« Ils ne puceront pas ! »

ou comment faire tomber à l’eau un projet industriel à 600 millions d’euros

paru dans lundimatin#424, le 15 avril 2024

Du 5 au 8 avril se sonttenus à Grenoble et à Crolles quatre jours de mobilisation contre l’accaparement des ressources par les industriels de l’électronique et contre la « vie augmentée ». Dans le viseur, deux entreprises, STMicroelectronics et Soitec, toutes deux très gourmandes en eau potable (plusieurs centaines de litres par seconde) et ayant des projets d’agrandissement fort conséquents. Une fois n’est pas coutume, le collectif STopMicro dont nous avions relayé les analyses et appels à mobilisation vient de remporter la première manche. Ils nous ont transmis ce petit retour d’expérience, point d’étape des batailles à venir.

Depuis des mois, le collectif STopMicro enchaîne les actions et la préparation de ce week-end. Conférences, tracts, affiches, des dizaines de réunions publiques à travers toute la France, la publication d’enquêtes sur l’électronique locale, la perturbation de la pseudo-« concertation » organisée par ST sous l’égide de la Commission nationale du débat public (CNDP) alors que la moitié de sa nouvelle usine est déjà construite… Et, pour finir en beauté, la semaine dernière une manifestation de 2000 personnes jusqu’aux portes des centres de R&D de ST et de sa maison-mère, le Commissariat à l’Energie Atomique (CEA), des tables-ronde avec des organisations paysannes et enfin un blocage matinal de la Presqu’île scientifique de Grenoble (un récit plus complet est ici).

Deux jours après, mercredi 10, la CNDP rendait publique la décision prise par Soitec le 19 mars :

« Par courrier daté du 19 mars 2024, la société SOITEC nous a informé de la suspension de son projet d’extension sur la zone d’activité économique (ZAE) d’accueil à Bernin (Isère – 38). En conséquence, je vous informe que votre mission de garante et garant est également suspendue jusqu’à ce que le porteur de projet nous informe de la reprise de son projet. »

Avis

À toutes celles et tous ceux qui croient que coller des affiches, bloquer des axes de circulation, manifester, dérouler des banderoles, organiser des réunions publiques, distribuer des tracts, convaincre, diffuser l’information, bref, se mobiliser ne sert à rien : nous venons d’empêcher la construction de deux usines (Bernin 5 et Bernin 6) et la destruction de 11,2 hectares de terres agricoles.

Face à nous, pourtant : le « leader mondial du semi-conducteur innovant ». Soitec produit des semi-conducteurs spéciaux, constitués non de silicium pur mais de couches de matériaux superposés. Des semi-conducteurs très prisés par la dissuasion nucléaire, les « environnements critiques », les smartphones et les batteries de véhicules électriques. (lire à ce sujet notre enquête toute récente).
Ne croyons pas pour autant que notre mobilisation a été seule en cause dans le choix de Soitec : le marché des semi-conducteurs connaît une contraction conjoncturelle. Après deux années de croissance après le Covid, les stocks sont pleins. Ce n’est pas le meilleur moment pour investir. Et encore moins pour se retrouver sous les feux des médias, avec une bande d’excité-es qui livrent vos activités peu morales à la publicité, déroulent des banderoles devant vos bâtiments et manifestent avec des drapeaux et des masques de poissons géants. Cela pourrait incommoder les investisseurs.
Alors Soitec a préféré enterrer son projet préventivement, même si ce projet n’était prévu que pour dans cinq à dix ans, et même si pour l’instant c’étaient les pouvoirs publics (communauté de communes, Isère Aménagement) qui étaient à la manœuvre (nous avions détaillé le projet ici).
Nous vous livrons donc ici la formule mathématique imparable ayant servi à la prise de décision des dirigeants de l’entreprise :

(Grabuge STopMicro + mauvaise conjoncture économique) = opération trop risquée.

On ne gagne jamais seul-e. On gagne parce que nos luttes rencontrent des intérêts, dans des circonstances données. Les puissants modifient leurs projets en fonction de nos actions mais aussi, toujours, en fonction de leurs intérêts propres. Ce n’est jamais purement grâce à une lutte que les choses changent. Mais on gagne quand ce qui n’aurait pas eu lieu sans la lutte advient, car cet évènement advient grâce à la lutte.

Ainsi, ils ne puceront pas ! Pas ici, pas maintenant, pas dans ces champs de blé ! Alors, avis à toutes celles et ceux qui se mobilisent contre l’industrie du béton, contre les mégabassines, contre les mines de lithium, contre les OGM, les usines chimiques ou les autoroutes, pour la préservation des bocages, des terres maraîchères et des milieux de vie : nous sommes avec vous ! Cette victoire est aussi la vôtre, et nous espérons que vos victoires à venir seront aussi un peu les nôtres.

Qu’avons-nous gagné ?

Nous avons sauvé 11,2 hectares de terres agricoles. Des champs de blé, des noyers, une ferme en activité.
Nous avons empêché une augmentation drastique de la consommation d’eau potable. Actuellement, Soitec utilise près de 1,2 millions de mètres cubes d’eau par an, et l’agrandissement aurait probablement amené un doublement de la consommation.
Nous avons empêché que la pollution de l’Isère ne s’accroisse encore sous le coupdes nombreux produits chimiques utilisés par la production de semi-conducteurs.
Nous avons fait reculer à une entreprise « stratégique ».
Nous avons pris conscience de notre force, de ce qui peut advenir quand nous sommes nombreux-ses, déterminés, sérieux-ses, de bonne humeur et que nous nous en prenons à la bonne cible.

Mais nous n’avons pas encore obtenu l’annulation du projet : il ne s’agit pour l’instant que d’une suspension.
Nous n’avons pas non plus obtenu l’annulation de l’agrandissement de l’usine voisine de STMicrolectronics, un projet autrement plus conséquent (7,5 milliards d’euros).
Nous n’avons pas obtenu la remise en cause politique de l’utilité de ces usines, qui fabriquent essentiellement de la quincaillerie destinée à booster les marchés (+15 % de puces électroniques par an au niveau mondial) (lire notre enquête à ce sujet)
Nous n’avons pas obtenu la fin de la pollution de l’Isère par les industries du semi-conducteur.
Nous n’avons pas obtenu l’annulationdel’extension de l’autre usine de Soitec, à Singapour.
Nous n’avons pas obtenu que le rôle central du CEA de Grenoble dans le développement de ces entreprises soit mis en avant et bien compris par tous, pour que des luttes conséquentes contre le complexe militaro-industriel grenoblois se mettent en branle.

Tout cela, nous comptons bien l’obtenir.
Notre détermination ne fait que s’accroître. Les victoires sont possibles.

Prochaine date : on sabre le champagne de la suspension du projet d’extension de Soitec lundi 15 avril à 18h sur le parvis de Minatec à Grenoble.

Et pour la suite, ce n’est pas fini !

Rejoignez-nous !

Collectif STopMicro, 13 avril 2024

stopmicro@riseup.net - https://stopmicro38.noblogs.org

Illustration : Chatonsky

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