NO TAV
Des visages savent ici leurs pensées,
ils sont nés de ces lignes où le profane mesure l’âme…
tiennent bon par refus de s’identifier au vide qui fore l’air,
fore les os du paysage natif,
hameçonne chaque parcelle de terre à la rentabilité.
Mal à la tête d’entendre l’aplanissement incessant
perforer la présence des choses.
Mal à la tête d’entendre les « éléments de langage »
s’introduire jusque sous la peau
pour y implanter la docilité heureuse.
Ça empeste la fadeur par ici.
Mais des visages sont là, sans grade – rêves entiers ! –
connaissent la vulnérabilité de la montagne ;
sécrètent la roche qui se défend.
Ne se laissent pas faire, ne se laissent pas assimiler
par la forme raisonnable du progrès et ses clauses
soumises à l’argent…
Ne se laissent pas contaminer à n’y être pas
dans l’aujourd’hui déchiré des souvenirs.
Mémoire Maurienne des sources lentes,
des reliefs inapprivoisés – corridors familiers des oiseaux.
Vallée haute qui ne veut pas périr sous les gravats du monde pressé,
qui repousse l’assaut des affaissés du bien-être, des éduqués à mort.
Ne veut pas du bruit des foreuses qui ampute la vie,
ne veut pas d’un tunnel creusé sous la montagne,
ne veut pas de cette saignée… Ligne à grande vitesse,
vitesse pour détruire
vitesse pour imposer son ordre
vitesse pour annuler l’espace.
Accélération contre l’aspérité des bocages
et les siestes à la fraîche. Accélération
pour faire taire la rosée du matin et sa ride de temps.
Ils cassent les sources, ils cassent les veines et l’eau disparaît...
L’acidité électrique brûle les ressources naturelles.
La fauvette à tête noire a besoin que nous entrions avec elle
dans le paysage. Elle a besoin de cette communauté
faite de singularités quelconques. Mettre nos corps en travers de la route :
dernier recours pour ne pas faire partie d’un monde
dévasté par nos mains.
Chant de la fauvette à tête noire…
savoir Piémont, mémoire Maurienne.
Natanaële Chatelain