Quand vainc l’antiterrorisme

Compte-rendu du verdict de l’affaire dite du 8 décembre

paru dans lundimatin#409, le 29 décembre 2023

Après un mois de procès et deux mois de délibéré, on espérait pouvoir clore cet énième épisode de l’antiterrorisme français en mal de menace intérieure d’ultra-gauche-anarcho-autonome. Raté. Ce qui s’est ouvert à l’issue de ce verdict, c’est un précédent judiciaire et juridique aussi grave qu’inquiétant pour le tissu politique contestataire dans les prochaines années. Retour sur cette mauvaise pièce de théâtre en trois actes.

Premier acte : Décor planté, acteurs rodés, mise en scène douteuse

La présidente avait décidé, il y a deux mois, que le verdict tomberait ce vendredi 22 décembre. “La complexité de cette affaire” exigeait d’elle et de ses deux juges assesseurs un temps conséquent de réflexion. Elle avait annoncé 10h mais comme elle avait certainement besoin de 30 minutes de réflexion supplémentaire, ce sera finalement 10h30. Les amis et soutiens des prévenus sont déjà là depuis plus d’une heure, nombreux, comme chaque jour depuis le début de ce procès. Les policiers préviennent que le délibéré se tient dans une salle plus petite que celle des audiences d’octobre et qu’il ne sera donc pas possible pour toutes et tous d’y assister. On commence à avoir l’habitude.

Au-delà de sa taille plus réduite, cette salle présente surtout un box vitré pour les prévenus à risques, ce que ne semblent pas être ceux du jour qui échappent donc au bocal.. Des adolescentes sont là qui effectuent sagement leur stage de 3e sur des tables placées devant Monsieur le procureur.

Les juges entrent, prétentieusement solennelles, et on se surprend à se lever, mémoire musculaire de la déférence un peu lâche que l’on a incorporée malgré nous pour l’institution. De toute façon, la dizaine de policiers qui encadrent les presque deux cents personnes du public est là pour nous rappeler à la règle si l’on a le malheur d’y déroger. « Veuillez-vous lever ».

Pour commencer, la présidente nous informe que tous les éléments supplémentaires que la défense à demander de verser au dossier ont été refusés. Parmi la dizaine de requêtes déposée par les avocats, aucune n’a été accordée. Quelques soupirs et grognements diffus se font entendre. La présidente saute subitement sur l’occasion et se lance dans une remontrance outrée et surjouée. Il n’y aura pas un soupir plus haut que l’autre et ça ne se passera pas “comme lors des précédentes audiences”. C’est bien elle, la police de l’audience, grosse ambiance.

Elle poursuit et revient sur les accusations pesant sur les prévenus avant de rappeler la définition juridique du terrorisme et de l’association de malfaiteurs terroriste. On comprend déjà à son ton et à “l’acceptation large” qu’elle propose d’en faire que l’affaire est pliée. Quelques ricanements ironiques et murmures inquiets se font cette fois entendre. Toujours aussi prompte et agité, la présidente menace de suspendre la séance et d’évacuer la salle si elle n’entend pas les mouches voler. Puis un par un, elle annonce aux prévenus qu’ils sont reconnus coupables de l’ensemble des chefs d’accusation. Elle s’attarde sur le cas de Camille et tient à lui signifier qu’elle n’a pas été jugée en tant que “la compagne de” Florian D. mais comme "membre active de son réseau". La présidente fait ici écho à la défense de la jeune femme qui tout au long de l’enquête et du procès s’est attachée à démonter le caractère profondément sexiste et donc aberrant des constructions policières. Le tribunal l’a entendue, c’est parce que c’est une femme libre qu’elle sera condamnée en conséquence. Pile je gagne, face tu perds, magie du double bind. Puis vient le tour de Florian D., principal accusé, maître du mal, mastermind de l’association de malfaiteurs terroriste. Et là, on se souvient que ce que l’on appelle la chaîne pénal c’est d’abord un tapis roulant. La construction policière de la SDAT et de la DGSI est reprise mot à mot par le parquet, puis par les juges d’instruction, par le parquet à nouveau, par l’ordonnance de renvoi, par les juges du siège, encore un petit coup par le parquet pour finalement atterrir dans un jugement et une condamnation. Madame la juge enclenche donc le disque rayé : Florian D. est le cerveau de ce réseau, blablabla, l’élément qui lie tous les prévenus, blablabla, c’est donc le plus coupable de tous les coupables, blablabla. Un mois d’audience et deux mois de délibéré pour ce bégaiement dilatoire.

La colère et la consternation du public se font alors plus sonores, les émotions se contiennent difficilement, la salle s’insurge malgré les remontrances d’une juge définitivement muée en institutrice acariâtre. Une jeune femme explose : “C’était bien la peine de nous faire attendre trois mois pour un jugement qui aurait pu être rendu en trois heures”. Elle est expulsée de la salle encadrée par des policiers qui relèvent son identité. Un petit homme gris de la préfecture note par-dessus leur épaule le nom de la récalcitrante. Il ricane.

Pendant ce temps, la salle continue de manifester son mécontentement, couvrant la voix d’une juge méprisée de tous. Elle se met alors à hurler pour tenter de recouvrir un peu de son pouvoir symbolique. La séance est suspendue, la salle évacuée par la police. La juge sort. Fin de l’acte 1.

L’entracte est tendu. Les policiers intiment au public d’évacuer et, naïfs, s’attendent à être obéis. Comme tout le monde reste, des renforts sont appelés pendant qu’une trentaine de forces de l’ordre encercle consciencieusement les bancs du public en allumant leurs caméra-piétons. Dans le public on se recroqueville par hésitation et anxiété. On se met à tergiverser : faut-il sortir ? tous sortir ? ou bien rester ? ou seulement les familles ? etc. Par chance, les policiers semblent être tout aussi hésitants que le public quant à la marche à suivre. Agrippés à leur radio, ils tentent d’obtenir des instructions claires. Peuvent-ils ou non faire usage de la force pour évacuer le public d’un procès… public ? La présence d’une dizaine de journalistes, les dissuade peut-être de faire trop de zèle.
Pendant ce temps, les avocats tentent d’obtenir une discussion en privé avec la présidente et ses assesseurs. Une greffière s’improvise pigeon-voyageur. La réponse est catégorique, la présidente retirée boude, tout sera définitivement refusé à la défense.

Une guerre d’usure s’enclenche mais conduit à l’évacuation des deux tiers de la salle.

Deuxième acte : Coup de théâtre et mauvais drame

Après plus d’une heure, les juges reviennent. Face à elles, les prévenus, leurs familles et quelques proches. La présidente annonce que l’audience reprend et rembraye : la salle n’a pas été entièrement vidée comme elle l’avait exigé. Avocats et prévenus tentent de la raisonner quant à l’importance que les proches puissent rester. Capricieuse, la présidente annonce que “seuls les journalistes et trois personnes par prévenus sont autorisées à rester, et pas une de plus” et suspend à nouveau la séance. La scène aura duré deux minutes tout au plus. Incroyable.

Durant ce nouvel entracte, quelques intrépides supplémentaires se risquent à rentrer de nouveau et à regarnir les bancs vidés plus tôt. Les policiers semblent toujours plus confus.

Troisième acte : On aurait pu se passer de celui-là

Les juges reviennent. La présidente annonce la reprise de l’audience et constate que presque un tiers de la salle est toujours rempli. De guerre lasse, elle consent à continuer “sinon j’ai l’impression que des gens vont continuer à entrer”. Mais comme la salle n’a pas été assez sage à son goût, elle annonce ses mesures de rétorsion : elle n’exposera pas les motivations du tribunal et va passer directement aux condamnations. Elle se rattrape et précise “ou à l’absence de condamnations”. Faces aux réactions ébahies, elle répond : “eh bah oui, bah c’est comme ça”. Petite vengeance et mesquinerie.

Une à une, les peines sont prononcées, implacables. Elles se superposent presque parfaitement aux réquisitions effarantes du procureur : le prévenu le moins engagé prend deux ans, l’interdiction de posséder une arme pendant dix ans et échappe à l’inscription au fichier des auteurs d’infractions terroristes (FIJAIT). C’est le seul. Tous les autres ont droit à cette nouvelle mesure de surveillance et de contrôle qui prolonge les peines une fois accomplies. Ils écopent aussi de l’interdiction de rentrer en contact les uns avec les autres durant la durée de leur condamnation, l’obligation d’un suivi médical et psychologique du fait de leur addiction supposée à l’alcool (y compris pour l’un d’entre eux… ne buvant pas). Les peines donc : de deux à cinq ans de prison avec du sursis probatoire. Pour ceux dont la préventive ne couvre pas les peines prononcées, la possibilité d’être mis sous bracelet électronique. Pas de mandat de dépôt. Les avocats avaient prévenu avant la reprise de l’audience : au vu de l’irritabilité et de l’agressivité de la juge, il fallait s’attendre à des condamnations plutôt lourdes. Le choc est néanmoins là mais pas pour tous.

Ils sont satisfaits, les policiers dans la salle, souriants et moqueurs. Ils sont satisfaits, le procureur et son assistante, arrogants et toujours plus serpentins. Et malgré leurs airs faussement outrés de l’opprobre générale déclenchée, elles sont satisfaites les juges, d’avoir été le dernier rouage répressif d’un antiterrorisme qui enferme de jeunes gens sans que quiconque n’ait été en mesure de démontrer ni même de supputer quel méfait ils s’apprêtaient à commettre. Car c’est bien cela l’antiterrorisme, c’est bien cela la justice antiterroriste : condamner et punir préventivement celles et ceux que la police et le ministère public estiment a priori dangereux.

Pour relire notre suivi quotidien du procès, c’est par ici.


Vous détestez le lundi matin mais vous adorez lundimatin ? Vous nous lisez chaque semaine ou de temps en temps mais vous trouvez que sans nous, la vie serait un long dimanche ? Soutenez-nous en participant à notre campagne de dons par ici.

lundimatin c'est tous les lundi matin, et si vous le voulez,
Vous avez aimé? Ces articles pourraient vous plaire :