NTBLR [2/ ?]

Robin Garnier-Wenisch

paru dans lundimatin#316, le 6 décembre 2021

Mamlamaire est passée aujourd’hui. C’est qu’il devait y avoir une décoration à remettre à je ne sais pas qui au nom de je ne sais pas quoi, un bout de machin vaguement brillant et bien découpé comme un flocon de neige. Un gentil flocon suspendu par un bout qui se balance et se soulève à mesure que bat le cœur du je ne sais pas qui sur qui ce gentil flocon sera venu se poser, c’est donc qu’il y a bien de l’espoir pas vrai ?

Non je dis : « y’a donc de l’espoir pas vrai ? »

Ben si…

Ben si, voyons, pour que ça se soulève, pour que ça danse ce gentil petit flocon c’est bien que là-dessous, sous l’uniforme du je ne sais pas qui, faut bien se douter que c’est qu’il y a bien un bout de petit téton tout doux et que sous ce petit bout, sous ce petit machin tout tendre et tout gonflé par le froid, la friction du tricot de peau et sans doute aussi le côté un peu érogène de la chose, sous ce petit téton bat un joli p’tit cœur. Un joli p’tit cœur de je ne sais pas qui, tout gonflé de fierté et de bonheur à s’en exploser les coutures tellement que c’est le plus beau jour de tous les plus beaux jours de toute sa plus belle la vie. Plus beau que poser un pied sur la terre quand les autres le posent sur une merde ou sur une mine, plus beau que la Castille, que la prise de la Bastille, ou que la crise de la pastille. Il bat ce petit cœur de je ne sais pas qui, il bat le rythme de ceusses qui se battent pour que d’autres aient encore la liberté de se battre, enfin tu vois le genre merde.

Pis de toutes les façons la place est bouclée, elle est bouclée par un cordon de sécurité de la garde républicaine. La place est ceinturée, la place est un bidon qui dépasse et qu’il a fallu circonscrire, nasser par un cordon de sécurité constitué de gardes républicains : de keufs ? Oui, de keufs.

Habituellement, la place est un bidon sans genre, un bidon non-binaire d’identités multiples, la place est un bidon grumeleux pavé de bonnes et de mauvaises intentions. La place est habituellement une place traversante et traversée, mais aujourd’hui la place est circonscrite. La place est entourée de keufs qui se tiennent si près les uns des autres que ça fait comme si l’horizon toussotait en ce matin-frigo de mois d’octobre.

Ça fait keuf-keuf-keuf-keuf-keuf.

La place toussote dans le soleil qui se lève derrière les nuages gorgés de flottes qui pissent à qui mieux mieux sur les calots des keufskeufs qui se serrent encore plus les uns contre les autres pour circonscrire la place. Tout pleins de corps qui se collent et qui mouillent pour laisser la place nette à Mamlamaire, sa décoration et son décoré qui patiente le menton grave à côté de la giga pierre tombale tombée-là pour célébrer celleux qui sont tombé·e·s et tomberont encore tant qu’il y aura des médailles à remettre et des cordons qui ceinturent.

Chez les punkach’ en revanche c’est la grogne depuis le toutou jusqu’au maimaitre : c’est la grogrogne... La grogrogne de s’être fait d’un seul coup apachiser par les cow-boys de la municipale qui se sont fait un plaisir ce matin de radiner à coup de pneus qui crissent dans les parterres de plantes vertes. La grogrogne d’avoir été déplaçé·e sans sommations vers d’autres pâturages en attendant que le flocon se pose parce qu’il ne faudrait pas faire tache dans la jolie photo de famille. La grogrogne de pas pouvoir vivre dans le bout de territoire-réserve qui leur avait été réservé. La grogrogne de pas être sur la photo de famille.

Alors, comme par un ultime geste de provocation et parce qu’il restait sans doute un peu de jus dans le spray, un·e des punkach’s, avant que la marée chaussée ne débaroule, est allé repasser bien consciencieusement les lettres déposées la semaine d’avant sur le mur fraîchement repeint.

Et ça, on peut dire que même si ça faisait ton sur ton en termes de message, ça, on peut dire que ça n’aura pas plu du tout du tout du tout. Et pourtant on aime les sprays sur les murs, qu’on se le dise, on est ouvert, merde on est quand même du bon côté du guidon. On est ouvert, pensez on est mêmes ouvert. e. s c’est vous dire. On le bosse le volet social, on y croit à mort au volet social. Non les trucs de street art et de graffiti on aime bien hein. On kiffe, on kiffe à donf ! Ahah ! On est vraiment à donf dans le keutru ! On pige grave le langage de la street.

Mais il faudrait aussi se comprendre, y’a un temps pour tout.

De toutes les façons l’heure n’est pas à la bamboche antimilitariste, l’heure elle est grave, l’heure elle est solennelle, c’est pas le moment de venir y semer du trouble dans cette heure. On est là pour monomorer pas pour commémorer tu vois le genre ? C’est comme, imagine-toi un peu, c’est comme pour les soirées d’intégration, les mariages et les vernissages : l’heure elle n’est pas au mélange, elle est à l’entre-soi.

Voilà, le mot est lâché, c’est de l’entre-soi, entre moi et moi, mais pas entre nous c’est la vie qui s’enfuit qui s’en fout. Entre nous c’est déjà une personne de trop dans la monomoration, une personne de trop pour venir poser un flocon sur cette poitrine blanche dans ce pays sans neiges. Une personne de trop dans le portrait de famille.

Oublie ces histoires de familles,

Oublie la famille.

Robin Garnier-Wenisch

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