Tout assigné à résidence aura la vie tranchée !

Kamel Daoudi

paru dans lundimatin#418, le 4 mars 2024

Le droit liquide est-il la liquidation du droit ?
L’affaiblissement général des normes juridiques garantes des libertés individuelles semble toutefois, mais sans surprise, épargner les plus riches. Une tradition bien ancrée et qui, de la peine de mort à l’assignation à résidence, continue sans complexes à mener la guerre aux pauvres, aux étrangers-ou-vus-comme-tels, aux marginaux tout en faisant preuve d’une remarquable charité avec les Balkany dans leur jacuzzi. Si les évènements qui jalonnent l’actualité peuvent parfois paraître disparates et désordonnés, Kamel Daoudi en a choisi ici quelques-uns pour les articuler de façon cohérente.

Le décès, l’hommage national et l’annonce de la panthéonisation de Robert Badinter quelques jours avant celle de Missak et Mélinée Manouchian et tout l’émoi médiatique qu’il a suscité dans la Nation fait partie de ces évènements qui entrent en résonance.

Manouchian était un orphelin arménien rescapé des massacres perpétrés en 1915 dans l’Empire Ottoman. Il rentre en résistance dans les Francs-tireurs et partisans - main-d’œuvre immigrée (FTP-MOI), unités de la Résistance communiste pour mener des opérations de guérilla urbaine en France, considérées comme des actions terroristes par le régime de Vichy et l’occupation nazie.

Parmi les 81 personnalités jusque-là panthéonisées, figuraient seulement 6 femmes et 6 étrangers, tous européens.

Tombe de Missak et Mélinée Manouchian (avant leur panthéonisation) © Marie-Luz Dirkelessian — Travail personnel (Wikipedia)

Panthéoniser le couple Manouchian, juste après la loi Contrôle de l’immigration et amélioration de l’asile, nouveau dispositif de contrôle et de surveillance à l’endroit des étrangers et remettre en cause le droit du sol en vigueur depuis la révolution française et même sous l’ancien régime sonne comme un nouvel épisode de la politique bipolaire du « en même temps » macroniste.

Ce n’est pas le combat politique internationaliste de Missak et Mélinée et de leurs 21 autres camarades auquel est rendu hommage mais plutôt leurs origines arméniennes et leur vénération pour la France. Est-ce une nouvelle manipulation de la mémoire nationale pour opérer un nouveau coup électoraliste à l’approche des élections européennes tout en dansant le kotchari à la diaspora arménienne ?

Ironie de l’Histoire quelques jours avant que le couple Manouchian ne rentre dans la crypte de l’église Sainte-Geneviève de l’Ancien Régime et temple laïque de la Révolution honorant les Grands Hommes, Robert Badinter décédait.

Ce célèbre avocat et ministre de la Justice — tiens, cela me fait penser à son double parodique — était connu pour son combat de longue date contre la peine de mort et pour la dépénalisation de l’homosexualité mais moins pour avoir été le défenseur en chef en 2019 de l’État d’Israël devant la Cour Pénale Internationale au titre des crimes de guerre commis par l’État juif depuis juin 2014.

Sur ce combat moins universaliste, sa ligne argumentaire pour le moins étonnante reposait sur le fait que la Palestine ne disposait que d’un simple statut d’observateur à l’assemblée des Nations-Unies (malgré sa reconnaissance par 138 États dont deux siégeant au Conseil de Sécurité : la Russie et la Chine) et n’était par conséquent pas légitime à saisir la CIP.

Manouchian panthéonisé laisse perplexe beaucoup de ses partisans. Quant à l’annonce de la panthéonisation de Badinter, elle semble couler de source pour un gouvernement qui trop occupé à courir après l’extrême droite avait une occasion inespérée de donner un gage bon marché à son aile humaniste après avoir fissuré le droit du sol à Mayotte.

Comment ne pas voir cette aubaine comme une attitude grossière pour s’attribuer les sacrifices des prolétaires tout en érigeant les prises de position de la classe bourgeoise héritière des « grands hommes » auxquels « la patrie [est] reconnaissante » ?

La convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des Libertés fondamentales a été ratifiée par la France le 3 mai 1974. Son article 2 protège le droit à la vie de toute personne mais autorise cependant — à titre exceptionnel — l’exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal, si le délit de cette peine est puni par la loi. Bien des pays ont aboli la peine de mort bien avant la France.

Le 17 février 1976, au lendemain de l’arrestation de Patrick Henry, mis en examen pour l’assassinat du jeune Philippe Bertrand, âgé de 7 ans, le présentateur du JT de TF1, Roger Gicquel s’adresse à toute la France par ces mots :

« La France a peur. Je crois qu’on peut le dire aussi nettement. […] Oui, la France a peur et nous avons peur, et c’est un sentiment qu’il faut déjà que nous combattions je crois. Parce qu’on voit bien qu’il débouche sur des envies folles de justice expéditive, de vengeance immédiate et directe. […] »

C’est ainsi que s’ouvre le procès de Patrick Henry devant la Cour d’Assises de Troyes, le 18 janvier 1977. Me Robert Bocquillon se charge de la défense de Patrick Henry. Quant à Robert Badinter, sa plaidoirie fera le procès de la peine de mort et de la guillotine.

Badinter s’adressant aux jurés pour leur faire porter la responsabilité de la peine en cas de rejet du pourvoi en cassation et de la grâce présidentielle, leur dira : « Si vous décidez de tuer Patrick Henry, c’est chacun de vous que je verrai au petit matin, à l’aube. Et je me dirai que c’est vous, et vous seuls, qui avez décidé ».

Avec une harangue aussi culpabilisante, on ne comprend pas comment douze jours après, en février 1977, Jérôme Carrein, meurtrier de Cathy Petit, une fillette de huit ans n’a pas bénéficié de la même clémence.

On pourrait s’interroger a posteriori sur le silence des abolitionnistes et leurs priorités quant aux gens dont il faut sauver la tête.

A gauche, Patrick Henry, Robert Badinter et un pandore (Raymond Delalande / Gamma du procès de Patrick Henry) ; à droite Jérôme Carrein, le dernier français condamné à mort et guillotiné encadré par deux chardonnerets (Capture d’écran du documentaire de France 3 « L’histoire de Jérôme Carrein, dernier condamné à mort de la région. » © Raymond Delalande - France 3 Hauts de France

Les photos ci-dessus sont éloquentes. La photo de gauche prise par Raymond Delalande représente Patrick Henry de profil, debout faisant face au président de la Cour d’Assises et aux jurés fin janvier 1977. Derrière lui se trouve un gendarme faisant une tête de moins que lui. Robert Badinter quant à lui est assis à gauche de son client et sa tête masque les menottes entravant les poignets de celui-ci.

La photo de droite représente Jérôme Carrein, le cheveu hirsute encadré par deux gendarmes. Ses poignets sont menottés et exhibés ostensiblement face à l’appareil photographique. Son œil droit est cerclé d’un hématome causé par un coup de poing du père de la jeune victime avant son interpellation.

Ces deux photos résument à elles seules le traitement judiciaire des deux affaires. Patrick Henry, ancien guichetier de banque et représentant de commerce connaît tous les codes de la bourgeoisie qu’il découvre notamment en commettant des escroqueries et des cambriolages dans la région de Troyes en utilisant chacun de ses emplois comme couverture.

Jérôme Carrein quant à lui, alcoolique depuis son adolescence, ouvrier du bâtiment puis valet de ferme quitte son emploi après avoir contracté la tuberculose et devient semi-vagabond suite à son divorce avec sa femme qu’il battait et dont il a eu cinq enfants. Il est décrit par les psychiatres comme « une personnalité fruste, mentalement débile et sexuellement immature ». Badinter dira de Carrein dans son discours qu’il est « débile, ivrogne, [et] a commis un crime atroce »

Quand on est une personnalité raffinée, mentalement intelligente et sexuellement mature, on a le privilège de ne pas avoir sa tête tranchée. Le bourgeois ou celui qui veut y ressembler n’incarne jamais la figure du monstre et bénéficiera toujours des circonstances atténuantes. Quant au prolétaire, il est né monstre et mourra monstre.

Le magistrat Luc Briand a commis un livre intitulé « La Revanche de la guillotine » relatant à partir du dossier d’accusation de Jérôme Carrein, le parcours du dernier français guillotiné (le tunisien Hamida Djandoubi sera le dernier homme guillotiné en France, le 10 septembre 1977 à Marseille dans la prison des Baumettes). Il y retrace au-delà du récit de cet homme, l’atmosphère des années 70 d’un pays écartelé entre partisans de la peine de mort et abolitionnistes.

Le traitement discriminant que nous venons d’analyser brièvement pour la guillotine dans les années soixante-dix peut être transposé à l’utilisation ségrégative de l’assignation à résidence. La résidence surveillée devient ainsi une variable d’ajustement de la justice administrative tantôt pour exfiltrer les uns en leur évitant la prison, tantôt pour prolonger par d’autres moyens, la peine déjà entièrement exécutée par les autres.

L’assignation à résidence bien qu’elle existe depuis des siècles — Galilée a été assigné à résidence après avoir abjuré sa théorie héliocentrique pour échapper à son exécution par l’Église — continue d’être un dispositif utile dans la mesure où il s’agit d’un dispositif hybride au carrefour de la justice judiciaire d’exception et la justice administrative. C’est une chimère bien commode mêlant droit et politique tout en réduisant le débat contradictoire à sa portion congrue.

La justice administrative prenant de plus en plus le dessus sur la justice judiciaire est amenée à converger à terme vers une justice 2.0 dé-structurant la hiérarchie des normes pour y substituer une pratique du « droit pénal de l’ennemi » hypertrophiant l’exception et atrophiant les garanties issues des libertés fondamentales pour celles et ceux perçus comme dangereux. En France, ces dernières décennies, ce sont plus de trente réformes législatives qui sont venues modifier en profondeur l’état du droit et atrophier l’État de droit.

On se souvient par exemple des interdictions de manifester décrétées par les préfets, les dissolutions de diverses associations, collectifs et structures commerciales perçues comme menaçant les intérêts de l’Etat et qualifiées de séparatistes. C’est tout cela le débordement de la justice administrative sur la justice pénale.

Quant au « droit pénal de l’ennemi », c’est une théorie juridique qui remet en question les principes de l’État de droit en permettant des mesures exceptionnelles à l’encontre d’individus considérés comme des ennemis de l’État. Cette théorie, développée notamment par Günther Jakobs, justifie des actions de l’État en dehors des procédures légales habituelles, mettant de côté les garanties et droits accordés aux individus dans un État de droit traditionnel.

Selon cette théorie, l’ennemi est perçu comme une menace pour l’ordre politique et juridique, justifiant des actions qui ne respectent pas les principes fondamentaux du droit et de la dignité humaine. Le « droit pénal de l’ennemi » implique une approche punitive basée sur la dangerosité supposée de l’individu plutôt que sur sa culpabilité effective, ce qui peut conduire à des dérives autoritaires et à des violations des droits fondamentaux.

Certains critiques comme Christine Lazerges et Hervé Henrion-Stoffel qui parlent de droit liquide, considèrent que le recours à cette théorie conduit à un affaiblissement de l’État de droit, en légitimant des pratiques contraires aux valeurs démocratiques et aux droits de l’homme. En effet, en justifiant des mesures d’exception contre des individus désignés comme ennemis, cette approche risque de compromettre les fondements même d’une société démocratique basée sur le respect des libertés individuelles et des garanties légales.

Ainsi, les individus dangereux, les monstres, les inadaptés, les marginaux, les barbares, les terroristes ne précéderont jamais l’autorité, ils seront toujours à l’image de Carrein, encadrés avec bienveillance par deux gendarmes, les bracelets aux menottes.

L’appartenance de classe était, est et sera toujours le facteur déterminant pour décider qui doit être un héros, qui doit être guillotiné et qui doit être assigné à résidence et à quel moment.

J’illustrerai ce propos paraissant outrancier, par deux comparaisons : le traitement juridique réservé au couple Balkany et celui réservé à mon couple.

A gauche, Le couple Balkany ; à droite, le couple Daoudi / Georges © Crédits : © Joss Leclair / KCS PRESSE (photo de gauche) © JEFF PACHOUD / AFP (photo de droite)

Le couple Balkany a été mis en examen dans une affaire de corruption, blanchiment de corruption aggravé et blanchiment de fraude fiscale. Patrick Balkany soupçonné d’avoir utilisé des agents municipaux à des fins personnelles entre 2010 et 2015, alors qu’il était maire de Levallois-Perret a été placé sous bracelet électronique. Il devait en effet demeurer dans son manoir qui s’étend sur une surface de 980 m² habitables situé dans un parc de 5,5 hectares qui accueille un court de tennis, une piscine chauffée, un poolhouse, un sauna, un hammam et un jacuzzi. N’ayant pas respecté ses conditions de surveillance à de multiples reprises, le placement de Patrick Balkany sous bracelet électronique a été révoqué et il a été incarcéré entre septembre 2019 et février 2020 avant d’être libéré pour raisons de santé.

De mon côté, j’ai été déchu de ma nationalité française en pleine instruction d’une affaire pour laquelle j’ai été condamné en appel à 6 ans de prison ferme. J’ai toujours nié les faits qui m’ont valu cette condamnation prolongée d’une tentative d’expulsion du territoire et d’une assignation à résidence qui durent depuis près de 16 ans. Je vis donc en mode pause depuis 23 ans. Ma femme et nos 4 enfants m’accompagnent dans cette galère et subissent par capillarité toutes les affres d’une élimination sociale en bonne et due forme.

Je n’ai aucun droit à l’oubli et demeure coincé dans un dispositif de surveillance et de contrôle bien huilé. Je suis le Monsieur K. bien réel du Procès dans lequel Franz Kafka écrivait au chapitre premier : « Le jugement n’intervient pas d’un coup ; c’est la procédure qui insensiblement devient jugement. ».

Et cette procédure dure depuis le 28 septembre 2001. G.A.V au Royaume-Uni, G.A.V en France, instruction de l’affaire, procès, appel sur le procès puis cette assignation à résidence qui m’enkyste ma famille et moi, nous interdisant toute vie normale.

La peine n’a plus aucun sens si ce n’est celui d’une vengeance infinie de l’État et de ses représentants persuadés d’être dans leur bon droit et que s’ils faisaient preuve d’une once d’humanité, ils se renieraient, ils renieraient les valeurs qu’ils prétendent incarner.

Alors ils font ce qu’ils savent le mieux faire : se cacher derrière leur petit doigt accusateur tout en se rassurant dans les tranchées des retranchements de l’ancienne antienne « Dura lex, sed lex ».

Si le droit liquide n’était pas celui qu’on m’applique à moi et par extension à ma famille, ils seraient crédibles. Mais le seul paramètre déterministe et déterminant qui détermine ma longue descente aux Enfers est le degré de dangerosité, alpha et oméga de leurs attendus, de leurs considérants, de leurs conclusions, de leurs décisions, de leurs arrêts. Le procureur, le rapporteur, le juge, le greffier ont la même figure : celle du bourreau. Et il n’y a même pas besoin de gratter comme l’écrivait Victor Hugo.

L’assignation à résidence longue durée n’a pas vocation à réhabiliter à l’instar des travaux forcés ou de la guillotine réservés aux « irrécupérables ». Quelle est donc le sens de la peine, si la réhabilitation et le droit à l’oubli sont purement et simplement évincés ?

Un misérable reste un misérable et on lui applique la guillotine, sociale ou pas.

La guillotine inspirée par Joseph Ignace Guillotin – lui-même abolitionniste – et conçue par son ami chirurgien Antoine Louis avait au moins cet avantage de rendre visible la cruauté de la peine de mort prononcée par les hommes. Qu’aurait dit Jérôme Carrein s’il avait eu la chance de sauver sa tête comme Patrick Henry ? Aurait-il lui aussi déclaré : « Vous avez cru que j’étais un surhomme. En fait, je n’étais qu’un pauvre type. »

L’assignation à résidence à vie élude cette férocité. Car qu’est-ce qu’une vie sans lien social ? Qu’est-ce qu’une vie de claustration ? Qu’est-ce qu’une vie sans perspective du lendemain ? Si ce n’est une mort sociale et finalement un trépas, pas à pas jusqu’au dernier trépas : celui qui délivre, finalement.

L’étranger a le droit à un sous-droit : un simple code (comme jadis le Code Noir ou le code de l’Indigénat), aujourd’hui on l’appelle code de l’entrée et du séjour des étrangers agrémenté d’un suffixe : et du droit d’asile pour démontrer ostensiblement la miséricorde, la bonté et la clémence d’une République devenue l’ombre d’elle-même après avoir aspiré à être universelle.

Ce recueil de règles juridiques sert en outre – Noblesse oblige — de laboratoire pour l’élaboration de la Loi pour les nationaux, c’est-à-dire les sujets de la Nation en veillant bien entendu à l’implémenter selon un gradient de quartiers de francité comme on distribuait jadis les privilèges selon les quartiers de noblesse.

L’étranger fait bien entendu office d’intouchable dans ce système de castes de l’intouchable Législateur.

Dans l’Hexagone, le détournement d’argent public semble moins nuisible que le trouble à l’ordre public !

En outre, la grève de la faim et de la soif de ma compagne semble avoir suscité moins d’émoi que les jérémiades du couple Balkany.

A gauche, Pierre Palmade, humoriste ; à droite Garbis Dilge, plus vieil assigné à résidence © Crédits photo : © bestimage Valérie (photo de gauche) © Valérie Teppe / Hans Lucas (photo de droite)

Voyons maintenant un second exemple illustré par l’actualité récente concernant le traitement médiatique, administratif et juridique d’une part de l’affaire Pierre Palmade et de l’autre du cas Garbis Dilge, assigné à résidence depuis 25 ans et ayant décidé de communiquer dans la presse à l’occasion d’un article publié par le quotidien Le Monde sur mon histoire.

Pour ce qui est de Pierre Palmade, l’enquête terminée, le parquet de Melun doit prendre ses réquisitions et décider si celui-ci, mis en examen pour « homicide et blessures involontaires » suite à un grave accident de la route qu’il a provoqué en conduisant sous l’emprise de la drogue sera jugé pour « blessures involontaires » ou « homicides involontaires ». Un rapport d’experts a conclu à la mort in utero du fœtus d’une des personnes grièvement blessées dans l’accident, ce qui pourrait entraîner une requalification des faits en « blessures involontaires » plutôt que « homicide involontaire ». Cette requalification aurait des conséquences sur la peine encourue par Pierre Palmade, passant de plus de dix ans à cinq à sept ans de prison. Le comédien est actuellement interdit de conduire et de contacter les victimes. Il a été placé sous contrôle judiciaire avec bracelet électronique puis assigné à résidence au sein du service d’addictologie d’un hôpital. Un procès pourrait se tenir au cours du dernier semestre de l’année 2024, en plein jeux olympiques. Gageons que la justice ouvrira grand les Jeux !

Pour ce qui est de Garbis Dilge l’Arménien, je me demande quels sont les ressorts de sa soudaine médiatisation alors qu’il ne faisait aucun remous dans la Creuse croyant aux promesses de ses prétendus protecteurs. Pense-t-il benoîtement bénéficier d’un effet Manouchian ou bien est-ce que la maladie dont il est atteint motive sa sollicitation implicite d’une quelconque absolution ou mansuétude auprès de l’Administration et de la Justice ?

Pour un citadin, passer un quart de siècle assigné à résidence en milieu rural, loin de toute famille, ressemble à s’y méprendre à une mort à petit feu. L’aberration d’une existence cantonnée à un quotidien absurde sans presque aucun lien social et une maladie nécessitant des soins réguliers semblent être une faveur de l’État français pour un homme âgé et qui – rappelons-le – a purgé l’intégralité de sa peine.

La comparaison – même si comparaison n’est pas raison – de ces deux situations démontre encore éloquemment comme l’Administration utilise l’assignation à résidence tantôt comme une mesure de faveur pour un comédien souffrant d’addictions, ravagé par un funeste accident provoquant des blessures graves voire un homicide volontaire ; tantôt comme le prolongement d’une peine pour un récidiviste des milieux interlopes du trafic de drogue dont la trajectoire a été ponctuée par des séjours en prison et des obligations de quitter le territoire. Pourvu que la justice et l’Administration tranchent avec la rigueur de la lame du Rasoir National ! Mais on n’y croit pas ; on n’y croit plus. Tout le monde sait désormais que la Justice en France est une justice de caste, une justice de classe, une justice de race.

« Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir » : cette maxime de Jean de la Fontaine est toujours d’actualité quoi qu’en disent les justiciables privilégiés prompts à accuser les juges de dikastocratie dès que la justice s’intéresse à leurs malversations, leurs délits ou même leurs crimes.

La justice n’a jamais été autant décriée aussi bien par les dépossédés qui en subissent souvent la rigueur la plus impitoyable que les possédants qui l’accusent de trop fourrer le nez dans leurs affaires. Force est de constater que le ratio des délits en col blanc en France a augmenté de 28% entre 2016 et 2021, avec 801 infractions déclarées d’atteinte à la probité enregistrées en 2021. En outre, les atteintes à la probité, telles que la corruption, le détournement de fonds publics et la prise illégale d’intérêts, sont parmi les infractions les plus fréquemment constatées surtout chez les hommes blancs représentant environ trois quarts des personnes impliquées dans les délits en col blanc.

Opposer naguère des misérables guillotinés entre eux ou à l’époque actuelle des étrangers assignés à résidence entre eux n’a aucun sens si ce n’est de laisser filer les vrais malfaiteurs : ceux qui échappent trop souvent à la rugissante et rugueuse rigueur de la justice.

Péguy écrivait : « Il suffit qu’un seul homme soit tenu sciemment dans la misère pour que le pacte civique tout entier soit nul ; aussi longtemps qu’il y a un homme dehors, la porte qui lui est fermée au nez ferme une cité d’injustice et de haine. ».

En période de crise protéiforme de la société française, cette maxime devrait inspirer les magistrats et magistrates qui privilégient leur caste consciemment ou inconsciemment car ils n’ont presque plus aucun contact avec les médiateurs qui permettaient encore il y a quelques décennies de s’enquérir du devenir d’un peuple délaissé à ses souffrances quotidiennes pendant que les vrais parasites sociaux vorace consomment toutes les ressources matérielles et immatérielles avec une incommensurable délectation et un cyclopéen mépris de classe.

Pour conclure sur une note plus joviale, je ne désespère pas que les gens perçus comme terroristes aujourd’hui finissent par être panthéonisés demain, par les héritiers de ceux-là même qui les pointent aujourd’hui du doigt.

Kamel Daoudi

Sources :

Merci à S. pour sa patience, ses idées, sa relecture. Merci à M. & N. pour leurs relectures et leur disponibilité. Merci à Perplexity AI pour son aide à la recherche efficace.

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