Des policiers mis en examen et l’un deux incarcéré suite aux soupçons de violences policières survenues à Marseille à l’encontre d’un jeune homme et plusieurs centaines de leurs collègues décident alors de « se mettre en arrêt de travail », au motif qu’ils ne peuvent pas statutairement faire grève pour manifester leur réprobation face à cette incarcération. Il semblerait, selon certaines sources, qu’à ce jour, environ 600 policiers soient en arrêt maladie dans les Bouches du Rhône et un policier sur deux dans les Alpes Maritimes. Il semble aussi que cette stratégie, initiée par certains syndicats de police, s’étende à l’ensemble du territoire et, en particulier, à l’Ile de France. Cette réaction collective est explicitement revendiquée comme une forme de contestation de cette décision de justice et comme une façon de contourner l’interdiction de faire grève. Elle est d’ailleurs relayée comme telle dans les médias (« Plusieurs centaines d’agents se sont placés en arrêt de travail dans les Bouches du Rhône et le mouvement de contestation se diffuse à travers l’hexagone » lit-on dans le Figaro du 25/07/2023). Parallèlement, des justifications d’ordre médical aussi vagues que des allégations de « fatigue mentale et physique », de « personnes en souffrance » (Serge Smadja secrétaire général de SOS médecins/ BFMTV le25/07/2023) sont avancées en complète contradiction avec la version du mouvement de contestation des policiers eux-mêmes.
Nous rappelons que la prescription d’un arrêt de travail est avant tout un acte thérapeutique destiné à un patient dont l’état de santé le requiert. Il engage pleinement la responsabilité du médecin et doit être effectué dans le respect de règles déontologiques bien établies (articles 28, 50 et 76 du code de déontologie médicale).
Comme le précise l’article 28 du code de déontologie médicale : « La délivrance d’un rapport tendancieux ou d’un certificat de complaisance est interdite ». La prescription d’un arrêt de travail doit strictement être liée à des justifications d’ordre médical.
Nous acceptons évidemment que nos patients y aient recours, face à des conditions de travail difficiles pouvant altérer leur santé. Chaque situation doit être évaluée individuellement, au cas par cas, dans le but de protéger temporairement les patients. Le recours aux arrêts de travail ne peut en aucun cas avoir comme objectif d’exercer une pression sur l’employeur ou d’exprimer une protestation politique. Le recours en masse et simultané aux arrêts de travail comme mode de pression nous apparait donc éminemment contestable, pour ne pas dire illégal et répréhensible.
Nous souhaitons dénoncer le caractère surprenant de ces arrêts de travail simultanés et en masse, réalisés par notre profession, à la demande probable des patients eux-mêmes pour exercer une pression sur la justice et sur le gouvernement, lequel a fait de la lutte à la fraude sociale son cheval de bataille, en particulier sur les arrêts de travail abusifs, avec de nombreux projets de renforcement des contrôles pour éviter les arrêts prétendument injustifiés. Ce gouvernement n’a eu de cesse de pointer du doigt à la fois des médecins beaucoup trop « complaisants » et des patients « assistés et paresseux » voire simulateurs. Un millier de médecins ont ainsi reçu de la CNAM en juin 2023 des courriers d’avertissement pour arrêts de travail abusifs sous l’impulsion de Bercy espérant faire 10 milliards d’euros d’économie en luttant « contre les dérives ». Ces propos récents ont d’ailleurs entrainé une vive réaction du Conseil de l’Ordre des médecins dénonçant leur caractère blessant et globalisant, s’adressant à l’ensemble d’une profession, et tout particulièrement à destination des médecins traitants. Mais là, le silence du gouvernement, de l’assurance maladie et du Conseil de l’Ordre est assourdissant.
Tout nous semble se passer comme s’il existait deux poids, deux mesures : patients lambda contre corps de métier influent, sans qu’aucun contrôle ne soit immédiatement mis en place, en l’occurrence par l’employeur, le Ministère de l’Intérieur. L’État aurait-il peur de sa police ?
Liste des signataires :
Dr Caroline Martineau, Rhumatologue
Dr Christian Bensimon, Médecin Généraliste
Pr Frederic Rouillon, Professeur de psychiatrie
Dr Philippe de Botton, Ancien Président de Médecins Du Monde et Endocrinologue
Dr Cécile Devaurs, Médecin généraliste
Dr Pierre-Francois Pernet, médecin généraliste
Pr Gérard Pascal, chirurgien membre de l’Académie nationale de chirurgie
Dr Didier Febvrel, médecin santé publique
Dr Luc Jarrige : Praticien Hospitalier
Professeur Alfred Spira, médecin
Dr Bernard Granjon, gastro-entérologue, ancien président de Médecins Du Monde