Post-Scriptum

(Le journal impossible)
Emmanuel Thomazo

paru dans lundimatin#327, le 21 février 2022

1er février 2022

Désire donc, par-delà, comme si c’était la première fois.
Désire donc, par-delà, car en politique comme en amour, c’est l’énergie du désir qui mène ta barque.
Désire, d’autant plus que la mort, ou son idée, étrangère et intime, encore et toujours, rôde au plus près de toi.

Le désir, que désirer te comble ou te tourmente, ne doit pas te lâcher d’une semelle, pas une seconde.
Il n’est d’expérience que partagée, et c’est la rencontre qui suscite ce partage, qui incite à la recherche d’un objet commun du désir.
Rien à voir avec la pornographie statistique et policière qui exprime ce qu’elle expose, rien, rien d’autre que le silence assourdissant du désir tué dans l’œuf, rien d’autre que des pulsions télécommandées.
En politique comme en amour, le désir seul crée l’étincelle qui incite à l’action comme à la déclaration.
Mais la seule chose qui importe, en fin de compte, c’est d’acquérir et de transmettre l’art de susciter et de faire durer le désir.
Car cet art ne tombe pas du ciel, nul ne nait avec, c’est le fruit d’une vie qui ne se satisfait pas de ce qu’on lui jette en pâture, granulés de synthèse dans nos assiettes jetables, images de synthèse sur nos écrans faussement tactiles.
Désire donc, par-delà, comme si c’était la première fois.
Et, surtout, cesse de t’embarrasser de préambules et de tergiversations qui ne mènent nulle part.

2 février 2022

« Nous pensons que notre volonté fondamentale de détruire les illusions protège nos actions dans un monde où la dissolution de tous les repères sociaux se double du perfectionnement continuel des systèmes de surveillance et de répression. » (Bernard Noël – Monologue du Nous).

3 février 2022

Un petit bonhomme suspendu entre terre et ciel
Pilote
Une grue aux couleurs nationales
Qui érige l’armature d’un immeuble hypermoderne
Où nos enfants
Vivront demain des vies qui ne leur appartiennent déjà plus.

Des oiseaux traversent un nuage acide
Et leurs squelettes tombent comme des illusions perdues
Dans l’eau noire irisée du port
Où mouillent amarrés de manière lâche
Croiseurs, sous-marins et destroyers.

Les masques chirurgicaux aussi tombent et jonchent
Les quais où le vent totalitaire balaie tout sens figuré
Et nous laisse désemparés face aux formules creuses du sens propre.

Rien n’a changé, tout est identique,
Il y avait un monde avant,
Il n’y aura pas de monde d’après,
Maintenant continue comme si mémoire et utopie étaient
Lettres mortes.

4 février

A moins de réinventer l’art de susciter et faire durer le désir.

Illustration : Sébastien Thomazo

lundimatin c'est tous les lundi matin, et si vous le voulez,
Vous avez aimé? Ces articles pourraient vous plaire :