NTBLR [1/ ?]

Robin Garnier-Wenisch

paru dans lundimatin#315, le 29 novembre 2021

Trois voitures garées sur les pavés, trois voitures blanches avec le logo de la ville peint dessus. Trois voitures blanches avec l’avant tout fuselé et l’arrière qui s’élargit presque à la taille d’une personne debout. Des arrières de voiture blanche de la ville conçue pour que le corps entre, mais qu’il ne tienne jamais droit, qu’il reste courbé toujours au niveau de là ou le corps naturellement devrait plier. Des arrières de bagnoles qui te tuent le dos au niveau des lombaires. Des arrières de bagnoles conçus par des mecs avec des stylos numériques sur des tablettes numériques dans des open-spaces tout blancs.

Des mecs tout blancs sur fond tout blanc avec des vêtements tout bleu bien sombre comme le fond du fond de l’océan. Des mecs tout blancs qui font des dessins au trait avec des stylos numériques qui savent imiter le pinceau ou le crayon de papier et même (c’est surtout ça finalement le comique de la situation) des bombes de peintures. Des mecs tout blancs qui dessinent des arrières de bagnoles dans lesquels ils iront jamais foutre les pieds. Ils dessinent des arrières de bagnoles pour que d’autres aillent se niquer le dos à se tordre pour entrer dans ces arrières. Des arrières de bagnoles pour ranger le matos nécessaire quand la ville veut que ça dégage. Quand la ville veut que ça dégage elle envoie les voitures avec son logo dessus direct sur la zone ou c’est qu’il faut que ça dégage et que ça dégage fissa parce que surtout on ne veut pas que ça reste « en l’état ».

En l’état ça veut dire comme c’était quand le soleil est venu révéler les grandes lettres peintes en noir, des fois en rouge ou en fluo (ça doit dépendre des arrivages au magasin de bricolage), mais cette fois-ci en noir. Des grandes lettres qui se sont dessinées dans la nuit, qui on poussées dans le noir comme des champignons. Des lettres comme celles que l’école de la république t’a appris à faire pour que tout le monde puisse bien les lire. Des lettres bâtons en majuscule bien droite qu’on dirait presque qu’il a fallu que quelqu’un tienne une règle à côté du débit de la bombe pour que ça fasse des trucs aussi droits. Des lettres qui ne tremblent pas, qui ne traduisent pas la peur, ni le froid, ni la colère quand elle est à son paroxysme et que les jointures des mains seraient presque prêtes à péter en serrant si fort le métal de la canette. Des lettres tracées tellement vite et bien que tu n’en as rien eu à foutre du reste, de l’orthographe, du sens, de la distance qu’il te restait sur ce mur avant d’arriver sur une fenêtre, du recul nécessaire pour bien tout voir en un coup.

Et alors ça on peut dire qu’on ne manque pas de recul, en plein milieu de la place dis donc !

Du coup quand le soleil, ce gros bâtard, est venu raconter à tout le monde ce qui avait été écrit sur le mur de la place, la mairie s’est dépêchée d’envoyer trois voitures pour que ça ne reste surtout pas « en l’état ». De ces voitures sont sortis des gars et des meufs de la mairie, des agent·e·s de la mairie qu’on dit. Des agent·e·s qui sont allé·e·s se niquer le dos à l’arrière des voitures élargies suffisamment pour y faire tenir les produits qui schlinguent un max, mais pas des personnes. Des produits qui schlinguent, pensés par des mecs qui schlinguent, dans des bureaux qui schlinguent. Des produits qui ne font pas exprès de schlinguer parce que ce n’est pas ce qu’on leur demande, ce qu’on leur demande c’est de recouvrir les lettres capitales dessinées sur les murs des places d’où on a le recul nécessaire pour voir que ces lettres forment des mots tout pleins.

Des produits qui schlinguent parce qu’ils contiennent toute la merde chimique nécessaire pour recouvrir, dissoudre, fondre, atténuer. Tout ça pour que tout ça ne reste surtout pas « en l’état » ou plutôt tout ça pour que tout redevienne « en l’état ». En l’état de ce que c’était avant. Avant quoi ? On ne sait pas, on s’en fout, c’est pas vraiment un vrai souvenir, c’est plutôt qu’il faudrait pas que n’importe qui se mette à prendre les bâtiments des places pour des genres d’ardoises.

Des voitures de la mairie qui se sont garées tout près du mur-ardoise, pour que les badauds badass ne se mettent pas à lorgner dessus. Des voitures qui se sont garées tellement près que les mecs et les meufs de la mairie se sont retrouvé·e·s presque coincé·e·s entre le mur et les bagnoles le nez sur les grandes lettres capitales. Le nez sur les grandes lettres et dans le produit qui schlingue qu’il fallait mettre à toute vitesse pour que tout redevienne « en l’état ». Iels avaient écrit « en l’état » dans leurs bureaux, des bureaux qui doivent ressembler aux mêmes bureaux que ceux des mecs en blancs et des mecs qui schlinguent. Des bureaux pleins de bureaux de gentes qui te prennent des décisions dans lesquelles iels mettent des mots comme « en l’état » pour que les gars et les meufs de la mairie aillent ensuite exécuter ce qu’on leurs à dit de faire en se collant le pif dans de la bonne grosse peinture qui schlingue.

Alors iels ont peinturluré à l’abri des regards, derrière leurs voitures de la ville, au petit matin. C’était pas facile de bosser avec les bagnoles dans le dos serré si près que t’as pas le droit d’avoir pris du bide pour passer pépère. Iels ont repeints par dessus pour remettre en l’état et que tout continue comme si de rien n’était. Pour que personne voit que quelqu’un un jour à écrit sur le mur d’un bâtiment de la mairie, sur une place d’où on avait pourtant le recul nécessaire pour lire ces lettres bâtons qui formaient les mots : « NIK TOUT BRÛLE LE RESTE »

Non mais ça c’est pas possible, c’est franchement pas possible d’écrire des trucs pareils à la bombe en pleine nuit, aussi grand, sur une place bien dégagée, sur un mur d’un bâtiment, un bâtiment de la mairie en plus et puis même franchement si c’était que ça… Non mais faut voir aussi l’orthographe, faut voir le message je veux dire qu’est ce que c’est que ce truc nihiliste là… Non mais nous on est là, on fait des efforts, on essaie de les comprendre. On essaie de les comprendre. Alors. Si, non, si justement on essaie de les comprendre et je vais vous dire. Je vais vous dire moi je les comprends ces jeunes. Non parce que ce sont des jeunes, c’est pas le club du troisième âge qui est allé nous pondre - pardonnez mon language - mais nous pondre une merde pareille. Ce sont des jeunes, les jeunes là qui traînent, ils sont d’ailleurs pas tous si jeunes que ça, parce que faut voir aussi ce que nous racontent les agents de la municipale hein, c’est souvent quand même aussi des gens plus si jeune que ça et quand même bien amochés. Je vais vous dire, ça à la municipale ils ont du mérite parce que c’est pas tous les jours facile-facile aussi de mettre de l’ordre là-dedans. C’est des jeunes et des pas si jeunes que ça qui passent le plus clair de leurs temps à traîner sur la place. Ils trainent, ils traaaaaiiiiiiiiiiinent je vous dit. Ils sont là et ils traînent et ne pas vouloir le reconnaître c’est ne pas comprendre que c’est un vrai problème pour la municipalité et aussi pour tous les habitants. C’est devenu un enfer cette place, plus personne. C’est bien simple, demandez autour de vous, plus personne ne veut en entendre parler de cette place. Pourtant elle est bien située, elle est idéalement située. C’est pas compliqué, si je devais, je veux dire non mais si la municipalité voulait, on pourrait faire quelque chose de très très classe. Un truc d’enfer, non vraiment sensass avec quelques billes qu’on mettraient dans le projet. Non mais rien qu’un truc, une terrasse avec un food-truck, pas quelque chose de délirant non plus mais un truc sympa avec un peu de rond, en faisant confiance aux bonnes personnes et on pourrait déjà métamorphoser l’espace et en faire quelque chose de vraiment très chouette. Mais ça c’était pas possible avant, non mais on sort quand même de plusieurs décennies d’années noires il faut dire. Non, je veux pas non plus avoir l’air de casser du sucre sur le dos du truc mais faut quand même dire que bon ça n’a pas toujours été facile. A croire, c’est pas compliqué, écoutez, à croire que de toutes les façons il n’y avait rien à faire. On regardait cette place comme une anomalie en se disant qu’il faudrait faire quelque chose et personne ne levait le petit doigt. C’est pas compliqué, de toutes les façons dès qu’on arrive en période pré ou post électorale il n’y a plus personne. Alors vous pensez, s’occuper du problème des jeunes qui traînent sur la place…

Non… Mais… Non, mais je dis “problème” c’est pas un problème. Je veux dire, enfin si, je m’excuse, non mais merde, je m’excuse mais si quand même un petit peu un problème cette histoire parce que je ne connais personne. Et vraiment j’insiste demandez autour de vous hein, je ne connais personne qui ne se sente pas un peu en danger ici. C’est pas non plus une zone de non-droit, non c’est sûr, mais enfin, si on n’y prend pas garde ça pourrait le devenir. Non mais, c’est sûr… Alors, oui là, pardon c’est sûr… Si vous prenez vos grands airs, non mais oui d’un seul coup tout le monde… C’est pas compliqué… Non mais oui, alors… AHAHAHAH… Non mais je me marre ! Mais alors, avec vous, c’est sûr que tout le monde est fasciste ! Mais vous vous entendez un peu ? Mais vous êtes ri-di-cule… Fasciste, non mais traitez-moi de nazi pendant qu’on y est ! Allez-y, ne vous gênez surtout pas ! Je vous rappellerais quand même que mes grands-parents étaient dans le Vercors ! Oui ben je suis pas sûr que ce soit le cas de tout le monde ici ! Non mais, non je n’insinue rien, mais enfin… Non ben c’est sûr que vous… Non mais avec un nom de famille pareil ! Ah ! Oui ben non mais désolé ! Oulala, pardon mais je vous ai peut-être blessé ? Oh mais non, mais je voulais dire, comme vous supposiez que j’étais une fasciste non mais je me suis permise de vous rappeler que moi ma famille s’était battue pour la liberté de la France moi. Non c’est tout ! C’est tout… Non, je ne disais pas ça par rapport à votre nom de famille… Mais enfin, ça sonne pas franchement FFI hein ? On est plus du côté de la chemise brune, non mais peut-être que votre famille n’y est pour rien hein. Non mais peut-être que vous êtes arrivés en France pleins de bonnes intentions mais enfin, je ne pense pas que vous vous soyez franchement battus pour la liberté de qui que ce soit ici… Alors vous pensez, vos soupçons de fascisme là, je me marre. Oui, je me marre, parce que franchement, vous êtes drôle ! Non mais c’est vrai que vous êtes drôle à venir me dire à moi… Moi et mes grands-parents, qui ont, je vous le rappelle encore, fait le Vercors. Venir nous dire à nous que nous sommes des fascistes, écoutez ce n’est pas compliqué c’est grotesque et vous êtes grotesque.

Ah parce que c’est un “problème”… Super, ben c’est bien enfin vous le dites… C’est sûr qu’on pouvait avoir encore un doute, mais là au moins maintenant au moins c’est clair. Le masque tombe ! Non mais c’est marrant de se dire quand même que c’est toujours la même chose ! C’est toujours la même chose avec vous ! Vous êtes pas croyables ! C’est dingue quand même de se dire qu’il n’y a qu’à gratter un peu… Gratter un tout petit peu pour que vous perdiez votre masque de bonnes vertues. Vous savez que ça à un nom tout cela…

Oui, oui, tout à fait, je… NOOOON… Non je n’ai pas dit fasciste, je n’ai jamais… Non je n’ai jamais… Oh ben vous pouvez vous marrer hein, mais je n’ai jamais dit que vous étiez fasciste… Ecoutez laissez vos grands-parents en dehors de tout cela, non mais on nage en pleine science-fiction… Mais je n’ai jamais dit que vous étiez nazie, mais arrêtez avec ça, c’est pas possible… Mais c’est vous qui voyez ce truc-là, c’est vous qui en parlez ! Je disais juste que moi ces jeunes je les comprends, c’est pas facile de se faire chier autant dans cette ville ! Alors au moins c’est sûr qu’on est d’accord que personne n’a jamais voulu se bouger, ni la droite… Ni la droite, ni la gauche et je… Comment ça, mon nom de famille ? Mais vous délirez complètement ma parole ? Mais ça va pas de dire des trucs pareils ? Vous êtes pas bien ou quoi ? Mes parents étaient alsaciens chère madame, alsaciens oui, parfaitement. Mais vous savez que vous insultez une bonne partie de ces gens madame ! Mais, et puis d’abord quoi ? Allemand=nazi ? C’est ça ? Mais remballez vos saloperies madame ! On n’en veut pas ici, ici c’est la place publique, vos dégueulasserie de café du commerce vous vous les mettez sous le bras. Mais c’est moi qui me marre chère madame, c’est moi qui me marre parce que vous, vous, vous êtes une imbécile. Oui je suis grotesque, c’est ça, allons-y ! Et bien vous chère madame, pardonnez-moi, mais vous êtes une conne.

Robin Garnier-Wenisch

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