Sortir du cercle

(place vide du pouvoir)
Natanaële Chatelain

paru dans lundimatin#470, le 7 avril 2025

L’Europe meurt de ses fruits, pluies acides
de lendemains qui chantent.
Les nouveaux propriétaires en veulent encore !
La privatisation envahit les rêves –
mots creux dans les chaumières.
Il faut quitter ce marché du silence,
ce mensonge de famille, cette arrogance sans-gêne
et son dépôt de plomb dans la croûte terrestre.

Je deviens muette à force d’être tue,
dit une ombre dans la nuit. L’imposition d’un langage
vandalise l’intériorité, l’effroi fait partie de mes chairs…
je me fie à mon instinct – je sors du cercle.
Les données numériques valent plus que nos vies –
je sors du cercle.
Je sors de la superficialité, de ses sourires dociles
aux dents refaites.
Je sors du cercle familial, de ses priorités infanticides,
de sa distribution de rôles à perpétuité.
Ne rien banaliser est mon rempart contre la lâcheté.

La guerre et la paix se passent la balle. Au milieu,
un charnier brûlant est nettoyé tous les matins ;
la vie et la mort sont nettoyées.
Le Tribunal gère ses fidèles, masse molle
d’électeurs consentants.
Chacun prend ses habitudes dans ce village démocratique :
plus la peine de penser, il suffit de remplir sa fonction.
La terre enfle – elle enfle sous des tonnes d’ordures
recyclées pour le bien de la planète.
La Raison dans l’histoire suit son cours et emporte
le temps qu’il reste.

À présent, nous avons les mains coupées,
la langue coupée. Le cercle se referme –
je sors du cercle.
Exil volontaire, évasion de crise.
Les racines du ciel sont calcinées, les arbres
plantés dans un décor sans arbres. On débite du bois à la chaîne…
les mots se blessent en tombant.
Dans le miroir, les reflets du monde gras se mettent à cloquer.
Tout se mélange dans la tête – je sors du cercle.

Se protéger de rien. Seulement
être vivant dans les mots protège.
J’aiguise la pointe du stylet, je tiens
par cette fine forme de sens : une ombre dans la langue,
c’est toujours un résidu de métaphores.

Je guette la surprise sans la savoir, je l’appelle
sans connaître à l’avance son champ de forces.
J’attaque l’ostentatoire du pouvoir qui dérobe à la vue
la fosse commune.
J’attaque l’abstraction qui infecte le paysage :
bassines à ciel ouvert.
Quand l’eau n’est pas partagée – le commun s’effondre.

La terre se vide, les glaciers se vident. Eau rationnée,
nourriture rationnée pour maintenir l’opulence à flot,
ses crimes de guerre à flot, sa paix à flot.
La charité se répand. La charité tue !
Je n’en veux pas – je sors du cercle.
Je désire l’encre et le pain sec, la vitalité aiguë des signes,
les tensions du silence entre deux éclosions,
l’arbre et le temps pour recommencer l’orage au fond de la gorge…
un cri sûr de ses droits,
un cri sûr de son chant.
L’image se teinte d’un sous-bois,
le cercle se rompt – place vide du pouvoir.

natanaële chatelain
mars 2025

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