Contre le méga-projet d’oléoduc de TotalEnergies

Le collectif VNPS lance une campagne de désertion

paru dans lundimatin#397, le 5 octobre 2023

1443 kilomètres d’oléoduc traversant l’Ouganda et la Tanzanie, c’est le nouveau projet de TotalEnergies. Alors qu’une mobilisation internationale #StopEACOP s’y oppose, le collectif Vous N’êtes Pas Seuls [1] lance une campagne de désertion et de sabotage depuis l’intérieur même des entreprises qui oeuvrent à la conception et à la construction de ce projet écocidaire. Nous reproduisons l’appel qu’ils nous ont transmis et qui propose de « participer à l’offensive écologique depuis votre position professionnelle ».

Des centaines d’organisations travaillent depuis des années pour mettre fin à EACOP. Ce méga-projet pétrolier, sur le point d’être construit en plein cœur de l’Afrique par TotalEnergies (ci-après « Total »), est une arme de destruction massive du climat, du vivant et des peuples, notamment Ougandais et Tanzaniens. Dans la continuité des luttes engagées contre cette catastrophe, le collectif VNPS, soutien de la coalition StopEACOP, lance une campagne à l’attention des salarié.es de Total, mais aussi des autres parties prenantes clefs du projet : Crédit Agricole, sa filiale Amundi, BlackRock (parmi les premiers actionnaires de Total) ; Standard Bank, ICBC (principaux conseillers financiers sur EACOP) ; Agricultural Bank of China, Goldman Sachs, Bank of America, Lloyd’s of London (banques et assureurs n’ayant pas confirmé leur retrait d’EACOP) ; Daqing Oilfield Company, Worley, Bolloré Logistics (principaux prestataires de construction d’EACOP) ; et tant d’autres. [2]

QUELQUES RAPPELS

EACOP, pour East African Crude Oil Pipeline, sera le plus long oléoduc chauffé au monde avec 1443 kilomètres. Traversant l’Ouganda et la Tanzanie, il transportera le pétrole de deux projets d’exploitation en Ouganda (Tilenga et Kingfisher). EACOP, c’est aussi « l’expropriation d’environ 118 000 personnes tout le long de son parcours, principalement des populations paysannes dépendant de leur terre pour vivre », la mise en danger «  d’écosystèmes uniques et très fragiles, qui abritent de nombreuses espèces protégées dont certaines menacées d’extinction », et la menace «  du plus grand bassin d’eau douce d’Afrique, le bassin du lac Victoria, dont plus de 40 millions de personnes dépendent ». EACOP enfin, c’est une bombe climatique pouvant émettre «  jusqu’à 34,3 millions de tonnes de CO2 par an, soit bien plus que les émissions de l’Ouganda et de la Tanzanie réunies  ». [3]

Des populations et associations locales, à la coalition internationale #StopEACOP, le rejet contre ce projet ne cesse de croître. En France, six associations (deux françaises et quatre ougandaises) ont mis en demeure, puis assigné en justice Total devant les tribunaux, considérant que la multinationale «  ne respectait pas ses obligations légales de prévenir les violations des droits humains et les dommages environnementaux causés par les activités de ses filiales et sous-traitants en Ouganda et Tanzanie ». [4] Des recours judiciaires similaires ont eu lieu en Ouganda et devant la Cour de Justice d’Afrique de l’Est. Malgré les audiences sans cesse repoussées ou ralenties pour des questions de procédure, sur le fond : la documentation disponible sur les violations des droits humains, les impacts et risques d’impacts environnementaux des projets EACOP, Tilenga, et des autres projets associés, est accablante. [5] En mai 2023, scientifiques et experts sont sortis de leur réserve pour appeler dans une tribune «  les actionnaires de Total à voter contre la stratégie climat de la firme  », qualifiant EACOP d’«  absurde dans un monde qui verra la décroissance rapide des énergies fossiles  ». [6]

Lassés d’attendre un sursaut des dirigeants politiques — ou pire, de l’entreprise qui a sciemment menti depuis des décennies sur l’impact de ses produits [7] —, une campagne #StopEACOP a déjà ralenti la construction de l’oléoduc. Sous la pression des ONG, «  26 banques et 23 assureurs se sont engagés à ne pas financer ni assurer le projet dont le montant est estimé à 10,5 milliards de dollars (9,8 milliards d’euros)  ». Aux dernières estimations «  Total chercherait à lever 3,5 milliards de dollars pour boucler son investissement  » selon Le Monde. [8]

Aujourd’hui, la campagne menée par VNPS souhaite élargir le front de la contestation.

NOTRE STRATÉGIE

L’impératif de sobriété énergétique des pays les plus riches du monde, passant par la fin de l’extractivisme fossile, tient désormais du consensus scientifique. Le lexique de la décroissance est même récupéré jusque dans les amphithéâtres d’HEC. [9] Pourtant, l’État français n’a jamais déployé autant de promesses et d’efforts pour accroître et perpétuer sa puissance énergétique : relance du nucléaire, accélération de la ’transition énergétique’ avec la prolifération de l’industrie solaire, éolienne, giga-méthaniseurs et... la poursuite du néocolonialisme fossile avec EACOP. [10]

Contre EACOP et les multinationales qui l’organisent, contre leur monde, nous affirmons qu’une complémentarité des tactiques — mais aussi des objectifs, dans leur degré de radicalité — est absolument nécessaire.

Nous, collectifs et individus accompagnant le mouvement de désertion, nous ne souhaitons pas « changer  » Total. Nous souhaitons son démantèlement. Nous souhaitons la mise hors d’état de nuire de cette organisation criminelle en guerre contre le monde vivant. Nous souhaitons désarmer ses infrastructures, par tous les moyens nécessaires. Et nous n’y arriverons pas sans les personnes qui travaillent dans ses puits de pétrole, ses bureaux d’études, ses raffineries, ses plateformes logistiques, ses services informatiques, ses stations-services. Comme le remarque judicieusement l’historien Victor Cachard : « Il y a tout un travail de renseignement à faire avec les travailleurs et travailleuses pour cibler les points névralgiques et encore vulnérables du système économique ». [11] C’est à cet exercice délicat, mais littéralement vital, que nous souhaitons contribuer. Puisse EACOP être le pied dans la porte d’un mouvement de résistance plus large contre les points névralgiques de la méga-machine.

Déserter EACOP, c’est avant tout cesser d’être complice. C’est rompre sa loyauté envers un système, ses structures et ses valeurs. Déserter EACOP, c’est ôter sa force vive à l’un des premiers pôles de destruction de la vie sur terre. C’est retourner les armes de l’adversaire contre lui-même. Ainsi, déserter EACOP peut se faire même en restant en poste chez Total ou ses partenaires. En jouant le rôle d’infiltré.e, en transmettant du renseignement stratégique ; en diffusant de la propagande en interne ; voire en ralentissant ou en bâclant son travail, et donc la production. L’infiltré qui ne supporte plus sa dissonance peut lancer l’alerte, en témoignant publiquement des raisons politiques de sa démission, qu’il agrémentera à son gré d’informations plus ou moins sensibles. Par ce geste, l’écho de sa contestation est amplifié. Il donne aussi du courage à d’autres, qui se sentent alors moins seul.es.

Une fois dehors, la déserteuse lanceuse d’alerte peut mettre toutes les compétences et les connaissances acquises dans son ancienne vie, au profit d’un mouvement de résistance : par du colportage politique ; en apportant son expertise à une enquête militante, à un argumentaire juridique ou à la défense d’activistes ; en cartographiant les points de faiblesses et/ou en coordonnant des luttes contre les projets destructeurs de son ancien secteur. Si le grand air l’appelle, l’ex-actionnaire de Total peut convertir les fruits de ses ex-dividendes dans la reprise de terres agricoles ou forestières, afin de les protéger de la prédation industrielle, tout en s’en servant comme d’un lieu d’accueil, d’autonomie et de refuge.

EN RÉSUMÉ

Si vous êtes salarié.es chez TotalEnergies, l’un de leurs premiers actionnaires, sous-traitants ou partenaires clefs d’EACOP [12], et que la fracture entre votre travail et vos valeurs devient trop forte ; si vous voulez transformer votre démission en un acte politique et écologiste ; si vous voulez rester anonyme et nous transmettre des informations, confidentielles ou non, pour soulager votre conscience et entrer en résistance : contactez-nous.

Si vous connaissez une personne dont le profil correspond avec la description qui précède : merci de lui partager notre message.

Vous êtes révolté.e ? Organisons-nous.

Pour suivre la suite de cette campagne  : https://vous-netes-pas-seuls.org/deserteacop/

Contact :

Lundi 2 octobre 2023

[1Nous les avions interviewer l’année dernière ici.

[2Si vous travaillez pour l’une de ces entreprises (ou l’un de leurs sous-traitants) et que l’idée de participer, même indirectement, à ce crime vous révulse ; si vous voulez diffuser des informations capables de contrecarrer ce projet ; si vous souhaitez transformer votre démission en un acte politique, écologiste et entrer en résistance contre ce monde : vous n’êtes pas seul.es. Contactez-nous : https://vous-netes-pas-seuls.org/contact/

[4Ibid.

[5WWF and Civil Society Coalition on Oil and Gas in Uganda, Safeguarding people & nature in the East Africa crude oil pipe- line project, 2017. Les Amis de la Terre France et Survie, Manquements graves à la loi sur le devoir de vigilance : le cas TOTAL en Ouganda, octobre 2019, et Un cauchemar nommé Total, 2020. Les Amis de la Terre France, l’Observatoire des multinationales et Survie, Comment l’État français fait le jeu de Total en Ouganda, 2021. Fédération Internationale pour les Droits Humains (FIDH) and co. New Oil, Same Business ? At a Crossroads to Avert Catastrophe in Uganda, 2020. Oxfam America and co. Empty Promises Down the Line ? A Human Rights Impact Assessment of the East African Crude Oil Pipeline, 2020. Inclusive Development International (IDI), Bancktrack et AFIEGO Assessment of East African Crude Oil Pipeline (EACOP) and Associated Facilities’ Compliance with Equator Principles and IFC Performance Standards, 2022. « Ouganda : Total dans le piège de l’or noir », in La Croix, 23 avril 2021 ; « En Ouganda, le pétrole de Total impose le silence et la peur », in Le Monde, 26 novembre 2021 ; « Uganda’s First Oil (Short Documentary) », in Infonile, 28 mai 2021.

[10Le discret soutien de Macron au projet climaticide de Total en Ouganda, in Mediapart, 27 septembre 2021. Pour une perspective historique plus large, voir : Patrick Benquet, Françafrique, 50 ans sous le sceau du secret, 2010

[12Nous citons quelques-unes de ces entreprises dans le chapô de ce texte, mais nous comptons publier un article dédié à la cartographie la plus exhaustive possible sur les points névralgiques du projet.

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