Nouvelles rencontres

Eléa Ma

paru dans lundimatin#282, le 16 avril 2021

Ces dernières semaines, nous avons publié deux séries de « chouettes rencontres » de Fabien Drouet. On pouvait y croiser, Pascal Praud, Gérald Darmanin, José Bové, Ronald McDonald, Patrica Kaas, Eric Dupont-Moretti, l’estomac de Gérard Depardieu, Didier Lallement ou encore les inspecteurs Derrick et Colombo (C’est ici et ). Cette semaine, cette au tour d’Eléa Ma de partager ses rencontres. Comme elle l’écrit à Fabien Drouet : « Tu me fais rire et pleurer dès les deux premières pages, et puis cette histoire d’attestation, et puis, tout comme toi, je fais un tas de chouettes rencontres. Et personne ne me croit. Alors, en voici quelques unes en signe de gratitude et de soulagement. Et parce qu’il est important de rétablir la vérité. Sur tout. »

Bonjour Fabien. Alors, tu vas trouver cette adresse étrange puisque tu ne me connais pas, mais les coïncidences insistent alors je ne peux m’empêcher de sortir du bois. J’arrête pas de tomber sur toi. Je ne vais pas tout dévoiler, comme ça il nous en restera un peu, mais quand même. Tout à commencé par un copain qui me parle des Etaques, et puis me prête Sortir d’ici et tu me fais rire et pleurer dès les deux premières pages, et puis cette histoire d’attestation, et puis, tout comme toi, je fais un tas de chouettes rencontres. Et personne ne me croit. Alors, en voici quelques unes en signe de gratitude et de soulagement. Et parce qu’il est important de rétablir la vérité. Sur tout.

1.

Un pack de bière, deux pizzas, et une boîte de cornettos dans les bras, me voici dans la queue, à attendre tranquillement mon tour. Mon regard se pose sur la dame qui me devance de deux places. Mais... c’est Isabelle Balkany ! J’étais pas sûre. Je mate sa cheville et vois le bracelet électronique. C’est bien elle. Je l’imaginais pas aussi grosse. Bah, elle a passé une période difficile, je me dis. Puis je regarde de plus près. Elle n’est pas grosse, elle a planqué pleins de trucs sous son manteau. J’y crois pas, Isabelle Balkany en train de chourrer des trucs à Lidl. La grande classe. Et en même temps, à y être, pourquoi pas. Je suis d’avis qu’il faut aller au bout des choses pour voir à quel moment tout se casse la figure, à quel moment ça réagit. Ou pas. Pas être trop subtil quoi, sinon personne voit rien. Et puis, c’est pas pour ça qu’elle finira en prison, hein. Pas comme l’illustre inconnu de Béziers condamné à trois mois ferme pour violation du couvre-feu. A sa place, à Isa, je ferais pareil, on va quand même pas s’emmerder avec des histoires de pognon, d’impôt ou de contrôle judiciaire. D’ailleurs, je me demande ce qu’elle peut bien faire à Montpellier. Je la regarde attentivement avancer dans la file vers le caissier qui enchaîne les marchandises avec frénésie. Vu que son salaire est indexé sur le nombre de produits à l’heure, ça traîne pas. Mais au moment où vient son tour, à Isabelle, tout déraille. Le responsable sécurité s’approche et lui demande d’ouvrir son manteau. Ben oui c’était flag’. Avec le client suivant, on est d’accord. Ensuite, tout s’enchaîne, d’abord, elle fait un scandale mais quand même, à mon âge, qu’est-ce que vous insinuez, la France c’est plus ce que c’était, d’ailleurs, vous, vous pouvez pas savoir, aucun respect... il me semble même entendre meetoo mais mon copain suivant n’est pas d’accord, il dit qu’elle a dit j’ai mis ... et tout... Bon on n’entend pas très bien parce que ça commence à faire du remue ménage dans la queue. Le responsable de la sécurité la prend par le bras pour l’éloigner un peu de la caisse. On sait jamais. Du coup c’est tout confus. Et quand elle se met à mimer une crise cardiaque, je me dis qu’ils sont quand même bons ces Balkany. Ou alors elle est vraiment en train de mourir. Je ne sais pas. J’ai pas pu rester à cause des cornettos.

2

Je travaillais tranquillement sur mon projet d’archivage prépétuel quand il arriva en hurlant. Ah quand même, il y a quelqu’un ! ça fait une heure que je cherche, ils sont où vos collègues ? Vous pouvez me le dire ? Quelle bande de fainéants... Je le laissais terminer sa tirade. Sa tête me disait bien quelque chose. Mais rien de bien intéressant. L’archivage prépétuel, c’était un peu le volet recherche et développement de mon métier d’archiviste. Un projet top secret. Il s’agissait de neutraliser les idées nocives avant qu’elles n’altèrent le dehors. L’archivage permettait la diffusion instantanée de l’information dans les mille mondes potentiels. L’action dans la matière était simultanée et ce qui ne devait pas exister n’avait pas existé. Aucune trace. Le mal était ainsi éradiqué avant la racine. Le type finit par exprimer sa requête : il voulait accéder à la salle d’archive EQ-1236-141325-11. Je l’accompagnais, donc, puisqu’il insistait, abandonnant avec regret mes réflexions prépétuelles. Cheminant dans les couloirs interminables, je n’arrivais toujours pas à me souvenir de son nom, hormis le fait que ça rimait avec connard, je n’avais pas d’autres indices. Collard ? Non, c’était pas ça. Bon, dans le doute, quand même, je me fiai à mon intuition et laissai la porte du local enfin atteint se fermer, monsieur ...ard à l’intérieur. On ne rencontre pas tout les jours une occasion prépétuation pareille. Et puis si ça me revenait et qu’il y avait erreur sur le degré de nocivité de l’archive, il serait toujours temps de retourner au EQ-1236-141325-11 pour tenter une récupération. En tout cas, les chats qui rôdaient dans la rue bordant les aérations du bâtiment des archives municipales, donnaient des indications précieuses sur l’état du contenu archivé. Ce qui était, sûr, c’est que les collègues ne s’aventuraient plus dans l’aile dont j’avais la responsabilité depuis la disparition de Jean-Oui en mars dernier. L’avenir m’appartenait. En quelque sorte. Et puis en ce moment avec le télétravail et tout ça, j’étais bien la seule à traîner ici.

Je m’éloignais du lieu de crime potentiel lorsque j’entendis le type siffloter Douce France de Charles Trenet. En un éclair tout revint : c’était la chanson enregistrée en message d’attente téléphonique de la mairie de Béziers. Son maire d’extrême droite. Ménard. J’avais enfermé Ménard en EQ-1236-141325-11. Je l’avais archivé. Comme un mauvais souvenir. C’était pas si mal. Je pressais le pas. On pouvait passer à autre chose. Je décidai de prendre ma pause déjeuner avant la réunion de cet après-midi avec mon futur ex-chef,. Un gros sujet d’archivage.

3

En passant tout près du Val fleuri, la maison de la retraite de ma défunte grand-mère, je décidai d’entrer faire un petit coucou à Roger, son pote. Je n’étais pas revenue après sa mort, ni même et surtout avant, parce-que des psychopathes avaient décidés que la mort devait être tenue à distance. Elle était morte sans nous, donc, du fameux virus. Perdue dans mes pensées, je franchi la porte de la bâtisse. Quelle ne fût pas ma surprise, lorsqu’entrant dans la salle d’activité, je tombai sur Jean Chattex. Le Jean Chattex national. Roger arriva sur ces entrefaites, tout déconfit mais content de me voir. Il m’expliqua que monsieur Chattex allait faire son annonce sur le re re con confinement ici-même pour montrer qu’il était proche des plus vulnérables. Roger était fou de rage, ce qui n’est pas bon pour sa tension. Je lui proposai alors une petite bière et l’on s’échappa du lieu maudit pour faire comme si de rien n’était. Environ une heure après, la conférence de presse débuta. Les absurdités s’enchaînaient, le public s’agaçait mais il est de ceux qu’on n’écoute plus, alors tout suivait apparemment son cours.

C’est quand Chattex postillonna sur le premier rang que ma défunte grand mère intervint. Elle gueulait et voilà, homicide involontaire, pourquoi on l’emmerde pas lui ? Hein hein ? Je l’avais jamais vue comme ça. Encore plus en colère que d’habitude elle agitait violemment sa canne vers la tribune. Elle avait repris du poil de la bête. Faut dire qu’elle n’avait pas du tout apprécié les conditions de sa mort. Comme personne ne l’entendait, je demandai à Chattex : dites, ça vous gêne pas de postillonner sur le premier rang ? On pourrait y voir un genre d’homicide involontaire, non ? ça rigolait dans l’assistance, surtout les potes de ma grand-mère, et puis ça bruissait de réprobation, bien sûr. Surtout le deuxième rang. Les premiers de la classe, au premier rang ils avaient pris les postillons, alors ils étaient moins convaincus, d’un coup. Chattex se démontait pas, il répondit même que c’était faux. C’est alors que le premier rang se manifestât, comme une seule femme (merci mamie), preuve à l’appui. Finalement, on incitât vivement Chattex à quitter le Val Fleuri sous les hués des résidents. Les chaînes d’information diffusèrent un montage aseptisé avec un faux arrière plan. Ils ne montrèrent même pas le croc-en-jambe de Roger. Pourtant c’était à mourir. De rire.

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