Répression à Atlanta, l’antiterrorisme à l’américaine

Collectif Matsuda

paru dans lundimatin#396, le 25 septembre 2023

On ne présente (presque) plus le mouvement Stop Cop City à Atlanta. Deux ans que cette lutte s’est enclenchée à la suite de l’annonce de la création d’un immense centre d’entraînement pour la police en grande partie (35 hectares) sur la forêt de Welaunee, condamnée donc au déboisage massif.

Une force d’opposition déterminée a émergé progressivement, occupant la forêt, mettant la pression sur les entreprises de constructions potentielles du chantier, tout en actionnant tous les leviers possibles pour gagner le bras de fer juridique.

Plusieurs textes de présentation approfondie existent en français ici ou . Nous souhaitons ici, nous concentrer spécifiquement sur la répression que subissent les opposant.e.s, qui a récemment pris une nouvelle envergure avec l’inculpation de 61 personnes sous le coup de la loi RICO.

Arrestations en pagaille

La lutte a été marquée par le meurtre d’un militant dans la forêt par la police, Manuel « Tortuguita » Teran le 18 janvier. Si le récit policier a très vite invoqué la légitime défense, l’autopsie montrera plus tard que la victime avait les mains en l’air et n’avait reçu pas moins de 52 balles dans le corps. Des rassemblements s’organisent peu après dans tout le pays et une nouvelle vague de mobilisation s’organise à Atlanta, notamment autour de semaines d’action qui rassemblent à chaque fois des milliers de personnes. Lors de l’une d’elle en mars, le chantier naissant de la Cop City est envahi et mis à sac. COP CITY WILL BE NEVER BUILT entend-on sous les colonnes de fumée des bâtiments et véhicules incendiés.

Plus récemment, des initiatives citoyennes prennent forme ; plusieurs dizaines de personnes ont tenu à intervenir en conseil municipal (comme le droit l’autorise pour le public) lors d’une discussion sur le sujet ; répétant inlassablement leurs arguments pendant près de 15h face à une équipe municipale dégoûtée. Une tentative d’organisation de référendum local est également en cours, la ville d’Atlanta multipliant les recours pour l’empêcher, craignant, et à juste titre selon les sondages, une défaite définitive pour les défenseurs de la Cop City.

Ayant déjà expulsé la forêt de ses occupants, les pouvoirs publics ont décidé d’accélérer sensiblement la répression. A la fin 2022, début 2023, plusieurs vagues d’arrestation ont lieu, et plus de quarante personnes sont accusées de domestic terrorism. En mai, trois militant.e.s sont aussi arrêté.e.s pour avoir distribué des flyers avec le nom du flic tueur de Tortuguita. Quelques jours plus tard, trois personnes prenant part à la Atlanta Solidarity Fund -une sorte de legal team locale-, sont perquisitionnées et arrêtéespar le SWAT. Les techniques de répression glissent visiblement vers un recours à la mise en examen très large de la protestation, non plus seulement contre les militant.e.s les plus exposé.e.s mais également contre les soutiens.

Young Thug, Donald Trump et les Stop Cop City

En ce début septembre, l’état de Georgie annonce poursuivre 61 personnes sous le coup de la loi
Racketeer Influenced and Corrupt Organizations, dite RICO, un nom sympathique qui recouvre un texte voté dans les années 1970 dans l’idée de pouvoir punir plus sévèrement les mafieux, grands bandits ou escrocs conséquents. Un outil juridique qui permet de considérer plusieurs délits commis comme relevant d’un même projet criminel, faisant encourir de très lourdes peines.On connaît la chanson, quelques décennies plus tard le même texte fourre-tout, utilisable par exemple pour des « actes de terrorisme » sans qu’aucune définition précise ne soit adjointe, est mobilisé contre un public bien plus large. Voyez plutôt, il existe trois procédures RICO en cours à Atlanta. Contre une soixantaine d’opposants à la Cop City donc, mais aussi contre le rappeur star Young Thug (pour financement de gang) et le non moins célèbre ancien président, Donald Trump accusé d’avoir poussé à l’inversion du résultat des élections. La situation paraît cocasse, mais pourrait s’avérer piégeuse.

L’accusation contre les militant.e.s est lancée par l’état de Georgie, gouverné par un républicain, et fait suite à celle lancée par un procureur démocrate contre Trump. Dans « Understanding the Rico charges in Atlanta » à lire sur Crimethinc, les auteur.ice.s notent ainsi que certain.e.s démocrates, qui auraient pu être des appuis de circonstance afin de dénoncer l’utilisation de RICO contre n’importe qui, risquent de garder leur langue bien au fond de la poche de peur d’affaiblir l’accusation contre Trump.

Antiterro à l’américaine

Deux éléments sautent aux yeux dans les différentes séquences d’accusation lancées contre les opposant.e.s au projet. D’une part c’est le retour du mythe de « l’agent extérieur », celui-là même que le maire de Minneapolis, et d’autres après lui, avait tenté d’agiter au moment de l’explosion du mouvement George Floyd (A ce sujet, lire « Ennemis imaginaires »). Il s’agit d’essayer de convaincre sa population que les personnes mobilisées ne sont pas du coin et ne devraient donc pas participer. Cette technique de gouvernement devient particulièrement pernicieuse quand elle s’enchâsse sur les divisions raciales du pays. Un des ressorts du récit est ainsi d’insister sur la venue de militant.e.s blanc.he.s d’autres villes dans un endroit où ils n’ont pas de légitimité, la ville d’Atlanta étant l’une des plus noires des Etats-Unis, et le comté de Delkab, où se situe la forêt, tout particulièrement. Cette fable politicienne est battue en brèche quand on sait la mobilisation sans faille dans la lutte d’associations et collectifs locaux, groupes de voisin.es ou promeneurs de forêt. Elle est aussi diablement ironique, car la forêt de Weelaunee était habitée par le peuple Muscogee jusque dans les années 1820, avant qu’on les y déloge. « Weelaunee » était d’ailleurs le nom donné par les autochtones à cette forêt et a été repris par le mouvement pour remplacer la dénomination officielle : « South River Forest ». Toujours est-il que c’est notamment pour alimenter ce mythe que les mises en examens sont prononcées très majoritairement contre des non-résidents du quartier ou de la ville d’Atlanta.

Le second élément nous est familier en France, c’est l’aspect nébuleux des accusations qui tentent de construire une association de malfaiteurs sur des bases particulièrement fragiles. Les actes à juger paraissent parfois anodins, ou en tout cas bien loin d’une entreprise terroriste, pensons aux distributions de flyer, post sur des réseaux sociaux ou à la criminalisation du collectif anti-répression local ; la bande organisée visée par l’ accusation entretient en fait toute sorte de liens différents avec la lutte et entre eux, certains ne se connaissant d’ailleurs pas du tout. Au delà des fondements juridiques dont on ne fera pas grand cas ici, on soulignera que c’est l’opposition en soi qui est mise en accusation. C’est depuis le récit d’une «  mouvance » que les procureurs s’activent à inculper des personnes et non en réponse à des actes.

Pas sûr que cet éventail répressif parvienne à ses fins, tant face à cet acharnement judiciaire, la lutte reste vivante et déterminée. Ainsi, au lendemain de l’enchaînement de 5 personnes sur site afin de bloquer les travaux, les opposant.e.s ont lancé un nouvel appel national du 10 au 13 novembre pour « marcher sur le chantier » et « sauver Weelaunee ».

#Blockcopcity

COLLECTIF MATSUDA

(sur twitter @collectifmatsu1)

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