Nahel, coeur illégitime, corps nuisible

paru dans lundimatin#390, le 6 juillet 2023

Le jeune gars est mort, 17 ans.

Le flic assassin a-t-il dit « tu vas te prendre une balle dans la tête »,
ou son collègue a dit, ou un des jeunes à Nahel dans la voiture… ?
dans tous les cas il demande pardon.

Il tue, de sang froid, ou chaud, et demande aussitôt pardon.
Il tue, d’une balle tirée à bout portant, et « pardon ».

Le chef suprême dit « inexplicable et inexcusable ».
Il faut être président de la république pour dire « inexplicable et inexcusable »,
pour sauver l’assassin et préparer le pardon.

Quand bien même serait-il condamné, enfermé, détenu de longues années,
l’assassin sera pardonné,
il aura eu un bref moment, très bref, si bref, - la vie d’un jeune garçon de 17 ans
est tuée d’un coup si bref -
un moment si bref d’incompréhension, inexplicable pour le président.

Que faut-il comprendre en effet ?
Que ce flic, « exemplaire » dit sa hiérarchie, décoré, primé, distingué par Lallement
vaillant préfet, père de famille, etc,
a eu soudain un égarement, une saute d’humeur, un coup de grisou psychique,
comme beaucoup qui, pour des raisons inconnues, inconnaissables sinon après coup,
et encore, butent leur voisin ou un jeune qui « fout le bordel » sous leurs fenêtres.

Un flic, finalement, c’est quelqu’un d’ordinaire, qui peut péter les plombs,
comme n’importe qui en surchauffe, la surchauffe étant la condition atmosphérique générale, qui crame les cerveaux, et quand on possède un flingue,
d’un usage légal, crame celui des autres.

« Les conditions n’étaient pas réunies » pour l’usage de son arme, la bavure donc, « inexplicable » de la part d’un flic qui connaissait par cœur la règle de l’usage des armes.

Ce qu’il ne connaissait pas par cœur, c’était la nature de sa pulsion soudaine,
« inexplicable ».
Nahel Merzouk, franco-algérien, aurait reçu des coups de crosse de révolver
avant d’être abattu à bout portant, et c’est « inexplicable »
mais bien sûr « inexcusable ».

Ou bien au contraire, connaissait-il par cœur, au fond du fond de son cœur,
sa pulsion raciste, l’assassin qui demande pardon à la famille ?
Se demande-t-il maintenant, sous les verrous, s’il aurait agi de la même façon avec un jeune blanc, bien de chez nous ?

On ne sait pas, il ne sait pas non plus peut-être, peut-être.
Ce qu’il doit savoir, c’est que les deux syndicats de policiers, comme un seul homme,
se sont déclarés à l’occasion « en guerre contre les nuisibles ».

Il ne peut pas ne pas le savoir, il a 38 ans, toute sa tête, ancien militaire,
rompu au langage guerrier qui désigne maintenant, clairement,
l’ennemi comme « des nuisibles ». Il baigne dans ce bain depuis 10 ans.

Il sait peut-être, peut-être pas, que ce langage était celui des nazis :
Heinrich Himmler, chef des SS le 24 avril 1943 devant les hauts responsables de la SS à Kharkov, en Ukraine : "Il en va de l’antisémitisme comme de l’épouillage. Détruire les poux ne relève pas d’une conception du monde. C’est une question de propreté. De la même manière exactement, l’antisémitisme n’a pas été pour nous une question de conception du monde, mais nous n’aurons bientôt plus de poux. Nous n’avons plus que 20 000 poux et, après, toute l’Allemagne en sera débarrassée."

S’il le sait, comment peut-il être pardonnable ? S’il ne le sait pas, en quoi serait-il plus pardonnable ? Est-ce la stratégie de son avocat de lui souffler l’humilité, l’acte de contrition, d’endosser le statut de victime repentante ? Victime de lui-même ? de sa propre pulsion raciste ? de la tension insoutenable de son métier ?

Le racisme existe-t-il seulement pour lui ? Ou bien n’est-ce qu’une question de « propreté » ?
En effet, le racisme est une question de propreté, pour les racistes, pour lesquels la propreté en question n’est pas raciste, n’est pas même une question, mais une évidence.

La bavure d’un seul innocente tout le corps policier, d’ordinaire. Mais cette fois, tout le corps policier, ses représentants mais la base « ulcérée » pas moins, vole au secours de l’innocente victime qui demande pardon, victime des « nuisibles », des « hordes sauvages ». Tout le corps policer déjoue et sape, d’une seule déclaration, la défense de la victime individuelle prise dans le débordement d’une tension insupportable face aux « nuisibles et hordes sauvages ».

Tout le corps policier déclare, haut et fort, que c’est un problème structurel, non pas le racisme de la police, mais l’infection par les « nuisibles ». Sédition ? Chambre d’écho des ordures d’extrême droite tant attendus au tournant des prochaines élections ? Stratégie de la tension pour une « montée aux extrêmes », avec milices auxiliaires infiltrées parmi les émeutiers ? Patiente et opiniâtre installation de la guerre civile en leur faveur ?

Nahel avait 17 ans, il s’est pris tout ça en pleine gueule, en plein cœur, après tant d’autres comme lui. Et le policier-victime-assassin demande pardon. Et Nahel va mourir une deuxième fois, sous les coups posthumes portés aux « nuisibles et hordes sauvages », qui commettent toutes ces « violences urbaines » en ce moment à cause de Nahel qui refusa d’obtempérer.

45000 policiers-victimes-assassins potentiels déployés pour faire face ce soir, bravement, désinfecter le corps social, préparer les représentants définitifs de la propreté à prendre le pouvoir qui leur revient légitimement, par les élections.

La violence légitime demande pardon en son monopole pour poursuivre ses effets et soigner ses criminels pris sur le fait, capturés dans leur propre image saisie malgré eux par une vidéo sans laquelle il ne se serait rien passé.

La violence légitime du président enfonce son clou, en « réponse graduée », martèle à qui mieux mieux pour planquer le bruit de fond de sa panique, temporise sur l’état d’urgence.
Elle mesure que tout peut péter de manière incontrôlable. Mais au moins elle aura déroulé en grand le tapis rouge, pour les souliers vernis et escarpins gardiens de la propreté.

Les poux, les nuisibles et les hordes sauvages ne seront jamais légitimes, ils sont malpropres et impropres, couverts des crachats de la police et des ordures racistes militantes, entretenus dans la misère.

La chienlit, qui refuse de faire avec le président le tour du Vieux-Port de Marseille pour honorer les 10 offres d’emploi.

La vermine, qui pète les vitrines de ceux qui s’offraient comme leurs employeurs.

Les cafards, qui pillent tout ce à quoi ils n’ont pas droit d’habitude.

À quand le retour des bourgeois crevant, de la pointe de leur parapluie, les yeux des émeutiers morts gisant dans les rues ? Des émeutiers ? Non, de la souillure !

Patrick Condé
Photo : Serge D’ignazio

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