BREXIT or not BREXIT ? par Jacques Fradin

« Un référendum est la forme maximisée de l’isolement électoraliste, la transplantation de l’écrasement économique. Où l’autorité greffe une question piégée, voire idiote, sur une forme étouffante, indiscutable. »

Jacques Fradin - paru dans lundimatin#67, le 27 juin 2016

Peut-on détourner un référendum ? Ou en contourner le résultat ?

Nous n’allons pas tenter de concurrencer les voyantes extra-lucides ou, simplement, trop bien informées (sur les derrières des actions) sur les suites et prolongements du fameux LEAVE (exit, dehors) du jeudi 23 juin 2016 (la fête nationale du Luxembourg !).
Il ne faut pas sous-estimer la capacité prodigieuse de digestion communautaire (DG) des diverses institutions européennes ; cette caricature de l’édredon politicien.
Mais comment exactement fera l’anaconda plurinational pour recracher les ossements de l’enthousiasme référendaire, cela nous ne le saurons que beaucoup plus tard. Lorsque les conciliabules secrets videront tous leurs sucs « antipopulistes ».

Nous voudrions, ici et maintenant, uniquement nous intéresser à la forme référendaire, ou du référendum, cette sorte de plébiscite honteux.
Qui, pour des français, renvoie toujours à l’imposture bonapartiste (Napoléon président de la République).

Un référendum est la forme maximisée de l’isolement électoraliste, la transplantation de l’écrasement économique. Où l’autorité (qui décide du référendum) greffe une question piégée, voire idiote (isolée, séparée de tout sens), sur une forme étouffante, indiscutable.
Dès que le système électoral s’est révélé propre à l’encadrement conservateur « du peuple », dès que les élections ont pu démontrer leur puissance anti-démocratique, le suffrage universel CONTRE la démocratie, la forme référendaire est arrivée comme couronnement (impérial, bonapartiste en France) du système de gouvernement, par acclamation des chefs visionnaires.
L’usage méthodique de cette forme référendaire par tous les autocrates, charismatiques ou bureaucratiques, bonapartistes ou gaullistes, est la preuve de l’innocuité du référendum pour les « despotes normaux ».
Restaient, cependant, deux possibilités :
Utiliser le temps de campagne pour « populariser » la résistance ;
Détourner la question imposée en frappant la réponse redoutée : un NON, formellement la réponse NON à la question, ici LEAVE, exit, et, clandestinement, un NON plus générique au gouvernement économique, ici NON aux politiques austéritaires germano-européennes.
Mais, évidemment, ces deux possibilités de détournement restaient bien fragiles. Et soumises à toutes les réinterprétations, permettant, plus tard, aux autocrates normaux, les maîtres des interprétations, de contourner le résultat.

Tout référendum combine une mauvaise forme (écrasante) et une mauvaise question (imposée par l’autorité).
Mauvaise question à laquelle, cependant, on peut apporter une bonne réponse !
À la manière du candidat (énervé) à un concours qui commencerait (dans sa copie) par expliquer que le sujet est vraiment mauvais, mal rédigé, source d’embrouilles (sans doute volontaires) ; mais que, s’il était bien reformulé, il permettrait un exposé intelligent.

En quoi le sujet imposé, la question Remain or Leave, soumets-toi ou casse-toi, était-il mauvais ?
Plébiscite déguisé, pour ou contre les autorités bienveillantes, il ne pouvait que susciter l’égarement, les embrouilles habituelles dans lesquelles nous conduisent, de main de maître, les sujets préétablis.
Et par sa forme binaire (cybernétique ?) et plus que sommaire, étouffante, il ne pouvait que générer l’effroi.
Effroi qui mène à affirmer une bonne réponse à une très mauvaise question : NON aux politiques, NON au personnel politique qui déploie ces politiques « antipopulaires ».
REFUS de la dislocation des formes de vie communautaires ou communales par le déploiement irrésistible de l’économie mortelle.
NON = exit, tirez-vous ! Qu’ils s’en aillent tous !

Bien entendu, d’un référendum plébiscite, dont la forme est calculée pour cela, aucune réponse correcte, non embrouillée, ne pourra survenir.
Un référendum est une machine de guerre, un char de combat conçu pour écraser la démocratie.
À cette machine, au mieux, on peut opposer une réponse « chinoise » : votre question est stupide, mais clairement ceux qui l’ont posé sont des escrocs, qu’ils partent. Ma réponse ne peut-être que NON, LEAVE.
NON aux politiques austéritaires ordo ou néo libérales, NON à la dévastation économique (écologique identiquement).
Mais comme le sujet est mal rédigé (volontairement), DEHORS les examinateurs, EXIT !

Comme aucune réponse intelligente ne peut sortir d’un référendum, comme d’un sujet d’examen ou de concours, la foire aux interprétations peut immédiatement se tenir. À la grande joie des autorités conservatrices normales qui téléguident le char de combat.
Sitôt le résultat, contestable et contesté, énoncé, le cirque médiatique peut faire résonner ses stridences.
Pour mieux cacher les coulisses, les conciliabules, les accords, les marchés secrets pour vider la réponse, nécessairement ambiguë ou égarée, de tout sens possible.
Ainsi l’interprétation (de la réponse Exit, déclarée « populiste »), par le despote normal (français) qui a pris parti pour le Remain (la soumission à la grecque) : ce résultat (Leave) est l’expression d’une demande de protection, maintenant il faut une véritable défense européenne !! L’Europe a besoin de plus de sécurité (et de sécuritaire).
On ne pouvait avoir, et si vite, de meilleure illustration de la possibilité, toujours ouverte, du contournement d’un résultat électoral, ici référendaire, d’un résultat malencontreusement « erroné ».

Jacques Fradin

NOTE : l’analyse socio-politique (critique) des systèmes électoraux, confondus, malignement, avec la démocratie, cette analyse critique est très ancienne. Il est regrettable que le fanatisme parlementariste ne soit pas systématiquement critiqué à chaque « consultation »
N’indiquons qu’une unique référence, d’après 1968, d’après le renversement électoral du grand mouvement de destitution, Le suffrage universel contre la démocratie, 1980, Philippe Braud (Rennes).

Jacques Fradin Économiste anti-économique, mathématicien en guerre contre l'évaluation, Jacques Fradin mène depuis 40 ans un minutieux travail de généalogie du capitalisme.
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