Cauchemars et facéties #18

Sur l’internet...

Cauchemardos - paru dans lundimatin#49, le 22 février 2016

Cette semaine on a trouvé sur l’internet, des voyous, des bonbons, des surveillants et des contrôleurs, des miasmes, des problèmes de vocabulaire, la ZAD, et « Voilà, c’est tout ».

Coupe-gorge

Un journaliste de France Culture s’est rendu à une réunion publique d’habitants du XVIe arrondissement de Paris, concernant un projet de centre d’hébergement d’urgence près du bois de Boulogne. On retrouve une retranscription partielle du reportage ici.

Un homme : « Si on viole une petite fille, si on tue quelqu’un, je vais me fâcher. » Une femme : « Ces personnes [hébergées dans le centre] seront perdues dans le XVIe arrondissement. Elles ne rencontreront pas d’accueil. On ne parle pas leur langue, elles vont être toujours en groupe, et un groupe, ça fait un peu peur. » Une autre élargit le « débat », décrivant les virées de bandes venues de banlieue pour casser du bourgeois : « Ils arrivent par le RER, descendent à Foch et viennent pour casser, cambrioler. La nuit, le boulevard Jules-Sandeau, c’est un coupe-gorge. La police tire en l’air quand elle court après les voyous. »

Chagriné d’être traité de « mou du genou » par l’assistance, Goasguen [maire et député LR de l’arrondissement] renchérit. Rappelant son CV militant chargé (il fut membre du mouvement d’extrême droite Occident), il affirme qu’il manifestera « avec plaisir » avec ses électeurs. « Vous voulez dynamiter la piscine [située à proximité du futur centre d’hébergement, ndlr] ? Ne vous gênez pas, mais ne vous faites pas repérer. »

M&M’s

Elles sont vraiment stupéfaites, ces neuf caissières du supermarché Casino de Port-Saint-Louis-du-Rhône. Ces salariées sont convoquées chez les gendarmes cette semaine pour une histoire de disparition de paquet de bonbons à un euro pendant un mouvement de grève avec occupation des locaux en fin d’année dernière. La direction de Casino a porté plainte pour vol.

FBI

On vous parle régulièrement des chamailleries qui opposent les autorités de certains pays occidentaux (le Royaume-Uni, les Etats-Unis, la France) et les géants du web concernant le chiffrement des données des utilisateurs. En effet, pour se reconstruire une bonne image à la suite de l’affaire Prism, Apple et Google (pour ne citer qu’elles) ont entrepris d’offrir aux utilisateurs d’iOS et d’Android des moyens faciles de chiffrer les données qu’ils stockent sur leurs téléphones (photos, documents, contacts - ça ne concerne pas les communications elles-mêmes, ni même ce qui est stocké, souvent automatiquement, sur le cloud). Dans le même genre, Facebook, va faciliter l’usage de son service sous Tor (une prochaine version de l’appli Facebook sous Android devrait être utilisable avec Orbot)(ici, cela « sécuriserait » le transfert d’informations en tant que tel et permettrait de contourner la censure a priori).

Le FBI, la NSA, ou encore François Molins, procureur de Paris, veulent inciter et désormais forcer ces entreprises à intégrer des backdoors dans leurs logiciels de chiffrement. Nouvel épisode, cette semaine :

Mardi, Apple a décidé de contester la mise en demeure d’un tribunal de Los Angeles, qui le contraindrait à développer un logiciel pour aider le FBI à accéder au contenu du smartphone d’un des auteurs de la tuerie de San Bernardino (Californie). Pour la firme à la pomme, le risque est trop grand qu’un tel outil ne soit ensuite utilisé à d’autres fins, et ne mette en danger la sécurité et la vie privée de tous ses utilisateurs.

Plus précisemment, la juge Sheri Pym demande à Apple d’aider le FBI à accéder aux données chiffrées de l’iPhone 5C de Syed Farook, « l’un des deux auteurs de la tuerie de San Bernardino, qui avait fait 14 morts en décembre ».

Quand le FBI nous a demandé les données qui étaient en notre possession, nous les avons fournies, insiste Cook [PDG de Apple]. Mais aujourd’hui, le gouvernement américain nous demande quelque chose que nous n’avons pas, quelque chose que nous considérons comme trop dangereux pour être créé. Il nous demande de construire une "porte dérobée" pour l’iPhone », un accès secret à l’appareil.

Google a apporté son soutien à Apple dans cette affaire. Sundar Pichai, son PDG a twitté : « Nous donnons aux forces de l’ordre l’accès aux données [en notre possession] sur la base de demandes légales. Mais demander à des entreprises de favoriser le piratage des appareils et des données des consommateurs, c’est complètement différent. »

Le PDG de Whatsapp (qui tend aussi à assurer le chiffrement des messages qui transitent sur cette plateforme) a déclaré via Facebook :

J’ai toujours admiré Tim Cook pour sa position sur le respect de la vie privée et les efforts d’Apple pour protéger les données des utilisateurs et j’approuve totalement tout ce qui est dit dans leur communiqué. Nous ne devons pas permettre ce dangereux précédent. Aujourd’hui, nos libertés personnelles sont en jeu.

Le lendemain, c’est la NSA qui a mené une petite opération de publicité anti-chiffrement. L’amiral Michael Rogers, a affirmé sur Yahoo ! News que c’est parce que « certaines communications » des terroristes étaient « chiffrées » que son agence n’a pas pu prévoir et empêcher les attentats du 13 novembre à Paris.

Est-ce que nous avons du mal à acquérir les informations que l’on voudrait sur ces cibles ? Oui. Est-ce que c’est lié aux changements qu’ils font dans leur manière de communiquer ? Oui. Est-ce que le chiffrement rend nos missions plus difficiles à accomplir ? Oui.

Nous vous recommandons donc le très bon article d’Amaelle Guiton qui revient dans Libération sur cette affaire. Ainsi que celui de Pixels, dans le Monde, sur le même sujet. Enfin, celui de MM. Martin Untersinger et Laurent Borredon, dans le Monde, toujours, sur les problèmes que pose le chiffrement des téléphones à la police française plus spécifiquement.

Leurre

Dans cette époque, le foutage de gueule semble avoir été érigé au rang d’art. Et en ce moment les plus doués dans cet exercice sont les députés français.

On le sait depuis quelque temps, la menace-du-frère-kouachi est un produit qui sert à tout. En premier lieu à prolonger ad vitam eternam l’état d’urgence - et on pose sans sourciller, dans les médias, la question de savoir s’il sera encore en place pour l’expulsion de la zad, ce qui serait tout de même bien pratique. Mais pas seulement.

Ainsi, cette semaine nous apprenions que la commission mixte paritaire a adopté une disposition qui prévient que « le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, tout message de nature à signaler la présence de contrôleurs ou d’agents de sécurité employés ou missionnés par un exploitant de transport public de voyageurs est puni de deux mois d’emprisonnement et de 3 750 € d’amende ».

Fichtre, de la prison pour avoir signalé la présence de contrôleurs à la prochaine station de métro, on dira que la chasse aux pauvres est menée tambour battant sous prétexte de lutte contre les incivilités ! Non, non, pas seulement... Ainsi, quand le Sénat a « supprimé la peine de prison insérée par l’Assemblée nationale, en jugeant qu’elle était disproportionnée »,les députées ont coupé court - avec quel argument ?

Eux considèrent qu’il y a non seulement un préjudice économique contre lequel lutter, mais aussi le besoin de s’assurer que les agents de sécurité mandatés par les entreprises de transport puissent effectivement réaliser les contrôles nécessaires pour intercepter les éventuels terroristes, lesquels ne doivent pas bénéficier des signalements pour leur échapper.

ZAD

Des habitants de la ZAD, à propos du référendum (pour ou contre l’aéroport de Notre-dame-des-landes), dans Libération.

Cette consultation locale, qui se présente comme le nec plus ultra de la « participation démocratique » est un cadeau empoisonné. Offert par un Président à bout de souffle et par quelques élus verts prêts à toutes les trahisons qui se disaient les alliés politiques de la lutte et qui s’en révèlent, ici, les pires ennemis.

Voici la forme que prend, dès à présent, ce leurre : les élus locaux auxquels Hollande a confié d’organiser la consultation locale représentent une classe politique dirigeante unie depuis des années pour défendre le projet d’aéroport, conforter son pouvoir et assurer les intérêts économiques de Vinci et des lobbys patronaux. Ce sont eux qui sont censés choisir unilatéralement les modalités et l’envergure de la consultation.

En somme, « les uns et les autres ne joueront en aucun cas à armes égales ». Mais :

Pour nous, le sort de ce précieux bout de bocage doit être pris en charge avant tout par ceux et celles qui l’aiment et en prennent soin, celles et ceux qui le cultivent et l’arpentent au quotidien, habitent sur place ou dans le voisinage.

Mais la mobilisation internationale contre ce projet montre aussi que les questions liées à la sauvegarde des terres agricoles, à la biodiversité, aux enjeux climatiques, mais aussi à l’uniformisation métropolitaine et mercantile du monde ne peuvent se résumer à un choix local. Que l’on y vive en permanence, ou que l’on ait traversé quelques fois la France pour le défendre, l’histoire du bocage de Notre-Dame-des-Landes est avant tout une affaire sensible, faite de rencontres et de solidarités concrètes, de chair, de larmes et de joies innombrables. Son destin ne peut, en aucun cas, être soldé par quelques bulletins de vote censés donner la voix d’une majorité abstraite et lointaine. Pour notre part, face à ce jeu de dupes et au grand spectacle à venir, nous continuerons à faire ce qui est pour nous décisif : défendre des idées et pratiques bien réelles sur le terrain. Nous ne cesserons d’y faire émerger concrètement des possibilités de sortir du désastre environnemental et social, ainsi que du perpétuel chantage au chômage et à la croissance.

ZAD (bis)

Destitution et formes-de-vie

Deux nouvelles contributions à la réflexion sur le pouvoir constitutant/destituant engagée par le journal Libération (réflexion à laquelle avaient participé fin janvier MM. Hazan et Coupat ; nous avions nous-même, en appui de cette tribune, publié sur lundimatin la retranscription d’une intervention d’Agamben).

Après avoir affirmé, dans Libération, toujours, que « notre post-démocratie pourrait ressembler à la prérévolution », Sophie Wahnich, directrice de recherche en histoire et science politique au CNRS écrit :

Aujourd’hui, le changement peut aussi passer par la subversion. Mais suffit-il de fabriquer des primaires pour faire bascule ? Encore faudrait-il que l’enjeu des élections soit lui-même subverti. Non pas élire un chef de l’exécutif plus ou moins autoritaire, mais un candidat destituant et instituant, qui serait le pivot d’une nouvelle grande transformation constituante en France et en Europe.

Obtenir ou préparer des primaires sans changer la logique électorale de cette Ve république, c’est comme obtenir le doublement du tiers sans le vote par tête, obtenir un grand changement apparent pour que rien ne change.

Il n’empêche, le doublement du tiers a ouvert la possibilité de mener une bataille politique intense et incertaine en mai 1789, qui renversa l’Ancien Régime. Lorsque la victoire de l’Assemblée nationale constituante aurait pu être ravie par une répression monarchique et militaire, les Parisiens prirent les armes et la Bastille.

Une prise de position qui, comme on le voit, ne prend pas en compte le décalage opéré par Hazan, Coupat et Agamben (le fameux « processus destituant »).

Mais voilà venir un rebondissement, avec la contribution de Jean-Luc Nancy, dans Libération, encore. M. Nancy appuie l’initiative de Coupat et Hazan, tout en notant :

Il me paraît seulement nécessaire de relever ceci : le mot choisi pour désigner le processus à engager, la « destitution », est peu convaincant, peu entraînant et beaucoup trop lié à ce dont il s’agit de se séparer. C’est un terme juridique, il implique une institution habilitée à destituer (ici, un peuple souverain, assez classique en somme) et, surtout, il maintient la fonction de laquelle une personne est destituée (ici, la fonction politique qu’il s’agit justement de repenser de fond en comble). A tout le moins, il faudrait constituer à nouveaux frais une instance suprapolitique. Toutes les questions liées aux pouvoirs constituants ou aux imaginations instituantes, questions si souvent agitées depuis un demi-siècle, risquent d’y projeter leurs ombres.

Là encore il semble y avoir incompréhension. Hazan et Coupat écrivaient bien :

Ce que nous préparons, ce n’est pas une prise d’assaut, mais un mouvement de soustraction continu, la destruction attentive, douce et méthodique de toute politique qui plane au-dessus du monde sensible.

Dans l’intervention d’Agamben, que nous avions publié, il fallait relever que :

Cette opération de destitution du pouvoir ne sera possible que par une forme-de-vie. Donc ce n’est pas tout simplement trouver la bonne action mais constituer des formes-de-vie. Je dirais même qu’une forme-de-vie c’est justement là où on rejoint quelque chose qui d’elle-même va être destituante.
[...]
il ne s’agit pas simplement d’un mode de vie différent. Ce sont des modes de vie qui ne sont pas simplement des choses factuelles mais des possibilités.
[...]
Donc d’abord, la forme-de-vie est quelque chose comme un goût, une passion, un clinamen : c’est quelque chose d’ontologique qui affecte un corps. [...] Ce n’est pas ce que je suis mais comment je suis ce que je suis.
[...]
Vous voyez que c’est toute une autre ontologie qu’il faudra penser dans le sens que l’ontologie a toujours été définie par ces deux concepts : identité et différence. Donc on a essayé par exemple de penser le problème un et multiple par le concept identité et différence (différences ontologique etc.). Et il me semble que ce qu’il faudrait penser, c’est un tiers qui va neutraliser ce couple identité/différence.

Mais encore :

Une chose qu’on avait discutée l’autre soir : tout cela implique aussi qu’il y a un autre concept politique dans notre tradition qu’il faut repenser. C’est celui d’organisation. Parce que vous comprenez que si la définition d’une forme-de-vie que je donne est correcte, la forme-de-vie n’est pas quelque chose que quelqu’un peut prétendre organiser. Elle est déjà en elle-même pour ainsi dire complètement organisée. Qui va organiser des formes-de-vie puisque la forme-de-vie est le moment où on a rejoint l’usage habituel d’une puissance ?

Et donc à mon avis le problème de l’organisation politique est l’un des problèmes majeurs de notre tradition politique et il faut le repenser.

Voilà, c’est tout.

Mais revenons, pour conclure, au texte de M. Nancy :

D’ailleurs, la destitution est déjà au travail. Coupat et Hazan la décrivent très bien. C’est un processus auto-immune du Vieux Monde qui s’épuise. Préférons donc faire autre chose. Ni destituer, ni constituer ni restituer. Ce n’est pas assez net ni assez vif. J’aimerais dire pour la résonance que « situer » suffit. Mais ça ferait nostalgique (à s’y tuer). Essayons simplement, puisqu’il s’agit d’un appel, de répondre. Ce qui en bon latin veut dire s’engager. PS : Bien entendu, inutile de rappeler le mot « déchéance ».

Communisme et formes-de-vie

Une équipe de chercheurs menée par Adrian Liston à l’Université de Louvain (Belgique) a examiné les échantillons de sang de 700 personnes. 150 cobayes ont été par la suite sélectionnés et suivis pendant une période de six mois, pour voir comment leurs systèmes immunitaires se modifiaient en fonction de leur environnement.

Un bilan qui s’est révélé surprenant pour les chercheurs : les personnes en couple ont un système immunitaire remarquablement similaire. Les 70 couples mariés de l’étude avaient en moyenne 50% de moins de variations entre leurs deux systèmes immunitaires que chez un duo homme-femme pris au hasard.

Car vivre avec quelqu’un amène à une liste de petits changements, comme notre façon de nous nourrir, notre consommation d’alcool ou nos exercices quotidiens. Un couple sera de plus exposé à la même pollution et aux même maladies. Même les millions de microbes qui sont dans et sur notre corps finissent par se ressembler : dix secondes d’un baiser équivalent à 80 millions de bactéries échangées.

Bons élèves

Pour le Figaro, l’esprit du 11 janvier n’est pas mort. Le journal continue de relever un « extraordinaire enthousiasme des Français pour des métiers qui faisaient naguère figure d’épouvantails pour une frange de la jeunesse : les forces de l’ordre. »

Selon le Ministère de l’Intérieur, on a vu dans la foulée des attentats, « une augmentation de 50 % des vocations par rapport au concours de septembre 2014. »

Le nouveau cru de gardiens présentera donc un taux de sélectivité d’environ 8%, équivalent aux concours d’officiers ou de commissaires. Ou encore à celui de Sciences Po...

L’intérêt des Français pour le métier de policier se manifesterait aussi sur les réseaux sociaux, ainsi « depuis novembre, le compte Twitter de la police a doublé sa fréquentation tandis que son compte Facebook a bondi de 40 %. » Un « signe qui ne trompe guère » selon le quotidien.

Pour Jean-Marc Berlière, professeur émérite d’histoire contemporaine et spécialiste de l’histoire des polices en France, « nous sommes face à un inédit phénomène d’héroïsation, un peu à la manière des pompiers de New York après le 11 septembre 2001. Ce qui était inconcevable en France à l’époque est devenu réalité ». Il rappelle que « la seule fois où la population a crié « Vive les flics », ce qui est peu banal, remonte aux 24 et 25 août 1944, lorsque les gardiens de la paix à l’origine de l’insurrection contre l’occupant nazi ont défilé de façon informelle dans les rues de Paris ».

Ainsi, selon un policier croisé sur un salon de l’emploi :

« Depuis les attentats, les jeunes sont moins réticents à venir nous voir. Ils sont moins agressifs, moins critiques, plus bienveillants. Dorénavant, ils savent que nous jouons un véritable rôle dans la protection du pays et de la population. »

Algorithmes et habitudes

Un long article d’internetactu sur la gouvernementalité algorithmique, la liberté des internautes, l’architecture du web.

Nous n’allons pas vous le résumer ici, mais voici quelques passages qui vous donneront peut-être envie de vous y plonger.

Le pouvoir s’appuie sur la liberté des individus :

Pour Dominque Cardon, il est nécessaire de prendre acte du fait que le type de gouvernementalité qu’impose les technologies numériques aujourd’hui ne se laisse plus décrire dans le vocabulaire du couple contrôle/discipline, mais dans un autre format qu’il faudrait appeler environnement/utilité, pour faire référence à Foucault. La domination libérale consomme la liberté des sujets, disait ce dernier. Le pouvoir ne se trouve plus dans la contrainte et l’aliénation, mais dans la liberté des individus elle-même, comme l’a souligné la philosophe Antoinette Rouvroy dans ses travaux (voir notamment “Big Data : l’individu au détriment des catégories”). La gouvernance de l’environnement et la mesure de l’utilité forment un couple conceptuel qu’il faut prendre désormais en compte.

On est face à une intervention de type environnemental :

“Ce qui apparaît dans le néolibéralisme, ce n’est pas l’idéal ou le projet d’une société exhaustivement disciplinaire, dans laquelle le réseau légal enserrant l’individu serait relayé et prolongé de l’intérieur par des mécanismes, disons, normatifs. Ce n’est pas non plus une société dans laquelle le mécanisme de la normalisation générale et de l’exclusion du non-normalisable serait requis. On a au contraire, à l’ho­rizon de cela, l’image ou l’idée ou le thème-programme d’une société dans laquelle il y aurait optimisation des systèmes de différence, dans laquelle le champ serait laissé libre aux processus oscillatoires, dans laquelle il y aurait une tolérance accordée aux individus et aux pratiques minoritaires, dans laquelle il y aurait une action non pas sur les joueurs du jeu, mais sur les règles de jeu, et enfin dans laquelle il y aurait une intervention qui ne serait pas du type de l’assujettissement interne des individus, mais une intervention de type environnemental”, explique Michel Foucault dans son cours sur La naissance de la biopolique en 1979. Passer d’une explication par la contrainte à une explication qui analyse un modèle de type environnemental permet de comprendre ce qui est en jeu dans les transformations actuelles du web et d’esquisser une proposition de réaction.

Le modèle « carcéral » dépassé :

“Capharnaüm ou prison ? Il est frappant qu’une même réalité soi soumise à des représentations aussi contradictoires. La réalité du web est qu’il est bien une architecture, mais que celle-ci est bien plus complexe que celle que réaniment les tenants d’un web du contrôle.”
[...]
Certains discours généralisant sur le numérique ne tiennent aucun compte de la réalité des usages et des dynamiques socioculturelles qui les animent pour prononcer leurs vérités. Or ceux-ci développent des savoir-faire et des heuristiques pour apprivoiser et s’adapter aux différents environnements numériques. Les internautes déchiffrent, jouent, truquent et instrumentalisent leurs pratiques des plateformes. Ce qui apparaît comme désordonné, irrationnel, incohérent, répond du point de vue des utilisateurs à des logiques signifiantes, rationnelles. Il se développe inégalement, de manière fragmentaire et localisée, une véritable réflexivité stratégique de l’usage, des traces, des métriques et des artefacts cognitifs qui sont les supports essentiels des activités numériques.” Les internautes tentent de faire sens de leur relation aux environnements sociotechniques auxquels ils sont confrontés, à l’image des pas de danse que nous menons avec les algorithmes qu’évoquait Frank Swain, cette ingénierie inversée qui tente de déterminer le fonctionnement d’un système en étudiant ses réponses.

Un web personnalisé :

Mais l’architecture du web aussi complexe et peu lisible soit elle est déjà en train de changer de statut. La nouvelle orientation prise par le calcul algorithmique transforme son architecture en “une succession de monades virtuellement construites pour chaque internaute”. Désormais chacun accède à un web différent : “les structures de la vie partagée et commune s’estompent”. La personnalisation fait peu à peu disparaître les espaces communs, les espaces publics.

“La manière dont les algorithmes veulent désormais configurer l’environnement numérique est de glisser dans chaque internaute le calculateur de ses conduites pour construire pour lui et pour lui seul un monde qui pousse sa fonction d’utilité. L’architecture de l’information ne correspond plus alors à des formes partagées et publiques, mais devient la bulle solipsiste et personnelle qui a été fabriquée pour chacun.

Les algorithmes se nourrissent de nos habitudes :

C’est le même déplacement qui s’est opéré avec le fil d’information de Facebook. On est passé d’un système normatif intelligible et justifiable privilégiant les informations venant de nos “vrais” “amis” – ceux avec lesquels l’utilisateur a réellement interagit -, au calcul de la bulle informationnelle de chacun en donnant comme objectif à l’algorithme de faire rester le plus longtemps possible l’internaute dans Facebook. La règle consistant à privilégier ses relations les plus proches est désormais une conséquence émergente des clics des internautes.La disparition de la règle préalable permet de ne pas imposer un ordre normatif sur les classements, mais de les déduire des règles de comportements afin de gérer les singularités de chacun.” Ce sont nos routines, nos habitudes qui construisent l’algorithme des environnements sociotechniques que nous utilisons.

Nous sommes prévisibles :

“On a beaucoup reproché aux algorithmes d’être secrets, mais il était au moins possible de tenter d’en comprendre les principes. De plus en plus, ils sont non seulement secrets, mais aussi inintelligibles, même pour ceux qui les fabriquent”, comme le soulignait récemment Wired

La disparition des règles du web architectural dans les boites noires du machine learning a été rendue possible en prenant appui sur une autre boite noire dont nous oublions souvent qu’elle est l’indispensable condition des possibilités des nouveaux calculs : la régularité de nos comportements eux-mêmes. “Les nouvelles techniques algorithmiques règlent leurs calculs sur la performance des prédictions à partir d’un principe simple et unique d’efficacité. Or ces résultats ce sont nos comportements numériques qui les donnent aux calculateurs. Ils se règlent sur nos régularités (classements, clics d’achats, comportements lors de nos navigations, likes et tweets, vitesse de lecture d’un ebook…). Sans ces informations, il est impossible que les algorithmes façonnent leurs prédictions. C’est la mise ne place de boucles de rétroaction réglant les signaux en fonction de nos traces qui est au coeur de la transformation numérique actuelle : c’est elle qui a transformé les algorithmes réglés par des principes normatifs, explicites et communs, en boites noires qui s’ajustent efficacement et de façon personnalisé à nos comportements.” Les algorithmes ont abandonné leurs principes normatifs en utilisant nos traces pour y bâtir de nouveaux systèmes dédiés à leur seule efficacité. “La règle qui régissait leurs fonctionnements est désormais celle qui, dans l’utilisateur lui-même, ordonne ses comportements.” Ils épousent nos comportements pour nous rendre le service que créé notre recherche d’utilité. Ils se développent au coeur même des informations comportementales que nous leur cédons. “C’est parce que nous sommes prévisibles que les calculateurs calculent bien”.

Si nous étions moins attentifs à notre liberté qu’à notre détermination, nous serions beaucoup plus outillés pour faire effectivement de vrais choix :

“Une des raisons du sentiment d’insatisfaction et de déception que nous pouvons avoir à l’égard des réalités numériques est d’ailleurs certainement une conséquence de l’intensification de la représentation que nous nous faisons de nous-mêmes comme des êtres libres, autonomes et auto-déterminés”. En mettant à jour combien nous le sommes peu, nous semblons perdre un peu plus de notre contrôle sur le monde, semble nous dire Dominique Cardon. Mais cela même nous invite à le voir autrement. “Au lieu d’être si vigilants sur tout ce qui peut venir contraindre, brider ou empêcher nos navigations nous devrions être attentifs à tout ce qui nous détermine. A cet ensemble si régulier et automatique de comportements monotones qui dirigent nos navigations numériques et informent les algorithmes. Si nous étions moins attentifs à notre liberté qu’à notre détermination, je crois que nous serions beaucoup plus outillés pour faire effectivement de vrais choix.” Pierre Bourdieu aimait à rappeler que Spinoza définissait nos libertés par la connaissance que nous avions des déterminations. Les algorithmes qui calculent bien calculent à partir de nos régularités comportementales. “Certains se sentent suffisamment outillés pour se penser autonomes et autodéterminés dans leurs propres pratiques. Ceux qui sont enfermés, domestiqués, aliénés sont toujours les autres. Or, la réalité est que nous sommes tous réguliers et prévisibles.”

Vocation

J’avais trouvé ma voie [...]C’est un métier de contact, ce qui est très important pour moi : j’aime aller à la rencontre des gens.
[...]
Généralement ça se passe bien, mais il arrive que les choses tournent mal. [...]
Je devais procéder à un enlèvement de mobilier chez une personne qui était, bien entendue, prévenue de ma venue.[...]

La situation a dégénéré. J’ai été frappé au visage par l’un des membres de la famille. C’était trop dur, il a pété un câble. J’étais avec mes deux témoins et un serrurier, qui n’ont pas eu le temps de réagir.

Croyez-moi ou pas : je suis très heureux. Je suis bien dans ma peau, j’ai beaucoup d’amis et je suis respecté et apprécié dans ma profession. Même les débiteurs apprécient ma façon d’être : je leur dis toujours la vérité.

Quoi qu’il en soit,mon père est aujourd’hui fier que son fils soit huissier de justice. Il a appris à vivre avec, et il ne s’en porte pas plus mal.

Flashball

Après avoir initialement déclaré qu’aucun tir de flash ball n’avait été effectué samedi dernier, le parquet de Reims avait ensuite reconnu qu’un policier avait bien tiré sur M. Beux avec une arme de ce type. Mais, selon le parquet, la victime avait été atteinte à l’abdomen et c’est en s’enfuyant qu’elle s’était grièvement blessée à l’oeil après avoir chuté la tête en avant sur un poteau bordant la voie de tramway.

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