectre large de possibilités, on peut identifier deux tendances de manière très schématique : la première associe l’horizontalité à l’informel, l’absence de structures, la prévalence de l’affinitaire, de l’improvisation et de la décentralisation. La seconde entend l’horizontalité comme la mise en place des structures, des outils, des rôles et des mandats, bref un formalisme plus ou moins développé et ainsi une prévalence de la procédure afin de garantir la démocratie interne et empêcher la concentration des pouvoirs. Ce qui est en jeu, toutes tendances confondues, est le refus de la hiérarchie et de la subordination.

Dans la plupart des expériences concrètes de luttes et mouvements, des éléments des deux tendances se combinent à des degrés différents. Au sein du mouvement altermondialiste, on peut penser à l’Action Mondiale des Peuples, un réseau transnational décentralisé de rencontres et d’actions rassemblant groupes (affinitaires et plus formels) et organisations (petites comme grandes). Les dynamiques locales ou régionales sont autonomes ; elles décident elles-mêmes comment s’organiser. Elles doivent pourtant désigner des « points de contact » pour participer à la seule structure centrale et tournante mise en place pour se coordonner entre les différentes échelles et organiser les grandes rencontres internationales. Donc, il n’y a pas un modèle passe-partout ; c’est souvent les combinaisons les plus adaptées à la situation et aux forces disponibles qui permettent aux groupes de remplir leurs objectifs. Un groupe affinitaire, pour donner un autre exemple, peut n’avoir aucune structure organisationnelle mais des procédures de sécurité assez exigeantes si son objectif est de mener des actions illégales tout en échappant à la répression.

Il y a beaucoup de problèmes avec le formalisme ou les procédures. En plus des partis pris idéologiques et du sentiment d’exclusion que cela produit parfois chez les non-initié.e.s, la critique la plus pertinente que l’on pourrait faire à cette tendance est la rigidification de la lutte ou la fermeture d’un mouvement sur lui-même. L’accent est mis sur les dynamiques internes et le fonctionnement plus que sur les actions et les interventions externes. On peut penser à Nuit Debout en France ou Occupy aux USA comme exemples.

Ce qu’on oublie souvent c’est que dans tout type d’action collective, à grande ou petite échelle, des personnes avec des avis divergents coexistent et il n’est jamais garanti ou pas toujours possible d’arriver à des positions « consenties » ou des décisions « souveraines » sur l’ensemble des participant.e.s. Certaines divergences s’avèrent parfois inconciliables, ce qui amène à des retraits, des divisions, des conflits ou des départs. Lorsqu’elles ne le sont pas, il incombe à l’ensemble des composants de trouver des propositions alternatives (et pour celles et ceux en désaccord, de la souplesse) pour continuer [13]. Peu importe qu’on choisisse d’être plus ou moins formaliste, plus ou moins structuré, la question de l’horizontalité est moins celle des formes que des dynamiques à soigner pour éviter l’inaction et l’inertie.

La rigidification n’est pas exclusive aux tendances formalistes et procédurales. Beaucoup d’entre nous connaissent des groupes super dynamiques par moments, mais engourdis et atrophiés par la suite, puis qui cessent d’exister car plus personne n’est capable de dire « allez, on y va ». Certes, il ne faut pas toujours résister à la mort naturelle - le drame c’est que la dilution des dynamiques collectives est plutôt la règle. Dans The strategy of composition, Hugh Farrell explique que la décentralisation, l’autonomie des composants et l’absence d’une structure dans un mouvement aussi divers et protéiforme que celui pour la défense de la foret d’Atlanta n’échappe pas à l’inertie. Il utilise comme exemple les paroles d’un participant : « la façon dont tu agis est la façon dont tu vas continuer à agir [the way you’re moving is the way you keep moving] » [14]. Ce qui est à souligner ici, c’est le risque de la non-évolution du mouvement car le cadre d’action collectif ne favorise pas la transformation de ses composantes [15]. Autrement dit, comment augmenter la puissance d’agir individuelle comme collective au sein d’un mouvement si ses participant.e.s ne font qu’agir comme iels savent ?

Et puis, à un moment ou un autre, tout mouvement atteint des limites (tactiques, politiques, stratégiques, logistiques, etc.) [16]. Pour dépasser les limites identifiées, il faut se réinventer, c’est-à-dire changer quelque chose depuis l’intérieur. Ce qui est difficile si les différentes composantes ont été hermétiques les unes aux autres ou n’ont pas été transformées par le mouvement.

Pour résumer, toute forme d’organisation horizontale risque l’inertie. L’horizontalité n’est pas synonyme d’une forme d’organisation particulière au profit d’une autre. C’est une façon de faire qui devrait être dynamique et donc susceptible de s’adapter aux besoins du contexte. Enfin, on peut ajouter que des notions telles que horizontalité, autonomie ou décentralisation ne sont pas des valeurs qui seraient par essence, c’est-à-dire à tous les coups, supérieures à leurs contraires et automatiquement émancipatrices. En fait, « dans une époque déjà anarchique, la décentralisation et l’autonomie sont les caractéristiques de la plupart des forces politiques, et sont à peine suffisantes comme horizon libérateur » [17]. Les fascistes de CasaPound en Italie sont un bon exemple [18].

Dé-Centralisations

Un mouvement puissant réussit à transformer ses composantes tout en livrant bataille. Pour ne pas dépendre de la chance ou du sentiment de toute-puissance de quelques individu.e.s, il est essentiel de réfléchir à la reproduction des conditions de subsistance d’une force collective, c’est-à-dire à ce qui permet à une force non seulement de durer mais aussi de se renouveler. Voici quelques propositions : une certaine ouverture, de la transmission, une répartition des responsabilités et des pouvoirs entre le plus de monde possible et donc, de la formation. Tout cela nécessite, bien entendu, une clarté sur comment fonctionnent les choses [19].

L’opacité des fonctionnements, leur non-formalisation mais aussi la bureaucratisation, les rendent peu intelligibles et comportent le risque de centraliser les ressources, les savoirs-faire ou la prise d’initiative et de décision entre les mains d’une minorité de personnes. Ici, la centralisation existe par défaut, elle est non réfléchie et informelle alors qu’elle pourrait être un choix conscient et explicite pour avoir une certaine efficacité et augmenter la force de frappe dans des moments décisifs. Ce qui nécessite de la confiance de la part des différentes composantes aux personnes (auto)désignées pour la mission et de la transparence de la part de ces dernières. Pour revenir à l’exemple du mouvement à Atlanta ; tout en étant un mouvement décentralisé et horizontal, le choix a été fait de centraliser la communication dans un unique canal public pour parler au nom du mouvement. Selon une participante, cette décision a été clé pour le succès du mouvement et son retentissement au niveau national.

Sur la durée, c’est important que les noyaux organisationnels ou opérationnels ne soient pas toujours composés des mêmes personnes. Il y a évidemment la question des rapports de pouvoir (j’y reviens) mais il y a aussi celle de la « sur-formation » où certaines personnes deviennent de facto indispensables à la survie d’une lutte ou d’un mouvement en vue des compétences ou des expériences qu’elles ont acquis auparavant mais aussi à cause de leur prise en charge d’une grande partie des tâches.

Au-delà des critiques idéologiques, le risque d’avoir une poignée sur-formée de militant.e.s qui centralisent un nombre important de ressources, savoirs-faire et outils est de fragiliser la subsistance de l’action collective : maladie, répression, épuisement et beaucoup d’autres raisons rendent la décentralisation tactiquement intéressante (donc sans fétichisation) et certainement plus durable. D’où la nécessité de socialiser, dans la mesure du possible, toutes les tâches et les rôles (élaboration stratégique, cadrage idéologique, communication, structuration, etc.) et pas uniquement celles invisibilisées et dévalorisées. Pour le dire différemment : nous avons, par exemple, besoin de plus de femmes et de dissent.e.s sexuels qui s’occupent de la stratégie et pas seulement de plus de mecs cis qui ont plus de quarante ans pour faire la cuisine ou la vaisselle.

Disparités

Afin de socialiser les tâches, rôles et fonctions au sein d’une lutte ou d’un mouvement sans abandonner ses objectifs concrets ou bien sans sortir de son horizon stratégique, il n’y pas beaucoup de solutions si ce n’est prendre la question de la formation très au sérieux. Du Chili au Liban en passant par la France, des ami.e.s racontent la même chose : toute une génération de militant.e.s a refusé la formation au nom de la critique de la hiérarchie, du paternalisme et de la verticalité. Au lieu d’aboutir à moins de disparités par l’auto-formation, cela aboutit à plus de décalages entre celles et ceux qui ont tenu bon pendant une décennie (ou plus) et celles et ceux qui ont été là de manière sporadique ou qui ont rejoint récemment la lutte.

Les disparités et inégalités qui existent entre différents participant.e.s d’une action collective reviennent à l’histoire singulière de chaque personne, ses expériences et vécus et ne sont pas toujours en strict corrélation avec leurs positionnements sociaux (classe, race, genre, orientation sexuelle, âge, habitat, éducation, etc.). Dans nos vies et espaces politiques, nous avons raison de vouloir défaire les rapports de pouvoir et construire des liens de confiance, d’attention réciproque, d’amour et de soin. Toutefois, il y a une tendance à confondre l’objectif avec le processus quand il s’agit de vouloir défaire les rapports de pouvoir au sein d’un cadre collectif. Désapprouver les rapports de pouvoir ne les fait pas disparaître… il faut travailler à les diminuer.

Dans un monde qui va de plus en plus vers la précarisation des vies, le temps que chacun peut dédier pour l’action collective est un facteur essentiel à prendre en compte. Il faudrait éviter que celles et ceux qui choisissent, ou sont capables, de dégager beaucoup de temps pour participer aux espaces politiques deviennent par défaut les uniques moteurs. En même temps, cela reste précieux d’avoir des personnes avec du temps disponible… il faudrait en profiter et donc trouver des configurations qui permettent à celles et ceux qui en ont moins de s’approprier le cadre et de l’infléchir si besoin. Vive la désertion [20] certes, mais surtout la construction de l’autonomie matérielle et financière qui pourrait permettre à toute personne qui le désire de le faire.

En plus des rapports de pouvoir liés au genre, au capital culturel ou au temps dont chacun.e dispose pour être actif.ve dans un processus collectif, nous pouvons questionner le rôle de l’ancienneté dans un espace politique et voir ce que cela implique comme disparités entre les participant.e.s. De fait, les nouveaux.elles arrivant.e.s vont avoir du mal à être directement et effectivement égaux.les avec celles et ceux qui sont là depuis un certain temps. Et cela malgré la possibilité formelle d’avoir le même pouvoir de décision ou le même accès aux informations [21]. Le reconnaître d’emblée plutôt que faire semblant nous fera gagner beaucoup de temps et d’énergie, du moment qu’on décide de travailler à réellement diminuer ces déséquilibres d’expériences. Nous en revenons donc à l’importance de la transmission et à l’appropriation collective (autant que possible) de la finalité de l’action, de ses objectifs autant que de ses moyens.

L’horizontalité ne décrit pas un état de fait mais des manières de faire qui tendent vers la réduction des inégalités et des hiérarchies afin de reconfigurer les rapports et les liens qui nous tiennent ensemble sans subordination ou coercition. Fonctionner en horizontalité implique donc d’avoir des intentions, tenter de les faire advenir, malgré les difficultés et les obstacles. Malheureusement, il n’y pas que les rapports de pouvoir ou les disparités des expériences. Il est aussi question de tout un tas d’éléments infra-politiques qui perturbent et résistent aux tentatives d’auto-organisation : souffrances, névroses, insécurités, égos, hypocrisies et traumatismes. Comme dirait Virginie Despentes, rien ne [nous] separe de la merde qui [nous] entoure. Ou avec un psychanalyste : « nous sommes le problème que nous essayons de résoudre » [22]. Il faut donc se méfier du pouvoir magique du « auto » dans tout ce qui est auto-organisation, auto-gestion, auto-gouvernement ou auto-détermination : c’est loin d’être une cure à tous nos soucis [23]. Dans les tentatives de se gouverner, de décider par soi-même, nous faisons face à toute l’ambiguïté et la difficulté de savoir ce que nous sommes, ce que nous ne sommes pas, ce que nous voulons et ce que ne voulons pas.

Le problème du "leadership"

L’autorité fait parti des choses que l’on considère ne pas vouloir. Effectivement, une des choses perçue comme exogène et aberrante aux expériences d’organisation horizontale est le leadership  : le fait de mener, de diriger, de manager avec de la pression, le contrainte ou la coercition. Théoriquement comme dans les faits, le leadership pourrait aussi décrire une forme de « direction » [24] non-coercitive. On peut voir le leadership comme quelque chose qui est incarné par des personnes [25] mais aussi par un groupe, une initiative, une tactique [26] ou même une proposition [27]. Dans certains cas, le leadership se révèle après-coup, comme un effet, dans la mesure où le geste, l’idée ou la personne produisent une large adhésion.

Dans son livre Neither Horizontal nor Vertical, Rodrigo Nunes distingue une « fonction » et une « position » de leadership. Comme fonction, le leadership est parfois imperceptible. L’utilité du leadership comme fonction au sein d’une action collective est de contrecarrer l’inertie, d’impulser du mouvement, d’indiquer des chemins ou de soigner le cadre de l’action. Dans la durée, il pourrait devenir plus visible et problématique dès que ses effets apparaissent moins légitimes pour certain.e.s et produit ainsi moins d’adhésion. En soi, il n’y a rien de problématique dans le leadership si la personne ou le groupe qui se trouve à cet endroit fonctionne comme amplificateur des forces collectives pendant un moment donné. Starhawk dans Comment sorganiser ? distingue différents types de leadership et appelle à les diversifier et les valoriser au lieu de les effacer et tout aplatir. Pour elle, le leadership est un pouvoir parmi d’autres et constitue une source d’empuissancement collectif car il nous permet de faire advenir ce qu’on désire réaliser. Dans un cadre collectif, il est possible d’avoir plusieurs leaderships qui agissent simultanément à des endroits différents. La meilleure façon de contrecarrer les effets néfastes du leadership est de reconnaître qu’il existe et puis discuter de comment réduire les dégâts : il y a milles propositions entre les tâches tournantes ou les mandats limités.

On se retrouve dans la situation de leadership comme position quand il n’y qu’un.e capitaine qualifié.e sur le navire. Puisque le problème avec le leadership comme position est que non seulement en temps de tempête mais surtout pendant l’accalmie, celles et ceux qui se retrouvent sur le navire sont contraints de suivre ses commandements. Le leadership comme position est ainsi à l’opposé de l’augmentation de la puissance collective [28] : dès que la fonction de leadership se stabilise dans une personne, un endroit, un groupe ou une idée, il n’y a plus de mouvement mais un point fixe qui tente d’exercer une influence sur le reste. On glisse d’une puissance pour faire quelque chose au pouvoir sur quelqu’un ou quelque chose.

Beaucoup d’entre nous seront d’accord quant aux effets néfastes d’un leadership figé et contraignant. Il est donc plus intéressant de parler de ce qui fait discorde. Il y a un refus idéologique de la notion de leadership dans certains cercles anarchistes ou anti-autoritaires ; combattre toute expression de leadership par principe revient à refuser le fait que certaines personnes ou composantes soient capables de contribuer plus que d’autres à infléchir le devenir d’une lutte ou d’un mouvement. Au fond, ce qui est reproché est le fait d’avoir formulé une position qui a su remporter l’adhésion [29]. La critique vise moins le contenu (peu importe si c’est bien ou pas) que l’endroit depuis lequel la position est formulée (la personne ou le groupe). Cela rendrait presque compréhensible, le fait que la passivité et l’attentisme priment sur l’action et la réinvention, la mollesse et le dogmatisme sur la réflexivité, l’état des choses sur la volonté de changer. Tiré à l’extrême, cette posture intégrée comme seconde nature par certain.e.s, car signe d’appartenance au « milieu », produit quelque chose de profondément paranoïaque ; toute prise d’initiative devient suspecte, tout effort d’organisation rend coupable, toute proposition est une tentative de manipulation.

Il nous faudrait une compréhension du leadership comme un effort collectif dexercice de la puissance afin de nous permettre d’identifier ce qui nuit à l’augmentation de nos forces et ce qui le nourrit. Combattre toute expression de leadership par principe est profondément stérile - il y en aura toujours [30]. Pourquoi faire comme Sisyphe qui est finalement heureux de pousser cette pierre à l’infini au nom de je ne sais quelle libération ? Il faudrait sérieusement renouer avec une certaine idée de l’efficacité : certain.e.s d’entre nous se sont bien installé.e.s dans le virage « le processus compte plus que le résultat » et donc tant pis finalement si ça ne donne rien. Le processus compte beaucoup, en effet, et c’est cette dimension éthique qui nous distingue de nos ennemis et rend, en partie, nos combats libérateurs. Mais à quoi sert la fidélité à tout un assortiment de principes dans un vide organisationnel et stratégique ? Après, il faut le reconnaître, c’est vachement plus simple.

S’organiser avec l’ambition d’avoir des effets dans le monde nous expose à des risques quasi existentiels. Être en contact avec la complexité du réel nous pousse à confronter des choses qu’on ne connaît ou ne comprend pas (cf. les premiers jours des Gilets Jaunes). C’est troublant, on a peur d’être dépassé.e.s, de ne pas avoir raison, de faire des erreurs, de devoir lâcher nos croyances, de se transformer. Avant de vouloir changer le monde, il faudrait ne pas avoir peur de changer nous-même. Donc tant pis si nos convictions s’effritent au premier contact avec le réel ; ça veut juste dire qu’elles n’étaient pas si bonnes.

Différentes nuances de crise

Au lieu de combattre le leadership comme quelque chose qui serait incompatible avec l’horizontalité et l’auto-organisation, certain.e.s vont l’accepter (tacitement ou explicitement) jusqu’au moment où la lutte traverse un moment difficile. Dans ce cas là, il est de coutume de faire porter la responsabilité des mauvais choix au leadership. Rarement, on adjoint à cela une analyse ou une critique de la globalité de la situation qui a permis l’émergence d’un leadership très influent, du type : certain.e.s prennent trop de places, de tâches et de pouvoirs mais d’autres pas assez de responsabilités, de soin ou de charges. Quand les choses vont bien, l’existence d’un leadership est arrangeante. Mais quand les choses vont mal, il y a parfois tendance à cibler les personnes plus que leurs choix.

Évidemment, il y a des personnes ou des comportements qui posent problème tout court mais on ne peut pas seulement demander aux personnes autoritaires de ne plus l’être - il revient au collectif de désactiver de manière effective l’excès des pouvoirs individuels. Pour cela il faudrait des espaces dédiés pour le soin et l’analyse des pratiques et une compréhension multidimensionnelle du conflit comme interaction entre différents enjeux. Bref, nous avons besoin d’une culture du conflit capable d’utiliser les crises comme occasion de se renforcer en identifiant les tensions en jeu pour les travailler au lieu de laisser cours aux folies collectives ou parier sur la fuite en avant.

Bien faire les choses nécessite du temps et de la sincérité mais aussi une vision sur le long-terme qui ne se laisse pas entièrement déterminer par l’urgence, réelle ou imaginée, de la situation. Or, dans des moments d’intensité ou de montée en puissance, donc des moments extrêmement propices aux crises et à la solidification des figures d’autorité, la méthode adoptée est rarement celle du ralentissement pour retrouver un rythme maîtrisable collectivement. Souvent, c’est la méthode d’évitement, partiel ou total, qui est adoptée avec une vision court-termiste qui voit dans la multiplication des objectifs et actions une sortie par le haut. Il ne faudrait pas confondre la stratégie avec l’agitation. Car comme on dit : ce qu’on met à la porte revient toujours par la fenêtre.

Après Sainte-Soline 2, il y a eu beaucoup de critiques adressées aux Soulèvements de la Terre. Celles qui visaient les choix tactiques et stratégiques (frontalité de l’attaque, retrait tardif, manque de préparation et de ressources, attaque de la même cible deux fois, etc.) ont permis des discussions, des réflexions et des apprentissages, non seulement pour le mouvement mais pour notre camp en général. Les critiques qui visent les Soulèvements de la Terre comme organisation autoritaire qui instrumentalise les manifestant.e.s ne nous enseignent pas grand chose. À ma connaissance, personne n’est allé chercher des gens par les cheveux pour aller manifester à Sainte-Soline. Ce genre de discours, fait depuis l’extérieur, alimente une ambiance de méfiance, de division et de gestes concrets de dissociation. Quelque chose de plus constructif serait peut-être de tenter de répondre au défi : comment faire pour déclencher un mouvement radical, massif et divers comme les Soulèvements de la Terre, par exemple, sans avoir recours à une certaine verticalité stratégique [31] ?

Difficile de parler des cadres collectifs sans parler de la place de l’individu dedans : le besoin d’appartenance mais aussi de rétribution, la nécessité de confiance mais aussi de protection. Comment faire corps, ou acuerpar comme disent les féministes chiliennes ? La tristesse de nos Moi n’est pas la solitude mais leur perpétuel insuffisance, leur manque de générosité, la tyrannie de leur fragilité. Voici un autre exemple : le cas paradoxal, et pas si rare, de quand les choses sont excellentes mais on va tout de même être insatisfait.e par le cadre collectif qui ne serait pas assez horizontal, trop exigeant, pas assez ouvert, etc. Il arrive que ce genre de critique, tout en soulignant des vrais limites ou identifiant des choses à améliorer, veuille aussi dire, au fond, autre chose. Starhawk a le mérite de dire les choses brutalement : « la volonté d’égalité masque parfois la simple jalousie et l’envie » [32]. Quand des gens ne se sentent pas reconnu.e.s dans le retentissement ou le succès d’une action ou d’un processus, les crises déclenchées sont difficilement solubles car il existe un décalage entre le problème énoncé (fonctionnement des dynamiques collectives) et le problème effectif (leur place dedans). On connaît celles et ceux qui pointent le manque d’auto-organisation puisqu’iels veulent davantage de pouvoir plutôt que sa véritable distribution.

La question sous-jacente ici, est celle de la rétribution et de la reconnaissance symbolique et sociale, qui est très importante mais en même temps assez complexe puisqu’il n’y a pas forcément de corrélation entre contribution et rétribution [33]. Il n’y a pas de réponse universelle, chacun.e voit où se situent ses propres limites, à quel point et dans quelle mesure il est possible de tenir les tensions et contradictions qui traversent toute expérience politique, dans quelle mesure il est possible de faire avec. C’est tout sauf évident, parfois c’est carrément moche, parfois ça vaut le coup et c’est vraiment beau.

Avant-goût

Il n’y a pas de force puissante sans organisation [34], rien ne tient sans consistance. Afin de prendre le risque de changer les choses sans abandonner nos boussoles éthiques et politiques, il faut se donner les moyens - et en priorité le temps. Aucun dogme ne peut nous libérer individuellement ni nous faire avancer collectivement. L’objectif est de réduire les écarts entre nos pratiques et nos principes tout en se confrontant à la complexité du réel. Sans reconnaître nos disparités (sociologiques et acquises), nous ne trouvons pas d’horizon de libération pratique. Il s’agit moins de la bonne forme que des moyens nous permettant de nous tenir ensemble afin de construire et soigner notre force, d’augmenter notre puissance individuelle et collective [35]. Savoir mieux s’organiser et naviguer à travers les fausses oppositions [36] ne résout pas tout mais c’est une bonne base.

Il reste beaucoup de discussions à avoir, de questions qu’il nous faudrait poser. En fonction du temps, d’autres textes pourraient faire suite. Voici déjà un avant-goût : Comment être stratège sans tomber dans la realpolitik ? La composition est-elle possible sans opportunisme ? Que veut dire nouer des alliances aujourd’hui ? Quels sont les compromis que nous sommes prêt.e.s à faire au nom du pragmatisme ? N’y-a-t-il absolument rien à sauver dans l’image du « grand soir » ? Ne faut-il pas mettre à jour la conception de la révolution comme processus ? Quel sens faut-il donner à la « victoire » (et à la défaite du coup) ? Est-il vraiment plus sensé d’abandonner l’horizon révolutionnaire au profit de celui de la résistance ? Comment construire sur le long terme tout en étant capable d’intervenir dans l’actualité ? Comment lier les différentes échelles et territoires ? Comment tenir deux fronts en même temps au lieu de se spécialiser dans un seul terrain ? Est-ce qu’on peut faire tout cela sans parti ?

J’aurais aimé que mes mots soient plus enchantées mais parler de dynamiques d’organisation est rarement glamour. Tant pis pour l’élégance.

Hanane al-Jouri

[1« Surtout, il paraît nécessaire de récuser une lecture purement "horizontaliste" de l’autonomie zapatiste, qui postulerait un primat absolu des assemblées et une égale participation de tous aux processus d’élaboration des décisions. ». Jérôme Baschet, Auto-gouvernement populaire et auto-détermination des manières de vivre. Même Bachet, dans ses analyses, sous-estime le rôle d’une organisation telle que l’EZLN dans l’expérience de l’autonomie zapatiste, soulignant plutôt l’aspect communaliste d’auto-gouvernement.

[2Raquel Gutiérrez Aguilar, Letters to My Younger Sisters, https://illwill.com/letters-to-my-younger-sisters#ref1

[4Plus qu’un sujet révolutionnaire classique et marxiste, ces deux mouvements se basent plus sur ce que Ibn Khaldoun appelle assabiya : une solidarité de corps qui permet à un groupe de se percevoir comme tel et de trouver de la cohésion et l’intérêt commun. Qui, combiné avec ce qu’il nomme al-daw’a, ou l’idéologie, peut permettre à un groupe d’être réellement menaçant pour l’ordre établi. Ce que Ibn Khaldoun peut apporter aux théories révolutionnaires reste à développer.

[5Endnotes, Barbares en avant !

[6À nous de trouver sur le terrain les voix avec qui l’on partage un certain nombre de principes afin de mieux comprendre ce qui se joue au lieu de s’aligner sur les récits des régimes contre qui les populations se soulèvent.

[7À l’exception peut-être de quelques organisations préexistantes à la révolte qui maintiennent une base populaire rendant leur participation au soulèvement non seulement pertinente mais importante pour augmenter la force du mouvement. On peut penser aux organisations indigènes en Équateur ou féministes au Chili en 2019.

[8Adrian Wohlleben, Memes sans fin.

[9Ibid.

[10Ibid.

[11La question concerne les pratiques autant que les discours : pendant les Gilets Jaunes la présence de militant.e.s a pu se faire sentir notamment avec l’émergence des « assemblées » et des outils ou codes associés (tour de parole, limitation du temps des interventions, contrôle du ton, etc.). Ces codes ou outils ont pu aliéner certaines participant.e.s pour qui les « assemblées » étaient simplement des discussions sur le rond-point auparavant. La question n’est pas tant de savoir s’il faut ou non introduire des tours de parole - on amène toujours nos propres expériences et apprentissages politiques précédents dans un mouvement - Il s’agit plutôt de trouver des solutions satisfaisantes à des problèmes qui émergent au lieu de performer du folklore militant.

[12En partie à cause de notre incapacité à empêcher les récupérations et les codages institutionnels. Ce qui pose la question de notre force (donc d’une entité distincte du mouvement) et de sa construction préalable. Certains appellent cela « la question de l’organisation » et d’autres « la construction du parti ». Mais cette discussion mérite un texte à part entière - du moins pour celles et ceux qui pensent encore que ça sert à quelque chose de s’organiser.

[13L’essentiel est de sortir des impasses sans aplatir les propos ou faire trop de compromis

[15Selon l’auteur, toute la force de la stratégie de composition est la transformation des différentes composantes par l’organisation collective, sans aplatir leurs différences. Donc la composition cherche quelque chose qui va plus loin que la « diversité des tactiques » qui pourrait simplement signifier la coexistence de tactiques différentes dans le même espace sans articulation stratégique ou politique.

[16Par exemple, à Sainte-Soline 2, nous avons vu la limite d’une stratégie de massification en fonction (et pas tout court) des forces disponibles pour l’organisation en amont et la coordination en temps-réel de l’action. Cf : Les soulèvements de la terre, À celles et ceux qui ont marché à Saint Soline

[19Ce qui est compatible avec le maintien d’une certaine opacité à des endroits particuliers pour des raisons de sécurité.

[20Une notion qui dans certains cercles politiques signifie trouver des façons de se dégager autant que possible des contraintes matérielles et/ou pressions sociales qui commandent nos choix de vie (études, carrière, propriété privé, loyer, réussite individuelle, etc.) afin d’une part de découvrir de nouveaux désirs et façons de vivre mais aussi avoir plus de temps pour s’organiser.

[21On peut arriver dans un groupe et avoir accès à tous les documents internes, comptes rendus et tutti quanti mais qui va vraiment tous les lire ? Et même quand c’est le cas, qui va parfaitement en comprendre les tenants et aboutissants ?

[22Endnotes cite Eugene Victor Wolfenstein dans Mélancolie des groupes, Éditions la tempête ou en ligne en anglais, We Unhappy Few.

[23Auto du grec ancien est soi-même. Donc, on pourrait dire que « auto » renvoi moins à quelque chose qui serait automatique et mécanique comme dans certains systèmes (informatiques, physiques, etc.) où l’auto-organisation est un fait et non une valeur (positive ou négative).

[24Direction signifie sens, conduite et orientation et pas seulement autorité, contrôle ou gestion

[25Certains Gilets Jaunes tel que Priscillia Ludosky, Eric Drouet ou Jérôme Rodrigues sont devenu des figures sans forcement s’auto-proclamer représentant de tout le mouvement et sans que le mouvement les désigne. Iels ont émergé comme figures pour une variété de raisons.

[26Dans Memes without end, l’auteur parle de « leading gestures » ou « les gestes qui guident » qui se répètent et deviennent viraux. Enfiler un gilets jaunes en 2018 en est un exemple.

[27On peut penser au RIC pendant les Gilets Jaunes.

[28C’est là où se trouvent les ambiguïtés de ce que les politologues appellent « leaders charismatique » et plus proches de nos milieux, les « gurus » inavoués : leurs paroles et actions peuvent donner de la force, du sens, de la cohésion mais également amener à des pures dynamiques de subordination, dépendance et endoctrinement allant dans le sens inverse de la libération.

[29Évidemment certaines personnes rapportent plus souvent l’adhésion que d’autres pour des raisons de capital culturel, militant, genré, etc. mais le moyen de contrecarrer cela est de se former, de se renforcer, de proposer des meilleures options et de construire un rapport de force qui nous permette de défaire les effets de ces inégalités sur l’action collective. C’est pas facile mais nous n’avons pas d’autre choix.

[30C’est subtile mais il faut savoir distinguer entre chef.fe et leader.use afin d’empêcher le glissement

[31Pour l’instant, le mouvement mélange une horizontalité organisationnelle qui permet la participation et l’articulation avec beaucoup de monde et une verticalité stratégique qui permet de maintenir une cohérence et une consistance entre les différentes composantes.

[32Comment sorganiser ? Manuel pour laction collective, p.167

[33Nos rétributions sont en grande partie les amitiés et les liens de camaraderies qu’on tisse et qui nous enrichissent d’où la violence de certains conflits qui mêlent amitié, communauté, politique et organisation.

[34Un réseau, un mouvement, une organisation ou un groupe affinitaire sont des modes d’organisation. Le choix conscient ou équivoque de ne pas avoir une forme organisationnelle précise est en soi un parti pris organisationnel.

[35Le tout n’est pas la somme de ses composantes. Le tout est toujours plus que l’addition des parts individuelles. La question est de savoir si ce plus est le résultat d’une alchimie collective qui sublime les parts individuelles ou si c’est le résultat de la sur-valorisation de certaines parts.

[36Soin vs. efficacité, horizontalité vs. verticalité, formalisme vs. spontanéité, etc.

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