Mes chouettes rencontres

Fabien Drouet

paru dans lundimatin#274, le 8 février 2021

Une agréable pause fraîcheur avec Fabien Drouet qui nous raconte sa rencontre avec un certain Pascal Praud, bien connu des amateurs de télé-poubelle, Gérald Darmanin, très favorablement connu des services de police (et amateur, d’après l’auteur, de jeux extrêmes), et le duo comique Bové-Ronald McDonald… Décidément, Fabien est un poète doublé d’un philosophe (surtout pour celleux qui savent qui est Patricia Kaas).

1

Ce matin, j’ai croisé Pascal Praud, mais si, vous savez, le mec de Cnews qui sera jugé en 2046 lors du procès Bolloré pour incitation au fascisme, qui sera relaxé faute de preuves tangibles et qui retournera bien gentiment commenter des matches de football, oui, lui, le mec qui proclame que le problème principal, de nos jours, c’est qu’on ne peut plus rien dire parce que les médias dominants sont tous aux mains de raclures islamogauchistes et qui, dans le même temps, dit de la grosse merde sur l’une des chaînes d’info en continu les plus regardées de France, oui, je l’ai croisé ce matin, je venais de poser mon fils à l’école, d’embrasser sa joue fraîche, de lui souhaiter une bonne journée et là, l’horreur, Pascal Praud en train de fouiller les poubelles du quartier à la recherche de polémiques susceptibles de faire grimper son audience et de faire réagir ses invités d’extrême droite... Moi, j’ai le temps, je me dis "j’ai le temps", alors je me cache un moment derrière lui, et lorsqu’il a la tête proche d’une poubelle bien dégueulasse, je le chope par les cheveux et lui fais bouffer le contenu de la poubelle, normal quoi, on aurait tous fait ça je pense, mais quand je me retourne il y a tout plein de caméras et un envoyé spécial très jeune qui commente la scène en direct en incitant les téléspectateurs à apprécier le comportement des islamogauchistes quand on les met face à la véritable liberté d’expression... Je me dis « merde », « je me suis fait avoir », et je ne crois pas si bien dire puisque celui que je pensais être Pascal Praud n’est en réalité qu’un comédien afghan sans-papiers que la production a loué le temps de cette caméra cachée.

Quelqu’un crie "c’est dans la boîte !", "et merde...", je me dis "et merde...".

2

Hier soir, Gérald Darmanin est passé à la maison. Je ne l’aime pas trop mais c’est un ami d’enfance, et j’ai pour habitude de me plier aux règles usuelles de l’amitié d’enfance ; je lui ouvre la porte, lui propose d’entrer, lui demande : « Hey, comment ça va ? », décline la liste de toutes les boissons alcoolisées présentes à la maison puis lui montre le canapé d’un geste de la main tout en lui proposant de s’y asseoir. Gérald est féru de jeux vidéos. Hier il en a apporté un, un qui tourne sur ma Playstation 8, un jeu dont le but est de défoncer à coups de barre à mine un maximum de racailles progressistes. (Gérald les surnomme « les islamo-gauchistes ».) On a joué toute la nuit. Son score : 17540925 points, soit autant d’ennemis politiques liquidés. Je comprends mieux maintenant que le Président de la République n’ait pu se passer d’un homme de sa trempe à l’intérieur ! D’ailleurs, tiens, en parlant d’ « intérieur », vous savez ce qu’il me tend au moment de l’affichage des scores ? Une matraque ! Et le voilà qui se lève... et le voilà qui se met à hurler... à m’ordonner de la lui glisser entre les fesses... « Tu me la mets ! Illico ! Et tu chantes des slogans de la Manif Pour Tous en me la mettant, c’est un ordre ! ».

Je dis « Non, Gérald, j’ai pas envie ». Brusquement, il change de technique, se tortille sur le canapé tel un serpent charmé : « Mmmmmmmm... un papa... mmmmmm... une maman... oh oui c’est bon... mmmmmm... pour les enfants... »

Parce que c’est un ami d’enfance, et parce que je suis fidèle en amitié d’enfance, je la lui mets.

J’aurais tout de même apprécié un petit merci.

3

Hier soir j’ai vu José Bové. Très sympa le mec. Bon, il parle quand même super fort et c’est un peu usant, mais contrairement à moi (qui parle doucement) il raconte pas que des conneries. On s’est fait un Mac Do. C’était dégueulasse, mais on avait trop envie de voir ce qu’il y avait comme cadeau cette semaine dans le Happy Meal. Comme le dit Sébastien Orwell (un ami d’enfance), "La Lutte n’empêche en aucun cas la curiosité".
José m’a évidemment fait promettre de ne rien dire, "à personne, hein !" et j’ai juré sur la vie de Christian Estrosi que je serai muet comme une tombe. Ce qui était trop drôle, vraiment trop drôle, c’est qu’en mangeant notre hamburger José et moi on s’en est foutu plein la moustache. « Hahahahaha, olalalala, hahahaha... », qu’est-ce qu’on a rigolé. Et en rigolant, ça faisait sortir du ketchup par notre bouche et même par nos trous de nez, c’était vraiment génial !
Quand on a fini de manger, on était tellement heureux de ce moment partagé qu’on s’est dit que la soirée devait continuer. Alors quand on a vu Ronald Mc Donald en train de composer le code des toilettes, avec José on s’est regardé, et on n’a pas eu besoin de mots pour se comprendre...
C’est José qui l’a buté.
Moi je me suis contenté de démarrer la voiture, de conduire le plus tranquillement possible et de rire comme un connard. On a beaucoup moins ri quand, arrivés à la maison et après avoir goûté une petite dizaine de rhums arrangés par mes soins (excellents), on s’est décidé à ôter le masque du cadavre.
"Patricia Kaas, putain... Patricia Kaas...", c’est ce que José a dit, la voix chevrotante et le regard au plafond.
Je nous ai resservi un verre, un rhum piment-coco, pour consoler.
Décidément, les temps sont confus.

4

Je suis en train de boire l’apéro avec Didier Raoult Je pensais que ce serait sympa mais finalement il ne me laisse pas en placer une. C’est chiant. J’ai beau avoir des compétences footballistiques conséquentes, il m’appelle « gamin » même quand la discussion tourne autour du futur de l’Olympique de Marseille. Je n’ai jamais croisé un connard pareil. Pourtant j’ai fait du rugby à Bron pendant deux ans et il y avait deux CRS dans mon équipe... Il m’est aussi arrivé un soir d’automne pluvieux de boire quelques pintes de bière brune avec un ancien ministre de l’intérieur dont je ne peux dévoiler le nom sous peine de me faire emprisonner dans les geôles de la République.
J’en ai rencontré, des grosses merdes. Mais franchement, et désolé si je me répète : je n’ai jamais croisé un connard pareil. En plus, il met de la musique toute pourrie. Florent Pagny puis Mireille Mathieu en duo avec le sosie vocal de Johnny Hallyday suivi de la version karaoké d’Il jouait du piano debout, ça fait beaucoup. Mais quel connard... On dirait un préfet parisien voire un dictateur africain ou même des Balkans tellement qu’il est con !
Malgré tout, je tâche de prendre la soirée du bon côté ; Didier est tellement bavard et obnubilé par ce qu’il raconte que c’est moi qui ai bu l’exquise bouteille de Chianti de 2012 et mangé toute la boîte de gaufrettes VICO à la crème de fromage.
Tant pis pour lui.

5

C’est en mai 1964, un vendredi si mes souvenirs sont bons, que je rencontre l’homme le plus grand du monde. Il s’appelle Zhao Liang. Il est Chinois et ne parle que le Mandarin. De mon côté, je maîtrise uniquement le Français.
Le début de notre rencontre est donc poussif mais, très vite, quelque chose passe entre Zhao et moi ;
quelque chose de puissant ; je le sens ; son regard m’appelle et son oeil gauche cherche à me dire un truc.
Au bout d’un moment (une heure et demi environ), je finis par comprendre, par un hochement de tête lui signale que j’accepte son invitation et commence à grimper.
L’ascension de Zhao est rude et parsemée d’embûches. Trois jours, trois nuits.
Ereinté mais heureux, comme un gosse, j’arrive au sommet, m’y asseoie un moment en m’épongeant le front. La trêve est de courte durée, puisque Zhao Liang siffle et d’autres enfants rappliquent.
Bien plus dégourdis que moi, ils parviennent au sommet en moins d’une heure. Là-haut, éreintés mais heureux (comme des gosses), nous rions, de joie, à tue-tête, longtemps, puis, une fois considéré que nous avons suffisamment ri, nous décidons de nous atteler à la construction d’une cabane.
Zhao, en silence, nous fait passer les outils.
Sur lui, là-haut, il fait frais. Je sens qu’une communauté est en train de se former, de se souder, et le créole que nos tentatives d’échanges ont créé est en passe de devenir notre langue officielle.
Plus tard, une fois la cabane construite, l’enfant d’origine Irlandaise suggère que nous nous munissions de quelques poules, et que nous leur aménagions un chouette espace. Grâce à elles, dit-il, et si elles ne sont pas trop stressées, nous pourrions partager de formidables omelettes et pourquoi pas nous essayer aux clafoutis maison.
Deux ans plus tard, dans notre hôtel flambant neuf, nous accueillons les premiers touristes américains. Ces gens-là sont imbuvables. Ils parlent au personnel comme à des merdes de chien
mais ils ont le mérite de ne pas sourciller quand les serveuses malgaches leur annoncent que le verre d’eau plate leur en coûtera 1200 $.

Aujourd’hui, j’ai douze ans. Je suis à la tête de la douzième fortune mondiale et je conférence dans le monde entier. En somme, je suis devenu un exemple et la preuve par trois que, pour qui se fait violence, pour qui se bouge un peu le cul et s’en extrait les doigts, l’ascension sociale est bien plus qu’un mythe.

6

Un beau jour, ou peut-être la nuit dernière, j’ai dormi avec Roselyne Bachelot. Je sais à quoi vous pensez mais non les coquinous, il ne s’est rien passé. L’amitié homme-femme (et inversement), n’en déplaise à certain.es, ça existe. Et si elle a dormi à la maison c’est parce que c’était beaucoup plus simple pour tout le monde, et parce que le bar dans lequel nous avions trinqué une bonne douzaine de fois à la vie et aux surprises qu’elle offre aux gens qui savent lui tendre la main était à deux pas de chez moi.
Et puis d’ailleurs, je n’ai absolument pas à me justifier.
Roselyne n’est pas bien. Je la connais. Quand elle passe une soirée à enchaîner à ce point les verres de vin blanc et les blagues salaces c’est qu’il y a en elle un malaise, qu’elle cherche à dissimuler, à nier, à recouvrir de pitreries grossières, d’alcool et de rires gras. Mais, comme l’a écrit Jean-Pierre Papin dans son autobiographie « Droit au but ! » parue aux éditions Baudelaire, « Le retour de bâton, c’est quelque chose ! ».

Toute la nuit, Roselyne a tenu entre ses mains un papier sur lequel il était noté en lettres majuscules qu’elle était dorénavant la plus populaire des ministres, celle dont la nomination recevait la plus large approbation des Français (56,6% d’après Gouv.fr). Elle l’a serré toute la nuit, contre elle, comme un gamin s’accrocherait à son doudou les nuits d’orage, l’a mordillé, laissant quelquefois apparaître entre sa bouche et le papier-doudou un mince filet de bave ma foi extrêmement touchant. Mais, comme l’écrit si bien J.P.P. à la page 100 tout rond, « La nuit ne ment pas ». Et Roselyne, aux alentours de 3H30–4H, s’est mise à hurler « Nooooooooooooooooon ! Noooooooon ! Je n’opérerai pas France Gall à c ?ur ouvert ! Nooooooooooooon ! Nooooooon ! »

Ce matin, tout est rentré dans l’ordre. Entre le café et le rail de coke, elle m’a raconté l’histoire de la pute et du petit cheval blanc. Puis nous avons écouté du Mozart, très fort.

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