Depuis la maison d’arrêt de Lyon-Corbas : L’homme est un lien pour l’homme

Kamel Daoudi

paru dans lundimatin#272, le 26 janvier 2021

Comme nous l’avions annoncé dans nos pages, Kamel Daoudi, assigné à résidence depuis plus de 12 ans, a écopé d’une peine de 12 mois de prison ferme à la suite d’un retard de 30 minutes sur son couvre-feu quotidien. Plutôt que de s’indigner du traitement judiciaire et extrajudiciaire ahurissant que M. Daoudi et sa famille subissent depuis bientôt 20 ans, il nous apparaît plus opportun de laisser place au témoignage et à l’enquête. Après nous avoir fait visiter sa cellule, la promenade, évoqué ce temps qui ne passe pas, et fait goûter la gamelle, M. Daoudi partage cette semaine quelques réflexions philosophiques sur les liens et la liberté.

Aussi, ses lecteurs, amis et soutiens trouveront un lien en fin d’article vers une cagnotte en ligne pour l’aider à faire face à ses frais de justice, c’est important.

[MàJ : Kamel Daoudi comparaîtra ce mercredi 27 janvier devant la cour d’appel de Riom qui devra réexaminer sa condamnation à 12 mois de prison ferme pour un retard sur son couvre-feu.]

Dans le roman passionnant de sciences fictions d’Alain Damasio intitulé « La horde du contrevent », l’un des personnages centraux du livre, Caracole nous offre une pensée précieuse que l’on pourrait résumer par ce petit épigramme : « être en vie, c’est un être en mouvement et en lien. ». Cette phrase peut paraître de prime abord, paradoxale. Comment se mouvoir en étant attaché ? On pourrait la prendre même pour une sentence fataliste. Si l’on considère la liberté comme la quintessence de notre vie ; cette réplique équivaudrait à dire : « être libre c’est choisir ses chaînes. ».

Qu’est ce que le mouvement sinon déjà celui de notre corps lié à notre conscience : un ensemble d’abductions, d’élévations, d’extensions, de flexions, d’inclinaisons, de pronations, de rotations, de supinations...

Et comment ces mouvements seraient-ils envisageables si ce n’est par la présence d’articulations ?

En mécanique des contacts et dans un espace à trois dimensions, tout mouvement peut se décomposer sous la forme de six mouvements de base : trois mouvements de translation selon les trois axes d’un repère cartésien : celui des abscisses, des ordonnés et des côtes et trois mouvements de rotations autour de ces mêmes axes. Un objet totalement libre possède ainsi six degrés de liberté.

Si l’on prend de la hauteur et que l’on assimile chacun d’entre nous à un point, on visualise assez bien tous les mouvements circulaires, giratoires, rectilignes, de translation, de rotation, de torsion, les mouvements alternatifs, les balancements, les battements, les mouvements ondulatoires, les pulsations, les trépidations, les vibrations et autres mouvements oscillatoires, pendulaires, sinusoïdaux, isochrones ou synchrones que l’on peut faire mais aussi les bonds, les cabrioles, les chutes, les culbutes, les élans, les gambades, les pirouettes, les plongeons, les sauts et rétablissements que l’on peut effectuer aussi bien avec nos corps que nos esprits.

Observons tout ce flot de particules humaines dans leur remous, leur remue-ménage, leur remue-méninges et leur tumulte et nous y verrons autant d’aubades, de sérénades et de symphonies classiques ou baroques en adagio,allégretto, allégro, andante, larghetto, largo, lento, moderato, prestissimo, presto, scherzando ou scherzo que les tenants de l’ordre et de la sécurité ne considéreront que comme des mouvements de l’ennemi à circonscrire, à fluidifier et à arrêter quoi qu’il en coûte.

R. Bresson disait : « la vue du mouvement donne du bonheur. ». Il ne faut surtout pas que les foules s’enivrent avec beaucoup trop de bonheur !

Ajoutez au mouvement, le lien : celui qui libère, non celui qui assujetti ou entrave et l’être humain par définition social au point que mot insan (être humain en arabe) signifie étymologiquement : celui qui a besoin de compagnie ; acquiert toute sa dimension d’être vivant.

Les liens qui libèrent sont ceux que l’on tisse patiemment, ceux qui permettent d’échanger, confronter ses expériences, acquérir de l’empathie en changeant son regard de perspective…

Ces nœuds, ces liaisons, ces courroies, ces élastiques, ces jonctions, ces reliures assemblent notre humanité et articulent nos mouvement foisonnants pour donner un sens à nos vies. Ironie de l’Histoire, il aura fallu qu’un micro-organisme infectieux, possédant un seul type d’acide nucléique et se reproduisant avec son seul matériel génétique surgisse pour que nous nous souvenions que nos vies tiennent à nos mouvements et à nos liens.

Sortons grandis de cette expérience humaine inédite pour nous attacher à l’essentiel et nous affranchir du superflu.

Kamel Daoudi

Pour soutenir Kamel Daoudi et l’aider dans ses frais de justice, vous pouvez accéder à cette cagnotte en ligne : https://www.helloasso.com/associations/temoins-des-acteurs-en-mouvement/collectes/solidarite-avec-kamel-daoudi

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