Produire de l’innovation, innover dans la production

STMicro : La spirale du désastre à la grenobloise

paru dans lundimatin#421, le 25 mars 2024

Le collectif STopMicro lutte depuis l’automne 2022 contre les conséquences écologiques, sociales et sociétales des agrandissements des multinationales STMicrolectronics et Soitec, deux méga-usines qui fabriquent des puces électroniques destinées à l’automobile, l’internet des objets ou encore l’armement. Pillage de l’eau potable, pollution massive, tout est bon pour ne pas rester sur la touche de la compétitivité et de l’innovation.

Le 1er avril 2023 plus d’un millier de personnes se retrouvaient pour manifester. Un an plus tard, c’est un grand week-end de mobilisation qui est organisé le 5, 6 et 7 avril 2024 à Grenoble et dans le Grésivaudan. Le collectif StopMicro nous a transmis ce petit tour d’horizon en guise d’annonce.

A Grenoble on fabrique des puces

Quand, en juillet 2022, Emmanuel Macron est venu à Crolles inaugurer l’agrandissement de l’usine STMicroelectronics, il faisait chaud. Il annonçait au passage que l’agrandissement serait financé à hauteur de 2,9 milliards d’euros d’argent public, « le plus grand investissement industriel des dernières décennies hors nucléaire » comme le rapporte fièrement Bruno Le Maire [1]. Une « réjouissance » pour le maire EELV de Grenoble. STMicroelectronics est le premier employeur de la région avec plus de 6000 salarié·es, et sa voisine Soitec en emploie aujourd’hui 2000. Toutes les deux produisent des semis-conducteurs, des « puces électroniques ». Un marché « stratégique » en pleine expansion : 15 % d’augmentation de la production par an, l’objectif de quadrupler la production sur le sol européen d’ici 2030. Alors la tête haute et le torse bombé, politicien.ne.s et industriels nous montrent le chemin du monde de demain et nous délivrent leur joyeuse définition du progrès, forte de propagande mensongère.

Nous les saluons pour avoir, en même temps que cette inauguration, donné naissance à notre collectif et à la vague d’indignation et d’opposition qui grossit depuis sans faiblir.

Anatomie du modèle grenoblois : recherche, enseignement, industrie, armée

Comprenons là où nous mettons les pieds. A Grenoble, nous avons au moins trois pôles de recherche et développement dont le plus gros se situe sur la presqu’île entre le Drac et l’Isère, appelée d’après son origine militaire le « Polygone scientifique ». Ce désert de béton et de verre est peuplé de plus de 10000 ingénieurs le jour, s’activant à penser l’innovation, la dystopie de demain, dans des laboratoires à accès badgé et des « salles blanches » prototypes. La production, elle, se fait dans les usines de STMicroelectronics et Soitec dans les communes voisines de Crolles et Bernin.

Si les mains du monstre industriel se situent dans les méga-usines, nombre de ses organes vitaux se situent sur le Polygone. En voici une brève anatomie :

— Le CEA (Commissariat a l’Énergie Atomique) implanté depuis 1956 à Grenoble, constitue, via le CEA-LETI, « l’un des principaux centres de recherche appliquée en microélectronique et nanotechnologies dans le monde » [2]. Il remplit la fonction d’estomac, ingurgitant les ingénieurs, et les subventions publiques. Puis, lorsque les recherches trouvent un domaine d’application industrielle, elles sont tout droit régurgitées en direction d’investisseurs privés, sous forme de spinn-off : c’est le cas de ST et Soitec, des start-ups avant l’heure. Le CEA continue de collaborer, fièrement, avec celles qui se font appeler les « locomotives » de l’industrie locale.

— Le centre de recherche et développement de STMicroelectronics est l’une des nombreuses têtes de l’hydre techno-industrielle grenobloise. Quoi de plus logique que son implantation sur le Polygone, à côté de papa-CEA. Employant 2000 ingénieur·es, le site grenoblois est un des plus gros sites de recherche et d’innovation de la multinationale. C’est ici que sont conçues les nouvelles puces, leur « design » et leur processus de fabrication optimal. On y trouve les cadres en col blanc et les ingénieurs fan de trek, tandis que les ouvrier·es en combinaison intégrale, elles et eux, s’activent aux 3x8 dans les salles blanches de l’usine de Crolles.

— Accroché au CEA comme une vésicule biliaire à l’estomac, le Synchrotron, ce donut géant, perfuse la Presqu’île d’un flux continu de mesures et de datas à n’en plus finir et consomme au passage une quantité faramineuse d’électricité (500 Gigawatt/h par an).

— On pourrait aussi parler : de cette vieille bombe à retardement qu’est le réacteur nucléaire d’essai de l’Institut Laue-Langevin, tumeur en sommeil abreuvée d’uranium enrichi de qualité militaire ; de Minatec ; de Clinatec ; de l’Idea’s Lab ; du Laboratoire des champs magnétiques intenses… Mais arrêtons ici cette liste à la Prévert d’une machine mortifère en expansion continue où l’humain n’a plus sa place (à ce sujet lire le livre du Groupe Grothendieck L’Université désintégrée).

Un empilement de nuisances

A quoi s’affaire le pôle de l’innovation local ? A penser l’avenir. Penser le monde de demain c’est une chose, mais le faire advenir matériellement avec toutes ces conséquences, c’en est une autre. Comme toute industrie du numérique, la production nécessite l’extraction de métaux sur toute la surface du globe. Invisibles depuis l’Isère, nombre de nuisances sont pour les pays du Sud, où l’extractivisme néocolonial bat son plein au détriment des populations locales et de leur environnement [3]. La « dématérialisation » du monde connecté, on le sait depuis longtemps maintenant, est éminemment matérielle.

Au niveau local, ces usines consomment aujourd’hui plus de 16 500 mètres cubes d’eau potable par jour (12 piscines olympiques par jour, 700 000 douches), en consommeront 29 000 à horizon 2028. Une eau qui ressort largement polluée dans l’Isère, en raison des produits chimiques divers et variés dont elle se charge au contact des plaques de silicium. Une quantité de substances qui vaut à STMicroelectronics l’élégant label de « site Seveso seuil haut ». Bénéficiant de dérogations pour avoir le droit de polluer plus que ce que les normes européennes ne l’autorisent [4], industriels et politiques ne reculent devant rien pour que, sous l’alibi du progrès nécessaire, les intérêts économicistes de STMicroelectronics soient comblés.

Et le progrès a sa définition ! STMicroelectronics fabrique des puces qui équipent les voitures connectées les plus récentes (essentielles pour régler automatiquement les rétroviseurs !), les stations terrestres du projet StarLink, les caméras pour la reconnaissance faciale des smartphones, une myriade d’objets connectés au mieux inutiles (avez-vous penser à vous procurer votre bouteille d’eau connectée qui vous rappellera de boire ? [5]) et au pire terrifiants : applications pour le smartfarming, l’autre nom de l’agriculture sans paysan·ne·s [6].

Autre réjouissance : des puces pour le commerce de la guerre, comme le rapportait l’ONG L’Obsarm, relayé par le média Blast [7]. Avec une mention spéciale pour les drones kamikazes destinés à l’armée russe, contournement explicite de l’embargo.

L’agrandissement de ces usines est une aberration socio-écologique. Il n’y avait jusqu’alors jamais eu une opposition d’une telle ampleur à l’industrie de la microélectronique dans la région. Il semble que quelque chose se passe. La question de l’usage de l’eau nous traverse, et se répand sécheresse après sécheresse.

Mais ce n’est pas tout.

La fuite en avant technologique questionne. Le mythe du Progrès a du plomb dans l’aile. Le vernis de la transition écologique porté par les industriels et les pouvoirs publics se craquelle.

Le temps presse, il nous faut accélérer le craquèlement.

Que faire ?

Face à ces gigantesques entreprises dont chaque agrandissement renforce l’emprise et la dépendance économiques sur le territoire grenoblois, comment agir ?

Nous invitons à une marche familiale et massive, pour rassembler, grandir encore.

Une marche jusqu’au Polygone scientifique grenoblois samedi 6 avril 2024, le temps fort du week-end.
Nous proposons aussi un grand nombre de conférences et de discussions, pour affiner ensemble notre analyse de la situation et élaborer des perspectives. Elles se tiendront le vendredi 5 à Grenoble, et le dimanche 7 à Crolles.

Voici le programme complet de ce week-end de mobilisation : https://stopmicro38.noblogs.org/post/2024/03/18/5-6-7-avril-2024-le-programme/

Derrière l’activisme nous savons qu’en creux, c’est une désinvisibilisation de l’absurde qui se répand dans les têtes et donc une union des colères face au non-sens.

Rendez-vous le 5, 6 & 7 avril 2024 à Grenoble et dans le Grésivaudan
Manifestation, conférences & actions
No puçaran !

Collectif STopMicro
stopmicro@riseup.net
https://stopmicro38.noblogs.org
Rejoignez-nous !

L’appel à la mobilisation :

https://stopmicro38.noblogs.org/post/2023/12/14/5-6-7-avril-2024-de-leau-pas-des-puces/

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