- Bonjour Laurence, merci de ta disponibilité pour répondre à nos questions. Peux-tu d’abord nous résumer « l’affaire » qui vous mobilise ?
- Ce qu’on peut appeler « l’affaire Vincenzo », puisque ça fait maintenant deux ans et demis que ça dure, a commencé le 8 août 2019 avec l’arrestation de notre ami en Bretagne, arrestation qui n’était pas du tout prévisible pour les gens qui l’entouraient. Vincenzo vivait en Bretagne depuis déjà huit ans, il y habitait, il y travaillait et y avait des amis. On ne connaissait pas son passé, on ne savait pas d’où il venait, et on ne s’était d’ailleurs jamais préoccupé de ça. Il a été arrêté sous le coup de deux mandats d’arrêt européens. Le premier était d’ailleurs une manœuvre de la justice italienne, puisqu’il concernait en réalité une manifestation antifasciste qui avait eu lieu à Milan en 2007, pour laquelle Vincenzo avait été arrêté et avait passé une année en prison. Mais puisque la peine avait été entièrement purgée le mandat d’arrêt européen était faux. La justice italienne a d’ailleurs dû reconnaître qu’elle avait produit un faux, mais pour, selon elle, qu’on comprenne qui était le personnage … Le deuxième mandat européen concernait la présence de Vincenzo à Gênes en 2001 dans les manifestations anti G8.
- Simplement sa présence ?
- Il n’y a jamais eu aucune preuve de faits qu’il aurait pu commettre sur place, mais sa simple présence a été condamnée en vertu de la loi « dévastation et saccage » qui date de l’ère mussolinienne, et qui permet de condamner une personne pour le simple fait d’avoir été présente sur un lieu où il y a des « dévastations » ou des « saccages ». Et au-delà du fait que la simple présence suffit à une condamnation, la peine minimum est de huit ans … Vincenzo en a pris dix, en plus de deux années liées à des faits mineurs. Mais la loi mussolinienne nous paraît totalement inapplicable dans un pays comme la France, et la justice française ne peut pas reconnaître une loi comme celle là, qui n’a pas d’équivalent.
- Et donc, que s’est-il passé après son arrestation en août 2019 ?
- Il a été emprisonné durant trois mois et demis, et tout de suite s’est constitué un comité de soutien, dont je fais partie. Ce comité de soutien a trouvé des avocats, et s’est aussi démené de son côté, pour prouver que l’Italie mentait pour le premier mandat d’arrêt européen. On a réussi à faire libérer Vincenzo en novembre 2019. Un premier jugement de la cour d’appel de Rennes refusait de le remettre aux autorités italiennes mais l’avocat général a fait un recours en cassation. La cour de cassation a renvoyé l’affaire devant une deuxième cour d’appel, à Angers. Et la cour d’Angers a elle aussi refusé de remettre Vincenzo Vecchi aux autorités italiennes car la loi de dévastation et saccage est absolument incompatible avec le droit français. L’avocat général a là aussi de nouveau demandé la cassation. L’affaire est donc repartie devant la cour de cassation en décembre 2020, qui n’a pas voulu tranché et a demandé l’avis de la cour de justice européenne.
- C’est donc pour cela que vous étiez au Luxembourg ce jeudi 20 décembre.
- Oui, il y avait une audience de la cour de justice européenne pour approfondir le cas … C’est un cas qui semble mettre l’Europe très mal à l’aise parce que cette loi dévastation et saccage est parfaitement nulle et non avenue par rapport au droit français, et même par rapport au droit européen en général. Elle n’est valable qu’en Italie, et donc l’Europe ne sait pas quoi en faire … C’était d’ailleurs assez remarquable d’entendre la représentante de la commission européenne dire en levant les bras en l’air que c’est un véritable dilemme… Il est certain que c’est une affaire qui fera jurisprudence, mais on ne sait pas dans quel sens…
- Et quels étaient les parties représentées lors de cette audience ?
- La cour était composée de neuf personnes, parmi elles cinq juges, dont la présidente. Trois avocats représentaient Vincenzo, l’une de Rennes, l’autre de Paris (son avocat auprès de la cour de cassation), et le troisième de Rome. Il y avait la représentante de la commission européenne, qui s’est exprimée à plusieurs reprises. La représentante du gouvernement française s’est aussi exprimée en visioconférence, à charge. L’avocat général grec a évidemment lui aussi tenu un discours à charge et a aussi montré sa méconnaissance du dossier en sortant plusieurs inepties. Ce qui nous a particulièrement choqué est la totale absence du gouvernement italien. Nous étions venus de Bretagne, un avocat de Vincenzo Vecchi s’est déplacé de Rome, et l’Italie ne s’est pas donné la peine d’envoyer un représentant, ni même de s’exprimer à distance en vidéo… L’Italie a envoyé ses arguments par écrit, mais a refusé de participer à l’audience et donc de répondre aux questions sur la loi de « dévastation et saccage », ce qui nous semble particulièrement scandaleux. On peut l’interpréter comme une difficulté à défendre la loi de « saccage et dévastation », mais on constate aussi qu’ils semblent avoir compté sur le gouvernement français pour défendre des intérêts politiques conjoints…
- Et quel bilan tirez-vous de cette audience ? Qui l’a demandé d’ailleurs ?
- C’est la cour de cassation qui avait demandé l’avis de la cour de justice européenne, des mémoires ont été déposés par les différentes parties dans cette affaire, mais ce sont les avocats de la défense qui ont sollicité la tenue d’une audience orale lors de laquelle ils pourraient développer plus avant leurs arguments. Le fait que ça a été accepté prouve que la cour de justice européenne considère le cas comme particulièrement important et compliqué. L’audience a duré deux heures et demies, ce qui est plutôt exceptionnel là aussi. L’avocat général rendra son avis le 31 mars. Et après cela la cour de justice prendra deux à trois mois avant d’émettre par écrit un avis auprès de la cour de cassation de Paris. Cet avis sera simplement consultatif, et la cour de cassation rendra sa décision.
- Et la décision de la cour de cassation, soit confirmera la décision de la cour d’appel d’Angers de ne pas remettre Vincenzo Vecchi à l’Italie, soit le renverra devant une autre coup d’appel…
- Oui, c’est cela. Le jugement de la cour d’appel d’Angers était un compromis tout à fait acceptable, relativement sévère tout de même puisqu’il considérait qu’il restait à Vincenzo Vecchi un reliquat de peine à exécuter. La cour de cassation peut très bien considérer que c’est ce qui doit être appliqué. Ou alors le renvoyer devant une autre coup d’appel…
- Et sur le plan plus personnel, comment va Vincenzo Vecchi ?
- La situation dans laquelle il se trouve n’est évidemment pas évidente. Mais heureusement il a beaucoup d’amis et de soutien. Il est aussi charpentier dans une SCOP qui construit des maisons en paille et en bois.
- Dernière question, quelles sont les activités des personnes qui défendent Vincenzo Vecchi ?
- Après avoir fait valoir leurs arguments, les avocats sont dans l’attente de l’avis de l’avocat général puis de l’avis de la cour de justice européenne. Le comité de soutien continue ses activités, et dix de ses membres étaient présents au Luxembourg. On pouvait craindre que la durée de l’affaire, et les temps morts entraînent une baisse de la mobilisation mais ce n’est absolument pas le cas, les personnes ont de nouveau répondu présent. Notre prochaine réunion se tiendra mardi, et on continuera à s’exprimer publiquement. Une tribune d’Eric Vuillard, qui fait partie du comité de soutien, est aussi parue juste avant l’audience du Luxembourg sur le site de l’Obs.
Nos lectrices et lecteurs connaissent l’affaire Vincenzo Vecchi. Cet ancien activiste italien installé en Bretagne depuis de longues années est réclamé par la justice italienne pour sa participation aux journées de Gênes en 2001 [1]. En effet, Vecchi a été condamné à 12 ans et six mois de prison en vertu d’une loi datant de la période fasciste. Le délit de « dévastation et saccage » a ceci de pratique qu’il suffit d’avoir été présent sur le lieu d’une émeute pour être reconnu responsable de tout ce qui s’y est passé. À deux reprises, la justice française a estimé que cette loi n’était pas applicable dans le droit français et a donc refusé son expulsion. A chaque fois, le procureur a néanmoins fait appel et ce jusqu’en cassation. Le 20 décembre dernier, c’était la cour de justice européenne qui était sollicitée pour avis : peut-on appliquer en France une loi italienne anachronique ? Nous nous sommes entretenus avec des membres du comité de soutien très actif de M. Vecchi afin qu’ils nous éclairent sur les dernières étapes de ce marathon judiciaire.
[1] Voir quelques uns de nos articles : Vincenzo Vecchi sera-t-il remis au gouvernement Salvini ?
Affaire Vincenzo Vecchi : saison 2
Affaire Vincenzo Vecchi : une condamnation sans preuve