De facto, l’agro-industrie dépend fortement et de façon dispendieuse des énergies fossiles et de ressources naturelles finies dont la seule issue est qualifiée par Bill Mollison d’entropie. Terme venant de la thermodynamique, il permet aujourd’hui par une transposition sémantique imagée de nommer clairement un écosystème au bord de l’agonie. Cet état s’oppose à celui que la Permaculture cherche à instaurer, l’harmonie dans un écosystème agraire transformé par l’homme par une approche systémique.
Clarifions tout de suite le terme d’approche systémique qui est bien loin de celui dénoncé et décrié à juste titre par Yannick Ogor dans son livre Le Paysan Impossible : récits de luttes [1] où il est question d’approche systémique liée à l’agriculture dite intégrée.
Elle a été mise en œuvre sous la présidence de De Gaulle dans les années 1960 et sous l’impulsion de son ministre de l’agriculture, Edgar Pisani. Véritable processus à la fois d’industrialisation et de réforme agraires qui dans une division du travail agricole remaniée de fond en comble, a permis de mettre au pas tout un pan d’exploitants agricoles en les livrant pieds et poings liés à une technostructure autoritaire et totalisante aussi bien en amont de la production – fournisseurs de machines et de matériel agricoles, d’engrais, de produits phytosanitaires, d’itinéraires techniques, etc., hautement dépendant du crédit bancaire - qu’en aval – débouché unique dont la commercialisation est contrôlée par des coopératives qui n’en ont que le nom. L’exploitant agricole est devenu dans ce système capitaliste dirigiste un travailleur comme un autre, soumis aux lois de la subordination et par conséquent dépouillé de toute autonomie de décision.
Pour revenir à la Permaculture et à son approche systémique, si on la transpose aux exemples les plus connus et les plus cités aujourd’hui – les cultures vivrières et maraichères souvent dans un modèle dit de microferme– on peut affirmer qu’elles prennent à revers le modèle systémique de l’agriculture intégrée en cherchant à redonner de l’autonomie aux exploitants en mettant l’accent sur la conception, l’organisation, l’agencement et la planification de leur espace agricole. Ce que la Permaculture désigne en l’occurence par le terme de design. Ses fondements prennent racine sur des principes éthiques – soin à la terre, soin aux hommes et partage équitable des ressources. Elle se fixe comme objectif en imitant une nature généreuse, l’abondance, la stabilité, l’efficacité et la résilience [2] de l’écosystème agraire.
Sur le papier, tout cela semble de bonne augure, de surcroit si la Permaculture est mise en perspective avec les solutions de transition écologique possibles, face au changement climatique et à un effondrement systémique déjà là. Dont l’agriculture est à la fois actrice et victime [3]. Les questions que la Permaculture soulève comme tout autre discipline écologique sont éminemment politiques. Si elle prétend à un changement urgent des pratiques agricoles, les conditions historiques de sa genèse l’ont amenée très tôt à orienter sa pratique vers des démarches individuelles. Comme celles pionnières et initiatiques de ses fondateurs, Bill Mollison [4] – décédé depuis – et David Holmgren.
En un peu plus de trente ans, ceux-ci ont fait certes des émules au quatre coins du globe. Mais aujourd’hui, en l’état, même si ces démarches sont encourageantes et stimulantes, ces individualités sont incapables de bouleverser un système agro-industriel qui reste un des principaux acteurs du Capitalocène [5] par sa voracité, sa prédation et sa destruction de toute forme de vie. Agro-industrie enfantée par un système capitaliste lui-même père de cette anthropologie mortifère au nom d’une accumulation monétaire sans fin.
Là où le bât blesse, c’est encore une fois comme le démontre Frédéric Lordon dans ces derniers ouvrages, qu’à la prétention d’une révolution de quelque nature qu’elle soit - a fortiori quand elle se veut agroécologique - se pose systématiquement la question du nombre. Effectivement, Lordon a maintes fois raison d’insister que tout changement ne pourra se faire que par un rapport de force massif. En l’occurence ici, mettre à terre l’agro-industrie et son agriculture intégrée dévastatrice ne sera pas une mince affaire quand il n’y a plus rien à négocier avec ce monstre et celui-ci le fait bien comprendre chaque fois que ses intérêts sont menacés – en empruntant ici l’éloquence de Lordon encore et toujours quand il parle de la sortie du capitalisme de manière générale.
En France, ces alternatives agricoles sont souvent portées par des individualités ou des associations agroécologistes trop faibles par le nombre pour peser politiquement. Pour les plus visibles de cette portion marginale, elles se disent apolitiques et non idéologiques – quand on se réfère notamment aux mouvements des Colibris, des Oasis en tous lieux, de Terre et Humanisme initiés par des têtes de gondole comme Pierre Rabhi ou Cyril Dion. À qui l’on reproche dans les milieux écologistes politisés et radicaux souvent à raison de véhiculer une écologie politique molle et complaisante à l’égard du pouvoir politique et économique.
À l’opposé de cette complaisance, on a pu voir chez les Zadistes de Notre Dame des Landes ou de Sivens - pour ne citer que les plus connus – que mettre en œuvre la Permaculture et l’Agroécologie en les adossant à une reconquête du foncier agricole par l’occupation de ces terres revêt justement un sens hautement politique [6].
Une troisième frange alternative composée d’agriculteurs - dont une grande partie sont maraichers – d’agronomes et de scientifiques liés au monde des écosystèmes naturels s’adressent aux professionnels du monde agricole. Ce mouvement porté par l’association Maraichage sur Sol Vivant et la chaine Internet Ver de Terre Production est très actif dans la diffusion et la démocratisation des itinéraires techniques et des approches agronomiques sur sol vivant.
Le coté moins réjouissant est que la seule accointance politique qu’on leur connaisse est celle avec l’ancien ministre « hollandiste » de l’Agriculture Stéphane Le Foll. Il y aurait sûrement mieux comme alliance politique surtout si c’est pour voir cette « grande gueule » qui a fait aussi bien que ses prédécesseurs - c’est à dire renforcer le pouvoir économique de l’agro-industrie - plastronner et rouler des mécaniques lors d’une série d’entretiens sur cette chaine et l’entendre faire l’éloge de l’agroécologie et de la Permaculture au moyen d’une logorrhée politicienne truffée d’énormes bêtises sur ces sujets dont il ne connaît absolument rien. Mais ça fait toujours bien et moderne d’en parler.
Pour revenir sur la mouvance agroécologique de Rabhi, il pourrait sembler curieux d’afficher de telles positions sur ce sujet répétons-le par essence politique. Les mettre face à cette dialectique gratte-poil déclenche pour la plupart des cadres de cette écologie « politique » molle du ventre une forte tendance à l’évitement. Ils éprouvent ainsi une certaine aversion à désigner clairement l’ennemi, le capitalisme. On reste dans des contours assez flous quant aux responsables du désastre. Ce qui à y regarder de plus près est normal. La vie de ces associations dépend en grande partie du mécénat de la grande industrie et de la grande bourgeoisie.
Sur la question des alternatives agricoles comme pour tout autre alternative économique et politique, d’autres encore pensent pouvoir l’amadouer et le raisonner comme c’est le cas dans les Think Tank écologistes de Nicolas Hulot ou de Gaël Giraud – où sévissent paraitrait-il de sombres « technocrates radicalisés » [7].
D’où une certaine naïveté - feinte ou inconsciente – conjuguée à un enthousiasme sincère, à penser que la Permaculture et bien au-delà, la Transition écologique pourront se faire avec l’aide du monstre réformé économiquement et en son sein. Parfois pire encore en usant des mêmes stratagèmes et méthodes que le monstre lui-même. Elle ne se privant pas d’abuser par la même occasion de sa novlangue managériale qui illumine les discours de l’ordre dominant afin de raconter les belles success stories repeintes en vert dont la bourgeoisie aime à se délecter. Et prendre la part belle à la fabrication d’un mythe plutôt que de susciter un réel espoir de changement.
Est apparu il y a quelques années dans le champ de l’agroécologie et de la Permaculture, un personnage pour le moins emblématique de l’édification de ce mythe où entreprenariat, marketing et agroécologie feraient bon ménage : Maxime de Rostolan. Ingénieur chimiste de formation, détenteur d’un Brevet Professionnel de Responsable d’Exploitation Agricole (BPREA) en maraichage biologique, ce jeune et dévoué « permaculteur », admirateur inconditionnel de Pierre Rabhi et très en vue dans les cercles de l’Ecologie de l’ancien ministre de la Transition écologique, Nicolas Hulot, a créé en 2015 l’association « Fermes d’Avenir ». Avec un certain empressement comme on va le voir et des objectifs très ambitieux : promouvoir la transition agricole en créant un modèle de microferme [8] basé sur l’application conceptuelle de la Permaculture et la pratique de l’agroécologie, devant démontrer la viabilité technique, économique et sociale du modèle.
Sa propre ferme La Bourdaisière [9] devait elle-même servir de modèle expérimental et de réplication pour d’autres fermes. Lors du lancement de « Fermes d’Avenir », Maxime de Rostolan a passé beaucoup de temps à fréquenter les salons parisiens pour lever des fonds auprès de décideurs influents afin de promouvoir ses propres formations labellisées « Fermes d’Avenir » où devaient éclore des « payculteurs » - barbarisme qui se voulait sûrement une contraction concaténée de paysan et agriculteur intégrée dans une novlangue coutumière chez ces nouveaux entrepreneurs de l’agroécologie innovante.
Etait-il dès lors pertinent malgré l’urgence d’agir d’envisager de former des « payculteurs » alors qu’objectivement le modèle « Fermes d’Avenir » lui même était encore au stade embryonnaire et par conséquent loin d’être à maturation et éprouvé. Au vu des résultats, la réponse est clairement non. Mais n’ayons pas peur des mots puisqu’il faut bien parler ainsi pour illustrer ce qui s’annonçait déjà comme un fiasco, ce business model n’est ni plus ni moins que celui d’une start-up et vaut autant que la plupart d’entre elles, en l’occurence pas grand chose.
En 2020, fort logiquement la mayonnaise retombe et ce projet de ferme n’est donc pas viable économiquement. Manquent effectivement et cruellement à l’appel des analyses notables et des données consistantes comme les niveaux de production maraichère et les revenus purement agricoles atteints après cinq ans d’exploitation. On ne les verra jamais.
De Rostolan a dû apprendre à ses dépends – il est à parier que compte tenu des sphères où il gravite , il s’en doutait fortement – que dans une économie de marché, qui plus est libéralisée à outrance, la valeur d’usage de sa production maraîchère et l’utilité sociale de sa microferme, si louables soient-elles, importent peu. Seul compte la valeur d’échange de sa production. Et par extrapolation, on pourrait dire même que compte tenu des dispositions dans lesquels se trouve le capitalisme aujourd’hui, celui-ci se fout royalement de ce que Rostolan et ses Fermes d’Avenir pouvaient produire – patates bio ou OGM.
Ce genre d’alternative agricole et les transitions expérimentales qu‘elle induit s’inscrivent dans un temps long – commencer avec patience et à petite échelle énonce David Holmgren dans un de ses principes de conception [10]. Maxime de Rostolan a dû l’oublier. Mais qu’importe, dès 2019, il a d’autres chats à fouetter et des ambitions encore plus inflationnistes : la création d’un mouvement de « jeunes » écolo-responsables, La Bascule, qui s’engage à « renforcer la coopération de collectifs autonomes partageant l’ADN basculeurs (sic) et la détermination à basculer vers un modèle de société résilient et respectueux du Vivant ». Ce projet devait s’accompagner de la création d’un festival « l’An Zéro » sur le plateau de millevaches qui finira en eau de boudin après une forte opposition d’autochtones écologistes réfractaires à « l’écolo-macronisme » spectaculaire [11].
L’année concomitante à l’arrêt définitif de la ferme La Bourdaisière, De Rostolan publie au mois d’octobre un livre : En Avant, l’optimisme pour cap ! Bon courage et bon vent, aurait-on envie de lui dire. La résilience, ce sera pour une prochaine fois.
La microferme du Bec Hellouin située en Normandie dans l’Eure est souvent présentée comme la référence d’un modèle permacole [12] à succès. Ses propriétaires, Perrine et Charles Hervé-Gruyer y sont effectivement pour beaucoup dans la construction et la diffusion du mythe d’une Permaculture magnifiée et faiseuse de miracles agricoles.
D’un point de vue technique et permacole, force est de constater que la conception, l’organisation de la ferme, son aménagement infrastructurelle y sont remarquables et très ingénieuses. La planification et le choix des productions maraichères y sont aussi rondement menées. Elles expliquent en partie le succès économique de cette ferme. Il n’y a rien à redire là-dessus comme il y a tout à souligner et à mettre en exergue la démarche de transparence et de partage d’informations que ces maraichers d’un genre très particulier s’évertuent à publier sur leur site internet.
Leurs analyses sur le retour d’expérience quant aux pratiques ainsi que sur l’étude des niveaux de production faites de manière scientifique sont une mine d’informations intéressantes et utiles à la communauté agricole. Elles peuvent être ainsi soumises à la critique. C’est le propre par ailleurs de toute publication.
Mais cette maîtrise des techniques permacoles n’est pas le seul vecteur de réussite économique du Bec-Hellouin. Et sûrement pas le plus significatif. Dans l’analyse et la compréhension de cette réussite, on peut s’en référer aux classes sociales de Pierre Bourdieu. En effet, le principal gage de réussite à la ferme du Bec-Hellouin est une affaire avant tout de capital symbolique. Il est facilement vérifiable de voir que les quatre sortes de capital – capital économique, culturel, social et symbolique - qui déterminent les classes sociales chez Bourdieu, est bien présente chez le couple Hervé-Gruyer avec tous les curseurs au plus haut.
Le patrimoine – une partie du capital économique comme le désigne le sociologue – que représente la maison et les bâtiments de la ferme en général est pour le moins cossus et représente incontestablement une forte valeur économique. C’est une ferme qui au-delà de la production maraîchère vendue à des restaurants étoilés et une clientèle aisée, organise aussi des stages et fonctionne pour les stagiaires qui y séjournent comme une maison d’hôtes avec des repas cuisinés par un ancien chef étoilé.
Leur capacité à communiquer, à convaincre, à avoir un certain bagou – surtout chez Charles Hervé-Gruyer – et à argumenter sur les raisons d’un tel succès est très prégnante chez ce couple de maraîchers. Perrine Hervé-Gruyer est une ancienne avocate d’affaires internationales – ayant notamment oeuvré pour des grands groupes industriels au Japon. Une ancienne position qui doit quand même favorablement peser dans la balance pour tout ce qui a trait à la commercialisation des produits de la ferme voire même à leurs propres relations avec les institutions [13].
Le carnet d’adresses des Hervé-Gruyer semble lui aussi bien fourni. Autant la publicité médiatique faite pour cette ferme – elle est de loin dans le milieu de la Permaculture et de l’Agroécologie [14] la ferme la plus médiatisée – que les diverses fondations qui financent ses projets agricoles dont la plupart appartiennent à de grands groupes industriels attestent d’un capital social très élevé leur assurant par conséquent un capital symbolique – le quatrième qui est la synthèse des trois autres- c’est à dire la reconnaissance et le prestige hautement bénéfique à la succes story du Bec-Hellouin et à leurs propriétaires. Avec par ailleurs plusieurs livres édités sur le Bec-Hellouin vantant les mérites de ce modèle écrits par les Hervé-Gruyer eux-mêmes.
Pour revenir à un sociotype plus courant, un maraîcher de manière générale de par son statut, son diplôme – le plus souvent un Brevet Professionnel – et son revenu moyen – atteindre un SMIC net est perçu dans ce milieu professionnel comme atteindre le graal – pour un nombre d’heures de travail ahurissantes dépassant les 60 heures hebdomadaires en pleine saison – appartient incontestablement à la classe ouvrière. Et malheureusement pas la mieux lotie car cette catégorie est bien caractérisée par une grande fragilité économique et une précarité sociale que l’on retrouve chez la plupart des petits et moyens exploitants agricoles. Rappelons que le revenu mensuel moyen d’un agriculteur ne dépasse pas les 500 euros.
D’autres modèles à l’instar de celui prôné par la ferme du Bec-Hellouin font aussi parler d’eux dans le milieu du maraichage biologique et de la Permaculture. On pense notamment à la microferme d’Elliot Coleman aux Etats-Unis ou bien encore à celles de Jean-Martin Fortier au Québec. Ces microfermes organisées de manière très ingénieuse participent aussi de ces modèles agroécologiques érigés en succès économique et « réplicables » à l’envi.
Une ferme maraîchère de ce type, si permacole soit-elle, ce n’est pas une recette de cuisine que l’on suit au pied de la lettre et qui garantira le succès économique à coup sûr. C’est un peu plus complexe que cela. De surcroit dans une économie de marché utra-libérale où ces fermes à succès ont avant tout su créer des niches de marché – des clients aisés venant des centres urbains et aussi des restaurants prestigieux– car elles-mêmes sont proches des grandes villes. Transposez le même modèle en milieu rural, éloigné d’un centre urbain et le modèle ne tient absolument plus la route.
On voit bien que malheureusement la production alimentaire de ces fermes ne s’adresse pas au plus grand nombre et sûrement pas aux plus précaires et plus démunis. Pour eux, ça restera la junk-food de l’industrie agro-alimentaire. Même la classe dite moyenne que l’on retrouve parfois associée aux AMAP ou cliente de producteurs locaux se plaint souvent des prix élevés des fruits et légumes bio. Il est parfaitement clair que la grande distribution a laissé des marques au fer rouge concernant le prix scandaleusement bas de ces produits cultivés.
On semble effectivement face à une aporie : les prix des produits maraichers issus de l’agriculture biologique [15] sont trop élevés pour s’adresser au plus grand nombre – classes moyenne et précaire – et en même temps ne rémunèrent pas suffisamment et décemment les producteurs maraichers dans leur grande majorité. Face à cette dialectique indépassable en apparence, la Permaculture elle-même n’y pourra rien malgré ces fonds sonores qui veulent faire croire le contraire. Ne serait-il pas temps alors d’envisager ces bonnes approches et pratiques agricoles dans un autre système économique que le capitalisme ? La réponse est clairement oui.
La Sécurité Sociale alimentaire est un projet à la fois politique, social, économique et agricole qui est directement issu des travaux de recherche du sociologue du travail et économiste Bernard Friot. Elle se base sur la condition primordiale et principielle qu’il faut en finir avec le capitalisme et l’immense prise en otage que celui-ci opère depuis son avènement sur tout travailleur par le marché de l’emploi ou le marché tout court - quand il s’agit notamment de travailleurs indépendants ce qui est très souvent le cas dans la profession de maraicher.
La solution pour mettre en place la Sécurité Sociale de l’alimentation passe par le financement d’une caisse alimentée entre autres par la cotisation de l’ensemble des producteurs de la profession agricole qui ont choisi eux-mêmes d’être conventionnés [16]. Et l’attribution d’une carte « vitale » de l’alimentation avec une somme allouée mensuelle de 150 euros pour chaque personne. Ce dispositif est une vraie révolution en soi qui a pour socle un précédent historique, un « Déjà là » comme l’affirme si bien Friot : la Caisse Primaire d’Assurance Maladie.
Il ne s’agit pas de reprendre ici toute la démarche sur les conditions et le dispositif de mise en œuvre d’une telle institution démocratique et populaire. L’association d’éducation populaire Réseau Salariat à laquelle s’est jointe l’association Ingénieurs sans Frontières travaille déjà depuis quelques années d’arrache-pied à son élaboration [17].
Transposer ce dispositif au cas des maraichers, c’est en premier instance leur ôter, et de leur activité de producteur, et de leur vie tout court – grâce notamment au salaire à vie [18] – l’immense précarité qui pèse sur leur profession. C’est voir leur démarche et leur approche agroécologique ou permacole récompensées et reconnues institutionnellement [19] puisque c’est bien une convention qui atteste de leur pratique et de leur savoir-faire.
C’est aussi, par le niveau de salaire indexé sur leur qualification, régler une bonne fois pour toute une injustice scandaleuse où seul compte le fait de produire des légumes et/ou des fruits et les vendre sur un marché. Alors que le savoir-faire et les connaissances d’un maraicher sont multiples, riches et très diverses. Un maraicher, là au sens permacuturel et non plus que permacole, au-delà du cultivateur qu’il est avant tout, c’est aussi un paysagiste, un agronome, un climatologue, un écologue…
Le salaire à vie basée sur le niveau de qualification lui ouvre des portes quant à des évolutions de sa profession de producteur vers celle d’enseignant ou de formateur. Transmettre pour certains d’entre eux est même une passion forte et vitale. Ce type de dispositif sécurisant ne peut que renforcer ces vocations.
Il faut donc en finir avec le mythe de la réussite agricole alternative dont la Permaculture et le modèle des microfermes seraient à la fois caution et panacée. Ce mythe rejoint dans son idéologie égocentrée et individualiste l’adage « chacun fait sa part » ou l’appel à « l’insurrection des consciences » si bien popularisée dans les milieux écologistes de Pierre Rabhi ou Nicolas Hulot, malheureusement trop dérisoire et trop tendre – pour ne pas dire si creux.
Si respectueuses, louables, souhaitables et généralisables soient ces approches et ces pratiques alternatives, elles restent largement insuffisantes à elles seules pour provoquer une véritable révolution et marée vertes dans le domaine agricole. Car sans véritable socle politique lui-même révolutionnaire, ces alternatives ne dureront pas et se prendront en pleine face le rouleau-compresseur de l’Agro-Business qui lui continue sa route vers l’effondrement... inexorablement.
Daniel Vivas