Intérêt limité [1917-2017]

Ce livre est désespérant

Un historien matérialiste - paru dans lundimatin#105, le 23 mai 2017

Cette semaine nous parlerons de deux livres qui n’ont aucun rapport entre eux à part le fait qu’ils sont tous deux d’un intérêt assez limité.

SOS

Le premier livre est SOS de Léonid Andreïev, sorti en mars aux éditions Interférences. Il s’agit d’une traduction inédite de trois articles écrits par l’un des écrivains russes les plus publiés du début du 20e. Le premier article date de septembre 1917 et concerne la mutilation de l’esprit des écrivains sous le tsarisme à cause de la censure : rien de nouveau. Les deux autres articles, datés de 1919, s’adressent à l’Europe qui doit sauver la Russie du démon bolchevik. Ces textes sont délirants et lamentables ; Andreïev les a rédigés juste avant sa mort. Andreïev, comme beaucoup d’intellectuels russes, a soutenu la révolution de 1905 ; il a salué celle de Février ; mais celle d’Octobre et ses suites sont de trop. Il part donc dans un délire mystique sur l’arrivée du mal et la fin de l’humanité, évidemment à cause des bolcheviks. Contrairement à la majorité des livres sortis cette année il s’agit d’une traduction inédite, et non une réédition, mais elle est sans aucun intérêt.

Le mythe bolchevik

Le second livre s’intitule Le Mythe bolchevik, Journal 1920-1922 d’Alexandre Berkman. Il s’agit d’une réédition, sortie en février chez Klincksieck. L’introduction est prometteuse.

« Le cours habituel mesuré de l’’existence est interrompu, les critères coutumiers deviennent inopérants, les précédents antérieurs s’annulent. L’existence est entraînée de force vers des voies inexplorées, chaque action exige une autonomie, chaque détail nécessite une décision nouvelle et indépendante. Le caractéristique, le familier, ont disparu ; la cohérence et l’interrelation entre les parties qui auparavant constituaient un tout se dérobent. Il faut créer de nouvelles valeurs. Cette vie intérieure de la révolution, qui en est la seule signification, a été presque entièrement négligée par ceux qui ont écrit sur la révolution russe. »

Alexandre Berkman (1870-1936) est l’une des figures du mouvement anarchiste américain. Il apprend l’avènement de la révolution russe alors qu’il est en prison à Atlanta, et considère ce jour comme le plus beau de sa vie. Il est expulsé avec 247 autres militants vers la Russie, où il arrive en janvier 1920. Il est un fervent partisan de la révolution et il est prêt à se mettre entièrement à son service. Il cherche donc par divers moyens à se rendre utile à la situation. Mais il arrive trop tard : en 1920 les compagnons de routes du début de la révolution sont de trop. Les socialistes-révolutionnaires de gauche comme les anarchistes subissent la répression des bolcheviks, ou se mettent à leur service.

Berkman essaie à de nombreuses reprises de trouver des solutions pragmatiques à de nombreuses situations absurdes qu’il rencontre mais la réponse est toujours la même ; il faut s’adresser au service compétent ; s’il n’y en a pas, une commission sera nommée pour s’occuper du problème. La bureaucratisation et l’étatisation de la révolution sont déjà partout et ils étouffent l’énergie révolutionnaire. Berkman fréquente beaucoup les divers opposants de gauche aux bolcheviks ; qui restent à Petrograd et à Moscou et qui sont des opposants d’opinion. En effet la majorité des opposants sont encore tolérés à condition de n’avoir aucune intervention politique concrète, même si beaucoup sont emprisonnés pour rien.

Berkman quant à lui erre entre les opposants de gauche aux bolcheviks et les bolcheviks et leurs partisans. Il veut croire à une entente loyale possible, c’est là le coeur de sa position politique et de sa foi en la révolution. Pendant un an et demi il mécontentera tout le monde à ne pas réussir à choisir entre deux camps qui ne peuvent pas composer ensemble. Son journal est assez triste, relatant une longue suite d’échecs prévisibles. Mais Berkman s’acharne : il participe à un travail d’archivage pour le Musée de la Révolution en Ukraine au milieu de la guerre civile, sans pour autant parvenir à rencontrer Makhno.

Il voyage beaucoup, ce qui lui permet d’avoir une vision d’ensemble de la dégénérescence de la révolution. Mais il garde la foi en son idée : l’entente sincère entre tout les révolutionnaires quelques soient leurs opinions. Il découvre finalement l’incarnation de son idée à Arkhangelsk, ville de l’extrême Nord qui vient d’être libérée des Blancs. Sa position très périphérique et sa faible importance économique permettent à cette ville marginale d’être contrôlée par des soviets librement élus. Le président du soviet est un ancien menchevik qui a rejoint le parti bolchevik en 1919. Les soviets sont librement élus mais ils restent sous le contrôle nominatif du parti bolchevik même si ses militants locaux sont moins dogmatiques et étatistes qu’ailleurs et surtout moins surveillés du fait de leur éloignement.

Finalement après l’écrasement de l’insurrection de Kronstadt, Berkman se rend compte que sa présence en Russie ne sert qu’à justifier le pouvoir bolchevik. Il choisit donc de quitter la Russie pour l’Allemagne en janvier 1922. C’est à cette occasion qu’il décide d’écrire ce livre pour témoigner du « mythe bolchevik » dont il fut l’une des victimes. Son livre est assez désespérant, pas tellement par sa description de la dégénérescence de la révolution russe sous l’emprise des bolcheviks que par la naïveté de l’auteur et son entêtement à croire en une coopération sincère entre tous les révolutionnaires malgré la situation. Ce livre est une longue chronique d’un espoir déçu, il ne dresse aucun bilan politique de la situation, ne cherche pas à comprendre pourquoi les bolcheviks ont gagné et pourquoi les autres révolutionnaires ont été réduits à l’impuissance. Non : il déplore seulement l’autoritarisme des bolcheviks et la bureaucratisation de la révolution.

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