Analyse politique de l’économie [3/4]

Inégalité et Hiérarchie
[Les cahiers de vacances de Jacques Fradin]

Jacques Fradin - paru dans lundimatin#348, le 23 août 2022

Rien de telles que les vacances pour s’aérer un peu les neurones tout en reprenant quelques bases parfois trop vites survolées pendant l’année. Reconnaissons-le, l’œuvre de Jacques Fradin que nous publions par bribes et éclats depuis plusieurs années, n’est pas forcément des plus accessibles. Elle n’en est pas moins aussi redoutable qu’incontournable pour quiconque tente de cerner les grands enjeux philosophiques et révolutionnaires de l’époque. Nous allons donc profiter de ce mois d’août pour publier quatre articles en forme de synthèse autour de la question de l’économie politique. Comme pour tout ce qui compte dans l’existence, il faudra là encore s’accrocher et s’acharner.

La première partie de ce texte est accessible ici, la seconde

Deuxième épisode - Deuxième époque

Penser, déconstruire, subvertir l’économie-monde (du) capitalisme
et ses travestissements “scientifiques” éco-Nomiques

2- Déconstruire la réalité économique de l’économie monde (du) capitalisme.

Le point d’arrivée de la première époque (du deuxième épisode), En Réel et introduisant la canalisation des poussées, servira de point de rebroussement pour déployer la deuxième époque (de ce deuxième épisode), depuis la réalité et sa subversion.

La dualité Réel/Réal (réalité enforcée) s’effectue en une réalité dédoublée. La force négative négatrice En Réel, la force pauvre du Rebelle, empêche la réalité de se clore en structure permanente (en carapace ou exosquelette). Les plus beaux ouvrages de la science militaire sont tous défaits par le temps (le Futur, En-Réel) ou, comme Bonaguil, chef d’œuvre de carapace emprisonnante, sont défaits par le vide, par la fuite, l’exode, l’escapement, l’évitement.
La réalité doit donc se dédoubler : (a) en fonctionnement quasi-cybernétique de l’économie, mais fonctionnement sans cesse menacé par la panne, l’accident, la crise, au chaos donc, (b) fonctionnement erratique [1] qui doit être recouvert, caché, camouflé, travesti, etc. par le Texte éco-Nomique, à la fois lexique, manuel technique de super-gestion rationalisée, bréviaire de la foi et labyrinthe pour s’égarer. Faire la Guerre en affirmant haut et fort qu’il n’y a pas de guerre, que la pacification est la paix, et que les « terroristes » sont ceux qui dévoilent la Guerre comme analyseur de la réalité.
Cet embrouillement mystificateur (idéologique) exige des niveaux de clarification critique. Nous en retiendrons quatre.

2a- Critique élémentaire de l’analyse économique qui vise à “blanchir” le despotisme rationnel en « économie de marché » voire « démocratie (de) marché » [2].

2b- Nécessité d’une anti-économique pour décentrer le discours de « la science économique ». Utilisation critique de l’économie générale post-keynésienne. Analyse de l’économie (=) capitalisme comme système monétaire (de division hiérachique) et non pas comme “économie de marché”. Le noyau critique de cette analyse générale : la répartition, l’inégalité. Première analyse du capitalisme comme despotisme. Démonstration que ce régime politique est erratique : le Grand Théorème Keynésien (GTK).

QUESTIONS ÉTUDIÉES : TROIS questions (monnaie, inégalité, crise) et leurs relations logiques.

— Qu’est-ce que la monnaie ?
Définition analytique de la monnaie, qui amène immédiatement à introduire les notions de système monétaire et de structure social-symbolique.
(Dans toute la suite le terme « monnaie » signifiera « système monétaire », abrégé en SME, système monétaire structurant l’économie-monde.)

— Comment apparaît empiriquement le SME ? Qu’est-ce que l’Inégalité ?
Introduction à l’analyse statistique du SME ou à l’analyse descriptive de l’économie-monde, nécessairement monétaire. Introduction qui amène à la lecture du SME comme matrice ou tableau de l’inégalité.
La monnaie, comme élément du SME, comme nombre et élément d’une structure de calcul (structure comptable), est l’expression historique, ou locale temporellement, contingente historiquement, d’un régime politique inégalitaire (ou censitaire), lui-même historique, contingent, qui peut se nommer : capitalisme, ordre mercanti, société industrielle, etc.
Ou encore : la monnaie, élément d’un tableau numérique de l’inégalité, inégalité ainsi formalisée et rigidifiée (avec des quasi-castes héréditaires), signale le déploiement du pouvoir ou de l’empire des hiérarchies stratifiées, classifiées, à structure d’ordre inégalitaire.
(Hiérarchie veut dire “gouvernement sacré” ; le symbolique ou le religieux, qui définit le SME, et que nous aurons à étudier en détail, s’introduit par cette structure d’ordre ; le gouvernement capitaliste ou mercanti inscrit sur son drapeau : ordre et progrès, plutôt l’injustice que le désordre.)

— Qu’est-ce qu’une crise ?
Définition analytique de la crise.
La crise, et non pas « l’équilibre », est mise au centre de la théorie générale (keynésienne) de la monnaie. Identiquement (et cette identité logique est à comprendre), le SME, et non pas « le marché », sera l’objet de l’analyse critique. Précisément, pour la théorie générale de la monnaie, « le marché » n’existe pas : il sera considéré comme un mythe (déployé par la théorie néoclassique des échanges non-monétaires (en numéraire) ou des échanges de troc).
Cependant, pour des raisons de temps, la question de la crise ne sera étudiée que brièvement, de manière très technique (avec les concepts de variable aléatoire, de Loi de Pareto, d’erratisme et de syndrome de la variance infinie) ; la question de la crise ne sera, donc, considérée que comme une application, une conséquence, de l’analytique générale de la monnaie.
Seront alors liées : monnaie, inégalité, crise.

Fondamentalement, l’objet de cette partie (époque) est de converger, de donner les moyens analytiques de comprendre le cheminement démonstratif, par propositions, analyses et constructions mathématiques, de converger vers le Grand Théorème Keynésien :
l’erratisme des “prix libres” (comme les cours de bourse) n’est que l’expression de la dynamique de l’inégalité de la répartition (inégalité qui formalise le SME), ou l’expression de la dynamique du SME ;

la caractéristique centrale du SME est la crise ;
lorsque l’inégalité croît (décroît) l’erratisme (la récurrence et l’intensité des crises) croît (décroît) ;
le centre d’une politique anti-crise (anti-chômage, par exemple) est une politique d’égalisation des revenus, fortunes et patrimoines ; par toute méthode imaginable, telles que : augmentation des impôts directs, distribution gratuite de biens de première nécessité (logement social), généralisation du salaire minimum garanti en revenu minimum garanti, dont le niveau monétaire serait défini par la médiane de la répartition de Pareto (pas de revenu inférieur à la médiane, etc.).

De ce Grand Théorème découle une conséquence analytique simple, du point de vue de la politique économique (ce que nous analyserons comme tactique de gouvernementalité) : la lutte économique contre la crise (le chômage) est une lutte politique contre (la croissance de) l’inégalité.
(Nous laisserons à la charge des lecteurs de comparer ce type de politique égalitariste & les politiques contemporaines, dites “libérales”, dont l’objet est de faire de la pauvreté une méthode de gouvernementalité, par la peur et la discipline — l’ordre rétabli de la hiérarchie. Il pourrait être intéressant de revenir sur le conflit politique qui a résulté de la tentative de mettre en œuvre une politique économique de « flexibilisation », c’est-à-dire d’appauvrissement (croissance de l’inégalité) : cf. la crise du CPE de février mars 2006).
Idéalement, une société égalitaire (plus égalitaire) ne connaît pas la crise ou le chômage (connaît un chômage faible).

La théorie néoclassique de « l’équilibre » (= de l’absence de crise et de chômage) peut, ainsi, être lue comme « l’utopie idéale » de la société économique sans crise : cette utopie, qui peut générer un programme politique (lire Cahuc, rapports de La Documentation Française), repose sur une axiomatique (qui peut devenir une axionomie) qui pose l’identité et, donc, l’égalité, des « agents économiques » (dont les revenus seraient, par exemple, uniquement des revenus boursiers), égalité absolument nécessaire pour que la « concurrence » ait le moindre sens.
Notons bien, une fois pour toutes, que le mythe « du marché » n’est pas un concept (général) de l’économique, mais exclusivement un terme de la théorie néoclassique : le terme « marché » ne prend sens que dans la théorie néoclassique (avec la « concurrence » des égaux) ; ce terme « marché » n’existe pas dans la théorie keynésienne (sauf à titre de renvoi critique, comme mythe contemporain ; mais ce n’est pas un concept de la théorie générale de la monnaie).

La théorie keynésienne de la monnaie s’annonce comme « théorie générale », pour de multiples raisons.
L’une des raisons de cette appellation « générale » est qu’elle est une théorie d’une société inégalitaire et ainsi monétaire : la monnaie n’est que l’expression de l’inégalité, ou encore de la formalisation (numérique comptable) qu’autorise la hiérarchie, son ordre et son classement rigoureux.
Si l’on considère que la théorie néoclassique est l’utopie d’une société égalitaire, et ainsi sans monnaie, puisque chacun équivaut à tout autre, ou puisque chacun sait ce que vaut l’autre (ce qu’implique l’objectivité des courbes d’utilité), alors cette utopie peut être subsumée (avec beaucoup de bienveillance) comme un cas particulier de l’analytique keynésienne, cas particulier à coefficient de Gini → 0, où donc la loi de Pareto se confond avec une loi de Gauss. Mais d’autres caractéristiques (« naturalistes ») de la théorie néoclassique rendent cette inclusion artificielle.
L’analytique keynésienne n’a rien à voir avec l’utopie crypto-communiste d’une « économie de marché » (ou du « socialisme de marché ») d’échangistes égaux individualisés, et entièrement conscients ; il s’agit d’une science critique du capitalisme ou de la société « qui marche au fric », ou encore d’une société inégalitaire rigidifiée, et il ne s’agit pas d’une science technocratique (ce qu’est la théorie néoclassique, devenant vite normative).
Il est essentiel de comprendre le lien entre « monnaie » et « inégalité », entre mesure comptable et classement stratifiant (ordre).

C’est parce que l’étude de l’inégalité (qui est une évidence empirique) est rejetée par la théorie néoclassique, comme sans importance ou renvoyée à plus tard, dans l’ordre logique des développements théoriques, que, pour ces néoclassiques, la monnaie est rendue elle-même secondaire, voile, numéraire, représentation formelle du troc (plus fondamental), que la théorie néoclassique de la monnaie-voile se résume à la doctrine quantitative (de la monnaie externe ou exogène) et conduit, idéologiquement, à l’anathème religieux contre « l’inflation » (inflation au reste inexpliquée autrement qu’en termes “quantitatifs” : quand la quantité de monnaie augmente, le niveau général des prix monte — proposition fausse en général : le niveau général peut ne pas monter, comme l’a montré la situation « covid » où les banques centrales généraient d’immenses quantités de monnaie).
Inversement, c’est parce que nous partons de l’évidence empirique (qui peut être posée comme postulat analytique) que l’économie-monde inégalitaire est, visiblement, monétaire, qu’il nous faut déployer une théorie générale keynésienne.

Les implications analytiques de cette évidence, ou du postulat de la monnaie comme élément d’un SME, ou de la monnaie comme nombre mesure non représentatif d’un troc plus fondamental, ces implications étant trop nombreuses, nous ne pourrons en développer que quelques-unes : refus de l’idée d’économie fondamentale envisagée comme système de production matériel ou technique (pour les keynésiens, l’économie-monde est un système symbolique, religieux ou politique, de domination), reformulation complète de la notion de production (en pro-duction ou constitution d’un type humain), rejet du mythème du « troc » ou de l’idée de « prix relatif », refus de la dichotomie néoclassique réel/monétaire, ou du dualisme production industrielle/finance, etc.

Théorie keynésienne (avec monnaie) et théorie néoclassique (sans monnaie) sont deux visions alternatives, mais pas de même niveau analytique (j’ai parlé de l’inclusion possible de la théorie néoclassique dans la théorie keynésienne, mais cette inclusion exige la reformulation critique de la théorie néoclassique) ; ce sont deux visions de l’économie-monde dite capitalisme : la seconde, néoclassique, naturaliste et imaginant l’économie comme un simple outil ou un service technique (l’ordre et le commandement étant alors considérés comme “naturels”, et « l’agent » commandé ou fonctionnalisé étant considéré comme “naturellement obéissant” — l’obéissance devenant un « fait technique »), la première, keynésienne, analysant l’économie-monde en termes de système social-symbolique ou religieux, se déployant de manière structurale et politique, opposant à l’idée néoclassique de « gestion technologique » l’idée plus ancienne « d’économie politique » (que nous avons déployée en analyse politique de l’économie).

Ici, nous admettrons deux points :

1— depuis 1970, la théorie néoclassique est considérée comme une impasse scientifique : « le marché » mis au centre de cette doctrine (et que seule cette doctrine définit clairement) reste uniquement un mythe. Cependant, pour répondre à cette faillite, les dogmaticiens « du marché » ont choisi la fuite en avant idéologique, transformant, ce qui visait à être une théorie analytique de l’économie-monde (cf. Walras et le projet physiocratique de physique sociale), et après son échec, en programme politique ou en utopie rectrice d’une « société de marché » imaginaire ou à construire par une révolution économiste : puisque « le marché » n’existe pas, alors réalisons-le, c’est-à-dire redessinons le monde selon le schéma utopique néoclassique (cette théorie devenant normative ou performative, et non plus scientifique, devenant « plan » à réaliser, pour une ingénierie sociale crypto-communiste, surtout lorsqu’elle s’annonce comme « libérale économiste » !). Il y aurait alors à discuter de la possibilité de réaliser au monde un schéma imaginaire, crayon-papier, par une nouvelle révolution contre-révolutionnaire ! Il y aurait à discuter de la possibilité de projeter techniquement dans le monde une idéalité « de marché », et non pas, sous le coup de l’illusion technocratique (de l’ingénierie sociale), d’ouvrir une nouvelle voie imprévisible de l’histoire, que, pour l’instant, nous ne pouvons même pas imaginer (cf. l’ancien exemple de l’URSS projetant l’idéalité économiste du développement, ou l’exemple actuel de la Chine : que se passe-t-il en Chine ? construction forcée d’une économie « de marché », dérive capitaliste fortement inégalitaire et exigeant, comme tout capitalisme, un despotisme technocratique, ou autre chose encore ?).

2— dans ce cheminement critique, la théorie keynésienne, générale, sera considérée comme la seule voie scientifique : aussi bien empiriquement, l’évidence de la monnaie contre l’idéalité invisible « du marché » (ou du troc), qu’analytiquement, la théorie keynésienne n’exigeant pas les lourds présupposés métaphysiques de la théorie néoclassique, tels que : nature humaine, loi naturelle, agent volontaire choisissant (subjectivité métaphysique), etc., n’exigeant pas de défendre l’idéologie individualiste ou la mythologie de l’individu (anthropologie, socio-logie ou psychanalyse ont montré que le dit « individu » était parfaitement divisible, divisé, clivé, et poussé par un inconscient non maîtrisable par le dit individu, mais parfaitement manipulable par la politique ou par le marketing — nous ne pouvons donc accepter une analyse (reposant sur l’individu dit égoïste) qui ne correspond même pas à la pratique actuelle du management, fortement manipulatrice, voire machiavélique).

Comme toute science empirico-analytique, l’analytique keynésienne énonce des hypothèses (monnaie, inégalité, crise) à la fois bien construites et vérifiables empiriquement (rappelons encore que « le marché » est une grille de lecture, impliquant la concurrence, donc l’égalité, mais reste invisible, les « agents » étant inégaux — rappelons encore que la dynamique d’un « marché non concurrentiel », si ce terme n’est pas contradictoire, est indéterminée : l’équilibre implique la concurrence et l’égalité — il suffit de relire l’article I-3 §3 de la mort-née “constitution européenne” pour découvrir le nœud des contradictions néoclassiques). L’analyse keynésienne énonce des hypothèses évidentes et en déduit des théorèmes : deux essentiellement pour ce qui nous est nécessaire (d’un point de vue critique),

a- les prix sont des variables aléatoires, b- le grand théorème keynésien, portant sur l’erratisme de ces variables aléatoires (la théorie keynésienne se déploie dans le domaine de l’incertitude ou du risque, et, plus encore, du futur imprévisible). Et si les hypothèses sont vérifiables, les théorèmes (c’est-à-dire les conséquences logiques des hypothèses) le sont aussi :
ainsi le grand théorème keynésien est parfaitement vérifié par l’histoire économique récente, histoire formalisée analytiquement en dynamique de la répartition : nous avons une corrélation interprétable en termes de causalité ; si nous prenons la France de 1950 à 2005, nous trouvons deux périodes : première période, de 1950 à 1985, on vérifie la corrélation : baisse de l’inégalité → disparition du chômage ; en seconde période, celle de la conversion du « socialisme » au « marché », après 1985, on vérifie la corrélation : hausse de l’inégalité → hausse du chômage ; or cette corrélation est explicable analytiquement.
Ce sera l’objet central de l’anti-économique que d’expliquer analytiquement cette corrélation.

Analyse qui peut encore s’énoncer : la crise (la croissance du chômage) est le résultat volontaire d’une politique de « redressement moral » néo-pétainiste, vers un ordre renouvelé, tenant pour assuré que la hiérarchie, donc l’inégalité, et le pouvoir autoritaire associé (celui des propriétaires) sont des nécessités vitales (mieux vaut l’injustice que le désordre).
Se manifeste alors la confusion idéologique de la théorie néoclassique de la concurrence et de la doctrine proto-fasciste du darwinisme social : la concurrence étant transformée en lutte mortelle pour la survie, les plus forts, les plus aptes (définis tautologiquement) étant les gagnants !

Pour finir cet avertissement par la traversée de la théorie néoclassique, ou pour en revenir au « marché », qui n’est auto-stabilisant, avec équilibre stable, qu’en « concurrence », il convient de redire que ce mythème « du marché » n’a de sens articulable qu’au sein de la théorie néoclassique (mais que cette théorie a fait faillite !) ; il faut donc, pour être exact, parler de : « marché au sens néoclassique » (échange bilatéral généralisé), étant entendu que tout autre « sens » est et reste inarticulable, purement idéologique ou de la simple propagande (comme dans la “constitution européenne” déjà mentionnée). Finalement, l’effondrement de la théorie néoclassique entraîne l’évanouissement du thème du marché (qui ne reste que comme un mythe pour les sauvages modernes).
Le keynésianisme est un structuralisme ; il place au centre de ses analyses le concept de structure. Le lien avec le mathématique est ainsi facilité, puisque le mathématique est la science générale des structures.
Notons immédiatement que l’idée de structure implique que les éléments (les « individus », par ex.) sont coordonnés et, plus, définis, par la structure qui les contient : le keynésianisme est un anti-individualisme, qui ne pose pas « l’individu » comme terme initial (le keynésianisme énonce que l’économie-monde capitalisme n’est pas une société « d’individus ») [3].

La question des formes (morphismes), des systèmes, des « ordres » (ici ordres symboliques ou structuraux) peut être simplifiée par le renvoi à l’analyse mathématique des structures, ainsi qu’à l’analyse du nombre défini par une structure opératoire.
Le lecteur doit lier a- l’analyse des structures et b- la théorie de la valeur ou de la mesure (le centre de la critique, que nous avons développée au premier épisode) ; précisément, doit être compris l’enchaînement logique des concepts : ensemble, équivalence, classement, classes, hiérarchie, répartition.

Si pour les néoclassiques un « ordre » est toujours un « ordre naturel » (physiocratique), pour les keynésiens un « ordre » n’est qu’une structure, un système social historique, contingent, dit symbolique.
La principale conséquence anthropologique du structuralisme est : l’idée « d’individu » ne peut être mise à la base de l’analyse économique (opposition radicale aux néoclassiques). « L’individualisme » proclamé est un article de propagande.
L’analyse monétaire de la structure capitaliste exige l’abandon de l’axiomatique « individualiste ».
Mettant la crise au centre de ses réflexions, l’analyse keynésienne tente d’essayer de comprendre comment un système instable (le capitalisme ou l’économie monétaire) peut être tenu ; il faut alors se déplacer de l’économique au politique : l’économie n’est pas auto-stabilisante (il n’y a pas de « marché » auto-régulateur mythique), mais doit être sans cesse tenue politiquement (cette maintenance se nommant gouvernementalité, à bien distinguer de la gestion, qui suppose les choses en ordre et exige que l’ordre est sans cesse maintenu par l’intervention politique).

Un moyen d’introduire la question de la monnaie (qu’est-ce que c’est ?) est de passer par l’étude de la corruption, du vol, des délits financiers (cf. Clearstream et les paradis fiscaux ou financiers) et de se demander : quel est le rôle du mensonge ? Par ex., comment un escroc (Berlusconi) peut-il devenir Président du Conseil (italien) ? Prise sous cet angle, l’économie monétaire se confond avec l’économie de l’information. Le SME est un système d’information (qui peut être informatisé), qui contient donc le mensonge : les fausses comptabilités, les informations manipulées (comme les statistiques officielles du chômage), les escroqueries politiques, les abus de confiance (en légions !), les classiques abus de biens sociaux.

La question est alors : comment le mensonge peut-il jouer un rôle si essentiel ? La réponse sera donnée par la notion de mesure : parce que le nombre (qui) mesure ne « représente » pas une chose “réelle”, mais n’est qu’un élément structural. Ce qui peut se dire autrement (en se référant au structuralisme) : la monnaie, élément structural, n’est qu’un Texte, un discours, une parole (ce que veut dire « crédit » : je fais crédit, j’engage ma parole, ma confiance, ma croyance — ici apparaît immédiatement la nature religieuse de la monnaie).
C’est ce point initial : Monnaie = Texte, qu’il faut développer.
On peut encore dire : Monnaie = Écriture (sainte).
Le SME est un réseau de comptabilités monétaires, c’est-à-dire un système de systèmes d’écritures numériques comptables, enregistrées dans des comptes (en banque).

Le prototype de l’espèce monétaire est le virement de compte à compte, l’écriture abstraite, purement numérique, qui lie des comptabilités (exprimées obligatoirement dans une monnaie unique ou dans des monnaies convertibles, trans-traductibles). Ainsi la monnaie n’est pas un bien, un objet physique (de l’or), ou une entité matérielle ; la monnaie est une trace écrite numérique sur un registre comptable.
Il est essentiel de ne pas confondre le support d’écriture (papier ou piste magnétique) et l’écriture (la monnaie nombre comptable) — un Texte n’est pas du papier, une feuille ou un cahier, etc. mais un ensemble structuré de signes.
Comme toute écriture, la monnaie est entièrement conventionnelle (symbolique sociale). Le Texte n’a de sens que parce que les « lecteurs » sont formés (in-formés) par les conventions sociales (qui précèdent « l’individu ») — on retrouve l’anti-individualisme : la monnaie est une « chose publique » qui n’est pas choisie, mais est reçue ou imposée, comme toute institution. Il n’y a pas « d’individu » qui aurait choisi la monnaie, ou qui aurait choisi d’écrire des comptes, etc.
Si donc, on comprend bien l’essence social historique de la monnaie (structurée en système d’écriture), on comprend facilement pourquoi la crise est au centre de l’économie : la crise vient de l’absence de référent naturel, de l’absence de fondement naturel de la monnaie (ou de toute écriture comptable — cf. le mensonge comme test essentiel de la non-naturalité des écritures). On comprend, à l’envers, pourquoi les néoclassiques, qui dénient la crise (pour « l’équilibre »), n’introduisent pas la monnaie dans leurs développements.

Plus généralement, on peut dire : il n’existe pas d’économie “réelle” (matérielle), dès lors que la monnaie est émise à coût nul, sans limitation autre que politico-sociale. C’est encore, dans la théorie néoclassique, parce que l’analyse économique traditionnelle renvoie à des calculs de coûts, fait des coûts le problème essentiel, que la monnaie ne peut être comprise autrement que comme « falsification » (inflationniste) dans le cadre de la dichotomie réel/monétaire. L’inflation est un ainsi thème disciplinaire, non pas un problème économique : l’inflation renvoie à l’horreur de la production illimitée et sans coût de la monnaie, renvoie à une horreur religieuse (la création humaine illimitée).

A priori, on peut imaginer deux positions :
1- la position naturaliste : il existe (ou doit exister) un fondement naturel, réel, il existe (ou doit exister) un ordre naturel (production divine et non humaine), il existe (ou doit exister) une économie matérielle (fondée sur le travail, par exemple) ; l’introduction de la monnaie (sans coût et pure convention d’écriture) implique un écart entre une économie réelle et une économie monétaire (théorie dichotomiste des deux sphères, défendue par ATTAC par ex.) ; « la bonne gestion » exige alors de replier le non-naturel sur le naturel, de combattre l’inflation, par exemple ; mais cela est une position moralisatrice.
Car la fameuse « économie réelle » ne peut jamais être observée (il n’y a tout simplement pas d’économie sans monnaie) : il s’agit d’une phantasmagorie métaphysique ou religieuse. Pour comprendre facilement cela, ce qui est au centre de cette critique élémentaire, il suffit d’imaginer une « comptabilité réelle », une comptabilité sans monnaie : cela est impossible, inimaginable.
Le troc n’existe pas (ne peut faire un système, les unités des prix relatifs étant incomparables), les prix relatifs ne peuvent permettre des comptabilités inter-reliées (compensables).

2- la position structuraliste keynésienne est donc la seule empirique vérifiable expérimentalement.
Il faut alors vivre avec le non-naturel (l’absence radicale du divin ou du naturel), tout en reconnaissant la soif, le besoin (et voilà où se situe le “vrai besoin”) d’un ordre naturel, traditionnel, villageois (tout ce qui explique l’histoire contre-révolutionnaire ou fasciste).
Empiriquement et simplement, une économie monétaire est un empilement extraordinaire de dettes non remboursables ou qui ne peuvent être “remboursées” qu’en émettant de nouvelles dettes. Chacun sait que le pays le plus endetté du monde, les États-Unis, a été obligé de détruire le système international des échanges, de jeter le monde en crise, pour maintenir sa position économique (précaire d’insolvable essentiel) par des moyens militaires.
L’endettement fabuleux (des États-Unis) manifeste bien le côté artificiel, « littéraire » (l’invention est sans limite) de la monnaie ; rien ne peut limiter naturellement un endettement, sinon un rapport de force ; et la lutte contre « l’inflation », celle dont on parle mais qui vise un autre but que la lutte contre l’inflation, c’est-à-dire vise la lutte contre les salariés, contre les « coûts salariaux », cette lutte « économique » fait partie de la recomposition du rapport de force — l’émission illimitée des dollars, la hausse des cours de bourse en résultant, la hausse de l’immobilier, importée des États-Unis, manifestent l’inflation effective… celle qui est cachée, celle qui n’est pas nommée ni, a fortiori, combattue ; les États-Unis ne peuvent maintenir leur très fragile position économique d’insolvable radical que grâce à une gigantesque inflation, que l’on réussit à rendre invisible, et qui fait la joie des milieux financiers.
L’économie monétaire implique donc l’introduction du politique (de la force militaire) au cœur même de l’économie, loin donc de l’idéalité « du marché » autonome ; et cette introduction du politique renvoie à la hiérarchisation, aux classements inégalitaires, qu’analyse la théorie de la mesure monétaire.

Pour l’instant, le problème de la syntaxe sociale, de la structuration, de l’ordre, du classement ou de la hiérarchie (ce qui amène à la formalisation monétaire) peut être envisagé à partir de l’observation simple des cours de bourse (« les prix de marché ») :
— observation de l’erratisme (le lecteur doit regarder dans n’importe quel journal financier l’aspect chaotique de la dynamique des cours : regarder n’importe quel graphique temporel d’un cours pris au hasard ; tous les graphiques sont identiques, ce sont des courbes fractales, que nous analyserons plus loin comme des processus parétiens) ;
— formalisation de l’erratisme : introduction de l’idée de v.a. (variable aléatoire) erratique, non-gaussienne ;
— mathématisation complète de la question ; qui nous renvoie à la répartition, à l’inégalité, à la hiérarchie (dont la politique inflationniste des États-Unis, soutenable parce que les États-Unis sont l’État dominant, donne un exemple clair — inversement, la baisse de la part des salaires dans le revenu social, résultat de « lutte contre l’inflation », l’inflation salariale, celle qui n’existe pas mais dont on parle, donne un autre exemple, inversé, caché, de l’inégalité des classements).

Finalement, on peut dire : un système monétaire est un système de répartition inégalitaire ou un système hiérarchique de domination : c’est en cela qu’il est intégralement politique. Un système économique n’a donc pas pour but de « satisfaire des besoins » ou de permettre l’exercice de « la liberté individuelle » : c’est un chaos reproductif, dont la reproduction passe par la crise et n’est possible (cette reproduction) qu’autant que le système est immergé dans un plus vaste système politique (de gouvernementalité).

À ce niveau des préalables, on peut dire que l’économie (nécessairement monétaire = capitalisme) est caractérisée par son histoire : non seulement la structuration (l’opération active de constitution sans cesse reprise — que nous nommerons dynamique synchronique) forme une certaine histoire (de court terme), mais cette structuration, par sa dynamique synchronique permanente, dérive, évolue, constitue une dynamique diachronique (de plus long terme) ; pour résumer : les structures évoluent ; et nous pourrions étudier cette évolution sous la forme très simplifiée de l’évolution dynamique diachronique de la répartition, chaque état local de la répartition (un certain tableau statistique synchronique de l’inégalité) devant, lui-même, être compris comme le résultat d’une certaine structuration (dynamique synchronique) dont la répétition permanente entraîne l’évolution diachronique ; l’ordre créé et recréé, se modifie par sa recréation permanente, qui, donc, n’est jamais à l’identique : il n’y a pas de structures stables, constantes, immobiles, etc. (voilà repris, en un autre langage, le motif de la crise : la crise est identique à la déformation des structures — et notre note est une introduction à l’analyse des déformations de structures).

Présentons cela d’une autre manière, en utilisant l’analogie principale : SME = Texte = système d’écriture.
Un Texte ne « décrit » pas une « réalité matérielle » qui précéderait ce Texte ; c’est la notion de « description » qui pose problème : comment une structure syntaxique de traces écrites, une forme écrite, pourrait-elle être « l’image » de ce qui n’a rien à voir avec un écrit ? comment le « matériel », la réalité, pourrait-il être « copié », « photographié », par de « l’immatériel », l’écrit ?
Un Texte (donc le SME) est caractérisé par une « grammaire », une organisation syntaxique : la réalité est-elle grammaticale ?
Pour ne pas entrer dans ce débat difficile, mais indispensable (pour comprendre la monnaie, puisque la monnaie est une écriture), affirmons : la réalité ne peut être « décrite », mais elle peut être performée  ; la réalité sociale ou économique est le résultat historique complexe et long de projections d’idéalités, de ces abstractions nécessaires pour constituer un monde artificiel où l’homme croit pouvoir agir. Il y a de multiples formes social-historiques, l’économie-monde est une de ces formes. C’est pourquoi l’économie-monde ne peut être introduite que comme forme passagère, évolutive, contingente ; étant le résultat hasardeux de projections d’idéalités, étant une construction sociale (sans constructeur), sa caractéristique principale est la variation, la dynamique [4].

Résumons : l’économie, le SME, est une réalité virtuelle construite mathématiquement au cours d’une histoire sans décideur.

À bien comprendre : il n’est pas seulement dit que l’analyse économique du SME est mathématique ; il est dit que l’économie-monde, la réalité économique monétaire, comptable, donc numérique et articulée par les comptes et les calculs, est un monde contingent, une simple possibilité culturelle parmi des milliers d’autres, une possibilité advenue au hasard par projection d’idéalités mathématiques (et cette projection est une guerre de colonisation). Ce qui, pour l’instant, est essentiel est l’idée de projection de Texte en réalité, l’idée d’implication du mathématique (ou d’une certaine portion du mathématique) ou de la constitution mathématique de la réalité économique (qui mène finalement à l’informatisation, informatisation qui ne serait pas possible sans la comptabilité, sans la réduction à du numérique — l’informatique est déjà de la bureautique, cf. IBM, machines pour les bureaux — l’informatique fait avancer la question de la taylorisation ou de l’industrialisation ou de la mécanisation du « tertiaire »).
Maintenant, au second degré, la question de l’analyse mathématique d’une réalité déjà mathématisée historiquement est très difficile et ne sera donc pas traitée. Retenons, pour revenir au thème de la dynamique ou de l’évolution, que le SME, bien qu’étant une constitution (par projection) mathématique, est néanmoins une constitution historique, une certaine société humaine contingente ; seule l’Europe, capitaliste, « a eu l’idée » (sans inventeur) de projeter du mathématique pour commander, de rigidifier les ordres et les classes jusqu’à les rendre mesurables ; mais comme toute constitution (ou histoire) cette invention sans inventeur est soumise à la dérive évolutive (nommée : dérive herméneutique, dérive des inventions « littéraires »), au hasard (d’où l’importance de l’analyse aléatoire). Et, encore une fois, le rôle central de la crise dérive de cette importance du hasard dans la constitution historique des structures (à penser d’abord en synchronie, puis, ensuite, en diachronie), le hasard étant une expression de la non-naturalité du social, de son caractère symbolique, textuel.

Résumé : il faut avoir en tête l’analogie : système monétaire ↔ système d’écriture.

La monnaie de compte, avec son unité de compte, n’existe que dans les livres comptables, comme écriture comptable. Est monétaire toute inscription dans un compte (avec le virement comme forme essentielle).
Si l’on envisage le SME comme un système de mesure, un système de calcul généralisé, alors trois analyses seront emboîtées : a- la théorie de la mesure (dite théorie de la valeur), b- la théorie des probabilités (qui est une théorie de la mesure), c- la théorie de la comptabilité.
L’écriture introduit l’immatériel, le Texte (structure de traces écrites) ne se confondant pas avec son support matériel. La monnaie est immatérielle ; elle est une expression imaginable (et effectivement réalisée) d’un certain système d’ordre politique, d’un certain système de Textes religieux (ici métaphysiques et mathématiques — pensez au rôle religieux des mathématiques dès Pythagore – mais, nous l’avons dit, les premiers codes sont des comptabilités), d’une certaine organisation hiérarchique (et, nous l’avons déjà dit : hiéros-archie, signifie gouvernement des prêtres, des savants, des scribes, gouvernement appuyé sur les hiéros-glyphes, les Textes toujours sacrés — cf. la croyance en la science ou en la technique, supposées sotériologiques : la foi vulgaire en la médecine scientifique).

Le SME apparaît historiquement au milieu de quantités d’autres systèmes (sacrés) d’écriture : pensons, évidemment, aux textes religieux (Livres, Bibles), mais surtout à la langue ou à l’écriture dite « maternelle », écriture définissant « la patrie nationale linguistique » (voir les dernières mesures de « naturalisation » avec dictées à l’appui !), pensons, évidemment, au droit, qui n’est qu’un ensemble de textes, à la notion juridique restreinte de constitution (organisation des pouvoirs), constitution organique qui est un texte sacré (surtout aux États-Unis : jurer sur la constitution).

Nous revenons donc à la monnaie comme information (informatisable puisque numérique), au SME comme système immatériel d’information ; d’où les possibilités caractéristiques d’un tel système religieux déployé dans un Texte : la propagande, le mensonge, le trucage, la falsification — comparer cette idée de « falsification », de réalité virtuelle, avec l’idée naturaliste de la monnaie comme, également, mais en un autre sens, « falsification ».

Prolongements de l’analogie : SME ↔ système d’écriture ou Texte ↔ comptabilité.
Soient les thèmes importants de cette introduction générale de la monnaie :
Un Texte ne décrit rien ou ne représente rien (impossibilité de la représentation — toute représentation, textuelle, scientifique ou politique, est une constitution, une projection, une performation constituante ; ainsi l’idée amusante de « représentant du peuple » institue UN peuple, par ailleurs imaginaire, le dit « peuple » étant fort divisé, classifié, hiérarchisé, etc. La doctrine de la représentation ou de la copie ou de l’image, etc. est une doctrine centrale du métaphysique qui constitue l’Europe).
La mesure ne mesure rien (mais institue un ordre logique).
La comptabilité ne compte rien (mais est un système juridique constituant, une procédure disciplinaire ou de « mise en forme »).

Partons, pour en faire une nouvelle critique, du schéma matérialiste néoclassique : ce schéma est dichotomiste, ou, en termes plus généraux, est dualiste méta-physique ; il introduit deux niveaux « de réalité » : a- un niveau dit « réel », une infrastructure fondamentale naturelle physique ou physiologique, etc., b- un niveau dit « nominal », une superstructure, une discursivité, etc. avec le principe de la « représentation » pour lier les deux niveaux : le « nominal » représenterait, redoublerait, exprimerait, etc. le « réel »… et serait donc superflu (ce pourquoi la monnaie est renvoyée à plus tard dans la théorie néoclassique : l’important étant l’ensemble des relations « réelles »).

Si nous prenons cette représentation comme relation essentielle, nous pouvons dire (en termes naturalistes) : le discours décrit la réalité (hypothèse de la littérature naturaliste), ou, le langage représente la réalité et la décrit, ou encore, la science décrit les phénomènes réels, et, par ex., la physique décrit mathématiquement des phénomènes « vraiment réels », etc. Toutes ces propositions informant le naturalisme métaphysique et se ramenant à une proposition clé : une mesure est une mesure-de quelque chose extérieur à la mesure.
Il est essentiel de comprendre que cette proposition clé précédente est fausse.
Sans cette compréhension (de la fausseté de l’idée de mesure-de ou de représentation – tout le travail de Derrida est consacré à la critique de l’idée métaphysique de « représentation ») il est impossible d’envisager correctement la monnaie.
C’est pourquoi nous avons parlé du naturalisme métaphysique de la théorie néoclassique : le principe de la dichotomie réel/monétaire manifeste le caractère métaphysique de la théorie néoclassique. Dans les termes de cette économique physio-cratique, il existerait une sphère réelle de production matérielle, une économie fondamentale organisée techniquement (en naturalisant le commandement), une sphère structurée en elle-même (autonome) dont l’expression monétaire, la sphère nominale (de nomination sans biais), ne serait qu’une représentation ; une structure réelle s’exprimerait, par image, en une structure discursive ; mais nous savons que cette structure réelle est invisible et n’ « existe » qu’en discours… si, du reste, on pouvait « la connaître » directement, pourquoi faudrait-il du discours, et combien de longs discours ! On dit encore, dans ce schéma naturaliste, que le système monétaire posséderait un fondement réel — on parle « des fondamentaux » de l’économie.
Il est important de comprendre l’erreur de ce schéma dualiste à représentation — ceci est tellement important que nous y reviendrons plusieurs fois, et de manière formalisée : le paradoxe de Russell est un mode particulier de critique du dualisme métaphysique à représentation.

Reprenons nos thèmes propres (anti-naturalistes) :
Un texte ne décrit rien : pourquoi le réel « décrit » (« copié ») aurait-il une structure grammaticale ? et pourquoi celle du français (avec des formes verbales) plutôt que celle du chinois (sans verbe) ? Comment interpréter les temps des verbes (lorsqu’il y en a !) : futur antérieur, conditionnel, subjonctif, etc. ? ces temps de la non-réalité. Soient deux phrases analogues : si les baleines roses étaient des chanteuses d’opéra, alors le monde serait (conditionnel, temps de l’imaginaire) merveilleux, et : si l’économie était un marché néoclassique, alors le monde serait merveilleux ; deux cas d’invention « littéraire ».

La mesure physique ne mesure rien : pas plus que les « choses », dites réelles, n’ont de structure grammaticale, les « choses physiques » ne sont numériques ; une pomme de terre n’est pas un nombre, mais doit être abstraite, sérieusement transformée (par le discours théorique) en “centre de gravité” ou point matériel (en physique il n’y a que des atomes, pas de pommes de terre), point géométrique, évidemment mesurable (en vertu de la bijection nombres réels ↔ points géométriques), point composable géométriquement avec d’autres centres. La mesure est une transformation qui dissout les « objets réels » pour les remplacer par des abstractions géométriques : les objets mesurés, les grandeurs mesurables, sont des abstraits logiques. Ce sont ces abstraits logiques projetés en monde, performés en système social, qui sont à la base de l’analyse économique (du SME ou du capitalisme) : nous parlerons d’objets social-symboliques.

La monnaie est un objet social-symbolique.

Introduisons, maintenant, un aspect plus empirique du SME. Partons de l’observable : qu’observons-nous ?
Deux domaines d’observation doivent être reliés :
1- L’observation, l’évidence, de l’inégalité. Une analyse assez simple montre que la structure sociale de l’inégalité (une pyramide hiérarchique : il y a peu de personnes qui gagnent beaucoup, et beaucoup de personnes qui gagnent peu, le niveau du revenu (la classe de revenu) étant défini par la position sociale, par la hauteur, dans la pyramide, sa pointe supposée en haut et sa base en bas) s’exprime statistiquement par une loi de répartition, la loi de Pareto (asymétrique, avec une longue traîne à droite — l’argent est à droite !)

2- L’observation du mouvement erratique des prix (des cours de bourse — la bourse considérée comme prototype du « marché libre »). De même, une analyse assez simple montre que les prix sont des v.a. qui peuvent, alors, être soumises à un traitement statistique : ce traitement (lui, complexe) montre que ces v.a. (séries de cours de n’importe quelle bourse) sont erratiques et à loi de Pareto.

Les deux domaines 1 et 2 sont liés par une même propriété : dans les deux cas, la loi de Pareto joue un rôle essentiel. Est-ce une simple coïncidence ?
La réponse est NON. Et l’explicitation de cette réponse conduit à l’analyse du SME en termes de répartition.
Reprenons : un SME est un système hiérarchique de répartition, un système de classement ; or, c’est ce classement qui explique que la monnaie est numérique (un nombre est une classe) ; mathématiquement, nous avons : nombre → compte → monnaie → classes → nombre, un ensemble liés de termes logiques qui permettent d’expliciter ce qu’est un SME. Nous pouvons parler de l’identité logique entre un système monétaire et un système comptable. Or, la propriété cruciale d’un tel système est l’inégalité, la loi de Pareto. Supposons maintenant une suite d’états de la répartition (ou d’états synchroniques du SME), c’est-à-dire introduisons la diachronie, comme suite de lois de Pareto (une pour chaque période) ; alors, des théorèmes (compliqués, qui ne seront que vulgarisés) montrent que la dynamique diachronique, la suite des états inégalitaires, génère des mouvements de prix (des courbes échantillon) erratiques.

L’erratisme, l’imprévisibilité radicale des opérations boursières (considérées comme prototypes des formations de « prix libres ») découle de l’inégalité. Ce qui est assez élémentaire à comprendre puisque cette inégalité structure l’économie. Tout ce que nous faisons (dans l’analyse monétaire) est de préciser en détail le sens des termes (inégalité, erratisme, système comptable, monnaie de compte, etc.) que nous introduisons pour construire notre critique.
Un des problèmes de la théorie monétaire est le suivant : quelle loi de répartition de la v.a. prix monétaire (ou cours de bourse) génère un mouvement dynamique erratique, tel que celui que l’on observe (pour n’importe quel cours) ? La réponse est la loi de Pareto.
Comme nous pouvons vérifier, par ailleurs, que les hiérarchies (qui définissent les SME) suivent des lois de Pareto, nous pouvons en conclure : la loi de Pareto est la loi de l’inégalité, vérifiée universellement par tout état économique capitaliste (avec SME).
Certes une loi de Pareto est un objet géométrique (une courbe) difficile à manipuler. On peut néanmoins la caractériser (incomplètement) par un paramètre, un scalaire (un résumé statistique) : le coefficient de concentration ou d’inégalité de Gini.
Et ceci explique les termes des politiques économiques keynésiennes : si l’objet de la politique est de combattre la crise (le chômage), de réduire l’erratisme, le risque, la précarité, la flexibilité, etc. alors il faut réduire l’inégalité.
(On peut, à ce niveau construire un débat sur la crise, le chômage, la précarité, la flexibilité ; puisque pour les “libéraux économistes”, ou pour les néoclassiques, flexibilité, précarité, risque, etc. bien loin d’être des éléments problématiques, sont des éléments utiles, nécessaires, pour une gouvernementalité basée sur l’ordre, l’obéissance, la peur, la discipline… Alors : vive la crise !)
Doit-on vraiment (ou, veut-on vraiment) résoudre la question de la crise ? veut-on véritablement le plein emploi ?
Exercice pour le lecteur besogneux (un peu maso, mais en vacances).

Exercice :

Sous forme d’une courte note de synthèse, commenter les deux propositions suivantes :
« l’économie est un ordre théocratique » ou « le système économique est un espace religieux »

Remarques : expliquer pourquoi la société & l’homme sont des fabrications (des pro-ductions) [5] ;

noter que les deux propositions (énoncées juste avant) sont identiques, au point de vue près : la société est vue comme ordre d’un point de vue politique ; la société est vue comme espace d’un point de vue opérationnel ; et de ce point de vue opérationnel, la société est constituée en un système mathématique, permettant la calculabilité.

Indications pour un plan possible :
Éléments (possibles mais non obligatoires — car l’innovation intellectuelle est la seule source de la richesse, dixit Negri —) à introduire pour développer le commentaire :
Définir la monnaie comme écriture (texte ou livre) ;
En déduire son “immatérialité” : analyser la caractère social-symbolique de la monnaie ;
Définir la notion de système social-symbolique (système monétaire) ;
Analyser les structures sociales-symboliques en tant qu’espaces de « croyance » (ou de « crédit ») ou en tant que domaines religieux (gérés à l’imaginaire constituant) ;
Détailler les notions suivantes : ordre, système, structure, espace ;
Introduire le « crédit » (croyance, confiance, etc.) & sa gestion théologico-politique (dite « gouvernementalité ») ;

Conclusions possibles : qu’est-ce que la “dématérialisation” de l’économie ? le Nord développé est-il devenu “post-industriel” ? le néo-management “post-moderne” n’est-il qu’un retour au Pastorat le plus archaïque ? le “progrès” de l’économie implique-t-il une régression politique vers les formes autoritaires & inquisitoriales (sécuritaires, informantes, etc.) du théocratico-politique ? la démocratie (mais laquelle ?) est-elle le régime “accordé” à l’économie ? etc.

Corrigé.

Introduction

L’objet d’une science est d’apporter des analyses et de construire des chaînes explicatives (des déductions), à partir de points de départ considérés comme significatifs ou évidents.
L’analyse keynésienne du capitalisme, théorisé comme système monétaire, est une analyse empirico-déductive dont il est assez facile de présenter les étapes déductives essentielles. Ce cheminement scientifique aboutit à l’explication que l’économie capitalisme est un système social-symbolique, c’est-à-dire une forme historique spécifique d’ordonnancement religieux, avec sa hiérarchie (son ordre sacré qui est une nouvelle théocratie « du marché ») et ses hiérarques (ses chefferies, échappant à tout contrôle démocratique).
L’analyse keynésienne, étant scientifique, repose sur la démonstration, sur une série de déductions effectuées à partir d’un terme initial considéré comme évident : c’est cette méthode (ou chemin) qu’il faut mettre en lumière.
Quel est le point de départ évident ? Bien sûr, la monnaie, « le fric » omniprésent, l’évidence de la monnaie ; une économie capitaliste est évidemment une économie monétaire où la pratique essentielle se nomme comptabilité monétaire, évaluation, calculabilité.

Il faut alors montrer que l’évidence de la monnaie impose d’analyser l’économie-monde, non pas en termes de « marché » et de « troc », mais en termes de système symbolique ou religieux, tenu au politique (par la gouvernementalité).
Il est assez facile de construire un chemin analytique pour arriver à définir, à partir de l’évidence de la primauté de la monnaie (ou de « l’argent »), ce qu’est un système symbolique.
Nous proposons cinq étapes démonstratives, enchaînées logiquement, pour introduire l’analyse de l’économie, évidemment monétaire, en termes de système symbolique.

Première étape.

Soit l’évidence de la monnaie : les relations économiques sont des relations comptables ou sont des relations de calcul ; un agent économique ne s’intéresse à autrui que par calcul : combien (cet) autrui peut-il apporter, en termes de revenu ou de profit monétaires ?
Les opérations économiques ne sont définies telles, spécifiquement économiques (et non pas charitables ou philanthropiques, etc.), que formant des comptes ou organisées en tableaux de calculs. Compte, calcul, nombre, opérations comptables, etc. se recoupent et dessinent le champ du système monétaire.
Compte, calcul, comptabilité du profit, etc. ne sont possibles que numériques, exprimées en termes de monnaie de compte, où cette monnaie est et n’est qu’un nombre permettant le calcul. La comptabilité, le grand livre sacré des capitalistes, est numérique, organisé en tableaux de calcul.

On peut donc parler de système monétaire ou de structure comptable ; l’évidence de la monnaie peut alors se dire autrement : sans comptabilité pas d’économie.

Deuxième étape.

Nous venons de voir : monnaie = nombre, permettant la comptabilité.
Qu’est-ce qu’un nombre ? Tout nombre est défini par la structure (syntaxe ou grammaire) des opérations qu’il autorise.
L’idée de nombre implique celle d’ensemble structuré, structuré par des opérations permettant le calcul.
Un nombre est un concept (un objet logique) mathématique ; mais le mathématique n’est qu’écriture ; tout concept mathématique est une écriture ; le nombre est donc une écriture ; la monnaie (= nombre) est ainsi une écriture : écriture monétaire.
L’ensemble des éléments monétaires, le système monétaire structuré comme système de calcul, cet ensemble forme un livre, le livre des comptes.
Il est essentiel de noter l’origine lointaine, mythologique et religieuse, de cette idée de « livre des comptes », sur lequel chacun devra rendre des comptes (renvoyons à l’étymologie des termes : rédemption, rédempteur, ou sauveur qui rédime, etc., le salut est lié au rachat des fautes, rachat parfaitement inscrit en livre ou comptabilisé).
L’économie monétaire est ainsi structurée spécifiquement : puisque organisée autour de nombres, de calculs, de tableaux de calculs, de statistiques, et, aujourd’hui d’informatique (comptabilité mécanisée). La structure de l’économie est la structure monétaire comptable.
Pour résumer : l’économie s’analyse en termes structuraux ; un système monétaire est structural.

Troisième étape.

L’économie monétaire, numérique, comptable, structure de calcul (et non pas “réelle”) s’analyse mathématiquement comme un système de mesure. Système formalisable (de manière simpliste) par une fonction F = m ( E ), m étant l’opérateur de mesure.
Si F est compris comme l’ensemble des opérations comptables (de calcul en valeur), et si on pose F = R, ensemble des nombres réels, comme il est nécessaire, pour permettre une comptabilité développée, alors le paradoxe de Russell (1905), paradoxe de la mesure, permet de montrer que E, l’ensemble des grandeurs à mesurer, n’est jamais “naturel” (empirique, physique, matériel, etc.). En effet, on peut montrer que m est un isomorphisme, et que donc E a la même structure que F ; comme aucun « ensemble concret » ne peut porter les propriétés des nombres réels (comme la continuité), il faut en déduire que E est abstrait (cf. le “travail abstrait” de Marx, facilement analysable comme objet symbolique, comme entité purement sociale, structurale, relationnelle ou religieuse — sans aucun atome de matérialité).
Ce paradoxe engage la question du langage et celle de la représentation : tout Texte, et la monnaie vue comme système structural de nombres est un Texte, est fermé sur lui-même, structural, et implique un rôle performatif d’institution ou de constitution, de projection, d’incarnation (pour prendre un nouveau terme religieux, chrétien).
L’essence du capitalisme est le Texte intégral ou total : rien n’échappe au compte, tout se compte, hommes, femmes ou choses confondues en marchandises permutables, tout se vend, tout s’achète, y compris la loi de la « république », y compris les « représentants du peuple » ; chacun cherchant à se vendre (cf. l’importance des “stars’ academies”) ; tout est comparable : un simple nombre, dont seul importe le niveau. Nous pouvons parler de réalité virtuelle, en nous référant à la mécanisation informatique des relations comptables ou financières.
L’économie capitaliste, organisée en système monétaire comptable, ne peut être analysée dans les termes néoclassiques « du marché » (avec échanges de troc, besoins à satisfaire, production matérielle, techniques d’ingénieur, fonctions de production techniques, etc.). L’analyse en termes « de marché », avec troc fondamental & monnaie représentative, seconde ou intermédiaire des échanges, cette analyse est métaphysique. En associant nombres et choses concrètes, ou texte et réalité empirique (réalité supposée extérieure au texte et représentable par le texte ; naturalisme), cette analyse métaphysique contredit le résultat de Russell, et devient contradictoire.

Si la théorie néoclassique est incorrecte logiquement, si la dogmatique « du marché » est vide logiquement, elles gardent néanmoins une fonction religieuse, ici de propagande, de commandement des croyants ou de gouvernementalité ; ce qui explique leur place maintenue dans l’enseignement d’État (qui n’est donc plus un enseignement « laïc », mais un formatage adaptatif, religieux donc).
Apparaît alors ce qui est le centre de tout ordre social : il faut maintenir la croyance, l’illusion de la naturalité de l’ordre. Par exemple l’illusion que le texte décrit un réel extérieur au texte : il faut défendre l’illusion métaphysique, pour que les sujets socialisés croient que l’ordre est bienfaisant (thème central de la théorie néoclassique : équilibre, optimum, meilleur des mondes, harmonie, etc.).

Quatrième étape.

Comment penser cette économie monétaire ou capitaliste, « non-naturelle » ? Alors même que le dogme fondamental est celui de la « naturalité » ?
Une économie non-naturelle est également non-contractualiste (elle ne dérive pas d’un contrat social, même implicite) : puisque les éléments du système économique, dont les hommes ou les femmes, dès qu’évalués ou inscrits en compte, sont des éléments structuraux, des fonctions (fonctionnelles ou fonctionnaires) analysables comme des nombres coordonnés dans une structure de mesure (pour comprendre cela naïvement, demandons-nous ce qu’est cette « valeur morale » si prisée des entreprises : l’esprit d’équipe).
Nous avons parlé de réalité virtuelle ; l’économie monétaire est un simulacre, une sorte de grand cinéma (un spectacle) défini en termes d’espace abstrait mathématique, et dont on ne peut sortir (puisqu’il nous socialise – la caverne si célèbre).
Déjà, on ne peut sortir du comptable, parce que l’on ne sait pas qu’on y est entré : la dénégation ou la propagande naturalistes étant des éléments essentiels de la gouvernementalité, de cette forme moderne du commandement des croyants, commandement devenu entièrement économique.
Un tel simulacre est une fiction religieuse (qui se dénie comme fiction « littéraire » — le vrai croyant ne sait pas, et ne doit pas savoir, qu’il croit — et déploie un brouillage naturaliste : fausse conscience ou endoctrinement, domination obscurantiste « de marché » de l’opinion “people” déséduquée par le médiatique vendu).
Nous sommes dans l’ordre du romanesque ou du mythologique : une telle fiction, parce que fiction politique, est essentiellement instable, puisque non fondée. C’est cette fiction qui se nomme social-symbolique.

Un système social-symbolique est un système de projection d’idéalités, purement fictif donc, mais qui doit se déguiser en ordre naturel (ou « divin »). C’est pourquoi, en même temps que l’on développe l’analyse structurale du capitalisme (qui indique le caractère historique, contingent, bricolé de l’économie), on est obligé de tenir compte et de critiquer le dogme officiel qui relie (religieusement) les membres socialisés ; dogme dont la fonction est de faire voir autre chose que ce qu’il y a à voir. L’économie est un système de croyance, de confiance, de crédit, de parole donnée ; c’est pourquoi le mensonge est roi.

Envisagée comme construction humaine, évolutive historiquement (cf. les inventions comptables qui définissent l’évolution récente des opérations financières ; cf. la corruption et la manipulation des écritures comptables), cette fiction incarnée, le cœur du capitalisme qui doit être envisagé comme religion civile, ce système projectif est caractérisé par la crise permanente : instabilité, erreur, insatisfaction, erratisme, fuite en avant financière, grande inflation camouflée, etc.
L’économie-monde est un immense système de cavalerie : les dettes ne sont payées qu’avec des dettes, à l’infini, sans solde final (c’est cela qui caractérise le monétaire : sa dynamique illimitée). Et « l’agent » (État-nation) le plus endetté est également le plus puissant : tous les autres États “créanciers” devant le soutenir, sous peine d’être emportés dans la faillite du débiteur le plus endetté.

Cinquième étape.

La monnaie n’est pas matérielle, ni un bien, ni de l’or, ni du papier, ni ne renvoie (en image) à une économie fondamentale (de troc ou de production technique — les productions techniques n’existent que séparées, non inter-reliées ; seul le SME ou le système des comptes, non-physique donc, est capable de relier (religieusement) les diverses techniques isolées ; il n’y a même pas de théorie physico-chimique unifiée : l’idée de nature physique unifiée est dénuée de sens scientifique).
La monnaie n’est pas plus un « outil » (contrôlable) qu’un « intermédiaire » ; c’est un élément historique hasardeux, devenu systématique parce que capable d’amplifier le pouvoir de commandement, et ainsi non antithétique avec l’ordre politico-religieux. Si donc la monnaie n’est pas contrôlable (c’est une structure contingente), elle est un élément d’un plus vaste système de contrôle : c’est pourquoi le capitalisme, bien loin d’être attaché à la démocratie, est plutôt un despotisme technocratique (ou physiocratique) évoluant régulièrement vers la dictature [6].
Le système de contrôle monétaire peut être dit indifféremment : structural, social, historique, symbolique, religieux… tout ce que l’on veut sauf naturel, matériel physique…

Conclusion.

L’objet de la science n’est pas de conforter les propagandes industrielles ou “libérales”, ni de participer à l’organisation ou au renforcement des disciplines religieuses (nationales communautaires), ni de conforter la croyance (« au marché »), ni de conforter l’opinion (désinformée et anti-intellectuelle).

Un certain nombre d’évidences, ou d’analyses logiques simples, mettent en cause la vision métaphysique naturaliste recommandée (pour faire bande ou agrégat national religieux) :
— les nombres ne renvoient pas à des « choses » empiriques ;
— la monnaie étant un nombre exige d’affronter le mystère ou le paradoxe du monde capitaliste, simulacre, spectacle, cinéma, ou abstraction réalisée, ou illusion incarnée (par la croyance) ;
— la compréhension de ce que signifie ce social-symbolique, ce religieux au Texte numérique (avec le fétichisme du « fric » ou du paraître), permet d’envisager l’Europe comme une grande machine de guerre. Sous le nom « d’économie universelle », par la croyance propagée et renforcée au naturalisme (par la croyance scientiste dans les bienfaits de la technique — et par la confusion intéressée entre technique et économie), en affirmant que l’économie n’est que du technique ou de la gestion, n’est qu’un mode d’organisation (nécessaire, voire supérieur) « neutre », exportable pour tous, il s’agit de conquérir, de convertir et de mobiliser « les légions de l’entreprise ».

L’objet de la science est d’aller jusqu’au bout de l’analyse, ici de l’analyse structurale du numérique et de la mesure, d’aller au bout sans respect pour les croyances ou les conformismes établis, et d’affirmer : derrière le simulacre, il n’y a rien, rien que le vide de la peur (peu) humaine. Ce qui explique le despotisme du capitalisme : il faut faire tenir le simulacre, qui ne repose sur rien ; faire croire que la hiérarchie est nécessaire et que les « contraintes » économiques sont naturelles.

Un exercice critique : introduction au paradoxe de Russell.
Exercice de lecture de l’économique néoclassique, considérée comme discours philosophique ou comme thèse métaphysique.

La confusion du réel & du langage est le préjugé philosophique par excellence.
Prendre le réel comme “objet” (“objet matériel économico-physique”, par exemple — exemple clé du matérialisme substantialisme de l’économique néoclassique qui nous retient ici) est une thèse philosophique.

Les sciences empiristes positivistes (comme la « science économique ») ne prennent pas le réel comme leur « cause » mais comme leur « cible » ; comme une cible censée être manipulable techniquement. Lesdites sciences empiristes “mélangent” donc, confondent le réel & le discursif. Amphibologie philosophique classique. Qui nous entraîne dans une confusion du texte projectif et de la réalité, confusion nommée : le “Royaume du Mélange”, le “réal”, le “réalisé”, “l’effectif efficace”, etc., soit dire le Monde conquis par la “force” inquisitoriale et par ses armées. La confusion amphibologique du réel & de l’empirique mène l’économique a être une technologie politique “forte”, dont la finalité fasciste est l’uniformisation.
On pourrait le montrer simplement en examinant le « concept » d’homo œconomicus ; mais comme ce mythème est dérivé, secondaire, il vaut mieux remonter au mythe premier qui soude toute l’économique NéoClassique (classique, marxiste & néo-classique au sens strict), celui de « marchandise » (ou de « bien », dans ce vocabulaire si spécifiquement théologique de la théorie néoclassique).

En effet, pour l’économisme, un homo œconomicus n’est qu’un propriétaire de marchandises ; son “propre” est la “propriété”, c’est-à-dire une réduction objectivante. L’homo œconomicus se définit donc, simplement, par son « compte en termes de biens » (son patrimoine économique, son “vecteur des allocations initiales”) ; en termes de biens, et seulement de biens (donc de « Bien »), son “compte est bon”. Ainsi, en économique, les “biens” parlent aux “biens” (soit dire : les “bien(s)-nés” ne parlent qu’aux autres “bien(s)-nés” [7]) ; et les “agents économiques” n’existent que par leur(s) “propriété(s)”, que par les quantités de “bien(s)” qu’ils “possèdent” et qui forment “leur propre”.

La catégorie métaphysique de « marchandise concrète » ou de « bien », catégorie physio-cratique ou “substantialiste” (il s’agit précisément des subsistances pour la survie — sub-sistances, sub-stances, dont “l’essence” est « l’essence de la vie »...), catégorie “fondamentale foncière”, est censée établir solidement l’économique économiste sur le « sol réel solide » des « choses matérielles stables ». Elle ne fait que manifester la structure philosophique de l’économique.

Soit donc, point de départ de l’économique, cet « objet » que les économistes nomment « marchandise » (point de départ de “Das Kapital”) ou « bien » (point de départ de la “Théorie de la valeur” de Gérard Debreu [8]) et que ces économistes considèrent comme « réel » (sens qu’ils donnent à leur “concret empirique”).

Cet « objet » “apparaît” comme « chose », objet réel naturel physique, concret, empirique, etc. Par exemple : « une poire » est un élément « subsistantiel », “poire-en-tant-que-poire” (Francis Ponge), néanmoins immédiatement (supposée) munie de deux attributs :

1— “Une-poire-pour-la-soif”, son caractère “utile”, voire “satisfaisant” (ou support de “satisfaction”) ;
utilité ou valeur d’usage censée liée à la matérialité subsistantielle de la poire (pour la soif — le “pour” indiquant la définition téléologique liée à l’utilité : le monde a été fait “pour” l’humain) ; bien entendu, nous venons juste de le dire, l’utilité renvoie à un « sujet », sujet agent actif choisissant, qui “juge utile”, ou “tire satisfaction”, etc.

Opposition “sujet/objet”, position “naturaliste”, définition “humaniste” de l’humain, etc. le métaphysique se met rapidement en route (et forme la “base inconsciente” de l’économie néoclassique la plus mathématique — elle ne peut, du reste, être “mathématisée” que parce qu’elle est métaphysique).

L’utilité est une catégorie métaphysique, inscrite dans le schéma du face à face du sujet & de l’objet, dans une relation de jugement ou d’appréciation, voire de mesure (certains utilitaristes “durs”, archaïques ou modernes, n’hésitant pas à mesurer l’utilité, les utilitaristes “mous”, c’est-à-dire néoclassiques se contentant de hiérarchiser l’utilité — mais une hiérarchisation, dite mesure ordinale, est déjà une mesure et implique (déjà) les mêmes espaces topologiques préposés que les “mesures cardinales”).
Pour résumer le tout en langage classique (et marxiste) : une poire, comme toute autre chose (économique) a donc une valeur d’usage ; son utilité est “appréciable”.

2— Mais une poire, comme toute autre chose, encore, a une valeur d’échange, un prix.
Un prix est un nombre affecté à l’objet : le prix-de-la-poire. Un prix est donc une mesure (appréciation) analogue en structure à l’appréciation par l’utilité.
Voilà donc notre « pauvre poire » munie de DEUX appréciations, utilité & prix.
Une grande partie de l’économique tourne autour du “lien” à établir (?) entre les deux appréciations : le prix étant censé lié à l’utilité, directement ou indirectement.

Examinons les efforts discursifs, en structure.
Valeur d’usage, utilité, valeur d’échange, prix, etc. sont des concepts. Précisément même, utilité, valeur d’échange, prix, sont des nombres, c’est-à-dire des concepts mathématiques, n’ayant de sens que mathématiquement et renvoyant à des Tables (de lois) d’opérations. L’élément classique marxiste valeur d’usage reste plus indéterminé (logiquement), mais la valeur d’usage s’apprécie, se classe, se hiérarchise, etc. (et peut former une classification complète des “besoins”, de l’utilité individuelle jusqu’à l’utilité sociale).
L’opération d’attribution d’un nombre, produit intellectuel, à un objet concret, empirique, supposé réel, etc. est une opération métaphysique.

a— Cette “décision” est philosophique autant que l’objet empirique poire est considéré réel et comme objet réel. La mesure (utilité ou prix) affectée à l’objet supposé réel établit une unité (un espace) entre ledit réel (supposé) et la catégorie mathématique (de nombre).
Si l’économie était une “science rigoureuse” (comme elle se prétend, sur le modèle de la physique, qui également effectue des mesures) elle devrait introduire un concept logiquement compatible avec celui de nombre (prix), c’est-à-dire un autre concept (ici un autre nombre) mathématique (par exemple du “pouvoir d’achat” — et non pas du “bien”) ; si l’économie se comportait comme elle se prétend (comme physique sociale newtonienne) elle devrait complètement s’établir (ce qui correspondrait à son caractère statique, prenant le réalisé pour le réel) dans les espaces qu’elle présuppose ; alors il ne serait plus question de “poire”.
Les objets concrets n’ont aucune place dans les théories (physiques). Tout économiste, qui se prétend physicien, connaît bien la position d’Einstein :

« Dans le système de Newton, la réalité physique est caractérisée par les concepts d’espace, de temps, de points matériels, de force (c’est-à-dire d’interaction entre points matériels). Le point matériel est le seul représentant de la réalité. Les corps matériels qui étaient la cause psychologique de la formation du concept de “point matériel” devaient être conçus eux-mêmes comme un système de points matériels. Il faut remarquer que ce système théorique est, dans son essence, un système atomiste et mécanique. Tout processus devait être compris comme un simple mouvement de points matériels obéissant à la loi newtonienne du mouvement. »

Ou, pour renvoyer aux anciens débats “épistémologiques” (autour de Bachelard, Canguilhem, Althusser, Foucault, etc.) nous pouvons rappeler les fortes idées de Cavaillès : l’association d’un développement logique et d’un concret constaté est inanité pure.

Pour le dire radicalement : l’économique ne devrait jamais parler des poires, mais ne devrait parler, par exemple, que d’agrégats d’atomes géométriques ou d’éléments logiques de systèmes matériels newtoniens sociaux. Parler de “fonction” (ou “d’application”) entre une chose et un nombre est une simple inanité. D’où résulte la minceur de l’ouvrage de Debreu, qui bien que parlant de blé, de ciment, de camions, etc., voire de travail humain, ne traite que de nombres.
Minceur de l’économique ! Car si l’économique devait être rigoureuse et ne jamais parler des poires, de quoi pourrait-elle parler ? Que serait l’utilité d’un système de points matériels ? Comment pourrait-on penser la valeur d’usage ? Et épiloguer sur la satisfaction ? Dans l’économique triomphe ainsi le mixte, le mélange empirique catégorique, ou concret mathématique, mélange si typiquement philosophique.

La raison pour laquelle Althusser demandait de « supprimer » toute la Ire partie du Livre I de “Das Kapital” est, que, visiblement, elle est philosophique (précisément hégélienne). Mais que devient “Das Kapital” lorsqu’on a supprimé la partie sur la marchandise et, donc, sur la valeur (ce terme pris au sens “orthodoxe” de « mesure-de », ou de relation amphibologique concret/mathématique). Encore une fois, appliquée à Marx aussi bien (qu’aux néoclassiques) vaut la formule : l’union d’un objet empirique constaté et d’un développement logique mathématique est une simple illusion, illusion philosophique nommée dialectique.

Cette illusion peut être “levée” au moyen d’un paradoxe (paradoxe signalant une aporie doxique), le paradoxe de Russell :

i— soit l’objet empirique constaté ;
ii— soit la “mesure-de” cet objet, c’est-à-dire une application formelle ;
iii—soit le nombre mesurant l’objet ;
l’application mathématique de mesure implique que l’objet et le nombre sont dans un même espace géométrique, ou, si l’on préfère, dans un même champ discursif logique ;
que le nombre soit (axiomatiquement) un objet géométrique (logique abstrait) est “évident” (en mathématiques) ;
que l’objet empirique constaté soit, également, un objet géométrique est paradoxal, car il ne permet plus, alors, de “porter” le discours doxique sur les “besoins” & “l’utilité” ;
or, si l’objet empirique constaté n’est pas un nombre (ou un objet géométrique) alors l’application de mesure n’existe tout simplement pas : une poire concrète n’a pas de prix !

Cette formulation, ironique, parodique, dévoile en fait le noyau dur de la question :
le Réel n’est pas formalisable ; la formalisation est une colonisation qui constitue une réalité non Réelle ; comme le dit Roland Barthes : « l’écriture est fasciste ».
Un objet réel n’a pas de prix ; ce qui a un prix ne peut être Réel (mais n’est que réalisé, socialisé).
Une marchandise à deux visages est donc une contradiction logique — et une absurdité réelle. C’est une belle construction en forme de mélange empirico transcendant. Mais si Marx parle bel et bien de « contradictio in adjecto », les marxistes économistes (soit dire néoclassiques) “interprètent” l’aporie (paradoxale) en termes de contradiction dialectique hégélienne. Ce qui peut être considéré comme la preuve (l’évidence) immédiate que l’économique est philosophique ; car dès sa première explication, et cela ne va pas s’améliorer par la suite, nous tombons dans la plus célèbre “méthode métaphysique”, la dialectique.

b— On peut, alors, dire que l’opération de “mesure-de”, d’attribution d’un nombre à une chose empiriquement constatée (et déclarée réelle) est métaphysique. En effet, l’introduction, et le maintien contre vents et marées, de la marchandise dialectique (“à deux visages”), ou de la marchandise dyadique, répond au besoin téléologique de (re)trouver une sorte de progressivité historique, répond au besoin évangélique de la religion économiste. C’est parce que l’économiste est un philosophe, qu’il connaît le schème dialectique hégélien et sa version durcie par les marxistes économistes, qu’il en connaît les “avantages” en termes de “religion”, “d’espérance”, et de “mystification”, qu’il ne veut pas céder sur ses “fautes de logique” et préfère énoncer des paralogismes plutôt que manquer à sa fonction ecclésiale de Pasteur escroc.

Pour en revenir à notre « poire » (n’est-ce pas l’apprenti économiste !), on peut encore dire : la “poire” dont parlent les économistes n’est pas une « poire réelle » ; il s’agit d’une « vraie poire », c’est-à-dire d’une « poire arraisonnée » par le compte (et qui fait que son compte est bon !).

Une poire arraisonnée est-elle une poire ?
Décalque de : « ceci n’est pas une pipe », ou « le concept de chien n’aboie pas », etc.
La “poire arraisonnée” est donc une pro-duction dogmatique ; n’est en rien naturelle (autant que ce terme veut dire réelle, substantielle, fondamentale, etc.) mais plutôt une variable historiale, dans l’historial des procédés de pensée.
L’attribution de la satisfaction (supposée être un “sentiment naturel” de l’homo œconomicus), l’analytique de la valeur d’usage, devient une pensée vide.
Comme est inanité sonore l’économique néoclassique.
Le Paradoxe de Russell et ses premières conséquences structurales pour l’analyse économique keynésienne.
Énonçons les implications du paradoxe (ou de la théorie monétaire de la valeur) en termes de politique économique et, en particulier, nous en déduirons une critique de l’idée libérale de « déflation salariale ».

Résumé : la gouvernementalité libérale repose sur la mythologie de la loi naturelle du social ; or une telle idéologie est contradictoire, soit parce que ladite loi naturelle est sans cesse contournée ou enfreinte, exigeant sans cesse de la rétablir autoritairement (et voilà le centre du libéralisme : reformater politiquement l’ordre économique supposé spontané), soit parce que ladite nature (comme la nature humaine) est trop incertaine, troublée par trop d’anormalités ; ce qui est nommé « Paradoxe de Russell » n’est qu’un chemin pour découvrir les contradictions enlevant tout sens à l’idée de loi naturelle (de la nature humaine à la loi de l’offre et de la demande ou à l’idéologie du marché auto-stabilisant), n’est qu’un chemin pour parvenir à la conception scientifique de l’économie comme système monétaire social-symbolique ; le centre de ce Paradoxe est l’impossibilité de la mise en relation d’un objet empirique (dit naturel) et d’un objet logique (un nombre par exemple), l’impossibilité de la représentation d’une chose par un nombre ; s’en déduit la nécessité logique d’introduire un système clos d’objets logiques, système d’abstraction qui définit le capitalisme et son noyau l’économie monétaire ; le capitalisme n’a rien de naturel, ni ne repose sur aucune loi naturelle, ni n’est l’expression d’aucune nature humaine ; le capitalisme est purement une construction politique, autoritairement imposée et qu’il faut donc sans cesse défendre ; la gouvernementalité libérale a pour objet la défense musclée du capitalisme ; qu’elle le fasse en utilisant une syntaxe métaphysique, celle de la naturalité ou de la spontanéité, manifeste uniquement qu’un régime économique a plus besoin de croyance religieuse pour tenir que de marché ; faisant toujours autre chose que ce qu’elle dit (de la politique autoritaire au prétexte du marché libre), ou disant autre chose que ce qu’elle fait (apporter le bonheur à tous en commençant par déclarer la guerre aux pauvres), la gouvernementalité libérale, non contente d’être une contradictio in adjecto (agir arbitrairement ou performativement au nom d’une nature constante, faire de la politique anti-politique pour “libérer” l’économie, organiser bureaucratiquement pour détruire l’organisation bureaucratique, etc.), ne peut jamais abandonner son caractère anti-démocratique d’origine (physiocratique) ; le Paradoxe de Russell, déployé en termes économiques, se résume assez bien comme critique du naturalisme métaphysique libéral : un ordre artificiel ou une pure abstraction, un simulacre, qu’il faut sans cesse réinstituer ou performer, doit être présenté comme un ordre naturel spontané pour que, par la ferveur crédule de ses sujets, mais ferveur qu’il faut sans cesse remobiliser, pour que donc tienne le simulacre — supposé tenir de lui-même alors qu’il exige le plus lourd appareil policier et de de propagande (comme toute religion politique).

Paradoxe de Russell appliqué : l’économie monétaire est un système d’abstraction comptable ; elle est donc arbitraire (non naturelle mais construite) ; néanmoins la rigidification conservatrice (pour faire système) de cet arbitraire produit exige la dénégation de sa propriété d’être une construction (déconstructible), exige l’idéologie naturaliste et la croyance généralisée en la spontanéité de l’économie (spontanéité a-humaine résumée par le terme de « marché libre ») ; spontanéité que devrait sans cesse rétablir une politique libérale !

Introduction développée :

La gouvernementalité libérale (autoritaire) se caractérise par « le gouvernement des pauvres » et, inversement, par la liberté inconditionnelle “laissée” aux riches, par la mise sous tutelle de ces pauvres & la surveillance “sécuritaire” des dites « classes dangereuses » [9] ; cette politique économique se caractérise par la « culpabilisation » (néo-chrétienne), voire la criminalisation de ces pauvres, et non pas par la tentative de résoudre le problème économique de la pauvreté ; doctrine de l’inégalité “naturelle”, lutte contre les pauvres et non pas contre la pauvreté, utilisation machiavélique de la pauvreté : voilà des éléments du « gouvernement des pauvres » (vieille doctrine datant de la fin du 18e siècle).

Ce plan économique, de combat ou de guerre civile, typique du libéralisme économique, remonte au moins à Malthus et, implicitement, aux Physiocrates (de la Secte des Économistes, favorables au « Despotisme Éclairé »). Et, depuis cette lointaine époque de fondation, prétend s’appuyer sur des « contraintes irréfragables », sur des « lois naturelles du social » (un magma de discursivités qui se nommera bientôt « science économique » — physiocratique, classique puis néoclassique).

De l’idée qu’existerait une « nature humaine » (définie par des « constantes anthropo-logiques »), de la confusion hyper-métaphysique de l’Ego & de l’égoïsme, de l’idée qu’il existerait des « comportements naturels » ou des « modes universels de l’action » (troquer, échanger, commercer, chercher plus d’argent que moins, le comportement maximisateur des néo-classiques, etc.), de ces idées naturalistes (métaphysiques) se déduirait l’idée de « loi naturelle du social », comme la si célèbre (et idéologique) « loi de l’offre et de la demande », avec son support discursif « le marché de concurrence ».

Bien entendu, l’idée de « marché du travail » (de louage de services rendus par le corps-esprit), puis l’idée de « déflation salariale » (soit dire de la politique de résolution de la question du chômage par la baisse des salaires — la demande augmente, quand le prix baisse), participent de cette « logique » libérale, d’abord naturaliste (métaphysique).
Mais cette « logique », cette organisation d’idées, dès qu’analysée (« déconstruite ») comme naturaliste (métaphysique), peut-elle être autre chose qu’une idéologie, une simple mythologie ou un catéchisme pour des croyants ayant besoin de légitimation discursive (d’un dogme à réciter, d’un credo élémentaire, etc.) ?

La pensée keynésienne, par l’articulation de ses différents niveaux (mathématique, probabiliste, logique, anti-philosophique (Wittgenstein), anti-économique et anti-néoclassique), prétend démontrer que la soi-disant « logique » libérale despotique, adossée au naturalisme néoclassique, n’est qu’une idéologie non-scientifique, un fossile du 18e siècle ramené à la vie par un clonage hasardeux — « logique » conservatrice, au moins, certainement involutive. Idéologie qui peut se penser comme le noyau religieux de la gouvernementalité libérale, sans fondement scientifique, avec une éthique perverse (« le darwinisme social ») bafouant les Droits Humains en leur indivisibilité.

En coupant au plus direct, et en laissant les conséquences comme exercices d’application, la pensée keynésienne permet de développer une analytique structurale qui rejette comme non scientifique, métaphysique puis idéologique, l’idée de « loi sociale naturelle » ou le complexe : nature humaine, comportements naturels, ordre social naturel, marché bienfaisant, etc.

L’analytique keynésienne du capitalisme considéré comme Système Monétaire (et non pas comme « marché » — ce terme pris exclusivement au sens néoclassique sous entendant tout ce qui précède de métaphysique, sens également dit « physiocratique ») permet d’écarter (comme erreur scientifique ou scorie religieuse) le nœud qui fixe l’idée de « loi sociale naturelle bienfaisante » : la croyance en l’existence d’objets empiriques (non construits scientifiquement) signifiants (ayant un sens par eux-mêmes, hors de toute structure ou syntaxe), l’existence d’objets naturels (sup)posés directement comme des concepts analytiques, la croyance en l’idée d’infrastructure réelle-physique (naturelle) — il y aurait « une économie fondamentale » (dont la théorie néoclassique nous expliciterait le schéma), il existerait de « l’individu empirique » (“égoïste”), il existerait des « biens » (sup)posables avant toute construction scientifique et présentables (contradictoirement) comme schémas comptables ou calculables, ou comme schémas géométriques (réduction de l’individu à des courbes d’utilité) ou comme nombres (la liste des « biens » n’est pas présentable autrement que comme suite de nombres). Cette présentation “double” (dualiste ou dichotomique) objet empirique / nombre étant l’indice sûr et certain du métaphysique (précisément de la dialectique : la théorie néoclassique est dialectique).

L’analytique keynésienne, appuyée par exemple sur l’anti-philosophie de Wittgenstein, rejette, comme dénuées de sens, ces combinaisons dialectiques (a) de termes extraits idéologiquement du « monde empirique » ou de son découpage selon la croyance retenue ET (b) de concepts construits scientifiquement, comme le sont les nombres et ainsi la monnaie, que l’on sait être d’abord un nombre comptable permettant la calculabilité généralisée qui définit le capitalisme (y compris pour les néoclassiques).

La logique mathématique de Bertrand Russell, Principia Mathematica, 1905, culminant dans le paradoxe de la mesure (dit Paradoxe de Russell) permet de démontrer logiquement que ces réductions (dialectiques), compressions (de l’homme à l’individu égoïste supposé exister empiriquement), écrasements (de choses en nombres, choses qui restent cependant “réelles”), confusions (a) d’empirique idéologique et non conceptualisé (les dits « objets naturels ») ET (b) de syntaxes logiques ou mathématiques, que ces confusions sont des contradictions, des apories ou des oxymores, qui doivent être rejetées comme pré-scientifiques.

Ainsi en est-il, de manière très générale, de la compression idéologique de l’analytique et du normatif, de l’idée (centrale pour le libéralisme) de marché bienfaisant qui règlerait automatiquement la question du chômage, s’il était “laissé” à son « dynamisme naturel » (en grec : phusis, à sa physique — ici, cependant : physique méta-physique), à l’exclusion de tout interventionnisme malin : sans salaire minimum (Rueff : le salaire minimum est la cause du chômage), sans niches pour « planquer les fainéants » (comme les chômeurs, bambochards indemnisés), sans saboteurs (néo-soviétiques) pour paralyser (ou critiquer) le mythe de l’autorité naturelle des chefs (d’entreprise) [10].

Nous pouvons donc, maintenant, reprendre, dans l’ordre inverse, les arguments présentés de manière heuristique (comme introduction développée) afin de montrer que le thème de la gouvernementalité libérale autoritaire (ou du gouvernement des pauvres) est non scientifique — mais peut parfaitement faire l’objet d’un culte religieux.

I — Le Paradoxe de Russell : significations logique puis économique ;
Ia — signification logique et anti-philosophique ;
Ib — signification économique : la théorie de la valeur monétaire ou de la mesure valeur, le concept d’objet symbolique.
II — Première application générale du Paradoxe : critique du naturalisme philosophique ;
Il n’existe pas : ni de nature humaine (égoïste ou autre), ni de loi naturelle (de l’histoire ou de la société — rien n’a de nécessité, il n’existe pas de contrainte irréfragable), ni d’objets empiriquement posés (comme les « biens » — du reste posés contradictoirement comme nombres ou grandeurs mesurables), aucun empirique syntaxiquement articulable (rappelons que l’articulation empirique/conceptuel se nomme dialectique et signale le métaphysique). Le concept premier de l’analytique économique est celui « d’objet social-symbolique », dont le prototype est la monnaie.

III — Deux corollaires nécessaires pour permettre une critique étendue de la gouvernementalité libérale (ainsi privée de base scientifique, réduite à de la dogmatique religieuse) :
IIIa — le salaire monétaire n’est pas la mesure (valeur) du travail :
Le salaire monétaire, étant une mesure (au sens logico-mathématique), correspond à un performatif, à l’institution d’un type d’encadrement militaro-industriel, que l’on peut nommer « travail contrôlé » ou « travail abstrait ».

Le Paradoxe de Russell nous dit que le « travail concret » (« le boulot ») n’est pas défini, ni inscriptible en une syntaxe rigoureuse (c’est un terme de morale populaire) ; et, qu’inversement, le « travail évaluable » n’est pas du « travail empirique », mais un exercice politique de soumission (sous-mission) sous une autorité déléguée, y compris pour les professions dites libérales ou indépendantes, mercenaires comme les autres ; le « travail abstrait » se définit par une position hiérarchique (et non pas par une “activité concrète”) : c’est toujours le salaire qui définit le travail comme abstraction, jamais l’activité concrète qui détermine le salaire (le lien concret/abstrait étant une contradiction, du dialectique, métaphysique).

L’idée populaire de “salaire” comme “récompense” (« bons points ») pour un « bon boulot » est donc morale ou religieuse, certainement pas analytique.

On pourrait alors analyser l’économie capitalisme (le système monétaire) de ce point de vue de l’ordre religieux qui sous-tient l’économie (ce qui est l’objet de la théorie keynésienne de l’économie monétaire théorisée comme système social-symbolique). L’économie ne tient pas “spontanément” « au marché auto-régulateur », mais est main-tenue par un encadrement religieux (symbolique, politique, policier — pas de propriété sans police).

IIIb — Ainsi peut-on expliquer que la répartition précède (analytiquement) la production (à définir précisément, par exemple au sens néoclassique de transformation ou de troc de « bien » en « bien » ou d’un « bien » en un autre « bien », selon les définitions de Pareto).
Nous venons de voir (en IIIa) que le salaire numérique détermine le travail comme simple abstraction comptable.

Ceci se généralise évidemment (comme autre application du paradoxe de Russell : le Texte détermine l’objet logique et exclut l’objet empirique, inanalysable, INDICIBLE) : le classement, le tri, la hiérarchisation, le fichage, etc. sont des préalables de l’ordre social économique, la “sécurisation” (conservatrice) de ce classement est préalable au fonctionnement du Système Monétaire.

IV — Nous pouvons alors en revenir à la critique de la gouvernementalité libérale, toujours en suivant dans l’ordre inverse les éléments de l’introduction.
La critique du libéralisme économique est (1) une conséquence de la critique du naturalisme métaphysique (2) une conséquence de la dissipation de la confusion analytique/normatif, ou une conséquence de la critique de la doctrine non-scientifique du « marché bienfaisant ».
L’aspect normatif (autoritaire) de la doctrine libérale ne peut prétendre, à la fois, être un catéchisme pour régenter, régler, contrôler, surveiller , etc. les comportements (le gouvernement des pauvres, la mise au boulot forcée, etc.) ET prétendre que les dits comportements sont “naturels” (le pauvre serait un déviant ou un anormal, voire un pervers polymorphe, etc.). La contradiction (déjà énoncée) du « social naturel » ou du « comportement naturel » (ou « normal ») qui implique le redressement (et donc implique qu’il y a de l’anormalité, de l’anti-nature), cette contradiction remonte au texte fondateur du libéralisme français, l’article Droit Naturel de Quesnay (vers 1750) où est complètement développé le paradoxe de la loi naturelle sans force ET qu’il faut enforcer, protéger, sécuriser, etc., où apparaît donc, pour la première fois (de manière inconsciente, non pensée comme erreur), une variante du Paradoxe de Russell ; ici la confusion du Texte (ou de La Loi) et de la chose empirique, l’incompréhension qu’un Texte (de Loi ou de loi naturelle par exemple) est toujours un performatif, jamais ne peut être un « descriptif » ou une « représentation » (il n’existe pas de telle « représentation »).

Pour en revenir alors à (1), critique du libéralisme comme conséquence de la critique du métaphysique, nous pouvons présenter le schéma logique suivant :

— critique du naturalisme, de l’idée de loi naturelle du social, de l’idée de nature humaine (ou de la supposition de “l’individu empirique”) ;
— implique : critique du marché (au sens néoclassique), critique de l’idée d’auto-organisation, critique du « laisser faire » ;
— implique : explicitation de la contradiction interne des politiques économiques libérales : confusion de l’analytique & du normatif, il y aurait du « naturel bienfaisant » à protéger, défendre, réinstaurer, etc.… d’où : un naturel pas très naturel…

Le Paradoxe de Russell peut alors se formuler comme la contradiction de la communauté (nationale, par exemple) supposée naturelle, ancestrale, traditionnelle, etc. qu’il faut néanmoins défendre (lorsqu’elle perd son id-entité posée d’abord naturelle), qu’il faut « materner » (patrie = matrie = matrice), comme la contradiction du naturel à ré-instituer sans cesse par la force (où : force = histoire, en contradiction avec nature = an-histoire).

Le déploiement du Paradoxe de Russell nous fait alors glisser d’un aspect logique, mathématique, vers un aspect politique, celui des politiques meurtrières de l’identité, celui des politiques contradictoires (et assurées à la violence pure) fondées en nature et où la dite nature se dissout en arbitraire.

Toute gouvernementalité contradictoire (comme la gouvernementalité libérale despotique) se résout par la violence de l’arbitraire déclaré normal ; la gouvernementalité libérale a toujours été l’antichambre de la tyrannie, depuis les Pères Physiocrates, royalistes (Quesnay médecin pour le despote éclairé) ou bonapartistes (comme Dupont de Nemours, qui dû s’enfuir aux États-Unis en 1815, pour y fonder une des plus puissantes dynasties mondiales de la chimie lourde).
L’idée de « démocratie libérale » (comme celle de « socialisme de marché ») est donc un oxymore ou un poudingue (pudding).

Conclusion possible :

La gouvernementalité libérale autoritaire se présente comme une « option possible » pour résoudre la question du chômage (par exemple, et pour en rester au thème de la déflation salariale). Bien entendu elle le fait selon son “instinct propre” : en créant des pauvres et de la pauvreté, en créant une classe dangereuse à criminaliser, voire en basculant dans un racisme feutré (en confondant pauvre et étranger ou immigré, etc., en racialisant les questions économiques) ; toutes choses qu’il lui sera aisé de “sécuriser” après les avoir créées — le « sécuritaire » étant le produit d’appel pour attirer les croyants musclés (communautaristes “français” ou “européens”, voire “blancs”) nostalgiques d’un Royaume (ou d’un Empire) avec despotisme éclairé physiocratique.
Cette « option possible » libérale autoritaire
— et qui ne peut en aucune manière être déclarée « démocrate » ou « démocratique », puisque rejetant la quasi-totalité du Droit Humain constituant la Déclaration Universelle, sauf le droit de propriété, mais dénué de sens légal dès qu’isolé du reste des autres droits de la Déclaration, indivisible — de ce point de vue, le gouvernement de la France ne peut être considéré comme légal ou de droit, puisque ne respectant même pas le Préambule de sa propre Constitution (cf. à ce sujet le coup chiraquien de l’introduction du « droit au logement (dit) opposable », mais le droit à un travail choisi devrait également être un droit « opposable », etc.)
— prétend s’adosser à une théorie scientifique (néoclassique).

Or la critique menée par la voie du déploiement du Paradoxe de Russell (aussi bien que d’autres critiques non évoquées ici) permet d’exclure des « discours scientifiques » la théorie néoclassique, définie discursivement comme (étant de la famille) physiocratique et simple métaphysique naturaliste.

Signalons uniquement 2 contradictions de la théorie néoclassique : (a) le terme initial de « bien » supposé empirique ne peut être défini que numériquement — application simple du paradoxe de la mesure : on ne peut mettre en relation de mesure un nombre & une chose non abstraite ou non symbolique ; (b) le terme dérivé « d’individu », propriétaire de « biens » (ou vecteur de quantités), est immédiatement défini de manière géométrique par une famille de courbes d’utilité — nouvelle application du paradoxe : on ne peut faire “correspondre” une courbe géométrique, une fonction (d’utilité), et un individu dit concret.

Tombe l’idée de « marché » comme centre organisateur de l’idéologie libérale ; et l’on sait que l’analytique keynésienne rejette cette idée de « marché » (comme moyen théorique) parce qu’elle est incompatible avec une analyse logico-mathématique de la monnaie numérique comptable — encore une fois application du Paradoxe de Russell : il y a contradiction entre l’introduction empirique du troc (et de tous les éléments concrets qui composent la doctrine néoclassique du marché : biens, individus, nature humaine, lois naturelles, contraintes irréfragables, etc.) et la comptabilité (les biens ne sont pas comparables, ne peuvent pas faire “objet” de comptes).

De même l’idée d’auto-régulation spontanée est et reste métaphysique ; comme le savaient déjà les mercantilistes, au milieu du 18e siècle, avant la « victoire idéologique » du libéralisme, victoire paradoxale, puisque essentiellement assurée par les socialistes marxistes, marxistes qui ont partagé avec les libéraux la croyance en l’idée de loi naturelle (de l’histoire) ou en une anthropologie an-historique (le travail comme invariant anthropologique, par exemple), voire qui ont propagé une sorte de darwinisme colonial (il y aurait un chemin et un seul pour le “développement”, celui de la « révolution européenne », industrielle & politique). D’où le bon mot de Keynes : entre les mercantilistes et moi, il n’y a rien ; ni les classiques, ni les néoclassiques ne doivent être pris au sérieux.

Le Métaphysique, par exemple la croyance que des nombres peuvent “représenter” des choses, ou la croyance que le salaire évalue le mérite ou la compétence, ou que le bon modèle de l’économie est celui du marché, etc., ce Métaphysique constitue la structure fondamentale de l’Europe, définie comme l’ensemble des (vrais) croyants (qui ne savent pas qu’ils croient) en cette dogmatique (métaphysique). Le comportement desdits européens étant alors fixé par cette croyance (qui les fait marcher comme des automates inconscients). Mais cette croyance n’est qu’une erreur, base d’un nouvel obscurantisme ou d’un nouveau conformisme conservateur. Et un État ne saurait être dit “laïc” tant que n’est largement autorisée qu’une « pensée unique », même supposée majoritaire (le « centralisme démocratique » ou la « dictature des majorités » n’est pas encore la démocratie, mais simplement le noyau d’un type d’efficacité gouvernementale, plutôt despotique). Même en avançant de crise en crise, de chômage massif en appauvrissement généralisé, l’économie-monde du capitalisme, colmatée par la croyance métaphysique propagée, peut sembler stable ou dynamique ; elle ne peut paraître ainsi (stable ou dynamique) que par le collage idéologique, que par l’interdiction de choisir une autre voie que celle de la supposée majorité, que par la doctrine archaïque de l’unité nécessaire. Alors la politique économique libérale, d’abord métaphysique, n’a pas pour véritable finalité une amélioration de la situation économique (comme la diminution du chômage ou une meilleure répartition, etc.) mais n’a qu’une finalité autoritaire : réassurer l’obéissance considérée comme naturelle, refabriquer du bon petit travailleur docile, défendre la croyance métaphysique contre l’agnosticisme keynésien.

2c- Introduction à l’économique non-marxiste.
Théorie de la valeur, valeur, mesure, monnaie, comptabilité, circuit, répartition.
Analyse politique de l’économie : retour au premier épisode [11].

2d- Bouclage du thème : retour à l’Agir En-Réel.
Non éco-Nomie = An-Archie ; économique = métaphysique.
De la musique communale et de la poésie communiste.

Notes sous forme de questions :
1- La question des types humains constitués par et pour le capitalisme :
comment mettre en relation le doublet Travailleur Soldat / Consommateur Touriste et les figures du Bloom & de La Jeune Fille ?
L’articulation de ces figures exige de rentrer dans le détail de la dé-Termination éco-Nomique.
La notion de “type humain” est introduite par une analyse consacrée à présenter le capitalisme comme « religion » (capitalisme = religion). Mais on la retrouverait partout, sous le nom de « sujet assujetti », de « conformiste », etc.

2- Comment articuler l’idée de capitalisme (comme) religion et l’idée de capitalisme (comme) magie noire ?
Sans doute la réponse est-elle la même que pour la question précédente : nécessité d’une analyse plus fine du despotisme éco-Nomique (du Spectacle intégré).
L’ouvrage de Philippe Pignarre et Isabelle Stengers, La Sorcellerie Capitaliste, La Découverte, 2005, est hélas trop superficiel et pas assez analytique (il lui manque l’analyse anti-économique !) pour nous aider.

3- Est-il nécessaire de reformuler complètement la théorie de la valeur, ce qui revient à exposer une économique non marxiste, celle de la section 2c, entendu qu’elle ne peut être qu’une étape vers la non économie ?

[1C’est pour ce point que l’analyse générale post-keynésienne de l’erratisme de l’économie monétaire est indispensable ; et exige une section entière (2b).

[2Ici nous recommandons la découverte du travail de Michael Perelman :

Class Warfare in the Information Age, St Martin’s Press, 1998 ;
The Invention of Capitalism, Duke UP, 2000 ;
The perverse economy, Palgrave, 2003 ;
The Invisible Handcuffs of Capitalism, Monthly Review Press, 2011.

Sur la question du néolibéralisme ou de la technocratie éco-Nomique présentée comme “Le Sauveur”, une grande quantité d’ouvrages a été écrite.
Ne retenons que les classiques de David Harvey :
The New Imperialism, Oxford UP, 2003 ;
A Brief History of Neoliberalism, Oxford UP, 2005.

[3Une seule référence : Jean-Claude Milner, Le périple structural, figures et paradigmes, Au Seuil, 2002.

[4Une seule référence sur cette question de « l’écriture » :
Marc Goldschmitt, Jacques Derrida, une introduction, pocket, La Découverte, 246, 2003.
Bien entendu l’apprentissage de l’œuvre de Jacques Derrida est grandement recommandé.

[5Référence : Pierre Legendre, De la Société comme Texte, Fayard, 2001.

[61- cf. la trahison des « élites patronales françaises », regroupées autour de la Banque de France, choisissant, en 1940 (mais préparant le putsch depuis 1930), l’Allemagne nazie contre la France du Front Populaire (Front Populaire voulant limiter le pouvoir patronal : déjà la question de la déflation salariale), et imposant « la défaite », pour des raisons de guerre civile (interne), par l’intermédiaire d’un Haut État-Major putschiste — la Banque de France (et d’autres banques, telle que la Banque Worms) déclarant la guerre à la France : ce qui explique la nationalisation des banques, pour haute trahison, dans l’après-guerre ;

2- cf. le remake du même scénario dans le Chili de 1972-1973 de l’Alliance Populaire d’Allende, les américains US jouant le rôle des “nouveaux fascistes bienvenus” soutenant l’État-Major putschiste chilien déclarant la guerre à la population chilienne, coupable d’anti-capitalisme.

[7Nous introduisons ici, par la bande & en contrebande, l’opposition (radicale parodique) des “bien(s)-nés” et des “mau(x)-nés”, soit dire l’opposition « fondamentale », pour l’économique, des “biens” (ça, c’est bien !) & de la “mau-née” (monnaie, ça, c’est mal ! — puisque, pour tous les économistes, la monnaie, mau-née, n’est que « de la monnaie de singe » — rien ne “vaut” une “bonne propriété” « foncière »).

[8Quiconque connaît la théorie néoclassique sera au fait de nos affirmations. Néanmoins, nous pouvons renvoyer au texte lui-même de G. Debreu. L’analyse économique ne commence qu’au chapitre 2 (après un long chapitre de mathématiques), et commence alors par “marchandises & prix”, et, techniquement (“axiomatiquement”) commence par le “terme primitif” de “bien” — le terme de “prix” n’étant que dérivé & second : à chaque marchandise, donnée par une « nomenclature » ou une « liste » (« Nous supposons qu’il n’y a qu’un nombre fini l de marchandises distinctes, qui seront repérées par un indice h allant de 1 à l. Nous supposons aussi que la quantité de chacune peut être n’importe quel nombre réel. » “Théorie de la valeur”, p.35) est associé (un deuxième) nombre réel, son prix. Tout à fait “abstraitement”, une marchandise est au point de départ d’une fonction liant deux nombres réels (fonction que nous analysons comme « mesure »), est donc « posée » dans un espace géométrique présupposé. Or, la présupposition du géométrique n’est pas elle-même consciemment questionnée ; introduisant immédiatement au “naturalisme foncier” de l’économique qui « pose » les “espaces” comme “évidents naturels empiriques”, économique qui s’établit comme “structurée-sans-structuration”, “organisée-sans-organisation” — toute la mythique auto-organisation (comme si le “social” se pro-duisait (de) lui-même de façon (auto) transcendante).

[9Loïc Wacquant, Punir les Pauvres, le nouveau gouvernement de l’insécurité sociale, Agone, 2004.

Il existe une littérature importante, d’origine foucaldienne, sur le lien intime entre le libéralisme et les pauvres : le libéralisme se définit comme la police des pauvres ; ce qui est reprendre l’idée d’inégalité ou de hiérarchie de manière plus policière.

Commencer par le classique de Mitchell Dean, The Constitution of Poverty, Toward a genealogy of liberal governance, 1991 ;

Et, plus récent, Elisa Chelle, Gouverner les Pauvres, Politiques sociales et administration du mérite, 2012.

[10Note : on sait que la question de l’intervention (nécessairement malfaisante) sur le cours spontané d’une loi naturelle (nécessairement bienfaisante) signale une forme de contradiction à la Russell et met en cause l’idée même de loi naturelle — l’explication détaillée étant laissé à titre d’exercice.

[11Jonathan Nitzan and Shimshom Bichler, Le Capital comme Pouvoir, Max Milo, 2012 ;

Peter Gowan, The Global Gamble, Washington’s Faustian bid for World Domination, Verso, 1999 ;

Robert Brenner, The Economics of Global Turbulence, Verso, 2006 ;

Yannis Varoufakis, The Global Minotaur, America, the true origins of the financial crisis and the future of the world economy, Zed Books, 2011 ;

Yannis Varoufakis, Joseph Halevy and Nicholas Theocarakis, Modern Political Economics, Making sense of the post-2008 world, Routledge, 2011 ;

Leo Panitch and Martijn Konings, American Empire and the political economy of the global finance, Palgrave, 2008 ;

John Milios and Dimitri Sotiropoulos, Rethinking Imperialism, A Study of Capitalist Rule, Palgrave, 2009 ;

Ronen Palan ed., Global Political Economy, Routledge, 2000 ;

Leo Panitch and Sam Gindin, The Making of Global Capitalism, the political economy of American empire, Verso, 2012.

Jacques Fradin Économiste anti-économique, mathématicien en guerre contre l'évaluation, Jacques Fradin mène depuis 40 ans un minutieux travail de généalogie du capitalisme.
lundimatin c'est tous les lundi matin, et si vous le voulez,
Vous avez aimé? Ces articles pourraient vous plaire :