Plus belle la ZAD

Le square Michel Lévy : des bancs, des arbres et deux ou trois jeux pour enfants.

paru dans lundimatin#10, le 8 février 2015

Dans le quartier de Lodi à Marseille il y avait un square standard, le square Michel Lévy : des bancs, des arbres et deux trois jeux pour enfants. Puis la mairie a vendu le terrain à Unicil qui, faisant appel à Eiffage s’apprête à y construire une tour de logements dont 50 sociaux ainsi que 300 places de parking.

Une association de riverains s’est créée il y a 5 ou 6 ans pour tenter de sauver le square. Ces opposants de longue date sont loin de faire l’unanimité dans leur quartier - il y avait quand même des jeunes qui fumaient des joints dans ce square. La vente du terrain a été scellée il y a 10 jours. Le jour même, les machines sont arrivées pour commencer le chantier et ont coupé la plupart des arbres.

Il semblerait que c’est au bord du désespoir, toutes les cartes ayant été abattues (recours juridique, lettres aux élus, manifestation de riverains), qu’une ZAD est née.
Difficile de savoir qui exactement a nommé ainsi l’endroit. Probablement une sorte d’accord entre des habitants du quartier et des écolos venus leur proposer ce joker.

Dans le square, on pourrait considérer que le mot ZAD relève de la formule magique. Dès qu’il fût prononcé, on vit apparaître des feux de camps, des pancartes, des plateformes dans les arbres, des barricades (certes branlantes), deux ou trois plantations, et une dizaine de tentes. Soudainement des gens sont arrivés : des types avec des sac à dos, des riverains plus riches, des riverains plus pauvres, des squatteurs, des écolos, des hippies, des mecs lambdas, des personnes agées, des élus, des jeunes qui fument des joints, des enfants, un pit-bull (« mais c’est un bébé »), pas mal de curieux, une rappeuse - bref « un peu de tout » ; et puis aussi des flics qui viennent voir ce qu’il se trame chaque jour.

Rapidement les gens qui restent traîner un petit peu sur le square ont commencé à discuter : qu’est-ce qu’on fait ? La première décision fût de faire une assemblée chaque jour à 17 heures. Et c’est là que l’on peut constater un phénomène tout à fait particulier, une tentative folle, à priori sans aucune chance de réussite : tous ces gens, si différents les uns des autres, tentant de s’organiser ensemble (sauf les enfants qui se contentent de jouer). Evidemment, les débuts sont difficiles. Comment un squatteur aguerri pourrait-il jamais établir une stratégie commune avec une vielle dame qui aime promener son caniche ? Malgré tout, chaque soir les assemblées attirent plus de gens.

En même temps, du matériel et des ressources arrivent. Petit à petit, le parc se transforme, une balançoire, des renforcements sur les barricades, quelques peintures sur les arbres réalisées par les enfants, c’est charmant. Les activités pour enfant et le fait de vouloir anéantir le projet immobilier sont parmi les seules choses qui mettent tout le monde d’accord. Et comme cette Zad a la taille d’un pâté de maison, il faut y imaginer une sorte de collocation insensée.

Certaines choses créent de grands désaccords. Différents rapports à la légalité se frictionnent. Les anciens de l’association du quartier ne veulent pas occuper le vieux centre aéré qui est sur place, car ce serait « un squat ». Ils préfèrent se cantonner à une occupation sans droit ni titre du terrain. D’autres veulent habiter le bâtiment. Les discussions vont dans tout les sens : « on voudrait un expert en amiante », « il va pleuvoir demain », « si on squatte les flics vont venir ». Finalement le bâtiment est ouvert, la nécessité de s’installer plus confortablement l’emporte sur toutes les autres considérations.

Certains ont du mal à voir la vente invalidée par quelque recours juridique, et s’attendent donc à voir la police venir faire le ménage vite fait, car, évidemment, défendre en pleine ville un bout de terre qui ne fait même pas la taille d’un terrain de foot semble être un combat compliqué. Toujours est-il que l’on se pose ensemble la question de savoir comment défendre le lieu en cas d’expulsion. Le matin quelques-uns se retrouvent à 5h pour boire un café mais surtout dans l’idée de tenir les barricades au moins le temps que les autres se réveillent et descendent de leurs apparts.

Le jeudi soir, l’assemblée est un peu particulière. Il n’y a plus la représentante de l’association des riverains qui n’a pas supporté d’être complètement dépossédée de la gestion de la vie du square par l’afflux croissant de gens insensibles à ses requêtes. Le bâtiment commence à être plus propre, la barricade un peu plus sérieuse. En fait on sent que « le mouvement » commence à prendre forme, qu’il pourrait vraiment attirer du monde. Mais même à Marseille la non-violence semble être la pratique évidente. Pourtant tous sont d’accord pour dire qu’il faudrait pouvoir tenir les barricades, le temps que certains aillent s’installer dans les arbres. C’est la stratégie choisie.

Malheureusement ce petit bout de ville nouvellement habitée n’a pas eu le temps de trouver son rythme. Pourtant les caricatures s’estompaient déja, chacun commençait à laisser sa petite morale au placard. Dommage - il avancait vite le schmilblick.

On pourrait aisément imaginer finir en massacre à la tronçonneuse une sordide expérience sociologique, où l’on rassemblerait une semaine durant
sur un terrain de foot, un échantillon représentatif d’à peu près toutes les sensibilités d’une époque et d’une ville sans aucune organisation, sans présence policière, sans autre obligation ou objectif que de rester là. C’est faux. Les 9 jours de ZAD à Marseille ont démontré le contraire : même dans un espace restreint, les humains sont absolument capables, minimalement, de vivre les uns à coté des autres sans que la moindre police doive être mise en place. Toutefois il est maintenant clair que la municipalité ne voulait absolument pas que qui que ce soit ne découvre ce petit secret. La preuve : le vendredi matin c’est une rue entière de camions de CRS et 25 unités de BAC qui sont venus déloger quelques pellos occupant un début de chantier.

S’ils y sont parvenus si facilement, c’est certes grâce à leurs vastes moyens mais aussi du fait d’erreurs stratégiques des Zadistes. Les membres de l’assemblé de la ZAD Marseillaise ont cru que la justice prendrait soin de faire un procès avant d’expulser et que l’on aurait donc le temps de s’organiser correctement pour défendre le lieu au moment où l’expulsion serait déclarée légale. Il y avait pourtant des indices : toutes les procédures juridiques frauduleuses qu’ont nécessité ce projet, les maires d’arrondissements corrompus, les pots de vin étalés en première page, la BAC nord mise aux arrêts pour traffic de stups et assasisnats, le représentant d’Unicil vu avec un policier discutant du meilleur endroit où entrer pour expulser et enfin les deux policiers qui sont clairement entrés sur la zone pour faire un repérage.

A la fin de l’assemblée de jeudi, personne ne croit à une expulsion imminente et tous se projettent plutôt en train de faire des barbecues tout le week-end dans le nouveau Zadistan. Le lendemain à 6h les policiers arrivent avec un avis d’expulsion immédiate - mais, un militant se trouvant en haut d’un arbre, ils n’expulsent pas de suite. A dix heure moins le quart ce dernier descend, selon la version : pour pisser, donner un interview à la Provence ou se dégourdir les jambes. Un agent de la BAC le chope, tous le monde est foutu dehors, et les arbres restant sont coupés directement. Merde.

Bref les nouveaux zadistes se sont fait eu. Comme sur toutes les Zad il y a eu les flics qui s’incrustent, les rumeurs en tout genre, les engeulades sans fin, les hurluberlus tenant des propos d’un autre monde - mais c’était cool. Aussi j’espère que Marseille verra d’autres tentatives de conservation de terrain inutile, avec autant de scènes épiques que celles que l’on a vues les 10 derniers jours, et surtout que les prochaines tentatives se nourriront un peu de l’expérience si vite acquise au square Michel Lévy, de manière à avoir le temps de grossir, jusqu’à réussir et, qui plus est, s’étendre !

Biji Zadistan

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