La pornographie titanesque

« mais les choses que nous voyons sont toujours moins »

paru dans lundimatin#486, le 1er septembre 2025

Au cours de l’été, nous avons publié un long article autour de la question du travail du sexe, de ce qu’elle implique politiquement et de la manière dont se polarisent souvent les débats lorsque l’on aborde la marchandisation des corps (dans sa variante sexuelle ou sexualisée). Un fidèle lecteur de lundimatin a souhaité y réagir ou du moins laisser entendre un autre son de cloche.

Éthique ou pas le porn, je ne vois aucune différence. Les petites mécaniques tournent au même régime de croisière, font bien des efforts pour convaincre. La différence m’intriguait, j’y allais voir par curiosité (vous interprèterez : obsédé ou anthropologue sauvage), grandement déçu, c’est kif-kif, les conditions de travail meilleures sans doute et ce n’est pas rien, mais est-ce là toute l’éthique ? Le « contenu » reste si pauvre, si convenu, vu et revu et refait depuis des lustres, si navrant.

Les travailleurs et travailleuses du sexe producteur.trice.s de contenus réclament le droit à l’estime, au travail et au salaire ou à la prestation tarifée, car au lieu de reconnaître, d’inclure, de valoriser, l’État menace, réprime, interdit, sanctionne. Juste combat, rien à redire. Ce labeur est citoyen, comme un autre, ni plus ni moins heureux, car c’est un labeur, et c’est citoyen, la norme, l’égalité par le Travail. La marge, le trottoir, le caniveau, la transgression, torpeurs romantiques dépassées. Finie la vie des hommes et des femmes infâmes à laquelle on relégua longtemps « le plus vieux métier du monde », ils et elles n’ont plus rien à nous dire. Pour l’érotisme, la volupté radicalement opposée au Travail-signifiant Maître, on verra plus tard. Silence, ON baise.

Peut-être cependant en retard d’une guerre ? Voir le sexe amateur, proliférant sur une multitude de sites, caméras ou smartphones au poing pour des millions de vidéos et selfies de par le vaste monde. Des couples se filment en train de baiser n’importe où, ou des groupes s’adonnant à la partouze. Le non-professionnalisme excite parfois, on dirait que c’est plus vrai, donc plus intense, jouissif. Mais non. Car là, tout y passe, du digne et de l’indigne, du nounours à la brutasse, de la pudeur violée à la viande avariée, fantasmes catalogués sur des revues qui traînent dans les chiottes ou halls de gare, éternellement recyclés, les amateurs miment les pros, font souvent mieux bien qu’ils et elles ignorent le plus souvent plaisir et jouissance, quand les femmes (surtout) ne subissent pas violence et emprise. Car c’est la règle qui ne souffre que de rares exceptions : ce porn-là singe l’ennui absolu du si peu d’imaginaire des professionnels de la profession, comme une religion révélée qui s’impose, largement partagée.

Mais il y a plus. Il y a ce qui s’affiche comme « nature », des plages naturistes où l’on baise flasque, la chair à l’abattage, la « gêne » parfois ou fierté discrète, il ou elle regarde furtivement si on les voit, alors que tout le monde mate tout le monde, aux affaires pareillement ou tentant péniblement de s’exciter sur la serviette d’à côté. Le pitoyable culmine à hauteur de dégoût, et l’on pense désormais à Gaza fantasmé en Côte d’Azur - n’en doutons pas : un vrai projet, sérieux, ardemment désiré, tout à fait réalisable où l’on retrouvera les mêmes morts vivants, avachis, puant le néant, la connerie et le fric (plus ou moins abondant). C’est à poil que toute cette misère, qui impose sa loi au monde, révèle sa vérité, d’une violence inouïe.

À hauteur de quéquette et de foufoune tout est pourtant si paisible, on entend la brise et le doux ressac, on déambule au Jardin des délices comme en enfer qui s’ignore, on est en masse, on fait peuple des poils de cul, on a l’ersatz de plaisir généreux, la première jouissance est d’être là, d’en être, à touche-touche, de voir et d’être vu, quant au corps et ses puissances de joie ils ont définitivement disparu, reste la viande à l’étalage. Le « coït comme châtiment » perçu par Kafka est hors de mise, une expérience trop profonde dont ces poupées Barbie déculottées, hommes et femmes, n’ont pas la moindre idée.

Pornographie titanesque des nains de jardin en goguette, pornographie de masse, la vie comme dépliant touristique du cul à cul, bite à cul et autres postures de bestioles repues et archi-blasées, j’hésite entre le mépris et la tristesse, entre la honte de vous transmettre le lien et la décence de le garder, ces images foutent le bourdon et il faut être un brin maso pour les regarder ne serait-ce que cinq minutes. La pulsion scopique, comme dit le savant, m’a terrassé un temps devant elles, comme un voyage en enfer sans guide notoire, seul le rire m’a sauvé, et encore, jusqu’à ce que mon opinion soit faite : le porn professionnel n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan, s’il pense contribuer à l’émancipation, en guerre contre le capitalisme, je lui souhaite bien du courage. Le monde est dominé par la marchandise, c’est-à-dire par la pornographie, serons-nous d’accord là-dessus ?

« … mais il n’y a plus de communication
définitivement aux mains des marchands
mais les choses que nous voyons sont toujours moins
la communication est ce qui se meut
c’est la merde qui nous envahit pas les images
lorsque rien ne se meut c’est la pornographie… »
À bout de, Nanni Balestrini

Cela dit, « Respect aux hommes et femmes de métier ! », ce sera mon dernier mot (j’aurais assumé celui de « putes », repris parfois par celui ou celle qui exerce en revendiquant son écart avec toute norme, mais ce fut au risque de prêter le flanc et légitimer violence, anathème et ségrégation. Les homos se disent eux-mêmes pédés, des prostitué.e.s se nomment parfois « putes », mais c’est leur privilège, quiconque n’est ni l’un ni l’autre n’aurait pas le droit d’user de ces mots,… c’est un autre chapitre).

Après avoir maté comme un pauvre type, je me précipitais vers un sauve qui peut la vie : La maman et la putain d’Eustache, le Décaméron de Pasolini, le Satyricon de Fellini, … et respirais alors un grand bol d’air.

Le lien, que vous n’êtes pas obligés d’ouvrir, mais preuve que je ne délire pas, pas tant que ça : https://fr.xvideos.com/video.iiofkkvd48d/nude_beach_-_scenes_plus_chaudes_du_cap_d_agde

L’Ange noir

lundimatin c'est tous les lundi matin, et si vous le voulez,
Vous avez aimé? Ces articles pourraient vous plaire :