Paris : occupation du lycée Victor Hugo

[Récit]

paru dans lundimatin#388, le 19 juin 2023

Le 8 juin dernier, soit deux jours après la dernière date nationale de mobilisation contre la réforme des retraites et après six mois d’un mouvement aux espoirs affaiblis par les concessions de « l’intersyndicalme », une cinquantaine de lycéens déterminés à faire durer la fête ont décidé d’occuper le lycée Victor Hugo, au coeur de Paris. Quelques participants nous en ont transmis ce journal de bord : après plusieurs heures de réappropriation des lieux, une intervention policière mise en déroute, des négociations interminables avec une administration sourde et à côté de la plaque, la soirée s’est terminée par un parcours festif dans les rues du quartier du Marais, et un bouquet final place de la République.

Après un comptage et un petit récapitulatif de ce qui allait se passer, la troupe était prête. Traversée par l’espoir et l’excitation, elle s’élance au sein du lycée, symbole institutionnel d’un système défaillant . L’administration semble être en incompréhension, face une foule de jeunes prête à prendre d’assaut leur lieu de scolarité pénible pour en faire un lieu de fête et d’émancipation. Plusieurs équipes se dispersent, la troupe est organisée.

Il est 18h. Pendant qu’une partie s’occupe de barricader le portail extérieur donnant sur l’autre côté de la rue, une autre s’occupe de la grande porte principale, qui en temps de mobilisation est bloquée de l’extérieur. Ce jour là, les lycées ne restent pas dehors, iels passent en force. La tactique est inversée, l’établissement devient un endroit central pour les luttes lycéen•ne•s et c’est pour cela qu’iels doivent s’en emparer. La troisième équipe se charge de prendre la G3 et G4 (salles polyvalentes) , mais c’est surtout la G3 qui va devenir le point central des AG et débats durant toute l’occupation. Tout se passe à merveille mais l’inattendu advient : 3/4 policiers s’introduisent dans l’établissement, une manœuvre illégale, étant donné qu’ils doivent attendre l’autorisation de la proviseure et que celle-ci était en pleine négociation avec trois élèves du lycée. Une petite agitation se diffuse dans le groupe qui décide de se regrouper au 3e étage.

Il est 18h30. Les forces de l’ordre ont évacué le bâtiment, sous les ordres de la Préfecture. La panique a été de courte durée et cette sortie a démontré que rapport de force était favorable aux occupant-e-s. Cette intervention a donc renforcé le sentiment de confiance de l’occupation : la police ne peut pas faire ce qu’elle voulait a Victor Hugo, la peur vient de changer de camp. De laborieuses barricades sont mises en place aux coins du périmètre défini par les jeunes. Chaque table, chaque chaise accumulée fait sentir qu’une séparation entre deux mondes se construit, que personne ne pourra rentrer dans un espace réapproprié, de manière illimitée.

Il est 19h. Tous les murs de la G3 sont décorés de slogans ou de dessins faits à la craie colorée, afin de transformer l’espace en un centre autogéré (On peut y lire « Vive la ZAD de VH » , « Occupation lycéenne antifasciste » , « Vive la Commune » ).

L’occupation est marquée par une radicalité naissante chez les jeunes qui ne souhaitent pas seulement l’abrogation de la réforme des retraites, censée être votée ce jour-là ou l’abolition de Parcoursup , mais plus généralement la fin d’un monde capitaliste basé sur le profit, et un renouveau insurrectionnel à l’exemple de la Commune de Paris. Des banderoles sont brandies sur la façade du lycée : « Traverse la rue, occupe ton bahut » en référence à Macron qui conseillait de « traverser la rue pour trouver du travail » ou « Brûle ton rectorat », symbole de l’académie française.

Il est 20h. Un rassemblement commence à se former rue Payenne, en face de la façade et des ses banderoles. Il est principalement constitué de lycéen•ne•s qui ne peuvent plus rentrer mais qui soutiennent leurs camarades à distance. Des slogans sont échangés « Siamo tutti antifascisti », « Le lycée il est à qui ? À nous ! » ou encore « ACAB ». Cet échange crée un sentiment de victoire chez les occupant•e•s qui ont réussi à former une cohésion et une coalition mais aussi à relancer un espoir de lutte pour tout le mouvement, qui semblait toucher à sa fin mais qui a été réanimé par la jeunesse.

Il est 20h30. Au fond de la salle, on projette LCP, qui diffuse en direct les débats de l’assemblée nationale. Sur le tableau, le signe Stop est dessiné : scission entre un parlement devenu inutile et une assemblée lycéenne qui revit.

Les tensions avec l’administration montent et les négociations commencent à fatiguer ceux qui les entretiennent, de nombreux débats vont être lancés : Doit-on attendre la venue de la police ? Doit-on forcément s’attendre à une garde à vue ? Si nous avons l’opportunité d’échanger avec une personne haut placée, allons-nous négocier des revendications ? Comment faire durer l’occupation le plus possible ? Questions qui vont perdurer jusqu’à la fin de l’occupation.

Il est 21h30. Les lycéen•ne•s dansent, chantent et font de cette occupation un souvenir ineffable. La bonne humeur traverse l’ensemble des personnes présentes. Un moment de répit avant une série de bouleversements. En effet, l’administration continue à mettre la pression sur les trois lycéen•ne•s chargé•e•s de la négociation. Elle leur explique que si iels ne partent pas à 22h, la police va emmener l’intégralité des personnes en garde à vue. Le problème étant que certains élèves participant à l’occupation passent leur BAC le lendemain dans le même édifice (épreuve non rattrapable). Un dilemme s’impose : risquer une GAV aux dépens de celleux qui risquent gros mais être bien plus médiatisé•e•s en raison d’une présence policière ou bien apaiser les tensions et sortir vainqueurs d’une occupation qui a su durer dans le temps et qui est une victoire, médiatisée ou non.

Il est 22h. Avant de se décider , les lycéen•ne•s font les dernières festivités : iels rajoutent la banderole « Ni État, Ni patron ; Démocratie Directe et Autogestion » tout en allumant toute sorte de fumigènes et en lançant les communiqués fraîchement écrits par un petit groupe dans la cour du lycée : un spectacle visuel qui fera de cette occupation une vraie réussite dans le fond comme dans la forme. Une image que même les professeurs, responsables et autres travailleureuses du lycée auront toujours en tête.

Il est 22h30. La tension monte , une partie du groupe est prête à partir tandis que l’autre est déterminée à se faire dégager des lieux par les forces de l’ordre : une occupation illimitée, par définition, doit durer le plus longtemps possible. Le débat est long et intense. Une partie de l’occup ne peut pas partir en laissant l’autre derrière elle. C’est pour cela qu’il sera décidé collectivement que l’action touche à sa fin. La fin sera marquée par une descente des escaliers qui durera bien une vingtaine de minutes et qui sera festive avec des slogans chantonnés à répétition dans la joie et la bonne humeur.

Il est 23h. Bien qu’iels sont dans la rue et en dehors du lycée, la soirée n’est pas finie. S’ensuit une manif spontanée suivie par le groupe rassemblé devant le lycée en soutien. La fête se poursuit dans la rue, lieu central de toute lutte. La manifestation suivra la rue Sévigné, la rue Francs Bourgeois, la rue Turenne et enfin la rue Saint-Gilles pour atterrir à la station « Chemin Vert » sur la 8, pour prendre le métro direction République.

Il est 23h30. Pour le bouquet final, et la conclusion d’une soirée victorieuse, la place de la République sera illuminée de feux d’artifices. Paris est une fête , les lycéen•ne•s l’ont soulevé•e et ont marqué l’histoire des luttes lycéennes.

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