Suite au séisme au Maroc

Architectes Sans Frontières France
[Communiqué]

paru dans lundimatin#397, le 5 octobre 2023

Alors que le bilan du séisme qui a éventré le territoire marocain le 8 septembre dernier a dépassé les 3000 morts, les membres d’Architectes Sans Frontières s’interrogent sur les programmes de reconstruction qui ont commencé à se déployer sur place et les discours qui les accompagnent. Les politiques d’aménagement urbain à grande échelle, les programmes coloniaux et développementalistes ont diffusé à travers le Maroc des modèles d’infrastructures bétonnées qui sont à la fois détachés des modes de vie des populations et de leurs besoins. Le collectif propose, au milieu des ruines et des décombres, de s’interroger sur les possibilités de déploiement d’une autre architecture, sensible aux différentes couches qu’engagent « l’acte de (re)construire ».

Les solutions pour la reconstruction post séismes ne se trouvent probablement pas dans les pays occidentaux.
Il serait légitime de se tourner vers les pays qui subissent des séismes ont su apporter des réponses cohérentes et durables. Que disent-ils ?
Face à l’urgence la tentation est forte de s’empresser de trouver une raison pragmatique à l’irruption d’une catastrophe. Cependant elle comporte le risque que des accusations infondées soient faites et qu’elles aient des répercussions contre-productives. Par exemple, il est inacceptable d’assurer haut et fort que les dommages subis par les constructions vernaculaires sont directement liés aux matériaux de construction.

Au Mexique, suite au séisme survenu le 7 septembre 2017, le président de l’époque Enrique Peña Nieto affirme quelques jours après les évènements que les effondrements sont principalement dû au fait que les constructions sont en brique de terre crue et ont de mauvaises fondations. Dans sa conclusion hâtive, il omet de faire référence au 1 145 écoles construites en béton qui se sont également effondrées.

À Moulay Ibrahim, localité proche de l’épicentre du récent séisme survenu au Maroc, Oussama Moukmir fait le même constat : les constructions récentes en béton et normalement conformes à la norme antisismique en vigueur n’ont pas tenu le choc face à l’intensité inédite du tremblement de terre. [1] Depuis bien avant l’industrialisation de la construction et sa réglementation, des populations ont été confrontées partout dans le monde aux risques naturels avec lesquels elles ont composé pour pérenniser leur volonté d’habiter. Elles s’expriment dans le livre ouvert de la culture vernaculaire, abondant recueil de propositions inspirantes à observer et à questionner pour élaborer des projets contemporains soutenables.

Exemples :

• Le bajareque Cerén (torchis armé), technique constructive utilisée par les Mayas il y a 1400 ans, dont la résistance à divers tremblements de terre a conduit à l’étude de professionnels pour développer une technique antisismique qui utilise la terre comme matériau de construction et qui est actuellement utilisée avec d’excellents résultats.

• Au Pakistan, la technique traditionnelle associant maçonnerie de pierres hourdies et sections de bois fait encore preuve de son efficacité et de sa compatibilité avec les capacités de production locales.

• Au Salvador, au Pérou et au Chili, il existe dorénavant une norme pour la construction en adobe qui garantit une résistance aux tremblements de terre.

Précisément dans la zone impactée par le récent séisme, nombre d’acteurs compétents s’impliquent depuis longtemps sur ces problématiques ; la coopérative Bellarej et l’ONG Labina sont, parmi beaucoup d’autres, des preuves patentes que le Maroc possède déjà des ressources pour reconstruire son patrimoine bâti. Mais au-delà des systèmes constructifs, construire un édifice c’est aussi participer à construire le territoire humain qui l’accueille, l’architecture se nourrissant d’anthropologie et enrichissant celle- ci en retour. « Les communautés affectées [...] sont en capacité de s’organiser et de résoudre leurs problèmes collectivement, ce qui leur permet de prendre conscience de leurs capacités ; de leurs caractéristiques propres pour faire face à l’adversité et qui sont essentielles pour avancer [...]. Dans ce sens, il est important que les projets de restauration et de reconstruction soient canalisés vers des organisations sociales locales qui connaissent le milieu, les capacités et les problèmes des habitants. »
C’est à dire à l’inverse d’une « logique mercantile de réduction des coûts, de logiques d’entreprises ne tenant pas compte de la participation des personnes au processus de construction. »
C’est à dire à l’inverse des « modèles de maisons finies qui se répètent dans tous les pays, inadaptées à la culture des habitants et à leurs besoins en matière de logement, dans un acte de discrimination à l’égard des plus démunis, nuisant à leur qualité de vie et à leur sécurité. » [2]

L’urgence à laquelle est aujourd’hui exposé le Maroc n’est malheureusement pas inédite. Il serait dommage de se priver de ce qu’ont démontré de manière palpable d’autres ayant vécus des situations comparables et qui nous disent :

NON l’architecture traditionnelle n’est pas systématiquement plus vulnérable aux séismes que les constructions prétendument modernes.

NON le béton n’est pas systématiquement la seule et bonne réponse.

NON, les règles de construction issues de l’industrialisation ne peuvent concerner les acteurs du système informel et de l’auto construction ni se dispenser de réfléchir aux conditions locales de l’acte de construire.

Architectes Sans Frontières - France, septembre 2023

[1Comment se relever ? Séisme au Maroc : « le défi maintenant, c’est que ne soit pas reconstruit en béton », Libération, 11 septembre 2023

[2Extraits de l’appel au Gouvernement Fédéral d’Enrique Peña Nieto le 15 septembre 2017 signé par un grand nombre d’associations, collectifs, institutions et professionnels d’Europe et d’Amérique Latine

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