Rendez-nous la mer !

Partout sur la côte, surfeurs et surfeuses ont décidé de braver l’interdit et d’aller à l’eau.

paru dans lundimatin#262, le 9 novembre 2020

Jeudi soir, la nuit tombe. Quelques surfeurs prennent leurs dernières vagues légales sur ce spot un peu caché de la côte atlantique… Contrairement au mois de mars, tout le monde à l’eau sait que demain, glisser naïvement sur une planche sera désormais interdit. Et contrairement au mois de mars aussi, aucun ne semble se résigner à se priver d’une activité inoffensive sur le plan sanitaire et si essentielle sur le plan psychologique.

Vendredi matin, confinement. Jour 1. Cinq personnes se retrouvent sur ce spot planqué par une falaise. La houle est encore assez grosse pour profiter de cette plage peu souvent favorable pour le surf. L’hypothèse qu’une voiture de flics déboule sur le parking oblige l’attention à se focaliser à la fois sur les trains de houle et sur le continent. Pas de policiers en vue.

La dernière fois, on était pas sur le même spot le jour où ce merdier a démarré. Et il y avait beaucoup plus de monde. Le lendemain, les gyrophares avaient retentis et les pics, ces lieux très précis de la géographie du surf où déferlent les vagues dignes d’intérêts, s’étaient vidés. C’était le premier jour de l’application d’un double décret de la préfecture maritime et de la préfecture terrestre qui rendaient les activités nautiques illégales. Les jours suivants, la traque s’était intensifiée et à grand renfort de camions de gendarmes mobiles, les spots les plus exposés de la côte atlantique s’étaient mis au rythme du confinement. Les plus chanceux et chanceuses trouvaient quelques vagues planquées à l’occasion, pendant que les plus déterminé·e·s s’offraient quelques sessions de nuit pour échapper à la police.

Le premier week-end de ce deuxième confinement vient de passer. Et un rapide tour d’appels vers les différentes bandes de surfeurs/surfeuses de la Manche au Pays basque dessine un même mouvement. Partout sur la côte , des milliers de surfeurs et surfeuses ont décidé de braver l’interdit et d’aller à l’eau. Sans concertation ni appel particulier. Malgré les amendes et les risques juridiques. Parfois, les policiers ont été aperçus relevant des plaques d’immatriculation. D’autres fois, c’est planche à la main que des ami·e·s ont croisé la maréchaussée étrangement inoffensive.

Dans certains coins, des cagnottes collectives ont été crées pour parer aux éventuelles amendes. Le principe est simple, et fait grandement penser aux mutuelles de fraudeurs et fraudeuses qui existaient dans les transports en commun parisien. Chacun met un peu de thunes dans une caisse commune et lorsque quelqu’un se fait prendre, la caisse rembourse l’amende !

Une première semaine, et déjà des appels !

Jour 4. Dès ce lundi, les contrôles s’intensifient et les premiers pics se font évacuer. A côté de Lorient, c’est carrément le zodiac des affaires maritimes qui vient sur le pic pendant que des policiers se déploient autour de la plage. Problème de taille pour les forces de l’ordre, cette fois-ci, les fédérations sportives ont négocié en amont une autorisation dérogatoire spécifique pour les professionnels (sportifs pro, éducateurs sportifs, etc). Certaines personnes à l’eau ont donc légalement le droit de surfer. Et rendent l’opération désastreuse sur le plan médiatique. Le bateau s’est déplacé mais n’a pas pu évacuer le pic.

Le soir même, un appel commence à circuler sur les réseaux sociaux pour que partout sur le littoral, samedi 7 novembre entre 16H et 17H, un maximum de personnes désobéissent en même temps et se retrouvent sur leur spot le plus proche. Très vite, les initiateurs sont dépassés par l’ampleur que prend leur appel. Des milliers de personnes s’annoncent. Un appel complémentaire, La mer est une ZAD, est lancé dans la foulée et tente d’ancrer cette action dans une perspective écolo.

Les jours suivant, les bandes de surf ne semblent pas se réserver pour l’éventuelle amende du samedi et continuent de surfer sur leurs spots. Et dans certains coins, l’affluence atteint des records de normalité lors d’une belle rentrée de houle le mercredi.

Pendant que les surfeurs et surfeuses surfent, les longes-côtes longent la côte et les plus motivé·e·s des plus ou moins jeunes se baignent. Certains cas emblématiques sont relayés dans les médias, telle Betty, cette biarrote de 91 ans se baignant tous les jours de l’année. Elle se fait reconduire par la police le vendredi 6 novembre, pourtant accompagnée par son médecin traitant en la personne de Guillaume Barucq, connu pour sa littérature sur les effets thérapeutiques et médicaux du surf.

Du côté médical justement, des dérogations ont aussi été obtenues pour les personnes possédant des autorisations médicales pour aller en mer.

Ici et là, des amendes commencent à tomber. Tel ces deux surfeurs mis à l’amende à Locquirec dans le Nord-Finistère. Ou ce surfeur escorté de 4 gendarmes dans les landes. Et un peu partout, les contrôles sont rendus compliqués par toutes ces exceptions à la règle de base interdisant la mer. A Biarritz encore, les policiers finissent par ouvrir une enquête préliminaires sur les médecins de la ville car ils estiment suspects le nombre de personnes concernées par des autorisations médicales.

Une première vague de désobéissance réussie

Samedi 7 novembre. C’est enfin le premier jour de désobéissance officiellement appelé au niveau national. Partout, par groupe de dizaines, des surfeurs et surfeuses principalement mais aussi des pratiquant·e·s de planches à voile, kite-surfeurs ou baigneurs et baigneuses se regroupent sur les plages. En de nombreux endroits, un comité d’accueil d’hommes en bleu les attend. Et malgré l’état d’urgence sanitaire, de nombreux rassemblements se tiennent. La participation n’est pas anecdotique vu le contexte. Se déplacer à plus d’un kilomètre de chez soi est illégal. Se rassembler est de facto illégal. Aller dans l’eau est illégal. Et pourtant, ce sont sûrement des milliers de personnes qui de manière cachée, ou publiquement affirmée au cours de rassemblements, réclament le juste droit à la mer.

C’est du côté de la Bretagne que la mobilisation prend le plus d’ampleur. Des plages comme celle du Sillon à Saint-Malo, Longchamps à Saint-Lunaire, ou la Falaise à Guidel, voient entre cinquante et cent personnes défier les autorités et se partager une session dans l’eau. Ailleurs, quelques dizaines se rassemblent au Canet-en-Roussillon, à Siouville en Normandie ou à la côte des basques à Biarritz. Partout, des photos sont prises comme autant de pied de nez au confinement. Des smileys remplacent les visages des surfeurs de l’île d’yeu. Des pratiquantes de Stand Up Paddle se photographient allant à l’eau en vendée, etc. Et partout, ce même slogan, RENDEZ NOUS LA MER, fleurit sur le sable, sur des banderoles ou sur les réseaux.

La police ne semble pas vouloir jouer la provocation et peu de contraventions sont dressées. Quelques unes au Cap d’Agde, deux surfeurs se la jouant solo à la Guérite juste à côté d’un rassemblement toléré à Sainte-Barbe dans le Morbihan.

Jour 10. Dimanche 8 novembre. Après cette première vague de sessions de désobéissance, la partie ne semble pas terminée pour les usager·e·s de la mer. Des dizaines de surfeurs et surfeuses ont encore pris le chemin de l’océan en ce dimanche, passant parfois par des chemins de traverses pour éviter les contrôles.

Pour l’instant, cette résistance se fait étonnamment seule. Les précédents collectifs de défense pour le retour à la mer issus de la précédente mobilisation au mois de mai se dissocient des appels à la désobéissance. Les fédérations sportives se planquent derrière l’État et n’engagent pas de nouvelles négociations. Les élus locaux restent silencieux.

Pour la suite, un premier collectif se lance à l’échelle de toute la France pour tenter une négociation avec l’État. Et sans attendre, de nombreuses bandes annoncent déjà une deuxième vague de désobéissance groupée pour samedi prochain, tout en continuant à s’entraîner toute la semaine à l’eau pour ne pas paraître ridicule à l’eau le jour où viennent filmer les médias !

Quelques questions autour de ce surgissement

Alors que partout dans le mouvement social au sens large, les appels à se mobiliser semblent ne pas rencontrer d’écho, en témoignent les appels à manifester sans effet chez les gilets jaunes, il aura fallu que ce soit de surfeurs et surfeuses que démarre un embryon de contestation du confinement à la française. En bonne intelligence, et sans verser dans des appels ésotériques ou new age anti-masque pour le droit à respirer. Ne nous méprenons pas. Ce n’est pas la gravité de la crise sanitaire qui est contestée ici, mais le tour de vis autoritaire qui veut que toute mesure coercitive envers la population soit forcément bénéfique sur un plan sanitaire. Alors que dans de nombreux pays européens concernés par cette nouvelle vague épidémique, les accès aux espaces naturels ne sont pas limités, la France choisit une nouvelle fois la voie des interdits et rétablit sa rétrograde règle du kilomètre et de l’heure d’activité physique quotidienne. Cette mesure est pourtant illogique si l’objectif est de limiter les risques de propagations du virus. Enfermer les gens chez eux sans possibilité de se dépenser ne peut renforcer les défenses immunitaires d’une population. En ciblant ce dispositif, les usager·e·s de la mer attaquent une mesure indéfendable et symbolique sur le plan des libertés. Comment empêcher d’un côté des individus de se mouvoir en extérieur tout en les incitant à continuer à travailler et étudier en classe ?

Ce surgissement de la part d’une communauté, les surfeurs et surfeuses, peu enclin à se structurer collectivement et autrefois peu habituée à surgir sur le plan politique est aussi un signe d’espoir. Dans le contexte d’un ravage écologique toujours aussi fort, il devient urgent que cette communauté se manifeste. Elle a déjà commencé à emprunter cette voie en s’opposant de plus en plus massivement aux projets de piscine à vague. Gageons qu’elle prenne l’habitude de se manifester sur un tas de sujets touchant à la mer.

Et puis enfin, loin des clichés habituels ressassés sur la passion dévorante dont peut témoigner une communauté de surf obnubilée par son activité, ce surgissement permet de recentrer le débat public sur ce qui peut être considéré comme essentiel en temps de crise. Et de ce point de vue, les usager·e·s de la mer ont le mérite d’apporter une critique du travail en acte. Car de leur point de vue, surfer est bien tout aussi essentiel que de devoir travailler ou faire ses courses, voir bien plus si les conditions sont au rendez-vous.

Alors, lorsque la mer leur aura été partiellement rendue, espérons que de ce surgissement fleurissent de nombreux collectifs bien décidés à ne plus taire une parole qu’ils ont commencé à élaborer !

Rendez-nous la mer !

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