Visite guidée de la maison d’arrêt de Lyon-Corbas : Souvenirs

Kamel Daoudi

paru dans lundimatin#267, le 18 décembre 2020

Comme nous l’avions annoncé dans nos pages, Kamel Daoudi, assigné à résidence depuis plus de 12 ans, a écopé d’une peine de 12 mois de prison ferme à la suite d’un retard de 30 minutes sur son couvre-feu quotidien. Plutôt que de s’indigner du traitement judiciaire et extrajudiciaire ahurissant que M. Daoudi et sa famille subissent depuis bientôt 20 ans, il nous apparaît plus opportun de laisser place au témoignage et à l’enquête. Après nous avoir fait visiter sa cellule, la promenade, évoqué ce temps qui ne passe pas, et fait goûter la gamelle, M. Daoudi revient cette semaine sur un souvenir.

Un interminable chapelet de chamelles de Bactriane s’étendait à perte de vue sur la vallée rocailleuse où quelques scorpions et araignées des sables se confondaient avec les cailloux et les pierres éparpillées ça et là dans un décor martien. Ces animaux aux fourrures épaisses semblaient jeter des regards dédaigneux et narguer le soleil irradiant tout dans sa course calculable dans un décor de géhenne post-apocalyptique.

Aux commissures de ces peluches ventriloques, on apercevait des femmes au teint tellement halé qu’on aurait dit des pirates sorties des mirages sur ces nefs dont la taille tranchait avec leur taille de bohémiennes lilliputiennes.
Elles portaient chacune un petit foulard multicolore accroché à la hâte pour faire taire les miliciens Taliban qui seraient tentés de leur faire un sermon sur leur vêture de petite vertu.

Mon regard croisa celui de l’une d’entre elles qui paraissait la plus hardie et la plus téméraire. Sa robe poussiéreuse rapiécée se confondait presque avec son visage buriné par la fatigue de son odyssée, les tempêtes de sable et l’ardeur du soleil. Ses petits yeux luisants semblaient m’inviter à une lecture de ma propre bonne aventure.

Elle savait que nous n’étions pas des Taliban, mes des jeunes hommes venus d’Arabistan. C’est comme cela que tous les Afghans y compris les Bédouins, ces nomades d’Aryana qui se fichaient des frontières dénommaient les arabes venus sur leurs terres.
Le monde se divisait en quatre pays l’Afghanistan, le Pakistan (le pays des Purs), l’Arabistan (le Pays des Arabes) et le Kafiristan (le pays des Mécréants) et tout le reste n’était que littérature.

Cette madame Pepperpot devait se demander ce que de jeunes aventuriers dans la force de l’âge comme nous pouvaient trouver de si envoûtant dans une contrée qui n’était que désolation après plus de deux décennies de guerre contre les Soviétiques et de guerre larvée entre les diverses factions de ce pays dans la forme semblait faire du stop pour se raccrocher à la paix et à la sérénité qui paraissaient envelopper le reste du monde.

Après quelques longues minutes à contempler cette cohorte de camélidés semblant remonter le temps, nous reprîmes notre marche au pas militaire pour continuer notre route.
La caravane s’éloigna petit à petit avec indolence sous les murmures rauques et méprisants des chameaux vers les rocs escarpés des montagnes environnantes.

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