Qu’est-ce que le despotisme économique ? [1/4]

« L’économie n’est pas une réalité naturelle : c’est une construction politique, sans cesse à reprendre. »

paru dans lundimatin#203, le 6 août 2019

Comme de nombreux confrères, nous profitons de l’été pour vous proposer des feuilletons. Nous profiterons donc de ce mois d’août pour revenir sur le concept de despotisme économique développé par Jacques Fradin. Il s’agira de mieux comprendre l’ordre dans lequel nous vivons, ses logiques, sa mécanique et évidemment, le caractère théologique de l’économie.

Episode 1 : Introduction à la question du despotisme

Introduire le thème du despotisme, par la formalisation de l’affirmation que « nous vivons dans un régime despotique », cela semble grave.
Ne serait-ce que par la liaison qui pourrait être établie avec « le droit de soulèvement » ; droit de soulèvement contre le despotisme, un article central de la constitution la plus « avancée » ou la plus révolutionnaire que la France ait jamais vue, celle de 1793, avec sa reformulation des droits humains.
Il semble, donc, malgré les risques certains, tout à fait important de défendre la thèse du despotisme.
Ou, à l’envers, de critiquer le stéréotype de la propagande selon lequel « nous vivons en démocratie ».

Par exemple, et tout récemment, lors des opérations de restitution des armements par l’ETA basque, il était possible d’entendre : les membres de l’ETA sont des terroristes, l’option insurrection armée, qu’ils ont longtemps privilégiée, n’est ni compréhensible ni acceptable, parce que nous sommes en démocratie. Ces terroristes, qui se prétendent combattants de la liberté (de la démocratie véritable) contre le franquisme continué (sous le nom de « royaume constitutionnel démocrate ») ne sont donc que des criminels.
S’il est autorisé de se soulever, et même militairement, contre la tyrannie, en Syrie par exemple, il est radicalement interdit, car irrationnel, délirant ou fou, de se soulever contre un régime (qui se dit) démocratique.
Et d’entendre le réactionnaire post-franquiste Mariano Rajoy éructer sa haine, au nom de « la démocratie » et contre tous les insensés à enfermer (il y en a, du reste, beaucoup, déjà enfermés à vie).
La guerre civile espagnole est-elle vraiment terminée ? Ou comment se poursuit-elle ?
Voilà des questions décisives que la notion de despotisme économique voudrait éclairer.

On voit donc que la critique du terme de propagande : « démocratie », apparaît essentielle.
Ou, simple réciproque, que l’introduction de la notion analytique de despotisme est également fondamentale.
Introduction de la notion de despotisme et critique du slogan de la propagande (despotique), « nous sommes en démocratie », sont deux faces du même problème (« dans quel monde vit-on ? »).

Cette critique du fétiche démocratique peut se déployer à trois niveaux.

1. Celui que l’on vient d’évoquer : la nécessité de défendre la thèse du despotisme.
Despotisme « éclairé » économique plutôt que dictature, tyrannie ou même que l’attrape-tout « totalitarisme ».
En effet le despotisme est un régime flexible, mobile, fluctuant ou flou : il peut glisser vers la dictature ou le sécuritaire renforcé, ou il peut être doux et aimable, se parer des plus beaux atours de « la démocratie », néanmoins il repose toujours sur le « totalitarisme » de l’économie ou sur l’économie imposée comme religion d’État, sans être en lui-même « totalitaire ».
C’est même ce socle obligatoire (la religion de l’économie) qui permet la flexibilité du despotisme.
Ainsi l’ancien État providence et sa tentative de « limitation », ou, plutôt, de planification de l’économie, en glorifiant toujours cette économie (la croissance sotériologique permise par l’économie administrée), cet État providence était encore un despotisme, un despotisme bienveillant, néanmoins très surveillant. Car la bienveillance se transforme facilement en surveillance.

2. La critique de la propagande « démocratique » recoupe certaines des thèses les plus constantes d’Alain Badiou.
Par ce biais, de la critique de la « démocratie » et du développement de la thèse du despotisme, il est possible de croiser des thèmes de la pensée de Badiou.
Et, peut-être « d’hameçonner » ce philosophe si important. Peut-être de commencer un chemin commun avec lui. Même si, en définitive, il ne se sera agi que d’une errance.

3. Finalement, cette critique devrait permettre de reformuler la critique de l’économie d’une manière plus facile que la manière qu’explore l’ami Jacques Fradin (JF dans toute la suite).
En effet le régime courant du « capitalo-parlementarisme » (Badiou) peut être qualifié de despotisme parce qu’il repose sur un socle incritiquable, qu’il est interdit de critiquer, sauf à être fiché comme insensé, parce qu’il repose sur un socle religieux et, même, théocratique, celui de l’économie, avec ses propriétés sotériologiques supposées.

L’analyse du despotisme opère un double mouvement :
a. Dévoiler le « totalitarisme », l’aspect religion d’État obligatoire, de l’économie. Économie qui est l’infrastructure du système social tout entier, système intégré autour, par et dans l’économie.
À tel point que toute politique « réaliste » ou conventionnelle (électoraliste, parlementariste, qui se dit « démocrate ») n’est qu’une politique de l’économie. [1]
La politique devient politique de l’économie, thèse marxiste reconfigurée, même lorsque cette politique semble être « avant tout », avant l’économie, par exemple.

b. Mais il faut inverser le regard.
L’économie n’est pas un état des choses ni naturel ni fondé sur une mythique nature humaine (nature humaine qui serait portée au commerce, ou serait égoïste ou cupide, ou ne s’occuperait que de ses affaires, etc.).
Enfonçons le clou : l’économie n’est pas une réalité naturelle.
La thèse inverse, l’économie est naturelle, ce serait, comme le travail, un « invariant anthropologique » (renvoyant à LA nature humaine troqueuse ou travailleuse), cette thèse métaphysique du libéralisme économique a été fort malencontreusement acceptée et reprise par Foucault (qu’il convient donc de modifier sur ce point).
En particulier, Foucault n’étudie jamais en profondeur la pensée politique des fondateurs français du libéralisme aussi bien que du despotisme « éclairé » à l’économie, les Physiocrates (1750-1830), les fondateurs (thermidoriens libéraux despotiques) de l’Empire post-révolutionnaire ou de la nouvelle aristocratie napoléonienne des barons de l’économie (qui sera conservée par la Restauration, relire Balzac).
L’économie n’est pas une réalité naturelle : c’est une construction politique, sans cesse à reprendre.

L’État, le politique classique, repose sur un socle qu’il construit lui-même (ou participe à sa construction de manière dominante, souveraine ou régalienne) et dont il tire sa légitimité.
Le politique repose sur l’infrastructure développée de l’économie, du marché, de l’entreprise, du droit de propriété, du droit des sociétés, du droit commercial, de la concurrence protégée, etc.

Cette infrastructure est une construction étatique ; l’État régalien s’occupe des infrastructures.
L’État tire sa légitimité de cette construction (de cette colonisation), pouvant se présenter comme l’État des harmonies économiques (thèse libérale physiocrate reprise par Jean-Baptiste Say, l’idéologue libéral physiocrate de la Restauration), l’État de l’opulence, du bien-être, du bonheur matériel, et bientôt, au second degré, comme l’État du développement économique (thèse devenue dominante au 20e siècle, souvent présentée comme l’idée centrale du « socialisme », restreint à être un développementisme – toujours apporter le bonheur matériel comme base du bonheur moral).
Pour bétonner ce socle posé (et imposé), pour en faire un état des choses indiscutable, l’État doit user de tout son pouvoir régalien, du plus ancien pouvoir, la force militaire pure et nue.
La construction régalienne de l’économie, son imposition comme « réalité », ce que Marx nommait « accumulation primitive », cela est une opération de police menée militairement ou, plus souvent encore, une opération de conquête armée, une colonisation (pour civiliser, rendre libéraux démocrates, les sauvages et les insensés, aussi bien du fond de l’Auvergne que du Congo).

Il suffit de regarder l’Angleterre à l’époque de la révolution française (vers 1800), de regarder la militarisation généralisée de l’Angleterre de ce temps, de se souvenir de la guerre contre « les briseurs de machines » (des ancêtres des Canuts lyonnais), de la guerre sociale et civile qui est camouflée en guerre nationale contre l’esprit de la France (France supposée révolutionnaire – déjà l’anticommunisme et ses imbroglios : poser la France comme patrie de la Révolution mondiale et source de toutes les révoltes sociales, permet de criminaliser les « ennemis de l’intérieur » comme autant d’agents de l’étranger… Alors même qu’en France se déploie la plus féroce répression des « énervés »), il suffit donc de regarder l’Angleterre de la fameuse révolution industrielle naissante pour comprendre ce que signifie le pouvoir régalien de constitution de l’économie. Tous les opposants, les grévistes, les briseurs, les réfractaires, puis les chômeurs et les mendiants, sont déclarés ennemis au service de l’étranger, une cinquième colonne promis au plus bel avenir !
Toute l’histoire sociale depuis, disons, le milieu du 18e siècle, peut se lire en termes d’accumulation primitive recommencée sans cesse, en termes de guerre de colonisation ou de campagne militaire pour soumettre aux impératifs économiques.
Les années terribles, pour toute l’Europe, qui s’étendent de 1800 à 1850, sont symptomatiques de ce que l’on retrouvera partout, l’extermination des Indiens d’Amérique, la transformation violente des paysanneries les plus pauvres en bagnards des mines et de l’industrie (l’industrialisation stalinienne), le ravage de l’Afrique, etc.
L’historiographie montre l’appauvrissement gigantesque qui a toujours été à la base du « développement économique », de l’acculturation aux mœurs étranges et brutales de l’économie.
Appauvrissement stupéfiant qui doit se lire en termes d’éducation, de civilisation, de redressement, d’incorporation des paysanneries archaïques à la modernité des bagnes industriels, ou de dressage, le futur taylorisme, et, toujours, de surveillance policière des classes dangereuses.

D’un tout autre point de vue, purement analytique, la thèse du despotisme a pour objectif de produire une synthèse de plusieurs théories :
Celle de l’École de Francfort, de l’administration totale ;
Celle, Opéraïste, de l’Usine Universelle, de la Social Factory, ou du régime de despotisme d’usine étendu au monde.
C’est du reste de là, plutôt que des Physiocrates, que vient l’appellation que nous défendons, de despotisme économique : c’est le type de pouvoir discrétionnaire, autoritaire, patronal, indiscutable, interne à la fabrique, qui devient le modèle de l’organisation sociale toute entière ; à noter, cependant, que ce pouvoir despotique dans l’entreprise est une transfusion du pouvoir militaire archaïque – la grande guerre signalant cet écho, du militaire au patronal, puis du patronal au régalien, par l’incorporation automatique des patrons comme officiers ; reprendre en détail l’histoire de Lucien Bersot, « fusillé pour l’exemple » le 13 février 1915, solde de l’élimination d’un fauteur de troubles, anarchiste, et simple soldat, par un patron revanchard, profitant de son élévation au rang d’officier pour régler les comptes d’avant la guerre.
Celle de Foucault, du « pastorat » ou de la gouvernementalité.
Le despotisme est le nom que les Physiocrates ont donné à ce que Foucault nommera, bien après, gouvernementalité, libérale ou néolibérale, économique en tout cas.

La spécificité, un peu mystérieuse, du despotisme est qu’il est économique et politique à la fois ; et qu’il est facile de camoufler ce despotisme derrière un drapeau « démocrate » en séparant (ou en prétendant que sont séparables) politique et économie.
Par exemple, la politique serait le règne de l’égalité et de la liberté, alors que l’économie serait le règne de l’inégalité et de l’autoritarisme (au moins du technocratisme). On pourrait, donc, être libre à mi-temps, ce qui n’est déjà pas si mal !
Mais cette séparation politique / économie n’existe pas (le politique n’est pas neutre).
L’État, le politique, est le pouvoir constituant de la machinerie économique ; il institue une économie mécanisée ou automatique (avec le marché supposé autorégulé) et (se) repose sur cette machine ; mais comme toute machine, et surtout les humaines, politiques ou sociales, la mécanique économique instituée présente des défauts de conception, qu’il faut corriger, des failles dans le fonctionnement, des crises mineures ou majeures, et même des pannes, des grèves ou des révoltes.
L’État Grand Mécanicien (et non plus grand horloger !) doit sans cesse veiller à la maintenance. À l’entretien de son sol, fissuré de toutes les manières possibles.
Ainsi l’État du despotisme économique est nécessairement un État de Police (comme on disait à la fin du 18e siècle), un État de Sécurité, voire un État sécuritaire.
Cet État doit user et abuser de son plus vieux monopole archaïque, le monopole de la violence. Il doit abuser de la force armée.
L’économie se construit par la violence : accumulation primitive, colonisation interne et externe, redressement des pauvres et des insensés (les irrationnels qui ne croient pas au bonheur que propose l’économie) ;
L’économie se maintient et est défendue par la violence : accumulation primitive sans cesse à recommencer, extension de la colonisation psychique, « globalisation » par ajustement structurel ou par prédation directe.
Le retour régulier des formes les plus violentes de l’accumulation primitive, de la guerre coloniale interne et externe, de la guerre sociale, se traduit par une guerre civile permanente, plus ou moins tiède, des Versaillais aux fascistes.
Le fait que l’économie soit l’infrastructure du despotisme, mais infrastructure imposée de force, n’empêche aucunement que la politique, l’État du despotisme économique, vienne avant tout.

Il faut tenir les deux choses :
L’économie comme infrastructure (avec toutes les institutions nécessaires, du droit au marché en passant par les entreprises, les sociétés, les multiples administrations de cette économie, etc.) ;
Le politique régalien, comme pouvoir instituant cette infrastructure économique.
Si l’on veut, pour utiliser un vocabulaire à la mode, le néolibéralisme est bien le résultat d’une opération politique, d’une politique de constitution du social en entier par l’économie (le modèle de l’Usine Universelle constitutionnalisé par la construction européenne).
Néanmoins, ne commettons pas l’erreur de Foucault, le néolibéralisme n’est pas une nouveauté, il renvoie au libéralisme le plus ancien, celui des Physiocrates. Ces libéraux offensifs, « constructivistes », pensait bien l’économie comme la solution politique de tous les maux de la société.
Et un « anti-constructiviste » déclaré, comme Hayek, est mené à des contorsions difficiles (au point de plagier Marx !) face à l’idée intenable que l’économie serait naturelle, spontanée, mais a, cependant, besoin d’être défendue, corrigée, enforcée, etc. Imagine-t-on qu’une loi naturelle puisse être imposée politiquement ? Ce serait une sorte de délire stalinien ! Ou, imagine-t-on qu’il soit possible de créer une seconde nature, une nature économique, disons le règne de la cupidité, comme une nouvelle nature naturelle ? Autre délire, qui manifeste les apories du naturalisme (de la nature, construite politiquement, ou de l’état de la stabilité harmonieuse, reconstitué par la force de la volonté bonne – quelle durée aura cette seconde nature si peu naturelle ?).

Ce pouvoir instituant sans cesse, doit être envisagé à la manière de l’École de Francfort ou à la manière de Foucault :

À la fois comme un pouvoir constructif de pénétration intégrale ; imposant le marché comme la forme sociale dominante unique, formatant les subjectivités nécessaires à l’économie, par l’école de l’économie, l’école du travail, etc. ; micropolitique de l’économie ;

Aussi bien que comme un pouvoir de type absolutiste, lorsqu’il est question de la défense des valeurs économiques, comme la propriété privée ; le despotisme n’est pas un absolutisme (une dictature morale ou religieuse), sauf en économie, où il peut même verser dans l’intégrisme religieux ou le « totalitarisme » ; macropolitique de l’économie. [2]
Le despotisme économique tend donc vers le totalitarisme économique.
Mais cette tendance est sans cesse réprimée ; et fait aussi, sans cesse, retour.
Qu’est-ce qui caractérise la répression de la tendance à l’intégrisme économique ?
Aussi bien les crises, les failles du système, les erreurs de conception (comme la mauvaise conception du système monétaire international, après que les Américains se soient imposés comme « maîtres du monde » libéral démocrate), que la nécessité de cacher la nature intégrale (holiste, totalitaire) de l’ordre économique (censé promouvoir la liberté), ou que la nécessité de continuer à propager le mensonge déconcertant et désarmant de la « démocratie ».

La caractéristique la plus intéressante de ce régime du despotisme économique est, pour employer un terme à la mode, de Catherine Malabou, sa plasticité.
Tout le monde sait que le capitalisme se caractérise par ses capacités proprement extraordinaires d’adaptation, de flexibilité, d’innovation ou d’auto-transformation. C’est même un marronnier de la propagande économique.
Cela s’étend au régime politique de l’économie, au despotisme économique donc.
Néanmoins, et cela devrait être analysé en détail, aussi bien pour l’économie que pour son protecteur régalien, la plasticité a des limites.
Ainsi si l’économie est plastique, flexible, elle reste cependant toujours organisée autour de points d’ancrage « inflexibles » ; ce pourquoi, par exemple, on peut parler d’économie (du) capitalisme, malgré les formes variables, nationalement ou autres, qu’elle peut prendre.
L’économie possède une structure rigide ou indéformable, celle de la mesure monétaire comptable ou des évaluations généralisées, avec les appareillages constants (et anciens) de la mesure, comme le marché, l’entreprise et son profit comptable, le système monétaire, etc.
Ainsi si la couverture politique de l’économie est flexible, le despotisme pouvant glisser de l’autoritarisme au libéralisme (au sens américain ou politique), comme le Second Empire français, quitte à revenir au militarisme, d’une conquête coloniale ou d’une guerre civile et, alors, à glisser vers le fascisme, la flexibilité politique est encore plus limitée que celle de l’économie, puisqu’elle est tenue par la promotion et la défense de l’économie.
Tout politicien normal est un macron.
Même un régime aussi « insensé » que la (dite) tyrannie stalinienne doit être analysé comme un glissement possible du despotisme lorsque les conditions de l’accumulation primitive sont « extraordinairement complexes » ; l’industrialisation accélérée (pour des raisons militaires ou de peur, la guerre ne cesse pas) étant une reprise, en accéléré donc, de la constitution séculaire de l’économie, au 19e siècle, en Europe et aux États-Unis d’Amérique, ne pouvait qu’exiger un pouvoir politique autoritaire capable de faire face au chamboulement forcé (mode durci du despotisme qui fera école dans nombre d’États fascinés par l’économie accélérée – et économie accélérée à la crise accélérée). Cette industrialisation forcée posant de difficiles problèmes « de gestion » (politique) au Grand Mécanicien, titre que, curieusement, Staline n’a jamais revendiqué, sa modestie de Grand Père (ou de petit père) ne le portant à revendiquer que des titres plus modernes : le plus grand savant, le plus grand poète, etc.

[2Nous sautons allègrement par-dessus une grande quantité de choses tellement connues qu’il semblerait honteux de les rappeler. Ainsi le financement public militaire de la recherche et du développement (qui occupait tant les militants anti-nucléaires dans les années 1960).

Ne citons qu’un héros de cette époque, Noam Chomsky, et prenons un de ses ouvrages un peu au hasard, Guerre Nucléaire et Catastrophe Écologique, entretiens, Agone, 2014 :

« À partir de l’immédiat après-guerre, le financement de la recherche par le Pentagone a été un instrument central du gouvernement pour jeter les bases de la future économie high-tech : ordinateurs, internet, microélectronique, satellites, c’est-à-dire la révolution des technologies de l’information. Après plusieurs décennies de financement par le secteur public, les résultats ont été cédés aux entreprises privées pour qu’elles les commercialisent et fassent des bénéfices. À partir des années 1970, le rôle de bailleur de fonds a été transféré du Pentagone aux institutions liées à la biologie, notamment les NIH, le service public de santé. L’armée était le débouché naturel d’une économie fondée sur l’électronique. Dans les années 1960, les petites start-up qui avaient incubé au MIT étaient des firmes électroniques qui, en cas de succès, étaient rachetées par Raytheon et d’autres géants de l’électronique. Aujourd’hui les start-up font de l’ingénierie génétique, des biotechnologies, etc., et le campus est cerné par les équipements gigantesques des firmes pharmaceutiques. Les nanotechnologies, c’est-à-dire la recherche scientifique et l’ingénierie à l’échelle nanométrique, sont un domaine de R & D en pleine émergence et financé par l’État fédéral, qui débouche sur des applications dans les matériaux, la production de biens d’équipement, l’énergie, la défense, les communications et la santé. » (p. 37)

C’est toute la thèse du « capitalisme monopoliste d’État » qu’il faudrait réécrire. Ce que l’on nomme néolibéralisme n’est-il pas le capitalisme oligarchique d’État ? Ce monde féodal nouveau que nous tentons de faire penser au moyen de la notion de despotisme.

lundimatin c'est tous les lundi matin, et si vous le voulez,
Vous avez aimé? Ces articles pourraient vous plaire :