Le grand Paris arrive, le grand Paris est là

Un photomontage de Anne-Marie Bonnisseau

paru dans lundimatin#242, le 12 mai 2020

« Le Grand Paris est un écocide », c’est en tous cas ce qu’annonçaient dans nos pages une cinquantaine de chercheurs, collectifs, acteurs du monde de la culture et intellectuels, il y a quelques semaines de cela. Le photomontage que nous publions aujourd’hui s’en veut une nouvelle démonstration. En superposant les images de chantiers et d’arbres dans la ville de Villejuif, Anne-Marie Bonnisseau nous laisse entrevoir la destruction à l’oeuvre, loin des images de propagande qui s’affichent le long des trottoirs.


« A l’heure actuelle, certains travaux anthropologiques le révèlent assez
finement : tout un chacun est constitué par l’histoire des lieux qu’il habite, de la même manière que ces lieux sont faits de son histoire à lui. Ils se développent ensemble. Les êtres s’enchevêtrent, les existences se tissent d’autant de trajectoires géographiques, inscrites à même le sol. Rompre ce lien entre les êtres et les lieux, c’est aussi rompre le lien de ces êtres avec leur passé. Cela s’appelle, comme le dirait si bien Tim Ingold, mettre à plat. Et cette mise à plat que produit toute infrastructure, de par le maillage de connexion, point par point, nœud par nœud, ligne par ligne, qu’elle taille à travers les territoires et toujours en traçant droit. Forcer la matière. Homogénéiser, rendre comparable. Chaque portion d’être, chaque part découpée devant avoir une fonction. Toujours un problème de planification. De géométrie. De mesure. D’équivalence. »
Jean-Baptiste Vidalou, Être Forêts

Villejuif est une ville située à 8 km de Paris, elle offre un paysage banal de banlieue, succession de barres d’immeubles et de zones pavillonnaires avec jardins.
Villejuif se transforme !
Les panneaux publicitaires bordent les chantiers qui ont envahi nos espaces communs. On peut y lire :
« Villejuif bouge et se développe pour vous et avec vous », « plus de commerces, plus de services, tout le monde y gagne », « Recevoir bien-être repos sérénité confort art de vivre », « à Villejuif, le sens de l’accueil est bien dans notre nature », « vivre mieux travailler mieux », « avec vous Villejuif se révèle », « connexion ambition avenir évolution »...
Ils construisent partout, ils abattent de nombreuses petites maisons de banlieue, les immeubles poussent comme les champignons dans la forêt en automne.
Les camions toupie circulent.
Les grues dominent la ville dans toutes les directions.
Les trottoirs se ferment peu à peu aux piétons qui sont priés de faire des détours pour circuler.
Les trottoirs sont couverts de trous et de bosses qui rendent la marche aventureuse pour les vieux et les handicapés. Un minute d’inattention et la chute est assurée.
On nous parle d’allées vertes et d’éco-quartiers mais on empiète sur les espaces verts et on coupe les arbres qui se trouvaient dans les jardins de l’hôpital Paul Guiraud et dans les jardins particuliers .
On nous parle de ville intelligente, à croire que le béton favorise l’intelligence. Aucun habitant n’a été consulté pour ces transformations profondes de son cadre de vie. On se contente d’afficher que « la circulation est difficile à Villejuif pour plusieurs années ».
Nous sommes là, toujours là, mais nous ne comptons pour rien devant le fric que les promoteurs vont se faire dans toutes les villes de la couronne de Paris. Et attention les prix de l’immobilier augmentent, les logements vont être accessibles à certains mais pas à d’autres. On va en finir peu à peu avec le mélange très riche et bigarré des habitants de notre ville.
J’ai voulu traduire mes sensations devant cette transformation par des montages photographiques qui superposent ces espaces en construction avec des arbres, des plantes. J’ai introduit sur certaines images des petits jardins de banlieue avec leur population de nains, de poupées et d’objets divers, jardins entretenus amoureusement par leurs habitants. Ils sont peu à peu effacés du paysage ces dernières années.











Là encore, Ingold commence par identifier deux grandes familles, celle des trajets et celles des transports. Les lignes des trajets sont des promenades, elles bougent, elles vivent, elles se déploient dans l’espace, alors que les lignes des transports sont des assemblages de segments secs qui connectent des points sur une surface.
Béatrice Fraenkel à propos de Tim Ingold, Une brève histoire des lignes

Le plus gros des chantiers, c’est celui du métro ou plutôt des métros. La ligne 14 va être prolongée jusqu’à Orly en passant par Villejuif où elle va croiser la nouvelle ligne 15 qui devrait desservir directement les trois départements de la petite couronne : les Hauts de Seine, la Seine Saint-Denis et le Val de Marne. Elle assurera ainsi des déplacements de banlieue à banlieue sans transiter par Paris.
Le chantier de la future station « Villejuif Gustave Roussy » se trouve en face de l’hôpital et mord dangereusement sur le parc des Hautes Bruyères, le seul grand parc pour les 56 146 habitants que comptent la ville, sans compter nos voisins de Bagneux, Cachan, L’Haÿ les Roses, Vitry sur Seine...
Le samedi 1 février 2020, les habitants sont invités à fêter l’arrivée des tunneliers dans ce chantier devant l’hôpital Gustave Roussy. On y voit un trou très profond (50m) où vont se croiser les tunnels de ces deux lignes du métro.









Le Chêne

Un lieu accueillant pour toutes le formes d’art,
Le Chêne, Centre de création alternatif, existait jusqu’en 2017 dans une carrosserie désaffectée en haut de la côte raide qui monte à Villejuif depuis Paris, .
C’était « un arbre » avant tout dédié à des espaces en résidence artistique où se côtoyait sculpteurs, bijou- tiers, peintres, poètes, metteurs en scène, forgerons, musiciens, stylistes, comédiens...
Le dimanche il ouvrait ses portes au public : expositions, café associatif, multiples
ateliers, initiation à la forge, jam acoustique (de 17h à 21h30), soirées au coin de la forge et rencontres humaines.
Il a disparu, il n’en reste aucune trace.
Il n’y a plus qu’une façade de béton en construction, trouée de fenêtres noires.
Dans les deux photos qui suivent, j’ai superposé à cette façade deux scènes du passé festif, créatif et joyeux.






















Le béton est anti-écologique. Il est fabriqué à partir du sable, une ressource naturelle finie. Son extraction intensive pose de terribles problèmes environnementaux pour le littoral français comme partout dans le monde. Le béton représente 5% de nos émissions de GES. Dans le cadre du marché carbone européen, comme Lafarge utilise le recyclage de farine animales, de pneus et de produits toxiques divers dans la fabrication du ciment nécessaire au béton, elle engrange des droits à polluer et s’enrichit sur le dos de la crise climatique ! L’union européenne et son marché carbone qui enrichit Lafarge, c’est le système du pollueur-payé ! Il faut le marteler, il existe pourtant une alternative, les matériaux bois, terre crue et paille sont tout à fait à même de se substituer au béton.


On pourrait dire qu’il y a de la forêt partout où ça résiste, partout où ça s’insurge contre le ravage que constitue cette civilisation. Il y a de la forêt là où on ne peut plus supporter la misère existentielle générali- sée, cette neutralisation préventive de toute vie. Il y a de la forêt dans les coeurs et dans les esprits. Jean-Baptiste Vidalou, Être Forêt

lundimatin c'est tous les lundi matin, et si vous le voulez,
Vous avez aimé? Ces articles pourraient vous plaire :