Quand le président de l’université de Rennes débloque

« J’ai décidé de vous donner toute la palette (des solutions possibles contre le blocage) : il y a l’implication physique du personnel dans le déblocage, avec tous les risques de violence qui l’accompagne »

paru dans lundimatin#161, le 16 octobre 2018

Cher lundimatin,

Depuis Rennes, voici un texte rédigé à plusieurs enseignants, personnels administratifs et étudiants de Rennes 2 qui tente d’analyser l’évolution de la stratégie de la présidence de la fac face au mouvement. Après une nouvelle intervention policière et l’organisation d’une opération de communication par voie de presse et via l’organisation d’un plebiscite interne, la situation est suffisamment notable (et probablement assez similaire à d’autre facs) pour qu’on s’y attarde un peu... [1]

En prévision de l’appel au blocage du 9 octobre voté par l’AG de Rennes, Olivier David, le président de l’université de Rennes 2 organisait sa propre assemblée générale. De son aveu, il a passé le mois d’août à réfléchir à cette rentrée : comment empêcher toute forme de contestation de prendre place ? À la suite du mouvement, un retournement stratégique s’opère.

2017-2018 La Division

Au printemps et au début de l’été 2018, la présidence organise la mise en place de parcousup en orchestrant la division. Celle-ci s’opère à tous les niveaux. Entre étudiants, les modes d’évaluations varient. Entre départements et UFR, les pro-parcoursup sont encouragés à mettre en place la sélection, tout en évoquant publiquement son opposition au projet pour rassurer les autres. En réunion publique, Olivier David propose au personnel des journées banalisées pour discuter de la réforme et convoque aussitôt à son bureau les directeurs ou directrices de département qui avaient pris au sérieux cette proposition.

Le personnel biatss souffrira particulièrement de cette disparité. Sans aucun message de leur hiérarchie pendant plusieurs mois, leur sort est lié à la volonté de chacun des chefs de service. S’ils n’exécutent pas les demandes portées par leur direction, la menace est faite que cela soit répercuté sur leurs jours de congés. De nombreuses personnes se trouvent alors à travailler à leur domicile, notamment le week-end. Cela s’effectue par télétravail en dehors de tout cadre légal. Le découplage des directions entre catégories de personnels prend alors tout son sens politique. N’établir aucune passerelle, ne pas fédérer les intérêts. Dans les discours portés par la présidence durant le mouvement et dès cette rentrée, la souffrance vécue par le personnel biatss est imputée aux étudiants bloqueurs, non à la politique managériale de l’université. Des connexions étaient certainement à développer à cet endroit, défendu ni par les syndicats, ni par le personnel enseignant.

2018-2019 L’Union forcée

4 Octobre 2018, la stratégie a changé : faire corps. Rejouer l’union nationale mais à l’échelle de l’université.

L’ensemble des personnels est convoqué. Comme souvent, le président commence par une blague : dans les revendications des étudiants on trouve tout et n’importe quoi, même une critique du glyphosate, voyez-vous ! Rires dans la salle, les spectateurs sont conquis, car il s’agit bien d’un spectacle. L’objectif de la réunion est déjà paru par voie de presse : sortir du « folklore rennais », celui de la contestation étudiante. Le ton devient martial. Il faut à présent constituer un nouveau corps soudé, un corps prêt à « sauver » celui de l’université, « pris en otage » au printemps. Dans cette mise en scène dramaturgique, le président en vient à énoncer les solutions qu’il a envisagées face au blocage :

« J’ai décidé de vous donner toute la palette (des solutions possibles contre le blocage), vous allez voir ce sont des éléments importants : il y a l’implication physique du personnel dans le déblocage, avec tous les risques de violence qui l’accompagne  »

De quoi s’agit-il : s’en prendre aux étudiants, organiser une milice ? Cette union des personnels lui semble à présent la condition nécessaire pour garantir la normalité universitaire, profitant au passage pour masquer les conflictualités internes. Pourrait-il construire cette union avec une positivité ? En exigeant, par exemple et selon les termes usuels dans ce genre d’institution, une augmentation des moyens et des conditions de travail dans l’une des facs les moins dotées de France ? Mais non, le problème est donc toujours ramené à une extériorité : la contestation sociale, l’ag étudiante, les « éléments extérieurs ». Plutôt recomposer un ennemi, construire par la négativité. Le choix est clair.

« L’AG statutaire »

Durant cette réunion, le président s’appuie sur la forme AG pour organiser un plébiscite, consommant l’essentiel du temps dévolu avec un très long monologue prononcé par O. David. Le temps de parole pour la salle y a donc été très court. Juste le temps d’entendre un personnel souhaiter que certains militants soient déjà devant un tribunal. Vu les éloges prononcées par les intervenants successifs, l’un d’entre eux s’est senti obligé de préciser qu’il n’y avait pas eu de concertation en amont. Un dirigeant syndical (FSU) annonce mobiliser ses troupes pour venir en renfort à la présidence dans la confrontation physique avec les étudiants. Enfin, la validation de la motion rédigée par le bureau présidentiel a lieu. Les remarques retenues sont celles allant dans le sens de la présidence. Pour garder une phrase inchangée, il suffisait au président d’en reconnaître la paternité. Au moment du vote, les membres du bureau et le personnel de la présidence investissent les différents amphithéâtres, surveillant les abstentionnistes ou éventuels récalcitrants. Ce n’était pas difficile, sur 500 personnes 470 ont voté pour ce texte qui condamne a priori tout blocage ou toute forme d’action. À aucun moment, un débat n’a eu lieu. Pour ce président, faire une AG c’est donc, donner à 500 personnes le seul point de vue qui serait légitime et organiser la signature d’un texte. Durant la séance, toutes les critiques ont été orientées vers l’AG étudiante pour constituer la légitimité de cette nouvelle assemblée. Face à eux, le président se positionne comme garant des bonnes conditions de travail, après avoir organisé le travail d’une partie du personnel dans l’illégalité. Ainsi pour garantir des conditions de travail normales il fallait souscrire à cette démarche répressive. Comme si les étudiants étaient responsables des politiques managériales de l’université. À quand l’inscription de la défense physique de l’université dans la fiche de poste des personnels ?

Cette réunion n’avait qu’un rôle stratégique. Celui de s’assurer d’un plébiscite par les modalités d’organisation : absence de débats, mise en scène théâtrale du pouvoir, alignements des directeurs et directrices d’UFR mutiques à la tribune, répartition en amphis sans possibilité d’intervenir, surveillance du vote par les membres du bureau de la présidence.

Une majorité à peu de frais est ainsi constituée. L’un des objectifs assumés de cette réunion était de communiquer un texte pour l’extérieur, non de prendre l’avis des personnels ; la motion a bien été rédigée dans ce sens. À un autre niveau, c’est aussi la crédibilité du président, notamment face au ministère qui est en jeu, alors que se dessine la restructuration des pôles universitaires rennais et, qui sait, peut-être un nouveau poste de direction à pourvoir.

Au final, 470 personnes sur 500 ont signé :

« L’ensemble des personnels souhaitent que tous les moyens appropriés soient employés pour continuer à exercer leurs missions d’enseignement et de recherche »

L’idée que cette formulation était un chèque en blanc accordé à la présidence a été la voix discordante de l’AG. Elle n’a pas reçu d’écho.

Curieusement, un tel score est perçu comme valide, non comme le résultat opaque de l’ensemble des processus en jeu pour aboutir à ce chiffre. La consultation des personnels réalisée dans la foulée confirmera cette monstruosité : sur 997 votants, 869 sont pour, 58 contre et 70 ne donnent pas leur avis. Plus que la conviction des votants, ce score renvoie à un mode de gouvernementalité privilégiant la délégation des responsabilités, un reflux du politique aux phases de vote. Comme on pouvait s’y attendre, la grande majorité des votants ne s’impliquera pas ce fameux mardi 9 octobre, encore moins physiquement.

Les effets ont suivi rapidement, le 9 octobre, jour du blocage. Des vigiles sont engagés. Les GM interviennent à 9h30 du matin. Depuis l’élection de ce président en 2016, c’est la 5e fois que GM et CRS interviennent à Rennes 2. À présent, certains étudiants et personnels applaudissent à leur arrivée. Désormais, la présence des forces de l’ordre n’est plus un évènement ponctuel, comme l’a démontré l’écrasement du mouvement contre parcoursup. Elle est la condition nécessaire à l’université, comme tout grand projet qui se fait sans intérêt pour les personnes concernées, et donc souvent contre.

Dans sa mise en scène, cette AG extraordinaire a surtout rendu visible le caractère ordinaire de l’université, la forme politique de cette institution. Cette brutalité organise les services, les rapports entre personnes, les affects, la nature des enseignements. Ce qui a changé à cette AG c’est la manière dont l’information a été transmise sans le filtre des services, des algorithmes, des mails normalisés, des procédures dites techniques. La stratégie du président n’était plus à déduire des manœuvres orchestrées à différents niveaux, comme durant l’année passée. Elle apparaît sous la forme réelle de l’université : hiérarchique, autoritaire, brutale.

La brutalité de cette injonction faite aux personnels, être prêts à s’engager physiquement contre les étudiants, se situe elle aussi dans une série d’actions violentes impliquant des présidents d’université, acteurs ou commanditaires comme à Nice ou Montpellier.

Un groupe d’enseignants, d’étudiants et de personnels administratifs de Rennes 2

Addendum

Pour se faire une idée de la vivacité politique des étudiants rennais depuis de nombreuses années, nous vous conseillons la lecture de ces articles parus dans nos pages :

— Un seau d’excréments sur la tête du président de Rennes 2 (Discours de rentrée 2009) —

— De la grève étudiante à la grève humaine —

[1En complément, l’assemblée organisée par la présidence dont il est question ici a déjà été racontée sur la toile, nous ne sommes donc pas
rentrés dans le détail du déroulement de celle-ci.
Des compte-rendus sont donc lisibles ici : sur expansive.info :
https://expansive.info/A-qui-s-adressait-l-AG-des-personnels-de-Rennes-2-du-4-octobre-1188 et sur le groupe facebook de l’assemblée générale de rennes 2 : https://www.facebook.com/notes/assembl%C3%A9e-g%C3%A9n%C3%A9rale-rennes-2/le-pr%C3%A9sident-de-rennes-2-appelle-son-personnel-%C3%A0-former-une-milice-contre-lag-ex/882107248645806/

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