Culture (pré)occupée 15 :

quand le bassin d’Aurillac mouille… le maillot

paru dans lundimatin#281, le 29 mars 2021

Jeudi 4 mars 2021, plusieurs artistes, technicien.nes, intermittent.es du spectacle se rassemblent à midi, place de la République à Paris. D’autres s’introduisent dans le Théâtre de l’Odéon et décident de l’occuper. Ils demandent la réouverture des lieux de culture, la prolongation de leurs droits au chômage et la clarification des positions ambiguës de la Ministre de la Culture Roselyne Bachelot concernant l’extension de l’année blanche pour les professionnel.les de la culture.
La semaine du 15 mars, Jaqui Max, 62 ans technicien du spectacle depuis 40 ans dans le Cantal en parle à un copain, Matthieu Bru et ils se disent : « il faut monter quelque chose. Il faut hurler. »


L’initiative Culture Préoccupée 15 est partie du Théâtre d’Aurillac. « On s’est dit, on réunit les gens au Théâtre. On ne savait pas qui, comment. J’ai passé une petite publication sur Facebook et là, on a eu la chance d’avoir une cinquantaine de personnes qui ont répondu présent. »
Parmi les participants à l’assemblée générale du lendemain, il y a notamment Thierry Desserre, directeur de la Manufacture et Chloé Longueville, professeure de danse et membre d’une compagnie, Dominique Gasquet, chargée de production, Olivier Caldamaison, régisseur lumières
Il y a de belles prises de parole du public.

Intermittent du spectacle / intermittent du travail : le mythe de la cigale

Lorsqu’on lui balance tous les clichés sur les intermittents du spectacle, Jaqui répond tout simplement : « fais-le pendant un mois ; après on verra. »
« Dans le monde des intermittents, c’est des salaires qui oscillent entre 1200 et 2000 euros. Moi en quarante ans de boulot, j’ai un tout petit salaire par rapport aux heures que j’ai travaillées. J’ai autant de valeur qu’un boucher, qu’un boulanger, qu’un paysan, qu’une infirmière. Il n’y a pas de hiérarchie pour moi. L’infirmière a besoin de moi comme moi j’ai besoin d’une infirmière, le jour où je suis malade. Mais l’infirmière a besoin de moi pour aller voir un spectacle, pour se détendre. La santé, c’est aussi la santé mentale. »

« Je serai toujours optimiste par rapport à la Culture. Maintenant, comment les gens vont vivre de ses métiers, je suis un peu pessimiste. On a la chance d’avoir en France, ce statut mais il devrait être obligatoire pour tout le monde. Il faut considérer la culture comme un bien essentiel et il faut le protéger comme tes yeux, comme ta peau, comme ton corps.
J’espère que mes petits enfants – puisque j’en ai quatre – verront le festival de rue dès leur première année. Ils seront fiers du haut de leurs vingt ans d’avoir fait tous les festivals. Ça serait ma fierté. Dès le début on les a imprégnés dans quelque chose. Il y a des odeurs, il y a des bruits, il y a des artistes qui passent, qui crient. C’est fantastique. »

Jaqui Max
Il a participé à toutes les aventures culturelles dans le Cantal en tant que technicien du spectacle. Il se souvient notamment du spectacle « Le Dit d’Alleuse » qui avait lieu tous les deux ans début août pour commémorer la prise du vieux château médiéval par Bernard de Garlan, un chef de bande œuvrant pour le compte des Anglais au XIVe siècle, spectacle qui se terminait sur l’embrasement du château en souvenir de sa destruction décidée par la cité de Saint-Flour. Il a également pris part à la fête des cornets de Murat, le festival des Hautes-Terres à Saint-Flour...
« On n’est pas pauvre culturellement dans le Cantal, Je pense qu’on est pauvre politiquement. Mais au niveau culturel, c’est très foisonnant. On a par exemple une entreprise culturelle AG Music qui fait un travail énorme sur le territoire… Je pense aux nouveaux qui arrivent, notamment Mad Cow qui sont impressionnants et qui seront peut-être l’un des plus grands festivals en France. En tout cas, je l’espère. »

C’est l’une des chevilles ouvrières du fameux Festival du Théâtre de rue d’Aurillac. Au premier festival, il se souvient qu’il y avait seulement 6 compagnies et que lorsque le Royal Deluxe avait été invité, il y avait seulement une centaine de spectateurs. Lorsque cette célèbre troupe de théâtre de rue revient lors des dernières éditions, elle est accueillie par plus de 10.000 personnes.

« A 62 ans, j’ai envie de faire un petit break. J’ai d’autres aventures dans ma tête. Je fais beaucoup de vélo, j’adore ça. J’ai envie de voyager, j’ai envie d’aller voir des festivals en vélo : ça, c’est mon rêve.
Cette année blanche m’a énormément marquée car je n’ai pas pu terminer ma vie professionnelle comme je le voulais. C’est horrible parce que quelque part, on te prend quelque chose. »


La Manufacture se trouve dans une ancien complexe qui servait d’usine pour fabriquer des parapluies. Elle a été rénovée et aménagée pour accueillir une école de danse avec 9 employés permanents et plusieurs dizaines d’intervenants qui viennent donner leurs cours tout au long de l’année. Elle héberge une vingtaine de résidents et des élèves mineurs tout au long de leur cycle pré-professionnel collège / lycée et dispose d’un fond documentaire de 4000 références spécialisé en danse, très rare en France.

Salle de cours théoriques (culture professionnelle, communication culturelle, économie de la danse, vidéo pour la danse…)

Thierry Desserre
« Je m’appelle Thierry, je suis directeur de la Manufacture depuis près de 10 ans. L’école a été créée par la chorégraphe, danseuse et plasticienne franco-américaine Vendetta Mathea. C’est un lieu professionnel de création, de production, de promotion, de formation professionnelle en danse. Il n’y a pas beaucoup de lieux comme cela en France qui sont à la fois, lieu de formation et de diffusion de spectacles.
J’ai été élève ici en danse/études, au collège et au lycée. Puis ensuite j’ai fait des études en marketing et communication, des études à la Sorbonne en audiovisuel. Puis je suis venu bosser ici d’abord pour la communication et la médiation culturelle puis petit à petit, je suis arrivé au poste où je suis maintenant.
A la manufacture, ce que l’on fait, c’est qu’on accueille très simplement une vingtaine de résidences à l’année. On a une saison chorégraphique, les jeudis de la danse qui sont gratuits tous les jeudis à 20 heures et qui sont des résidences ou des levers de voiles de travaux d’étudiants puisqu’on accueille aussi des étudiants qui sont formés aux métiers de chorégraphes, danseurs interprètes et professeurs de danse diplômés d’État. Et enfin, on propose des cours amateurs. »

Comment vivez-vous depuis une année avec cette crise sanitaire ? Quelles sont les contraintes que vous avez ? Qu’est-ce que ça a modifié dans votre façon de fonctionner ?

« D’abord, la Manufacture, c’est une association Loi 1901 qui est une initiative citoyenne. Ce n’est pas un lieu qui a été mis en place par les collectivités territoriales ou l’État. Donc, on n’est pas financé à 100 % par de l’argent public. Ça, c’est à la base. On a au contraire l’habitude de se débrouiller avec des ressources propres : de la billetterie, des inscriptions, du mécénat, etc.
Et là, en fait, on se retrouve sous perfusion pendant la crise puisque l’on bénéficie bien sûr du dispositif de chômage partiel sans lequel on aurait fermé l’association depuis 11 mois si l’on considère que cela fait douze mois que l’on est en crise.
Et puis, la difficulté, là on l’a bien vu, la stratégie de stop and go d’autoriser, un coup les cours de danse amateurs ou de les interdire, ça nous a fait perdre 75 % de nos élèves. C’est énorme ; on a eu jusqu’à 500 élèves amateurs, donc 500 familles sur Aurillac et le bassin d’Aurillac qui faisaient de la danse puis pfuitt, réduits à peau de chagrin. On n’est pas les seuls. C’est quelque chose de généralisé. 
Autre difficulté, c’est le public. On forme des danseurs. La particularité de notre formation, en France – déjà, on est le seul lieu de formation, on va dire, un petit peu à la campagne – Et la spécificité chez nous, c’est que nos étudiants dansaient quasiment toutes les semaines ou toutes les deux semaines dans différents contextes. Ça fait partie intégrante de leur formation. Bon, là c’est foutu pour rencontrer le public.
L’autre difficulté, en tant que centre de formation, on est responsable de l’insertion professionnelle. Ça va être la deuxième année qu’on va avoir des étudiants qui sortent et qui n’ont pas moyen de trouver du boulot derrière puisque de toute façon, tout est fermé en ce moment.
C’est très difficile de ne pas pouvoir rencontrer le public, de ne pas pouvoir donner nos cours. Donner des cours de danse amateur c’est aussi générer un public pour la danse. C’est vraiment très compliqué. Pour l’instant l’association survit et on essaie d’être innovants pour sortir de la crise et pouvoir continuer après la crise. On a bon espoir d’y arriver, on est optimiste de ce côté-là. Par contre, on est super pessimiste par rapport à la place que va occuper la culture dans la société. En tout cas, c’est très inquiétant. En revanche, ce qui nous donne espoir c’est que notre public (le public qui venait aux jeudis de la danse, les parents d’étudiants… sont quand même des personnes sensibles à la démarche du collectif Culture Préoccupée 15. ça peut aussi être notre planche de salut, c’est-à-dire que l’opinion publique se saisisse du sujet. Dans l’ADN de notre pays, il y a aussi la culture.

Il y a ce besoin, à la fois des étudiants, des salarié.es de la Manufacture, des intermittent.es de se rebeller vis-à-vis de certaines postures ou de certains clichés, véhiculés en ce moment. Cela fait déjà un mois ou deux que l’on diffuse des messages en pré-générique et en post-générique de nos lives pour dire que la culture est essentielle. La levée de mobilisation pour ce que j’en ai vue a été faite par trois personnes : Olivier Caldamaison intermittent du spectacle et aussi régisseur à la Manufacture, Jaqui Max et Jean Puechbroussou de Love mi tendeur qui ont proposé qu’on se rassemble tous au niveau du collectif.
La Manufacture participe à ce collectif car c’est une volonté des étudiant.es et des salarié.es. Deuxièmement, en tant qu’association et structure culture, nous souffrons de cette crise. Il y a des incohérences difficilement acceptables. Nous sommes sur des métiers passion, des métiers de principes, des métiers de valeurs dans la culture et c’est difficile d’avoir à garder notre salle de spectacle fermée quand les églises sont ouvertes, par exemple. C’est pour cette raison que nous nous engageons dans cette lutte-là et nous ne savons pas encore, la forme que cela va prendre, sur la durée, sur le message. Nos deux principales revendications sont la réouverture des salles et la reprise des cours et ateliers de danse. Il y aussi des revendications plus précises comme la prolongation de l’année blanche pour les intermittent.es mais aussi la question de la précarité en général et pas que de la précarité née de cette crise. Je pense notamment aux personnes en recherche d’emploi. La mobilisation va-t-elle s’élargir ? Un noyau dur va-t-il persister ? Est-ce que ça va s’effilocher ? Dans toutes les luttes, il y a plein d’enjeux parfois très personnels. Il y a des enjeux d’ego, de pouvoir… C’est l’exercice démocratique donc c’est un exercice très fragile, une mobilisation.

Nous sommes très contents d’avoir participé à l’évènement de samedi 20 mars. On a remarqué que lorsqu’on remontre du spectacle vivant, l’attention est plus importante. Quand, on montre de la danse, quand on fait de la musique, quand on lit de la poésie, il y a beaucoup plus de monde qui s’arrête et qui regarde. On a des spectateurs naturellement autour de nous, des citoyens qui s’expriment par le fait d’être spectateurs plus que par le fait d’être citoyens. Certaines personnes ont écrit des messages sur des cartons, lus au micro. Là, on est dans l’action culturelle presque autant que dans l’action politique et c’est ça qui marche le mieux.

Dans le monde d’après, c’est sûr qu’il va y avoir des évolutions mais pendant une crise ce n’est pas tant des révolutions qui se passent que des symptômes qui apparaissent.
Il faut rester ouvert à toutes les initiatives. Les chose apparaissent souvent par elles-mêmes. Si on regarde par exemple, les cultures urbaines des années 60, 70, 80 aux États-Unis, elles ont émergé d’elles-mêmes dans les quartiers. »

Chloé Longueville
« Je suis épuisée de devoir m’adapter à des protocoles sanitaires, à comment faire les spectacles. Je suis spécialisée en travail au sol et en acrobaties. Danser à l’intérieur, danser à l’extérieur, ce n’est pas la même chose pour mes élèves. Danser en chaussures ou se rouler sur du goudron, ce n’est pas la même chose.
Même pour la préparation des examens pour mes élèves, je ne sais toujours pas comment ils vont les passer. Est-ce que ça va être en visio ? Est-ce qu’ils vont devoir donner un cours ? Est-ce que ça va être en distanciel ? Est-ce que ce sera simplement un entretien ?
Au début j’avais envie de m’adapter, de trouver des solutions mais là j’en arrive au point d’être fatiguée de rechercher ces solutions pour être en conformité avec les protocoles sanitaires.

Photo : Insoumis Cantalou

J’ai une promotion qui n’a toujours pas rencontré de public et qui ne connaît pas cette exaltation, cette expérience qui permet de progresser, en étant devant un public. Faire le même travail en visio, ça n’a rien à voir et ce n’est pas aussi formateur.
Ce qui me désole par ailleurs, c’est que la danse n’est pas autorisée pour tout le monde. Ceux qui sont en formation professionnelle ont le droit de danser, de venir dans les locaux, de recevoir des cours. En revanche, tous les amateurs et tous les élèves de danse/étude, au lycée en journée et en danse dans la soirée : tous ceux-là n’ont pas le droit de venir car ils sont considérés comme amateurs. Je trouve aberrant et cela me fait mal au cœur qu’on hiérarchise l’accès à la danse et l’accès à la culture en général.
Lorsque je constate que des élèves en collège ou en lycée n’ont plus accès à ces cours, je me demande quel est leur quotidien, quelle est leur réalité. Je pense que la danse comme la musique comme l’art en général sont les seuls moyens de sortir ces enfants de leur condition et de les ouvrir à l’extérieur. J’ai l’impression que c’est double confinement pour ces enfants-là. Ils n’ont plus les moyens de s’échapper. On renferme et on restreint leur corps. La danse, c’est une ouverture, une sensation d’être au monde, beaucoup de tolérance. J’ai organisé des ateliers en prison, avec des personnes en situation de handicap et je ne peux plus aller rencontrer ces personnes. C’est aussi une manière de catégoriser la population et restreindre la culture à une partie seulement de la population. La danse avant d’être apprise est une forme d’expression culture traditionnelle et sociale. La culture est à la frontière entre l’hôpital et l’école. Elle est à la fois thérapeutique et force d’apprentissage. Il serait temps de la remettre au centre. On a besoin de se réunir. On ne peut pas rester enfermé indéfiniment. Netflix ne suffit pas. A un moment, à force de manger de la soupe, on a envie d’autre chose. On a envie d’extérieur. La culture doit se ré infiltrer entre les gens car c’est elle qui les rassemble. La danse survivra, la danse vaincra. »

Dominique Gasquet
« Je suis chargée de Production. Je m’occupe de l’organisation, de la mise en œuvre et du suivi des moyens humains, matériels, financiers des projets artistiques, des créations de spectacle et des représentations.
Je prends en charge des tâches administratives permettant le bon fonctionnement des compagnies. Je fais également de la veille informationnelle sur la législation sociale.
Mon travail est un travail d’équipe, en étroite collaboration avec des interlocuteurs divers : artistes, techniciens, organisateurs, acteurs culturels, collectivités, administrations publiques, financeurs privés… »

Le fonctionnement du statut d’intermittent du spectacle pour les nuls

Les annexes 8 (techniciens) et 10 (artistes) de la convention de l’assurance chômage établissent les règles concernant les indemnités du régime de l’intermittence du spectacle.
Pour ouvrir des droits au titre de l’annexe 8 et 10, il faut être inscrit comme demandeur d’emploi, justifier d’au moins 507 heures de travail sur une période de 12 mois.
Chaque fin de mois les jours travaillés et la rémunération perçue doivent être déclarés sur le site de Pôle Emploi. En fonction de cette déclaration, Pôle Emploi verse une allocation d’aide au retour à l’emploi. Ces périodes de travail relevant des annexes 8 et 10 sont certifiées par des Attestations d’Employeur Mensuelles (AEM) par les employeurs qui ont pour activité principale le spectacle vivant, le cinéma ou bien par des Déclarations Uniques et Simplifiées (DUS) pour les employeurs qui n’ont pas pour activité principale le spectacle.

« Pour dresser un tableau des difficultés professionnelles et économiques des personnes avec lesquelles je travaille, je dirais qu’il y a souvent le sentiment d’être empêché de travailler, de subir. Il faut s’adapter, se réadapter. Les dates de spectacles et de représentations qui de report en report finissent par s’annuler minent le moral. Le manque de perspective d’avenir entraîne un manque de motivation. Certains en viennent à se demander pourquoi créer, pourquoi répéter.
Nous espérons que cet été, les activités culturelles seront de nouveau possibles, mais je pense qu’il y aura inévitablement, toujours des contraintes. Jouer devant un public masqué est difficile ; il n’est pas possible de voir les réactions sur les visages (sourires, rires, étonnements…), c’est déstabilisant.
Financièrement, des aides ont été mises en place : activité partielle, fond de solidarité, et quand c’est possible : aides Région, Centre National de la Musique, Centre National de Théâtre.
Les interventions artistiques en milieu scolaire restent maintenues.
Pour l’instant, les difficultés financières pour la plupart des compagnies sont surmontables mais jusqu’à quand ?
Il est difficile de répondre à la question de l’évolution de la situation des intermittents après la crise du Covid-19. Pour l’instant on est dans « le tunnel » et on subit. On ose à peine imaginer que l’on va retravailler comme avant. C’est comme si le futur n’existait pas. C’est plutôt une liste de questions sans réponses : qu’est-ce qui va changer ? qu’est-ce qui ne sera plus ? comment devrons nous nous adapter ? combien d’artistes et de techniciens vont ou devront renoncer ?
En conclusion, je dirais que la société doit prendre conscience combien la culture est essentielle et comment elle nous nourrit. Sans culture on ne pense plus, Google pense pour nous et les gouvernements nous manipulent. »

Sébastien Mijoule
« Mon nom de scène, c’est Babou. Je suis batteur, chanteur et animateur. J’ai la chance d’avoir ce fameux statut d’intermittent du spectacle. Je dois travailler 507 heures sur l’année pour bénéficier de ce statut. Cela correspond dans mon cas à 43 cachets car un cachet est reconnu par Pôle Emploi comme 12 heures de travail.
J’ai été empêché de travailler depuis un an car les bars, les restaurants, les salles des fêtes étaient fermées. Dans la convention collective, le cachet minimum est de 90 euros nets ce qui correspond environ à 150 euros, charges comprises. L’État a mis en place grâce à la mobilisation de divers collectifs et syndicats, le dispositif d’année blanche qui prend fin le 31 août prochain. Après cette date, si je n’ai pas effectué mes 507 heures de travail, je risque de ne plus bénéficier du statut d’intermittent car celui-ci est rechargé chaque année. Les intermittents du spectacle participent à toute une économie qui fait travailler des saisonniers , des restaurateurs, des traiteurs, des débits de boissons, des hôteliers, des imprimeurs, des luthiers, des coiffeurs (par exemple pour l’organisation de bals)…
Nos cachets sont taxés pour la retraite, en revanche nos indemnités complémentaires Pôle Emploi sont très peu taxées pour la retraite. Donc pendant un an, pour le calcul de nos retraites, cela se passe comme si l’on n’avait pas travaillé.
Je me considère pour ma part comme un artisan de la musique. Notre compagnie est une petite structure et s’il n’y a pas d’argent qui rentre, on ne peut pas payer les musiciens, les techniciens. Pour compenser ce manque à gagner, je ne peux même pas me permettre d’exercer un autre métier car mes clients m’attendent. J’ai reporté mon calendrier tous les mois. J’ai des dates pour juillet, août, septembre. Je ne peux pas faire autre chose car si demain l’autorisation est donnée de pouvoir de nouveau travailler, il faut que j’assure les contrats déjà signés et je me dois d’être opérationnel immédiatement.
J’ai eu la chance de travailler au mois de juillet et août 2020 même si c’était dans des conditions où le public ne pouvait ni quitter sa table, ni danser : ce qui est psychologiquement éprouvant. J’ai fait des cachets moindres par rapport aux autres années. J’ai fait seulement 23 cachets sur l’année au lieu des 80 habituels (ce qui représente 960 heures de travail). J’ai bénéficié du dispositif GIP Café Culture mis en place par l’État : ce qui m’a un peu aidé. J’ai aussi monté un dossier avec le GUSO (Guichet Unique du Spectacle Occasionnel) qui m’a permis de compenser 10 spectacles annulés en me versant 10 cachets à 150 euros bruts par cachet. C’est ce qui m’a permis de maintenir un peu la tête hors de l’eau. C’est pour cela que nous luttons pour la prolongation de l’année blanche d’une année supplémentaire.
J’ai entendu parler de Culture Préoccupée 15, par les réseaux sociaux par des amis techniciens du spectacle vivant. Je trouve très bien qu’il y ait des occupations de théâtres partout en France. Je pense que c’est une bonne initiative pour se faire entendre. Pour les gens lambda, nous sommes des musiciens qui faisons un peu de bruit de temps en temps, mais beaucoup ne s’aperçoivent pas réellement de la problématique. Je pense qu’il y a un énorme manque de communication sur notre statut. Lors de mes soirées, certains participants me disent : « vous êtes musicien ? Et sinon vous en vivez ? ». Oui, c’est un métier, musicien. Il ne faut pas le dénigrer. Pour ma part, j’ai commencé à jouer de la batterie depuis l’âge de 9 ans en faisant des cours offerts par mes parents. Je travaille entre 2 et 3 heures par jour mon instrument pour préparer un concert, un spectacle qui tienne la route.
Je pense aux intermittents qui n’ont pas pu finaliser leur dossier avant la pandémie et qui n’ont pas pu obtenir d’aide pendant cette année blanche car il leur manquait des heures sur les 507 heures minimales. Les personnes indemnisées ne sont pas aussi nombreuses que cela, en réalité. Les autres sont en état de précarité et on ne sait pas ce qu’ils deviendront, au moment de la reprise. Beaucoup de talents professionnels formés pendant des années, ne pourront hélas pas reprendre leur activité.
Dans le monde d’après, j’espère que nous serons toujours là pour proposer nos compétences et nos services. Malheureusement, il risque d’y avoir un effet d’entonnoir et certaines personnes pourront retravailler alors que d’autres resteront sur le carreau. Moi même, je suis dans l’optique de redonner des cours de musique, — ce qui ne m’est pas arrivé depuis des années —, pour pouvoir assurer mes moyens d’existence. Il faut noter que ces cours ne peuvent pas être comptabilisés au titre de mon statut d’intermittent. Je suis malgré tout optimiste avec la mise en place de concerts test. Il va falloir se battre pour maintenir ce statut sur la sellette depuis des années. Restons tous mobilisés. Qu’il n’y ait pas de clivage : une culture pour une certaine élite et une culture pour les autres. Il faut maintenir cette diversité culturelle qu’il y a en France. On peut être perruquier, cracheur de feu, échassier, musicienne, danseuse… Sortez et faites vivre la culture ! »

Olivier Caldamaison
« J’ai 47 ans et je suis intermittent du spectacle depuis une vingtaine d’années en tant que technicien, régisseur lumières dans le spectacle vivant. C’est vraiment un métier de passion.
C’est la première fois depuis vingt ans, qu’au mois de mars dernier, j’ai coché la case non sur ma fiche d’actualisation Pôle Emploi. Là, franchement, ça fait vraiment bizarre. Je ne sais pas à quoi m’attendre. C’est une sacrée remise en question pour moi mais aussi pour mes collègues et amis.
Après cinq mois, j’ai pu travailler quelques heures au mois d’août avec quelques employeurs et me replonger avec les collègues dans notre univers du spectacle. C’est un moment de doute particulièrement depuis la réapparition de la réforme de l’assurance chômage.
L’initiative du Collectif Culture Préoccupée 15 est l’occasion de faire renaître l’espoir pour beaucoup de personnes. C’est un mouvement latent qui n’attendait que le bon moment pour naître car il est nécessaire d’envisager et de reconstruire notre avenir et défendre nos droits face aux nouvelles préoccupantes et menaces du gouvernement. Suite à l’appel national du Théâtre de l’Odéon et d’autres lieux de culture, avec quelques amis nous avons communiqué et proposé une première rencontre au Théâtre d’Aurillac pour échanger autour les préoccupations de chacun.
Plusieurs personnes et médias ont répondu présents à cette première invitation au théâtre municipal.
Puis s’en est suivie une seconde rencontre, jeudi 18 mars dernier où est né le Collectif Culture Préoccupée 15. Le premier évènement nommé agora artistique, organisé par le collectif mis en place en seulement deux jours, s’est déroulé le samedi 20 mars en présence de danseurs et danseuses, de musicien.nes, de conteurs et de conteuses et de technicien.nes en veillant aux règles d’accueil du public et au respect du protocole sanitaire.

Pour moi, l’avenir s’ancre dans le présent. Nos revendications consistent en l’annulation de la réforme de l’assurance chômage, la prolongation de l’année blanche jusqu’à la réouverture des salles de spectacle et la reprise de nos activités dans les salles et dans la rue.
J’ai la chance d’avoir plusieurs employeurs et donc habituellement j’arrive à enregistrer en moyenne environ 1000 heures de travail annuel mais cela ne m’a pas empêché pendant le dernier exercice de perdre la moitié de mes ressources habituelles. Je souhaite retravailler le plus rapidement possible dans le cadre de protocoles sanitaires adaptés comme cela a été testé dans des pays comme l’Espagne.
Pour finir, je dirais que la culture n’est pas essentielle, elle est juste existentielle et les droits sociaux aussi. Vive l’art et la liberté d’expression quelle qu’elle soit. »

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