Témoignage depuis la rocade bloquée de Rennes

paru dans lundimatin#378, le 11 avril 2023

Comme la semaine dernière, il devait être 6 heures, Rennes était encore silencieuse et déserte, lorsque nous sommes sortis pour nous rendre à l’action collective planifiée par la Maison du Peuple (MDP).

Bien conscients que nous sommes sur le reculoir depuis que nous avons raté notre pari le 23 mars dernier dans la foulée du 49.3 scélérat, et que la sortie torrentielle tant espérée n’a pas eu lieu, en dépit des manifestations monstres et des cortèges ensauvagés, on ne se faisait plus trop d’illusions sur le devenir de ce mouvement au long cours et sur ses chances de succès final au regard de l’objectif commun qui structure l’unité syndicale et politique large du sommet à la base depuis le 19 janvier. Doit-on s’en remettre à une hypothétique intervention "providentielle" des mal nommés sages du Conseil Constitutionnel ? La réponse est dans la question.

Quoi qu’il en soit, il était dit qu’avec celles et ceux qui voulaient en être encore, nous allions continuer à "emmerder jusqu’au bout" Emmanuel Macron et cette classe dirigeante qui s’obstine pathologiquement à vouloir perpétuer le société capitaliste autophage. Il ne fallait pas qu’ils puissent refermer trop vite ce livre maudit des retraites. Et, puis, de toutes les façons, on ne profane pas, on ne foule pas aux pieds la souveraineté populaire impunément, cela se paye, cela se payera longtemps, donc on manifeste, on fait grève, on bloque.

Nous sommes allés retrouver une centaine de camarades. Des jeunes gens essentiellement, moyenne d’âge 22 ans, étudiants principalement avec quelques trentenaires, d’anciens du "CPE" heureux de croiser leurs souvenirs émus, heureux de se retrouver encore là au même endroit 17 ans après, une ou deux têtes blanches, mais aucun militant syndicaliste. Ils bloquaient plus loin, au niveau des Longs Champs, à Saint-Grégoire, là où il y avait eu une occupation "Gilets jaunes" à l’automne 2018.

Les camarades s’étaient donné rendez-vous à 6h au métro pour aller bloquer la circulation au niveau du rond-point à proximité du Centre commercial Alma sans oublier l’artère de Rennes, la fameuse rocade. Nous sommes arrivés un peu en retard, de belles barricades avaient déjà été érigées à l’aide de palettes, de caddies, de fleurs aussi attachées, et on pouvait sourire largement en observant les bouchons à perte de vue dans les deux sens. Des milliers de voitures prises au piège. Spectaculaire ! Jubilatoire ! Puissant ! Feu d’artifice au sens propre comme au sens figuré. Pas de blocage bourrin, laisser une dizaine de voitures et de camions passer toutes les 5 minutes. Le mal est fait. L’ambition première de ce blocage très matinal était de permettre à celles et ceux, se rendant au travail ce matin-là, de concourir au parasitage de l’organisation routinière de la société par leur mise à l’arrêt contrainte et temporaire.

Vers 8 heures, un jeune routier, à bout, épuisé, a forcé en nous insultant le barrage avec son camion. Il faut dire qu’il venait de rouler 20 heures, il voulait rentrer chez lui. « Empathie prolétarienne ». Échanges rugueux. Mots fleuris sur le moment. Mais, une fois la tension retombée, qui sommes-nous pour juger trop durement un frère de classe happé par son labeur ?
Ce fut un des seuls accrochages que nous avons eu tandis que nous bloquions la rocade, comme la semaine précédente, pour contribuer à ralentir l’activité économique de Rennes et ses environs, en retardant, même modestement ; la folle course ritualisée des poids lourds et des travailleurs...souvent peu pressés d’aller "badger", d’aller renouer bon gré mal gré avec la subordination salariale.

En allant échanger avec les automobilistes confinés dans leur voiture, nous nous sommes aperçus que la grande majorité des personnes entravées était compréhensive, demeurait bienveillante, complice même, en dépit de la gêne « occasionnée ». Il n’en demeure pas moins que ce qui dominait, il ne faut pas se raconter d’histoire, c’était d’abord l’expression d’un grand fatalisme. Les gens n’y croyaient plus, mais leur colère était intacte, elle était même, visible, bruyante, les mots claquaient, sabraient, tandis que leurs paroles étaient réconfortantes, solidaires. Certains auraient voulu être avec nous, et participer à « bloquer la logistique », comme l’expliquait un flyer que des camarades distribuaient.

Vers 9 heures, sans doute bloquée depuis un temps certain, une femme de 55 ans, travaillant dans le secteur de l’agroalimentaire, nous expliquait, tandis qu’un camarade lui tendait un tract pour convier à la grande manifestation régionale du 15 avril prochain à Rennes...qu’elle était non seulement totalement favorable à ce mouvement historique depuis le début, mais également qu’elle n’était vraiment pas pressée d’arriver au travail, et que par là même ce "blocage économique" aux aurores, certes un peu incommodant... lui allait très bien...car elle prenait, une fois n’est pas coutume, le temps de vivre le matin sur cette rocade !

Vive le blocage donc ! Vivement jeudi prochain !

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