Le gros nécrotératoplasme extraterrestre [2/4]

Túpac & Micaela, Pérou
(Chants d’utopie, XXXII)
Brice Bonfanti

paru dans lundimatin#343, le 13 juin 2022

Voilà quelques années que les chants d’utopie de Brice Bonfanti, ses personnages et leurs horizons, nous baladent à travers le monde et les époques. Dans la continuité des trois premiers cycles parus chez Sens & Tonka, nous publions ces 32e chants : Le gros nécrotératoplasme extraterrestre. Divisés en 8 parties, illustrées par MajorMinuit, ils se racontent sur 4 publications [1].

III

Le gros nécrotératoplasme extraterrestre, à l’obsession, enquêtait pour ficher : nos têtes, voire la tête de nos têtes,
à fin de corruption, compromission, intégration en parlant, en mentant, et en parlementant, et au bas de sa voix : la signature prosodique du mensonge.
Mais nous n’avons pas qu’une tête, Micaela et ni Túpac ne sont nos têtes, chacun de nous est à sa tête et a sa tête : qu’ose faire sa forte une tête, qu’un chef mécheffe, nous l’abattons.
Sans tête à intégrer, compromettre et corrompre, l’extraterrestre écumant pus, pétait les plombs, explosait les indignes métaux,
essayait comme en tour de s’ériger jusqu’aux nuages, tentait la tour, inapte aux verticalités, tombait muraille, affalée, crevant sa rage, creusant ravages.

Micaela sentence, Túpac entend :

Tu dépendrais de qui te pend, tortillé. Tes piedsvoudraient se promener, dans le vent. Ton cou coincé jusqu’à fermer : la salive. Sans l’eau de bouche qui arrive, désertée. Tes pieds cloués au loin des rives, sans la terre. Panique en vide enfant des ères – sans l’ogive.
Dépendons-nous.

La guerre externe au gros nécrotératoplasme est la plus basse quoique bonne.
La guerre interne au gros nécrotératoplasme en larve en nous larvé
est la plus haute et la plus bonne.

Face au monstre de mort, Micaela boit douze mille lacs dont le Titicaca, peuplé d’hommes de cendre et de pumas de pierre, ses quarante-et-une îles, vingt-cinq rivières :
Tu ne couperas pas sous mes yeux une langue à mon fils pour t’avoir psalmaudit, ne l’étrangleras pas, et ma langue ne couperas pas pour avoir psalmaudit ta souvie, ne me passeras pas tes deux cordes au cou les serrant, pour m’étrangler, ne m’achèveras pas, dans la poitrine et l’abdomen, à coups de pieds, ne me hacheras pas à la hache, pas dépecée, tu n’exposeras pas mes morceaux à travers le pays sidérant mes amis.

Face au monstre de mort, Túpac dévore les montagnes en chaîne Huascarán :
Tu ne m’enchaîneras pas, ne me questionneras pas, jusqu’à me faire évanouir ne me tortureras pas, ne fractureras pas mon bras droit, ne tortureras pas sous mes yeux mes amis, ni ma Mica, n’assassineras pas sous mes yeux mes amis, ni ma Mica, ne m’attacheras pas les deux pieds et deux mains aux chevaux cardinaux, ne m’écartèleras pas, et n’y parvenant pas, ne me décapiteras pas, ne me hacheras pas à la hache, tu ne ficheras pas sur la lance mon chef sidérant mes amis, et à Tungasuca, Carabaya, tu n’exposeras pas mes deux bras, et à Livitaca, mes deux jambes, Santa Rosa.

Les désastres cumulent les germes de cultes futurs, de bonheurs inédits. Décrépitique est la souvie. Et décryptique l’outrevie, cœur de la vie,
qui hisse ici tout détritus transfiguré en autre vie et recompose par compost les vies nouvelles spontanées parues parmi les pourritures vivifères.
On nous a relégués ? Ça nous a reliés. Qui relègue relie. On ne nous a : pas relégués ? Nous nous sommes tous seuls reliés. Qui se relègue se relie.

Beaucoup d’armés requins mais pas que –
comptables sur les mains parce que :
mais causent le vacarme pagailleux,
balancent leur armée d’inanimaux,
machiniques fléaux métallisés,
consommant nos forêts de bas en haut.
Obsédés par notre or – c’est d’un banal –,
nos salpêtre et guano pour leur saccage,
ils perforent nos corps – c’est pas normal –,
multiplient les ravages et les terreurs.
Par bonheur bienfaiteurs ponérophages,
le mal, nous le mangeons, le digérons
en engrais, en fumier le transmutons.
Éructez votre rien, faites-nous mal
dans votre sale temps : ça nous fait voir,
ça nous fait voir le Bien delà l’hyémal,
nous voyons le printemps tout concevoir,
hors les routes malades de tuée terre,
les chemins salutaires aux camarades.

IV

Nous avons parmi nous : le bloc noir, jardiniers soldats moines chamanes, qui sont de nous, nous qui vivons pour voir
comme des jardiniers, qui cultivons, soignons, émancipons : la topie animée d’Utopie, (mouvementée, mue et mobilisée) d’Utopie ;
comme des moines, pas divis, comme des uns, indivis : des monoautonomes, librement asservis à la Loi hors-les-lois, la Monome autonome,
Loi d’Infini – majuscule – qui subjugue les lois minuscules (la Monome elle seule permet l’outrevie dans nos vies) ;
et comme des chamanes, pontiformes liant Utopie et topie séparées par une creuse dépression, ou saillante obstruction franchie par surplomb.
La moinerie et la chamanerie, et la jardinerie (la paysannerie). Et le bloc noir, c’est notre bonne infanterie, la bonne enfance, c’est notre enfancerie.
Amis communs, comme Un, tous uns chaque un : plus ou moins moine, uni, chamane qui relie, plus ou moins jardinier du jardin, et plus ou moins soldat d’enfanterie.

Bloc noir et blancs globules même élan. Le système est ensemble, et le bloc noir émane ensemble, immunitaire, du jardin : dans l’Utopie outrelocale outreglobale, jardins locaux de notre terre, jardin global qu’est la Terre.

Parmi nous, hors de nous mais pour nous : il y a des amis du monde œuf – qui ne sont pas enfants comme nous, du monde œuf pacifié du tout neuf.
Ils sont faits pour la guerre pour nous, ils travaillent pour nous les enfants : débattent, attaquent, se battent, jamais mous. Ils combattent, ils sont comme parents.
Ils mourront dans la guerre pour nous.

Bloc noir : trois cent trente-trois amis libres, des artistes martiaux de notre enclave, musculeux sang glorifiant l’équilibre
face aux légions indéfinies d’esclaves. Trois cent trente-trois guerriers immortels, invulnérables par la gnose en lave,
tant que dure la guerre, et puis mortels – dès que s’enfante l’enfance aux enfants : le monde innocent idéoréel.
Ils vont noyer le néant au néant, en s’anéantissant dans la bascule – du monde odieux au monde à dieux enfants,
comme du crépuscule au dilucule. Trois cent trente-trois vrais guerriers, guerrières, tous et toutes libres, parce qu’hénodules,
les seuls vrais de tous temps, de toutes terres, destinés à leur mort pour notre vie, faisant mourir par leur mort à mystère :
la mort qui condamnait à la souvie. Ils vont noyer l’indéfinie racaille, du gros nécrotératoplasme à cris,
esclaves des états pour les pagailles, légions d’objets et d’inertes gadgets, dont le massacre est le sale travail.
Nos trois cent trente-trois pumas tempêtent, fondant sur le nécrotératoplasme, coupant à sa racaille bras et têtes
ficelés à nos arbres, en cataplasmes, pour qu’en y pourrissant ils les nourrissent, faisant des arbres des lieux de haut chiasme.
Nos trois cent trente-trois sont nos nourrices : la force au service de notre enfance, pas de la force la force au service.
Au gros nécrotératoplasme extraterrestre en mort tas, aux désordres des états la mort en tas, nassant jardin, massé, les enfants jardiniers chantent du Silence en liberté :

VA TE FAIRE FOUTRE

Conseil d’amour
et qui s’adresse
à qui agresse
d’aller se faire
faire l’amour.
Pas de le faire,
parce que qui agresse
est inapte à le faire.
Mais peut se faire, passif, faire l’amour.
Le luxe ! lumière :
passif, il n’y a rien à faire
et qu’à lascif se laisser faire
l’amour.
Recevoir la semence et le nid, détendu,
recevoir de l’amour pour avoir une chance inouïe nue
de ne plus agresser
la paix
et de foutre la paix, ensemencé de paix, la semer.

Illustrations : MajorMinuit

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