Une lettre de Cesare Battisti, en grève de la faim et des soins depuis le 2 juin

paru dans lundimatin#292, le 17 juin 2021

Un vent mauvais souffle sur l’Italie comme sur le reste du monde. Toutes les forces réactionnaires, quelles que soient les étiquettes politiques (y compris « de gauche »), sont à l’offensive. Sur toute la planète, les gouvernants sont à la recherche de boucs émissaires et quand on ne s’en prend pas au migrant, on donne dans la gesticulation antiterroriste. C’est dans ce contexte qu’en Italie, on assiste, depuis quelques années au spectacle de pouvoirs resserrant les rangs pour s’en prendre au spectre d’une subversion qui n’existe plus.

Ce spectre des années 70 italiennes, la plus grande offensive révolutionnaire de l’après-guerre, les pouvoirs judiciaires, politiques et médiatiques ne cessent de le ressusciter pour tenter de le tuer encore avec des injections létales de vérité officielle. Cette offensive est très concrète : c’est l’arrestation les 28 et 29 avril derniers de neuf réfugiés politiques italiens, couverts pourtant par la « doctrine Mitterrand » , c’est tout récemment les persécutions renouvelées contre Paolo Persichetti et les dangers qu’elles impliquent pour la recherche historique en général, nous publierons un texte là-dessus très bientôt, c’est enfin le sort de Vincenzo Vecchi, sur lequel on devrait être bientôt fixé : affaires à suivre. Mais s’il est une autre affaire qu’il faut suivre de très près, c’est bien celle de la grève de la faim de Cesare Battisti, entrée ce lundi dans son dixiième jour.

Cesare Battisti, écrivain écrasé par le rouleau compresseur politico-médiatique, est en grève de la faim contre un régime carcéral d’exception totalement injustifié, le sinistre AS2.

Dans les années 70 du siècle dernier, comme des centaines de milliers de ses compatriotes, Cesare Battisti a cru au combat pour une société meilleure. Comme plusieurs milliers d’entre eux, dans un contexte d’extrêmes tensions sociales et d’attentats-massacres fascistes, il a cru pendant une brève période que le recours aux armes était la bonne voie. Comme quelques centaines d’entre eux, il s’est exilé pour échapper aux poursuites judiciaires. Comme aucun autre Italien, il a fait depuis vingt ans l’objet d’un battage médiatique et d’une chasse à l’homme qui s’est terminée dans des conditions indignes, par une extradition au mépris du droit international et son exhibition comme un trophée de chasse.

Aujourd’hui, condamné à la prison à vie, il est en grève de la faim pour obtenir d’être soumis à un régime de détention normal. En effet, alors que depuis 40 ans, il a explicitement et publiquement renoncé à la violence, et, par une vie d’écrivain reconnu et de citoyen sans histoire, donné toutes les preuves de ce renoncement, on le traite comme un dangereux terroriste. On peut voir détaillée sa situation ici.

Il faut lire sa lettre pour voir combien sa détermination est forte, il y risque sa vie un peu plus chaque jour.

Je m’adresse à mes enfants bien-aimés, à ma compagne de voyages, aux frères et aux sœurs, aux neveux, aux amis et aux camarades, aux collègues de travail et à vous tous qui m’avez bien aimé et soutenu dans votre cœur.

Les effets destructeurs de la grève

Je vous demande à vous tous un dernier effort, celui de comprendre les raisons qui me poussent à lutter jusqu’à la conséquence ultime au nom du droit à la dignité pour chaque détenu, de tous.
La dignité d’affronter ses propres responsabilités en restant soi-même.
Mon choix est un choix radical, si on peut parler de choix, quand il reste le seul moyen décent de défendre son amour propre, les valeurs humaines et de justice que jusqu’ici vous avez partagées avec moi, la sauvegarde de la mémoire historique et de la mémoire affective.

Le 2 juin 2021, j’ai commencé une grève de la faim en sachant que je ne reviendrais pas en arrière, donc en étant conscient de vous infliger une grande douleur. Mais en ayant la certitude que, le temps relâchant la morsure de la douleur, vous conviendrez avec moi que c’était l’acte le plus digne que je puisse faire pour éviter de mourir à genoux, après avoir été pressé et utilisé, à toutes ses fins ignobles, par le pouvoir.
Ce serait ainsi trahir les valeurs d’un passé auxquelles j’ai crues, jusqu’à la dérive armée. Je ne me suis jamais senti un criminel alors, ni ne me sens de l’être aujourd’hui, même si j’ai conscience de m’être trompé. Je suivais, comme tant d’autres, des valeurs fondamentales du droit pour la personne, je ne peux me permettre de les trahir sur la ligne d’arrivée.
Voilà pourquoi je vous demande une dernière fois de m’aider à être moi-même et de me pardonner pour la douleur que je vous inflige.
Je veux qu’il soit clair pour vous que ma lutte est une lutte de protestation, de revendication de droits inaliénables.

Il n’y a pas de place dans ma décision pour des dérives d’ordre psychologique. J’ai des demandes objectivement précises, clairement formulés aux autorités compétentes. Il n’y aura donc aucune espèce d’arrondissement des angles, d’actes irréfléchis, ni de prétextes psychiatriques. Si nécessaire, je continuerai la grève de la faim jusqu’au dernier souffle.
Je ne suis pas un imbécile, je suis en train de lutter pour la vie.
Vous êtes des personnes merveilleuses, défendez toujours la liberté et le respect.

Je vivrai pour toujours avec vous.
Rossano, le 9 juin 2021

Cesare Battisti

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