Thèses sur le concept de compétence (2/3)

Jacques-Alain Marie

paru dans lundimatin#403, le 13 novembre 2023

Jacques-Alain Marie, dans ces Thèses, établit la nécessité de prendre la compétence très au sérieux : il la traite comme un concept. Après les thèses n° 1 et 3 publiées le 6 novembre (voir ici), nous publions aujourd’hui les thèses n° 4, 5, 6, et 7 – après un petit rappel de la « situation ».

SITUATION

Alors qu’une très large majorité d’enseignantes et d’enseignants semble sans réagir accepter la notion, voire la relaie (consciemment ou non) ; alors que les syndicats enseignants de gauche échouent complètement à faire s’élever une protestation contre ce concept (pourtant très évidemment néolibéral) (on a entendu des militants de SUD-Éducation la défendre) ; alors que des penseurs, de gauche eux aussi, s’en saisissent et l’acclimatent en se disant que peut-être ce n’est pas si éloigné de Freinet ; alors que dans les instituts de formation des enseignants (actuels INSPE) aucune voix critique ne se fait entendre distinctement (des critiques existent, mais restent vagues, et faibles) ; alors que les sciences de l’éducation ont joué dans le travail d’acclimatation « pédagogique » de la notion un rôle de premier ordre (à leur insu, apparemment...) –, notre but, par la publication de ces thèses, est de mettre en évidence les effets de la notion de « compétence » dans les discours et les pratiques de l’enseignement lui-même (et non plus seulement : dans les discours et les pratiques des gestionnaires de l’enseignement). Or c’est philosophiquement – et non pas seulement économiquement ou sociologiquement – qu’il nous semble nécessaire d’éclairer cette notion : d’où ces thèses – qui, précisément, cherchent à appréhender la compétence comme un concept. (Elles résultent de la mise en commun de contributions diverses – universitaires ou non –, dont les auteurs, actifs en France pour la plupart, signent collectivement sous ce nom inventé : Jacques-Alain Marie. Les angles d’approche du concept sont multiples ; on aura une thèse arendtienne par exemple, cohabitant sur le cercle avec une thèse deleuzienne. Une autre thèse est traduite de l’allemand. A été procédé à une unification stylistique, à quelques coupures que des redites nécessitaient – et à des renvois d’une thèse à l’autre, pour harnacher l’ensemble sur le cercle. La plupart des thèses sont placées sous l’autorité conceptuelle d’un auteur – vivant ou mort : cela n’implique donc pas que l’auteur en question soit l’auteur de la thèse écrite sous son nom.)

J.-A. Marie,
octobre 2023.


Thèses – installées en cercle – sur le concept de compétence

Thèse n° 4 Compétence et imitation. (La compétence disqualifie l’imitation (du maître) par l’élève. Pourquoi ?)

Étienne Bimbenet

L’imitation, en pédagogie, a mauvaise réputation. Elle est du côté de la passivité, de la répétition servile : qui imite se soumet au modèle imité. On encouragera toujours contre la servilité d’un élève arrivant à la solution en faisant comme le maître l’activité intelligente de celui qui y est allé de lui-même, par lui-même  : affranchi de tout modèle. (Celui qui imite, c’est au mieux le perroquet ; ou le singe [1].) Est raillé à l’envi par la pédagogie contemporaine l’enseignant qui se donnerait en modèle à l’imitation de ses élèves : par exemple celui qui par un cours magistral prétendrait qu’en dissertant devant sa classe il donnerait à ses élèves le modèle pour disserter. Ce que la pédagogie actuellement dominante cherche à briser, ce sont les restes, en l’école, d’un tel enseignement (magistral) (c’est-à-dire : de maîtres).

Il importe cependant de distinguer entre une imitation intelligente (c’est celle qui va au but – « goal driven  ») ; et une autre un peu bête (elle n’imite que pour imiter). La première est active ; l’autre est servile. Un fait cependant nous arrête – et empêche de trop vite conclure que l’imitation intelligente est la bonne ; et que l’autre est la mauvaise, pédagogiquement. Ce fait singulier, gênant même – que l’éthologie cependant établit –, c’est que l’imitation intelligente est du côté du singe ; et que c’est le petit enfant d’homme qui imite bêtement – en humain qu’il est.

« On sait [...] que les enfants copient jusqu’aux gestes inutiles et jusqu’aux méthodes inefficaces. Des enfants de quatorze mois voient un adulte allumer la lumière en touchant un panneau du front ; ils l’imitent à l’identique dans cette posture compliquée, au lieu de presser tout naturellement le panneau de la main. Un démonstrateur tente d’atteindre un objet avec un râteau, d’abord selon une méthode inadaptée, ensuite correctement. Les enfants de deux ans le suivent scrupuleusement dans chacune de ces deux méthodes et donc quel qu’en soit le résultat ; les chimpanzés au contraire font tout pour s’approprier l’objet, de mille manières possibles, et sans rapport avec les gestes du démonstrateur : nous avons affaire à un cas typique d’apprentissage par émulation. Et pourtant ce sont bien les enfants qui, dans leur scrupule maladroit et apparemment improductif, font le meilleur apprentissage  [2]. »

La pédagogie de la compétence valorise la résolution pragmatique du problème, c’est-à-dire l’objectif atteint, le résultat obtenu (d’une façon ou d’une autre). Anti-magistrale, elle se place du côté du singe : il s’agit d’aller au but, pragmatiquement. Et l’enseignant n’est plus là pour produire un modèle qu’on imite : mais pour accompagner un « parcours » d’apprentissage de l’élève (en direction des buts, que la grille de compétences organise et détaille). D’ailleurs, pédagogues et formateurs des futurs enseignants valorisent les vertus d’émulation de ceux-ci (bienveillance, aptitude à encourager les élèves, à les « sécuriser » dans leurs apprentissages). Il est inutile, sinon nuisible, que les enseignants soient des maîtres ; ils risqueraient, en donnant la façon de faire (qui n’est jamais qu’une façon traditionnelle de faire), d’entraver l’élan spontané de l’élève vers le but. Leur tâche est bien davantage d’encourager les élèves à aller le plus librement possible vers leur but. « … l’animal ne transgresse pas la sphère de ses intérêts propres, et [...] toute sa vie reste pragmatiquement centrée sur soi  [3]. »

En voulant (à la manière du singe) aller toujours aussitôt à la solution (et donc à l’objet) (au but), on s’interdit de regarder comment d’autres s’y prennent, « comment un autre a fait  [4] ». Imiter, au premier abord, paraît toujours un détour vain : non seulement servile, mais contre-productif : « … épousant des postures et des attitudes, plutôt que des gestes utiles ; recherchant pour elle-même et comme un instrument de communication la résonance mimétique des gestes ; s’attachant souvent à des éléments non pertinents ou secondaires de la conduite, vécus comme autant de preuves d’attachement  [5]. » (En imitant Maradona au lieu d’aller droit au but, et en l’imitant, par tendresse, affection, ou aimantation, dans ce qui d’abord ne semble que gestes, fioritures, Zidane devient Zidane ; en se détournant du but, en regardant son modèle au lieu de regarder le but, il invente une manière nouvelle d’être, une manière nouvelle et singulière d’aller au but ; d’aller mais à sa façon droit au but... ) « C’est dire qu’une psychologie trop directement fonctionnaliste, à qui le thème développemental ferait oublier les composantes affectives de l’imitation, se condamnerait à ne rien sauver du phénomène qu’elle étudie  [6] . » L’imitation est un décentrement. « Le mimétisme obséquieux s’avère finalement plus concluant que l’autre [...], car il est l’occasion d’une autre logique d’action – d’autres motivations, d’autres moyens, un résultat apparemment semblable et pourtant plus perfectionné, etc. L’imitation en tant qu’humaine est d’abord fructueuse parce qu’elle est d’abord “pour rien” […]  [7]. »

La défaite de la pédagogie actuelle est d’avoir, dans l’enseignement, détruit la possibilité de l’admiration. (Or l’admiration est une vertu du monde  [8].) Du point de vue du pédagogue, l’enseignant séduit l’élève au sens où il le détourne du but en l’attirant à soi ; il le décentre. (Il dit : « Regarde-moi. ») (Au lieu de lui dire : « Regarde devant toi ; garde en permanence l’œil sur le but  [9] ».) L’enseignant séducteur est suspect. (Peut-être, après tout, aime-t-il les enfants ?)

Le maître érotise le savoir. Or la compétence est un ascétisme ; un puritanisme ; un fonctionnalisme ; une hygiène formidable et froide  [10].

Nota Bene n° 1 : Triangulation. (Élève – maître – et monde.)

On manquerait cependant ce qu’ont de plus profond ces remarques si l’on se contentait de la thèse selon laquelle l’imitation serait à privilégier et promouvoir pour les vertus et puissances de sociabilité contenues en elle : au sens où « le but utile (avoir) » serait « remplacé par un but social (faire comme)  [11] ». (On inciterait l’élève à imiter, pour le socialiser ; pour le plier ainsi au social.) Mais après tout, l’émulation, l’accompagnement bienveillant, ont aussi leurs vertus sociales. (Au premier abord même, le doux accompagnateur de l’enfant apprenant est infiniment plus social que la figure singulière voire saugrenue d’un maître qui au tableau s’agite, solitairement.) Si l’imitation revêt cette importance considérable, ce n’est donc pas (et peut-être pas même d’abord) dans la direction d’autrui ; mais déjà dans la direction du monde (dans la direction de l’objet). L’imitation servile et docile en effet, celle véritablement humaine, fait fonctionner à plein le triangle référentiel de l’attention conjointe : en imitant l’autre dans son rapport à l’objet, j’adopte aussi nécessairement son regard sur l’objet. La chose, que j’observe depuis ma perspective, se trouve enrichie de la vision que l’autre pose sur elle, en même temps que moi (car il n’y a qu’un objet – ainsi immédiatement socialisé, commun). « Parce que socialisé non dans ses seules interactions, mais jusque dans son rapport intentionnel au monde, le vivant humain ne repose plus en lui-même. En lui l’absolu de la vie (de la centration vivante) est en permanence mis en concurrence avec l’absolu du monde (du monde commun à toute vie possible)  [12]. » L’imitation servile (humaine) « suspend les compétences téléologiques du vivant au profit d’un enseignement […]  [13]. » 

Et c’est donc fondamentalement que l’enseignement a à voir avec l’imitation ; il en est même, d’une certaine manière, l’institution  [14]. Au contraire de la logique de la compétence, où l’enseignant cache qu’il enseigne, et s’efface en tant qu’enseignant ; dans l’enseignement l’enseignant, en enseignant, enseigne ostensiblement : il « “déclare” le monde  [15] » ; il le montre du doigt. Le geste d’enseignement est « ostensif » – et non discret (comme le voudraient les pédagogues souhaitant l’effacement de l’enseignant). « Il est donc essentiel à [l’enseignement] de s’instituer comme te[l]. L’enfant sait bien percevoir les “signaux ostensifs” [...] qui lui indiquent qu’il y a quelque chose à apprendre, et non simplement à prendre  [16] ». La pédagogie de la compétence répète au contraire à l’envi : qu’il y a surtout « à prendre  [17] ».

Nota Bene n° 2 : Diversité et bigarrure de l’enseignement. Ou unification pédagogique.

Le problème des maîtres, c’est qu’ils sont divers. Pas un est n’est pareil à l’autre. (Ils font le zouave, plus ou moins consciemment ; et chacun a une façon de faire le zouave.) Cette diversité, ou bigarrure, est un problème pour les pédagogues – dont le but est de réguler, d’unifier, de planifier, de contrôler, d’égaliser l’enseignement. Les enseignants, dit-on, ont des « pratiques [...] par trop diversifiées  [18] ». Cela perturbe les enfants : il faut des enseignants se ressemblant ; et distribuant à chacun et chacune également, et à la façon terne (médiane, médiocre). Il faut des accompagnateurs formés à la reconduction du même ; du toujours identique. (Le même, le toujours identique, sont donnés et précisément listés dans les grilles et les référentiels de compétences.)

Nota Bene n° 3 : L’imitation comme luxe. Vie normale et vie malade. (La compétence ramène à la vie malade.)

L’imitation bête (c’est-à-dire humaine) est un luxe. Quand la pression de la vie se fait sentir on n’a plus l’âme à imiter : car on n’a plus le temps des détours : il faut aller au but (à la manière animale). De même que la pédagogie de la compétence prend pour modèle l’animal et son imitation « orientée vers le but », de même elle prend pour norme l’homme malade, celui pour qui en effet la conservation de l’existence devient l’horizon unique : « la conservation de l’existence ne devient l’essentiel que dans le cas de déficience ou parfois dans certaines situations critiques où le corps devient le bien suprême parce que toutes les autres possibilités dépendent de lui  [19] ». Au contraire, « [l]a force impulsive de la vie normale est la tendance de l’organisme à l’activité, au développement de ses capacités, à une réalisation aussi haute que possible de son essence  [20]. »

Bimbenet commente : « On sait tout le prix que Canguilhem accordait à cette distinction et tout le bénéfice théorique qu’il en retira, en particulier à travers le concept de “normativité”, ce luxe organique de l’homme “qui se sent plus que normal”, parce que “capable de suivre de nouvelles normes de vie” [21]. » « Si la vie avait un but, elle ne serait plus la vie [22]. » Par l’imitation (par l’enseignement), se détachant du but, la vie invente.

Thèse n° 5 L’attendu et l’inattendu. La compétence comme recherche et contrôle d’un effet. (L’enseignement comme organisation d’une rencontre.)

Rancière

La pédagogie de la compétence est une pédagogie fondée sur des attendus. Le référentiel, ou socle, permet d’instituer pour l’élève un « profil de sortie  [23] ». (La volonté de contrôle et de maîtrise totale du processus pédagogique se traduit, dans la logique des compétences, en une cartographie générale des attendus, d’un niveau à l’autre, établie de manière à ce que l’enseignement se construise « pierre par pierre », attendu après attendu, par étagements successifs : jusqu’au moment de validation ou de certification finale, en « sortie ».) Or ce qui vaut pour l’ensemble de la scolarité vaut exactement de même à l’échelle d’une « séquence » d’enseignement, voire d’une leçon seule : d’après le pédagogue en effet, il est impératif que chaque séquence soit construite par l’enseignant avec le savoir (préalable) (déclaré) de ce qui va être acquis par les élèves au cours de cette séquence. On n’enseigne plus aujourd’hui (au temps de la pédagogie) sans savoir ce qu’on fait. L’enseignant doit toujours savoir ce qu’il fait, c’est-à-dire ce que son enseignement fait aux élèves (l’effet qu’a sur eux son enseignement).

Au fondement de cette pensée se trouve le présupposé que ce que l’élève doit apprendre, c’est ce que le maître lui apprend. Rancière expose en ces termes cette logique de l’effet – dans le cas de l’artiste et de son spectateur : « [l]e dramaturge ou le metteur en scène voudrait que les spectateurs voient ceci et qu’ils ressentent cela, qu’ils comprennent telle chose et qu’ils en tirent telle conséquence. C’est la logique du pédagogue abrutissant, la logique de la transmission droite et à l’identique : [...] [c]e que l’élève doit apprendre est ce que le maître lui apprend. Ce que le spectateur doit voir est ce que le metteur en scène lui fait voir  [24]. » L’erreur de l’artiste (de ce genre d’artistes : artistes de l’attendu), comme du pédagogue, serait dès lors : « présuppose[r] toujours l’identité de la cause et de l’effet ». « On pose toujours comme évident le passage de la cause à l’effet, de l’intention au résultat, sauf à supposer l’artiste inhabile ou le destinataire incorrigible  [25]. »

L’alternative existant entre « pédagogie de la compétence » et « enseignement » peut se dire en ces termes :
— Ou bien j’enseigne Molière – ou Rimbaud, etc. – pour obtenir sur l’élève tel ou tel effet… Cet effet doit alors être décidé à l’avance : il sera l’un des items (ou « attendus ») pris aux grilles et référentiels de compétences ; qu’après validation je serai en mesure de signaler comme « acquis » dans la liste, en face de tel et tel nom.
— Ou bien j’enseigne Molière – Rimbaud, etc. – afin que Molière – Rimbaud, etc. – fasse leur effet sur les élèves… Quel effet ? Je n’ai pas à le dire… ni peut-être à chercher absolument à le prévoir. (Aussi bien Molière – Rimbaud – et leur effet – me dépassent moi-même. Il m’est impossible de préjuger de leur effet sur quiconque : même sur moi, l’effet de Molière, quel a-t-il été la première fois ? Et quel est-il aujourd’hui en le relisant pour le cours ? Et quel sera-t-il demain au moment de l’enseigner ?) Alors l’enseignant, à l’envers de ce que voudrait le pédagogue, organise une rencontre (entre deux parties) sans savoir ni vouloir savoir l’effet que cette rencontre va produire. (Si l’enseignement est organisation d’une rencontre avec une « partie du monde » (un théorème, un poème, une image, une fable...), c’est parce que tout enseignement est intentionnel : tout enseignement est enseignement de quelque chose ; et la chose est une partie du monde  [26].) Et l’effet d’une telle rencontre sera d’autant plus imprévisible qu’elle aura été bien organisée  ; c’est-à-dire orchestrée, mise en scène... à la manière frappante d’un spectacle, au sens le plus fort – à la manière d’un choc.

Et alors le maître ne sait pas, et il n’a pas à savoir, ce que l’élève apprend. « C’est le sens du paradoxe du maître ignorant : l’élève apprend du maître quelque chose que le maître ne sait pas lui-même. […] Mais il n’apprend pas le savoir du maître  [27]. » Dans cette autre logique, contraire à toute pédagogie, l’enseignement reste ouvert sur l’inattendu : il n’anticipe ni son sens ni ses effets  [28]. (Quand tout l’effort de la pédagogie est l’anticipation, la domestication de l’inattendu – la clôture ; surtout ne pas frapper l’élève. La pédagogie de la compétence, par sa démarche même, cherche – très explicitement – à produire des effets sur l’enfant : mais des effets qu’elle a elle-même décidés : triés, sélectionnés. La pédagogie de la compétence a pour but de refermer la société sur elle-même et sur la reproduction du même.) L’enseignement, au contraire, cherche à heurter  [29].

Nota Bene n° 1 : Les objets trop grands de l’enseignement – les objets adaptés et petits de la pédagogie.

Les deux logiques que nous venons d’exposer appellent, pour l’enseignement, deux types d’objets bien différents. Si je veux pouvoir maîtriser les effets de ma leçon, je serais très mal à l’aise avec un objet très grand (Rimbaud) (Molière). Mieux vaut privilégier l’emploi d’un objet plus petit. C’est l’humilité – non feinte, ici – du pédagogue : si l’on veut garder la main sur ce qu’on fait, il faut enseigner de petites choses. Car il faut des choses en effet maniables et maîtrisables : donc plus petites que soi ; ou à sa taille. (L’enseignant ancien, au contraire, aimait de grands objets : mais les grands objets vous emportent ; ils risquent d’emporter vos élèves, d’emporter tout avec eux.) Le pédagogue est plus à l’aise avec des matériaux plus petits ; construits ad hoc pour s’insérer dans sa séquence ; dans la progression qu’il a construite. Le pédagogue, même, est plus à l’aise avec de la « ressource pédagogique » : c’est-à-dire avec ce qui a été fait spécialement pour l’enseignement. (Molière, c’est trop grand. On en mesure mal l’effet. Et après tout, ça n’a pas été écrit pour être enseigné.)

(Conduire l’enfant au-devant de la mer immense ; et l’y laisser. L’y laisser faire ce qu’il a à y faire.) (Mais le conduire à la mer et non pas ailleurs ; et non pas devant autre chose que la mer. Non pas devant une flaque [30].)

Nota Bene n° 2 : Une remarque en passant sur l’efficacité.

La pédagogie de la compétence, qui par ses socles s’étageant d’année en année, de cycle en cycle, sinon de séquence en séquence et de leçon en leçon, fait le rêve d’une immense maîtrise (contrôle) de la progression des élèves apprenants. Pourtant, qui a fréquenté des établissements scolaires où ces dispositifs ont été mis en place, sait le peu d’efficacité qu’ont ces méthodes. (Occupés à mesurer l’effet de leur enseignement, et donc aussi à inventer un enseignement qui soit tel que son effet puisse être mesuré, puis à mettre en place après enseignement le dispositif de mesure et d’évaluation (adéquat) de cet enseignement, l’enseignant a de moins en moins le goût (et le temps) d’enseigner ce qu’il enseigne.) On en viendrait à dire de la pédagogie ce que Rancière dit de l’art activiste : lequel « imite et anticipe son propre effet, au risque de devenir la parodie de l’efficacité qu’il revendique  [31] ».

Nota Bene n° 3 : La pédagogie comme domestication (de l’enseignement).

Toute séquence, en pédagogie de la compétence, se construit et se définit par ses objectifs d’acquisition – que l’enseignant se doit de déclarer. Ce concept pédagogique de « séquence » n’a donc pas seulement la valeur didactique qu’on prétend qu’il a. Il induit nécessairement, aussi, une logique très particulière de l’effet : si la séquence est pour la pédagogie actuelle un levier si décisif, c’est parce qu’elle oblige en permanence l’enseignant à savoir ce qu’il fait – mais aussi : à le dire  ; à le déclarer. Et cette déclaration ne s’adresse pas tant aux élèves (bien qu’aux élèves aussi) (afin d’éviter que ceux-ci en se « distrayant » soient déviés du but prévu) ; mais elle s’adresse d’abord au pédagogue de l’enseignant (à son formateur, son inspecteur : soit sa tutelle dans l’institution). Le pédagogue, ainsi compris, est l’instance supérieure gérant, unifiant et dirigeant (depuis l’extérieur des classes) les effets de tous les enseignements (accomplis dans la clôture des classes). (La prise en charge des jeunes futurs enseignants, par les pédagogues, dans les Instituts de formation, à partir des années 1990, a eu clairement cet objectif : le jeune enseignant est sommé de se déclarer, devant son formateur ; de mettre à nu son enseignement – et l’intention de son enseignement.)

Enseigner (à l’aveuglette) (sans savoir ce qu’on fait) fait peur, semble-t-il. Que peut-il se passer si on enseigne du savoir ; et si ce savoir nécessairement se répand, et qu’on n’a pas décidé avant de ce pour quoi il était fait ; à quoi il allait servir. Le pédagogue de la compétence est d’abord celui qui craint le savoir nu, l’enseignement nu : il vient pour l’habiller, lui donner le vêtement requis – qui le soumette (à des objectifs, à des attendus, à un sens déclaré). Se peut-il que la pédagogie ait peur du savoir, des effets (imprévisibles) du savoir ; et que son entreprise (sur l’enseignement) (sur les enseignants) soit aussi une entreprise de domestication  [32] ?

Thèse n° 6 La Compétence dit : « Pour enseigner à l’élève, il faut le connaître. » L’enseignement répond : « Est-ce si sûr ?... »

Alain

La pédagogie présuppose que pour bien enseigner il faut connaître l’élève auquel on s’adresse ; et en particulier connaître les lois de fonctionnement de son esprit. (L’enseignant qui connaît sa discipline, s’il sait ce qu’il sait, ne sait pas comment un élève apprend – ce qui le condamne à échouer, dit le pédagogue.) La pédagogie, une fois admis ce présupposé, cherche tout naturellement assistance auprès de la psychologie ; et, plus spécifiquement aujourd’hui, auprès de ce qui est considéré comme sa pointe avancée : les sciences cognitives. L’élève est au centre du système éducatif : il faut qu’il soit aussi au centre des savoirs dont doit disposer l’enseignant nouveau : lequel, s’il lui faut encore maîtriser une discipline, devra d’abord, logiquement, être formé dans le domaine des processus cognitifs et émotionnels à l’œuvre dans les apprentissages. Alain, déjà, faisait parler ainsi le psychologue (c’est-à-dire le pédagogue) : « Il faut, dit celui-ci, que les éducateurs soumettent [...] les enfants des écoles à des essais et à des épreuves, en vue d’apprendre enfin quelque chose de positif sur cette nature humaine en son enfance, qu’ils connaissent mal. Faute de ces investigations méthodiques, ils perdront leur temps. Pour instruire l’enfance, il faut d’abord la connaître [33]. »

Le pédagogue parlant ainsi semble avoir l’évidence avec lui. Pourtant l’évidence, dit Alain, « est notre tête de Méduse  [34] » : car le pédagogue (dans sa précipitation) (dans son enthousiasme) méconnaît ce que son présupposé lui fait décider ; lui fait avoir toujours déjà décidé (d’avance) (en amont de tout) (et sans même s’en être aperçu). « Vous dites, rétorque Alain dans ce même dialogue, qu’il faut connaître l’enfant pour l’instruire ; mais ce n’est point vrai ; je dirais plutôt qu’il faut l’instruire pour le connaître ; car sa vraie nature c’est sa nature développée par l’étude des langues, des auteurs et des sciences  [35]. »

La « vraie nature » de l’enfant, le pédagogue la place au point de départ – et ainsi la fige. (Il en fait ainsi une « nature ». Et il « biologise » son activité d’enseignement.) Alain dit que pour l’enseignement la « vraie nature » est le point d’arrivée : or cela veut dire que ce n’est pas une « nature » ; que c’est imprévisible ; et que ce ne sera connu qu’une fois fait. (Et que ça ne peut être connu avant d’être fait.) (Et donc que c’est précisément en voulant connaître d’abord ce que c’est qu’on empêchera cet inconnaissable d’advenir.)

Connaître l’enfant, c’est connaître ce qu’est un enfant en général (il n’y a de sciences que du général) – puis c’est donc enseigner, à partir des résultats livrés par la science la plus avancée, pour cet enfant en général. Et c’est donc nécessairement normer l’enseignement [36]. C’est produire l’enseignement adapté à cet enfant en général – que la science étudie ; c’est adapter l’enseignement à l’enfant tel qu’il est connu. (Et l’objection d’Alain est de simple épistémologie  [37]...)

Le paradoxe est puissant : le pédagogue prétend devoir savoir la nature de l’enfant pour mieux enseigner – quand le but de l’enseignement c’est de changer l’enfant, de changer cette nature, au fil des siècles, de changer l’homme ; et que, par conséquent, c’est en voulant le connaître qu’on s’empêche de le changer (de lui donner la possibilité de se changer lui-même). Que la pédagogie ainsi comprise soit une instance de standardisation et de normalisation s’atteste à ce fait simple : les psychologues ne découvriront pas une « nature » de l’enfant différente chez le petit enfant chinois, chez le petit enfant français ou allemand : puisqu’ils étudient les processus cognitifs dans les cerveaux. De plus en plus on enseignera partout identiquement (ONU, UNESCO, OCDE, etc.) : c’est qu’on enseignera, en partant de l’enfant mis au centre, en partant de l’enfant biologique mis au centre  [38]. (Les grilles de compétences doivent ainsi être établies, autant que possible, « indépendamment de la culture  [39]  ».) (Certes, la culture sera prise en compte – car le savant prend acte que l’enfant est inscrit dans une culture, à laquelle il lui faut s’adapter cognitivement, comme au reste : mais précisément la culture est nécessairement, par cette pédagogie, traitée comme un milieu : comme quelque chose à quoi il faut s’adapter (comme à n’importe quelle autre « donnée » ou « contrainte » du milieu  [40]).)

Or c’est la transformation que l’enseignement a à opérer sur l’enfant qui précisément le rend pour lui inconnaissable : puisque cette transformation a pour but de le faire sortir de l’état où il pourrait être connu (son état neuronal, naturel ; avant culture) (ou dans l’état de la culture tel que donné à sa naissance – mais qui est lui-même et en permanence en voie de transformation, par la succession des générations ; et par l’effet de l’enseignement même…).

(Là encore, le pédagogue manque d’une vertu élémentaire, essentielle à l’enseignement : la patience. La pédagogie veut savoir tout, tout de suite. Elle veut savoir avant son intervention quelque chose qui ne peut être su qu’après  [41].)

Nota Bene n° 1 : Il est possible d’admettre néanmoins qu’il n’est pas tout à fait nuisible qu’un enseignant soit au fait de certaines lois psychologiques générales (sur le sommeil, l’apprentissage, la mémoire, etc.). Mais tous ces savoirs cognitifs universels ne sont rien en regard de la connaissance psychologique singulière qu’il lui faut avoir des élèves – et que n’enseigne aucune science (cognitive). (Puisque évidemment un bon enseignant est aussi, souvent, un fin psychologue…)

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Nota Bene n° 2 : S’adapter. Élever.

Si je connais l’enfant par une science, je m’adapterai à l’être vivant qu’il est (que la science que j’ai choisie pour le connaître me dit qu’il est). Mais aussi : je ne lui proposerai que des choses à sa taille (des objets ajustés  [42]) ; je m’adapterai à sa toute petite taille (d’enfant). Pour Alain, il ne s’agit pas de connaître l’enfant mais de l’élever  : car l’enfant est d’abord petit  [43]. Ce qui importe pour l’enseignant est donc l’objet enseigné (non d’abord l’enfant) : car c’est l’objet enseigné qui a le pouvoir de grandir l’enfant. Et s’il faut, dit Alain, enseigner à l’enfant « Homère, Virgile et Montaigne », c’est parce que le rôle de l’enseignement est de lui tendre un miroir où il se voit aussitôt « grandi »  [44]. Si je décide de connaître l’homme, alors je verrai qu’il est (statistiquement) rarement grand (rarement plus grand que la moyenne…). En m’adaptant à l’homme « connu » (à l’homme normal, moyen), je reconduirai cette normalité, ce standard humain, cette médiocrité, cette lâcheté  [45].

Thèse n° 7 Qu’il existe deux façons de mesurer les êtres – deux types de hiérarchie. Et que la Compétence est le nom de l’une d’elles.

Deleuze

« Et l’on doit en dire autant de la hiérarchie. Il y a une hiérarchie qui mesure les êtres d’après leurs limites, et d’après leur degré de proximité ou d’éloignement par rapport à un principe. Mais il y a aussi une hiérarchie qui considère les choses et les êtres du point de vue de la puissance : il ne s’agit pas de degrés de puissance absolument considérés, mais seulement de savoir si un être “saute” éventuellement, c’est-à-dire dépasse ses limites, en allant jusqu’au bout de ce qu’il peut, quel qu’en soit le degré  [46]. »

La compétence correspond très exactement au premier type de hiérarchie : elle attend des êtres le remplissement de certains items prédéfinis ; elle mesure les êtres d’après leurs limites (statistiques). Elle peut être patiente (tolérer un niveau du type : « en cours d’acquisition ») ; mais au final il faut tendre vers ce qui a été au départ arrêté. (Tout est arrêté dès le départ ; tout est arrêté avant d’avoir commencé…) (Il faut rejoindre la moyenne  ; ce qui est statistiquement arrêté comme étant la moyenne ; qu’on la rejoigne par en-dessus ou par en-dessous.) La pédagogie est l’arrêt de l’enseignement comme promesse ; elle est l’enseignement arrêté  [47].

[1« Tant l’esprit d’imitation peut faire faire des choses aux moins douées. » (Zazie dans le métro)

[2Étienne Bimbenet, L’Animal que je ne suis plus, Gallimard, coll. Folio, 2011, p. 328. (Pour l’exemple des enfants de 14 mois allumant la lumière avec le front, Bimbenet renvoie à : Andrew N. Meltzoff, « Imitation and Other Minds : the ‘like me’ Hypothesis », in Susan Hurley et Nick Charter (dir.), Perspectives on Imitation : from Neuroscience to Social Science, Cambridge, The MIT Press, 2005, vol. 2, p. 58-59.) (Sur l’émulation, il renvoie à Michael Tomasello : Aux origines de la cognition humaine [1999], trad. Y. Bonin, La Découverte, 2022, p. 41.) Étienne Bimbenet s’appuie ailleurs sur des études de David Premack : « les enfants imitent pour imiter, quand les chimpanzés imitent pour obtenir la nourriture » (David Premack, “Why Humans Are Unique : Three Theories”, Perspectives on Psychological Science, vol. 5, n° 1, 2010, p. 11, cité in Bimbenet, Le Complexe des trois singes. Essai sur l’animalité humaine, Seuil, 2017, p. 237.)

[3Étienne Bimbenet, L’Animal que je ne suis plus, op. cit., p. 339.

[4A. Jarry, « La Tiare écrite », in La Plume, 1er avril 1903.

[5Étienne Bimbenet, L’Animal que je ne suis plus, op. cit., p. 339.

[6Ibid.

[7Ibid. (La question se pose alors de savoir s’il serait possible de dresser des bêtes non-humaines à imiter bêtement (c’est-à-dire à la manière humaine)… Deviendraient-elles alors humaines ?)

[8« Leurs modèles ne sont-ils pas plutôt des postures qui les frappent, des rôles qui leur plaisent, des personnages qui les impressionnent, des personnes qu’ils admirent ? » (Jacqueline Nadel, Imitation et communication chez les jeunes enfants, PUF, 1986, p. 56 ; cité par Bimbenet, L’Animal que je ne suis plus, op. cit., p. 330)

[9« Ce décentrement systématique, Merleau-Ponty l’a thématisé à travers le concept de “chair”, ce corps définitivement impropre, mimétiquement vagabond, empathiquement happé par tous les autres corps alentour. » (Étienne Bimbenet, L’Animal que je ne suis plus, op. cit., p. 375.)

[10Sur la compétence comme « ascétisme » et « hygiène mentale », voir : De la faiblesse de l’esprit critique envisagé comme « compétence », Pontcerq, 2022, par exemple p. 71 et 79.

[11E. Bimbenet, Le Complexe des trois singes, op. cit., p. 237.

[12E. Bimbenet, Le Complexe des trois singes, op. cit., p. 283. (Par cet aspect de remise en question de l’absolu de la vie est ici touchée la thèse n° 14 : « La pédagogie de la compétence est un zoocentrisme ».)

[13E. Bimbenet, Le Complexe des trois singes, op. cit., p. 237-238.

[14L’enseignement « n’est pas une simple pratique », mais « une institution vouée à réguler l’imitation humaine » (Le Complexe des trois singes, op. cit. p. 237.) (N. B. : Bimbenet écrit ici « pédagogie » et non « enseignement » ; mais le sens du passage autorise à entendre « enseignement », et non « pédagogie », dans la terminologie qui est la nôtre dans ce livre. Cf. supra  : {}nota bene de l’introduction).

[15E. Bimbenet, L’Animal que je ne suis plus, op. cit., p. 306.

[16E. Bimbenet, Le Complexe des trois singes, p. 238.

[17Et l’enseignement n’est « institué » que pour permettre à l’élève de s’élever au-dessus de toute institution : « La fin de l’école, c’est d’élever l’homme au-dessus de toute institution, c’est de préparer l’homme à se faire juge de toutes les valeurs. » (Canguilhem, in Libres propos (1932), recension de : Alain, Propos sur l’éducation, cité in Dominique Lecourt, Georges Canguilhem, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1re éd. 2008, 2e éd. 2016, p. 102)

[18Cité par Angélique Del Rey, À l’école des compétences. De l’éducation à la fabrique de l’élève compétent, La Découverte, 2010, rééd. 2013, p. 34.

[19Kurt Goldstein, La Structure de l’organisme, p. 32, cité in E. Bimbenet, Le Complexe des trois singes, op. cit., p. 307.

[20Kurt Goldstein, La Structure de l’organisme, p. 170, cité in E. Bimbenet, op. cit., p. 307.

[21Le Complexe des trois singes, op. cit., p. 308 ; citation tirée de : Le Normal et le pathologique, PUF, Quadrige, 1993, p. 132.

[22Valéry, Cahier B, 1910, cité par G. Canguilhem, La Connaissance de la vie, Vrin, 1965, rééd. 1992, p. 117.

[23« Un profil de sortie de l’élève doit être défini […]. » (Xavier Roegiers, « Quelle évaluation des compétences, au service de quel projet pour l’école ? », in Christophe Dierendonck, Even Loarer, Bernard Rey (dir.), L’Évaluation des compétences en milieu scolaire et en milieu professionnel, coll. « Pédagogies en développement », Louvain-la-Neuve, De Boeck, 2014, p. 74)

[24J. Rancière, Le Spectateur émancipé, La Fabrique, 2008, p. 20.

[25Ibid., p. 20 ; p. 57.

[26Cf. Thèse n° 1 : « La pédagogie de la compétence accomplit une destitution de l’intentionnalité. »

[27Ibid., p. 20.

[28« Les images changent notre regard et le paysage du possible si elles ne sont pas anticipées par leur sens et n’anticipent pas leurs effets. » (Rancière, op. cit., p. 114)

[29Et « [c]e heurt marque un bouleversement de l’économie “policière” des compétences » (J. Rancière, op. cit., p. 68). Rancière commente par cette phrase le récit que Gabriel Gauny, ouvrier menuisier, donne en 1848 de sa journée de travail : son regard sort du régime de sensorialité attendu.

[30« Les joujoux sont des leurres, pour que nous ne dépecions point de grandes proies… Et on nous donne un filet à papillons en gaze verte et des cages à mouches toutes petites, pour que nous n’attrapions que de toutes petites bêtes. » (Jarry, in La Plume, 15 juillet 1903)

[31J. Rancière, op. cit., p. 81.

[32Nico Hirtt, marxiste précis – et l’un des premiers enseignants à être monté au créneau sur ces questions – faisait remarquer, en 2001, que tant que le savoir dispensé dans les écoles l’était à l’élite bourgeoise de la société l’enseignement n’avait pas eu besoin d’être encadré par la « pédagogie ». « Maintenant que l’enseignement général s’est largement ouvert aux enfants du peuple, on se préoccupe soudain d’instrumentaliser ces savoirs. » (Nico Hirrt, « Avons-nous besoin de travailleurs compétents ou de citoyens critiques ? À propos de l’approche par compétence », site de l’APED, mai 2001)

[33Alain, Propos sur l’éducation. Suivis de : Pédagogie enfantine, PUF, coll. Quadrige, 6e éd., 2005 [1re éd., 1932], p. 43-44.

[34Ibid., p. 44.

[35Ibid., p. 45.

[36La science peut bien faire des découpes dans cette normalité. Elle peut bien, par exemple, du groupe des individus normaux, arracher celui des autistes, des épileptiques, des surdoués, des attardés, etc., et administrer à chacun de ces groupes un enseignement spécifique (adapté, dit-elle ; basé sur l’étude scientifique de leur tare ou spécificité) : mais au sein de ce groupe, étudié de même scientifiquement, et connu, il ne sera enseigné jamais que selon une norme, c’est-à-dire tout aussi normalement et normativement.

[37« … je me défie de ces expériences qui bouleversent aussitôt leur tendre et fragile objet. » (Alain, op. cit., p. 44)

[38Cf. Thèse n° 14 : « La pédagogie de la compétence est un zoocentrisme. ».

[39« Dans quelle mesure est-il possible d’arriver à une identification des compétences-clés indépendamment de la culture, de l’âge, du genre, du statut, de l’activité professionnelle ? » C’est l’une des grandes questions que se posent les experts du DESECO (« Définir et Sélectionner les Compétences Fondations théoriques et conceptuelles », groupe de travail créé par l’OCDE en 1997) à l’occasion d’un symposium qui s’est tenu en Suisse en 1999. (Cité par Vincent Legeay et Angélique Del Rey, dans « De l’aptitude à la compétence », Annuel de la Recherche en Philosophie de l’Éducation, 3.)

[40Sur cette question de la « culture » appréhendée négativement (comme contrainte, comme milieu) par la pédagogie de la compétence, voir la Thèse n° 11.

[41« Et vous êtes plaisant d’observer l’enfance d’aujourd’hui, qui, avec les mots de la langue, apprend en quelques mois la sagesse des siècles, quand l’enfance de l’espèce se montre sur toute la Terre en ses temples et ses dieux. » (Alain, op. cit., p. 44)

[42Cf. supra  : nota bene n° 1 de la thèse n° 5.

[43« Élever », pris ici dans le sens de hausser (adtollere, et non educare). « Les psychologues se trompent sur tout et sur eux-mêmes, par cette manie de vouloir connaître au lieu d’échanger et d’élever. » (Alain, op. cit., p. 56).

[44Alain, op. cit., p. 56.

[45« Il est plus vite fait de changer les hommes que de les connaître. » (Alain, op. cit., p. 57) Et les connaître c’est s’empêcher de les changer. L’idée est nietzschéenne : « La connaissance tue l’action [Die Erkenntnis tötet das Handeln] ».

[46Deleuze, Différence et répétition, PUF, coll. « Épiméthée », 1968, p. 55.

[47« Cette mesure ontologique est plus proche de la démesure des choses que de la première mesure : cette hiérarchie ontologique, plus proche de l’hybris et de l’anarchie des êtres que de la première hiérarchie. Elle est le monstre de tous les démons. » (p. 55) / « l’hybris cesse d’être simplement condamnable, et le plus petit devient l’égal du plus grand dès qu’il n’est pas séparé de ce qu’il peut. » (ibid.) / « L’Être univoque est à la fois distribution nomade et anarchie couronnée. » (ibid.) / « Jamais la forme de la recognition n’a sanctifié autre chose que le reconnaissable et le reconnu, jamais la forme n’inspira autre chose que des conformités. » (p. 176)

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