Retour sur la manifestation NO TAV du 17 juin

Natanaële Chatelain feat. Grande Hyène

paru dans lundimatin#388, le 19 juin 2023

Ce week-end, plusieurs milliers de personnes se sont retrouvées dans la vallée de la Maurienne pour s’opposer à la construction de la ligne grande vitesse Lyon-Turin et ses 260km de tunnel (voir le communiqué commun de la coordination des opposant.es). Comme il est désormais de coutume, la manifestation avait été interdite a priori par la préfecture. Les 2000 gendarmes déployés sur la zone n’ont pas manqué de faire une cinquantaine de blessés. De l’autre côté de la frontière, les bus transportant 300 personnes venues du Val de Suze étaient bloqués avant le tunnel de Fréjus pendant des heures. 50 militants No Tav italiens se sont vus interdits administrativement d’entrer sur le territoire français. En attendant un récit plus détaillé du week-end, nous vous proposons un petit film à propos duquel l’auteur précise : « le son et l’image sont assez dégueulasses. J’avais mis de la crème solaire sur la caméra pour préserver l’anonymat ». Ainsi qu’un poème de Natanaële Chatelain.

NO TAV

Des visages savent ici leurs pensées,
ils sont nés de ces lignes où le profane mesure l’âme…
tiennent bon par refus de s’identifier au vide qui fore l’air,
fore les os du paysage natif,
hameçonne chaque parcelle de terre à la rentabilité.

Mal à la tête d’entendre l’aplanissement incessant
perforer la présence des choses.
Mal à la tête d’entendre les « éléments de langage »
s’introduire jusque sous la peau
pour y implanter la docilité heureuse.
Ça empeste la fadeur par ici.

Mais des visages sont là, sans grade – rêves entiers ! –
connaissent la vulnérabilité de la montagne ;
sécrètent la roche qui se défend.
Ne se laissent pas faire, ne se laissent pas assimiler
par la forme raisonnable du progrès et ses clauses
soumises à l’argent…
Ne se laissent pas contaminer à n’y être pas
dans l’aujourd’hui déchiré des souvenirs.

Mémoire Maurienne des sources lentes,
des reliefs inapprivoisés – corridors familiers des oiseaux.
Vallée haute qui ne veut pas périr sous les gravats du monde pressé,
qui repousse l’assaut des affaissés du bien-être, des éduqués à mort.
Ne veut pas du bruit des foreuses qui ampute la vie,
ne veut pas d’un tunnel creusé sous la montagne,
ne veut pas de cette saignée… Ligne à grande vitesse,
vitesse pour détruire
vitesse pour imposer son ordre
vitesse pour annuler l’espace.
Accélération contre l’aspérité des bocages
et les siestes à la fraîche. Accélération
pour faire taire la rosée du matin et sa ride de temps.
Ils cassent les sources, ils cassent les veines et l’eau disparaît...
L’acidité électrique brûle les ressources naturelles.

La fauvette à tête noire a besoin que nous entrions avec elle
dans le paysage. Elle a besoin de cette communauté
faite de singularités quelconques. Mettre nos corps en travers de la route :
dernier recours pour ne pas faire partie d’un monde
dévasté par nos mains.
Chant de la fauvette à tête noire…
savoir Piémont, mémoire Maurienne.

Natanaële Chatelain

lundimatin c'est tous les lundi matin, et si vous le voulez,
Vous avez aimé? Ces articles pourraient vous plaire :