Sémythocentrisme contre Universalisme

« Le pouvoir, c’est l’organisation même de ce monde, ce monde ingénié, configuré, designé. Là est le secret, et c’est qu’il n’y en a pas. »

paru dans lundimatin#84, le 5 décembre 2016

Un lecteur spinoziste nous a envoyé cette contribution au débat autour du texte d’Ivan Segré. (Voir la réponse d’Éric Hazan ainsi que celle de Patrick Chailonick.

Le petit remous suscité par les articles d’Ivan Segré ne prouve qu’une chose, l’enracinement profond d’un mythe. Ce court texte n’est pas destiné à démontrer ce que Segré et d’autres montrent fort bien par ailleurs. Ce court texte prétend constater un petit quelque chose.

Exprimons seulement :

1. Qu’à Gauche, lorsqu’il s’agit du Moyen-Orient, l’imaginaire politique est capturé de manière privilégiée par la question Israël-Palestine. Qu’en d’autres termes, la lutte universelle pour le droit, lorsqu’il s’agit du Moyen-Orient, se singularise de manière suspecte en prise de position particulière concernant Israël et le « sionisme ».

Symptôme : Que les Éditions La Fabrique d’Éric Hazan, comptent, sur environ 150 ouvrages édités, environ 22 ouvrages explicitement dédiés à ce problème. Que leur section thématique intitulée « Proche et Moyen-Orient » se résume à cette question là. (Avec un livre sur Bush en Irak, un autre sur Obama en guerre, et un livre sur le féminisme islamique. Autrement dit : quand il s’agit des autres pays du Proche et Moyen-Orient, il ne s’agit pas de les attaquer, mais de les défendre.)

Conséquence : Qu’il y aurait donc, à gauche, même chez les plus radicaux, une formation de la cartographie mentale des conflits. Déformation lorsque ces conflits ne nous concernent qu’indirectement, c’est-à-dire d’un simple point de vue abstrait, imaginaire et symbolique plutôt que d’une position pratique située, territoriale et technique. La jonction entre le point de vue et la position pratique reposant, en dernière instance, sur l’exrience, le vécu de chacun.

Distinguons en Stoïcien : la politique concerne ce qui dépend de nous pratiquement, ce qui dépend de nous symboliquement, ce qui dépend de nous d’un point de vue universel  ; elle ne concerne pas ce qui ne dépend de nous d’aucune sorte.

2.Qu’il existe, par-delà l’antisémitisme, l’anti-sionisme ou le philosémitisme, un sémythocentrisme (sémite / mythe) : une machine abstraite qui rapporte nos débats et nos positionnements dune manière ou dune autre à la question « Juive ». Et ce, en négligeant l’étude comparative et objective des divers appareils d’État et de leurs techniques d’assujettissement. Comme si le problème de l’État d’Israël était au fond celui de l’État d’Israël.

Définition : « sémythocentrisme », néologisme qui fait de l’homophonie bienvenue entre sémite et mythe, une seule et unique expression tendant à marquer d’un terme le phénomène qu’il décrit.

3. Que l’État d’Israël est un État - parmi d’autres. Qu’un regard exempté de la logique sémythocentrée nous permet de comprendre l’État d’Israël à partir de ses propriétés et caractéristiques objectives. Que les réalités singulières doivent être comprises singulièrement et combattues à partir d’un point de vue universel, et non pas universellement combattues pour ce qu’elles ont de singulier.

4. Que c’est sacrifier le point de vue moniste de la critique de l’Appareil d’État et des technologies de domination pour le point de vue culturel de la critique du National et des idéologies. Or, pour un lecteur de Lucrèce, Spinoza, Marx, Deleuze, Foucault, PMO ou du Comité Invisible (pour un gros lecteur, donc), un tel point de vue a des chances de paraître au pire imbécile (du latin « in- bacillum », « sans bâton », sans bâton pour se soutenir, sans bâton pour frapper  : inoffensif ), au mieux anachronique.

[raison 1] Rappelons que c’est aux mêmes Éditions La Fabrique qu’est publié l’ouvrage excellent d’Éric Fassin (Roms & Riverains. Unepolitique municipale de la race) dans lequel il est montré que la problématique culturelle (critique des cultures) se substitue à la problématique biologique de la race. Dans ces conditions, il se peut que toute tentative de penser la lutte et la critique radicale sur le simple terrain des visions culturelles et politiques (sionisme, arabisme, blanchité, négritude, « culture » roms, judaïsme, christianisme ou islamité) soit vouée à être travaillée implicitement par cette nouvelle forme de racisme.

[raison 2] Nous risquons de nous livrer à une lutte des représentations antagonistes sans nous pencher sur la logique même de la représentation en général  : ramener toute considération émancipatrice à un simple problème de vision du monde en négligeant l’une des strates les plus opérantes de la réalité -à savoir l’arraisonnement technique et technologique du monde en Israël comme en Arabie Saoudite, au Qatar comme chez Daesh, et tout autant dans « nos » démocraties que dans « leurs » maladroites dictatures. En cela, la Théorie du Drone ou À travers les murs sont des petites punchlines de lucidité.

5. Petits axiomes d’une tradition à contre-poil du sens :

.A.

La guerre est père de tout, roi de tout, a désigné ceux-ci comme dieux, ceux-là comme hommes, ceux-ci comme esclaves, ceux-là comme libres.

I.

Aucune forme donc ne monte à la lumière / Sans un concours certain de force et de matière.

II.

Les hommes sont conscients de leurs désirs et ignorants des causes qui les déterminent.

III.

Lorganisation de la guerre est antérieure à celle de la paix  : (…) certains rapports économiques tels que le travail salarié, le machinisme, etc. se sont veloppés par la guerre et dans les armées avant de se velopper dans le sein de la société bourgeoise.

IV.

Il ny a pas lieu de craindre ou desrer, mais de chercher de nouvelles armes.

V.

…il faut prendre le triple point de vue des techniques, de lhérogénéi des techniques et de leurs effets dassujettissement, qui font des procédés de domination la trame effective des relations de pouvoir et des grands appareils de pouvoir. La fabrication des sujets plutôt que la genèse du souverain  : voilà le thème général.

VI.

La technologie est la continuation de la guerre, cest-à-dire de la politique, par dautres moyens. (…) La technologie, cest le front principal de la guerre entre le pouvoir et les sans-pouvoir, celui qui commande les autres fronts.
VII.

VII.

Le pouvoir, cest lorganisation même de ce monde, ce monde ingénié, configuré, designé. est le secret, et c’est qu’il n’y en a pas.

.Ω.

Mais les poils des hérissons sont acérés et se raidissent sur leur dos.

Gaités, Prudences, Puissances

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