2016 ? A l’aise !

Rétrospective juridique d’une année sous état d’urgence

paru dans lundimatin#86, le 19 décembre 2016

Chaque fin d’année est l’occasion pour la presse de s’adonner au jeu des rétrospectives et des bilans. Aucune raison que Lundimatin ne déroge à cette tradition. Nous nous sommes donc fadés la totalité des numéros du Journal officiel de la République française parus en 2016, afin de vous proposer cette émouvante rétrospective juridique. Flicage, fichage, foutage (de gueule) : retour sur une année placée sous le signe de l’état d’urgence et de la fuite en avant sécuritaire.

Rupture ou continuité ? Dès le 29 janvier, le ton est donné, et l’année commence fort, avec la fixation de la liste des données de connexion accessibles aux services spécialisés de renseignement et aux unités anti-terroristes, en application de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement. (décret n°2016-67)

Le 25 février, la coopération entre les USA et la France « en matière d’enquêtes judiciaires en vue de prévenir et de lutter contre la criminalité grave et le terrorisme » est renforcée. Il s’agit d’une « coopération mutuelle qui profite aux services répressifs respectifs des deux Parties ». L’accord prévoit le transfert des empreintes palmaires et digitales (« données dactyloscopiques ») et des profils ADN, ainsi que de toutes données personnelles, dans le cadre d’enquêtes relatives à des « crimes graves ». En fait de crimes graves, l’annexe de l’accord, qui précise la liste d’infractions concernées, nous apprend que cette notion recoupe apparemment la quasi totalité du code pénal, puisque sont concernées un ensemble d’infractions allant du génocide au simple vol, du « terrorisme » au cambriolage, ou encore de l’espionnage à la simple possession de cannabis... Bientôt des radars routiers reliés directement à la NSA ? (loi n°2016-114. Le texte de l’’accord a été publié par le décret n°2016-788)

Attention ! depuis le 5 février, les propriétaires de camélidés doivent se faire enregistrer auprès de l’Institut français du cheval et de l’équitation. Les camélidés doivent quant à eux se faire implanter un « transpondeur sous-cutané » (un genre de puce GPS ?) et porter une boucle d’oreille électronique. Bon ok, ça s’écarte un peu du sujet (quoique...), mais ça nous a fait bien rigoler. Camélidé-e-s, méfiez-vous : vous êtes cerné-e-s ! (décret n°2016-119)

19 février 2016 : Première prorogation de l’état d’urgence, pour trois mois à compter du 26 février 2016. (loi n°2016-162)

Le 3 mars, un fichier destiné à assurer le contrôle à distance et le suivi des obligations des personnes placées sous surveillance électronique et sous surveillance électronique mobile est mis en place. La liste des données contenues dans ce fichier et leur utilisation sont consultables aux articles R. 57-30-2 et R. 57-30-3 du code de procédure pénale. (décret n°2016-261)

Le 7 mars, le régime juridique sanctionnant l’immigration illégale est durci. L’assignation à résidence est renforcée et devient, lorsqu’elle est possible, le régime privilégié pour le droit commun, au détriment du centre de rétention. L’interpellation à domicile devient possible en vue de l’expulsion. Les sanctions en cas d’obstruction aux expulsions sont renforcées, notamment s’agissant des refus de prise d’empreintes digitales ou d’évasion d’un centre de rétention. (loi n°2016-274)

Les modalités d’attribution de la mention « mort pour la France » sont modernisées le 18 mars. S’agit-il de nous rappeler que la guerre est donc toujours bel et bien un fait d’actualité ? (décret n°2016-331)

Rédigée dans la foulée de l’attaque ratée du Thalys d’août 2015, la loi Savary (rien à voir) « relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs » est promulguée le 22 mars 2016. Elle renforce drastiquement les contrôles et la surveillance dans les transports publics. Comme quoi, fraudeur, terroriste, tout ça c’est un peu la même engeance... (loi n°2016-339).

Le 6 avril, le visage est ajouté parmi les données enregistrées dans le système PARAFE. PARAFE, pour passage automatisé rapide aux frontières extérieures, c’est l’équivalent du pass NAVIGO pour le passage des frontières extérieures de l’espace Schengen. Il s’adresse aux heureux possesseurs d’un passeport biométrique et connaîtrait apparemment un franc succès, causant ainsi paradoxalement un ralentissement du passage rapide... (décret n°2016-414)

Le poste de Haut-commissaire à l’engagement civique est créé le 11 avril. Il est chargé « d’animer et de coordonner l’action interministérielle en faveur de l’engagement civique, d’assurer le développement du service civique et de coordonner la réflexion sur l’extension de la journée défense et citoyenneté ». Il est enfin chargé de la création et de la promotion de la « réserve citoyenne ». Quand ça a l’odeur rance d’un commissaire, quand ça a le goût amer d’un commissaire, quand ça a le nom d’un commissaire...

La lutte contre la « radicalisation » devient l’une des missions prioritaires des institutions chargées de la prévention de la délinquance. Il faut ainsi désormais parler de « prévention de la délinquance et de la radicalisation ». Pour autant, toujours pas de définition juridique claire de ce que recouvre cette fameuse notion de « radicalisation ». Ça c’est passé le 6 mai. (décret n°2016-553)

20 mai 2016 : deuxième prorogation de l’état d’urgence, pour une durée de deux mois à compter du 26 mai 2016. (loi n°2016-629)

4 juin 2016 : le pompom ! Promulgation de la loi dite du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale. A.K.A. la loi Urvoas (tout s’explique). Au menu (copieux) : normalisation des procédures de police judiciaire relative à l’état d’urgence (perquisitions de nuit, sonorisations, IMSI catcher) en matière de terrorisme ; élargissement de la légitime défense (pour que les policiers puissent abattre des terroristes bien qu’ils ne soient pas directement menacés, évidemment) ; retenue de quatre heures après contrôle d’identité si la personne contrôlée fait l’objet d’une fiche S ou qu’il existe des raisons sérieuses de penser qu’elle est liée à un projet terroriste ; perpétuité incompressible spéciale pour les prévenus reconnus coupables de terrorisme, etc. Un véritable festival qui fixera sans doute un cadre toujours plus flexible aux activités de police judiciair (Loi n°2016-731)

21 juillet 2016  : troisième prorogation de l’état d’urgence, pour une durée de six mois à compter du 21 juillet 2016. Par ailleurs, la loi de 1955 sur l’état d’urgence est modifiée. Peuvent désormais être fermés les lieux de culte « au sein desquels sont tenus des propos constituant une provocation à la haine ou à la violence ou une provocation à la commission d’actes de terrorisme ou faisant l’apologie de tels actes ». En outre, visiblement marqué par les manifestations printanières, le pouvoir s’est offert la possibilité d’interdire les « cortèges, défilés et rassemblements de personnes sur la voie publique (…) dès lors que l’autorité administrative justifie ne pas être en mesure d’en assurer la sécurité compte tenu des moyens dont elle dispose ». A noter aussi que les bagages et véhicules peuvent dorénavant être fouillés sans instruction du procureur et que les perquisitions administratives des données informatiques sont autorisées. Enfin, le code de procédure pénale est modifié afin d’autoriser la constitution de fichiers de données personnelles relatifs à la vidéosurveillance en établissement pénitentiaire. (loi n°2016-987)

Les données personnelles, encore, collectées dans le cadre du renseignement territorial n’étaient jusqu’à présent pas inscrites dans un fichier informatique. C’est chose faite depuis le 29 juillet. Outre les éléments classiques (photos, descriptions physiques, plaques d’immatriculation, informations financières...), il mentionne notamment « les activités politiques, philosophiques, religieuses ou syndicales » des personnes fichées... Aucun risque d’instrumentalisation de l’état d’urgence en vue, donc. (décret n°2016-1045)

Le 24 août, l’accord entre la France et le Bahreïn relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure et de défense civile est publié. C’est l’occasion d’apprendre que, dans le cadre de cet accord, signé en 2007, et dans lequel chaque partie accorde son assistance à l’autre, la lutte contre le « terrorisme » figure en première place de la liste des matières concernées et la cybercriminalité en dernière (juste après la... sécurité routière. Oui, oui). Pour mémoire, le Bahreïn (rien à voir avec le Bas-Rhin, donc) s’était distingué en 2011 par la répression féroce des manifestations qui ont touché le pays suite aux « printemps arabes ». (décret n°2016-1145)

Depuis le 28 août, les médias en ligne « qui favorisent l’accès au savoir et à la formation, la diffusion de la pensée, du débat d’idées, de la culture générale et de la recherche scientifique » peuvent bénéficier d’une aide financière de la part du gouvernement. Rassurez-vous, Lundimatin n’a toujours pas demandé à bénéficier de ce dispositif... (décret n°2016-1145)

Les retours sur le territoire national peuvent faire l’objet d’un contrôle administratif depuis le 28 septembre, avec les dorénavant classiques possibilités de limitations de circulation et d’assignation à résidence, mais aussi la participation forcée à un « programme d’action destiné à permettre la réinsertion et l’acquisition des valeurs de citoyenneté ». Une sorte de session de rattrapage obligatoire pour les cancres du fond qui auraient séché les cours d’enseignement moral et civique au collège ? (décret n°2016-1269)

Le 28 septembre également, et en application de la loi Savary du 22 mars 2016, un décret autorise désormais les agents de la SUGE à intervenir en civil et armés. Le préfet Lambert exulte. (décret n°2016-1281)

Afin de soulager la troupe, le gouvernement fait appel aux forces vives de notre chère patrie, en créant le 13 octobre une Garde nationale. (décret n°2016-1364)

Finies les feuilles volantes, les PV égarés et les risques de vices de procédures ! Depuis le 26 octobre, les données personnelles recueillies en gardav’ sont enregistrées dans un nouveau fichier informatique, fort logiquement dénommé « informatisation de la gestion des gardes à vue ». (décret n°2016-1447)

Le 28 octobre, « un jour qui restera marqué du sceau de l’infamie »  ? La création du fameux fichier « TES », fichier généralisé de l’ensemble de la population dès lors qu’elle possède un passeport ou une carte d’identité, ne sera en tout cas pas passée inaperçue malgré sa publication pendant le week-end prolongé de la Toussaint. Quelques émois par ci, un débat parlementaire par là, un soupçon d’indignation collective, et hop ! Le gouvernement a retiré son pro... Ah non ? Comment ça non ?! (décret n°2016-1460)

Enfin, c’est connu, le nerf de la guerre, c’est le pognon. En conséquence, afin de lutter contre le financement du « terrorisme », Tracfin peut depuis le 10 novembre accéder à la liste des personnes recherchées. Par ailleurs, tout transfert d’argent en liquide d’un montant au moins égal à 10 000 €, quelles qu’en soit les modalités, doit être signalé et les crédits à la consommation font désormais l’objet d’une surveillance dès 1 000 €. Pour ceux qui avaient des doutes sur les risques inhérents au fait de contracter un crédit revolving... (décret n°2016-1523)

(NB : à l’heure où ont été rédigées ces lignes, la quatrième loi de prorogation de l’état d’urgence était toujours en cours de discussion devant le Parlement)

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