Sur la Conscience malheureuse des Néoréactionnaires

Ce que la conscience de soi pensait complet et total se révèle fissuré et partiel. Elle reconnaît l’altérité comme une contradiction, sans pour autant savoir comment la dépasser.

paru dans lundimatin#118, le 16 octobre 2017

Au temps de Trump et des multiples résurgences conservatrices, nationalistes, voire fascistes un peu partout dans le monde, Yuk Hui, un ingénieur en informatique et chercheur à l’Université de Lüneburg, tente de prendre au sérieux les curieux mais puissants ennemis que sont ceux qu’il appelle les Néoréactionnaires. Si le refus catégorique de l’héritage des Lumières qui les caractérise peut être intéressant, ils prônent cependant une forme de fuite en avant technologique qui éloigne toujours plus les vraies questions politiques. Le texte original, en anglais, se trouve ici.


Un mème pro-Trump extrêmement répandu met en scène Pepe the Frog, un personnage de comics considéré comme un symbole haineux par la Ligue Antidiffamation (ADL) étasunienne depuis son appropriation par "l’Alt-right" suprémaciste blanche dans des illustrations racistes et antisémites. À l’automne 2016, l’ADL s’est associée au créateur de Pepe, Matt Furie, au sein d’une campagne en ligne #SavePepe, tentant de récupérer ce symbole des mains de celleux qui l’utilisent dans des buts haineux.

1. Le déclin de la civilisation occidentale ... Encore ?

En 2004, dans sa contribution au colloque « Politiques et Apocalypse », consacré à l’anthropologue et théoricien René Girard, Peter Thiel écrivait que le 11 septembre marquait l’échec de l’héritage des Lumières. Dans la nouvelle configuration mondiale ouverte au ’terrorisme mondialisé’ et ’opérant hors de toutes les normes de l’Occident libéral’, ce dernier ne pourrait sauver sa peau qu’en s’appuyant sur une nouvelle théorie politique.

Après avoir concédé que l’Occident avait bel et bien incarné les doctrines et les valeurs démocratiques et égalitaires, Thiel concluait qu’elles étaient responsables de sa vulnérabilité.

De telles suppositions quant à l’obsolescence des Lumières sont caractéristiques de l’attitude dominante de la néo-réaction, dont Mencius Moldbug – le nom de plume de l’ingénieur informatique et entrepreneur Curtis Yarvin – ainsi que le philosophe britannique Nick Land sont les principaux représentants. Si Thiel est leur Roi, ils sont ses fidèles chevaliers, se portant à la défense d’un certain nombre de communautés issues de Reddit et 4chan [1]. Ces trois protagonistes sont intimement liés : au courant de la dernière décennie, le blog de Moldbug, Unqualified Reservations, fut une source d’inspiration majeure pour Nick Land, et sa start-up, Tlon, a bénéficié du soutien de Thiel, fameux capital-risqueur, fondateur de PayPal et Palantir ainsi que membre de l’équipe de transition de Donald Trump. Le principal produit de Tlon, Urbit, propose un nouveau protocole réseau qui se différencie de la structure centralisée client-serveur dominante dans les réseaux actuels. Il permet une décentralisation sur la base du cloud personnel – un système d’exploitation soi-disant ’post-singularité’.

Thiel résume bien le rôle de la néo-réaction dans cette question qu’il soulève à la fin de son article :

« L’Occident contemporain a cessé de croire en lui-même. Dans la période des Lumières et par la suite, cette perte de confiance a libéré des forces commerciales et créatives monstrueuses. Simultanément, cette perte a rendu l’Occident vulnérable. Y aurait-il une manière de renforcer l’Occident contemporain sans le détruire dans le processus, sans jeter le bébé avec l’eau du bain ? »

Je crois que la question de Thiel illustre une condition que Hegel avait jadis diagnostiquée comme la ’conscience malheureuse’ ; ce concept est très utile pour comprendre la néo-réaction. Pour Hegel, l’histoire est un enchaînement nécessaire de mouvements de l’Esprit en chemin vers la conscience de soi absolue. Il y a de nombreuses étapes sur cette route – du Judaïsme au Christianisme, par exemple, et ainsi de suite. La conscience malheureuse prend forme à ce moment tragique où la conscience finit par reconnaître une contradiction qui brise son allégresse. Ce que la conscience de soi pensait complet et total se révèle fissuré et partiel. Elle reconnaît l’altérité comme une contradiction, sans pour autant savoir comment la dépasser. Hegel écrit :

« Cette conscience malheureuse constitue la contrepartie et le complément de la conscience parfaitement heureuse en elle-même, de la conscience comique. La conscience malheureuse, est à l’inverse le destin tragique de la certitude de soi-même censée être en soi et pour soi. Elle est la conscience de la perte de toute essentialité dans cette certitude de soi et de la perte précisément de ce savoir de soi : de la substance comme du Soi-même ; elle est la douleur qui s’exprime dans la dure formule selon laquelle Dieu est mort. »

Le recours, dans ce cas, au champ lexical affectif du deuil n’est pas accidentel, car la conscience malheureuse, comme le suggère le terme, est dominée, enveloppée même, de sentiments auxquels elle ne peut se soustraire. Pour Hegel, le Judaïsme présente une dualité des extrêmes où l’essence se retrouve au-delà de l’existence et Dieu hors de l’Homme, le laissant coincé dans l’inessentiel. Le Christianisme, en revanche, évoque une unité entre l’immuable et le spécifique à travers l’image du Christ comme Dieu incarné. Cette unité reste cependant un sentiment sans pensée. La Conscience Malheureuse ressent sans la comprendre la participation de l’universel dans le particulier, laissant cette dualité paradoxale insurmontable, car relevant du seul sentiment, et non du concept.

Pour les Néoréactionnaires, les Lumières dans leur ensemble – et la démocratie en particulier – apparaissent comme un autre soi aliéné. À la fois remède et poison, ou plus précisément pharmakon, dans le sens grec du terme. Cependant la conscience de la contradiction demeure un sentiment, et les tentatives d’y échapper ouvrent la voie à une profonde mélancolie ou à un abysse illusoire procuré par l’enthousiasme des pensées spéculatives. Thiel fait référence à Oswald Spengler et son Déclin de l’Occident pour décrire ce paradoxe et stigmatiser le 11 septembre comme un signal d’alerte essentiel. Dans Années décisives, Spengler lui-même associe cette impatience à « l’Esprit Prussien » dans lequel il voyait « le salut de la race blanche » :

« La ’race’ Germano-Celte détient la plus grande force de volonté que le monde ait jamais vue. Mais ce ’je veux’, ’je veux !’... éveille la conscience de l’isolation complète du Soi dans l’espace sans fin. Volonté et solitude sont au fond la même chose... Si quoi que ce soit dans ce monde est individualiste, c’est cette méfiance de l’individu face au reste du monde, sa conscience de sa propre volonté indestructible, son plaisir à prendre des décisions irréversibles, son amour du destin... Se soumettre au libre arbitre est Prussien. »

Il est certainement aisé de voir dans cette supposée adoption par les néoréactionnaires du déclin de l’Occident une répétition de moments historiques familiers : tout particulièrement la lutte contre les Lumières vers la fin du 18e siècle et l’émergence d’un modernisme réactionnaire allemand entre les deux guerres mondiales. Ce dernier mêle romantisme et technologie avant de se fondre dans le nazisme. Il est fondamental de garder à l’esprit ces répétitions afin de comprendre les tactiques et la rhétorique employées par les néoréactionnaires (consciemment ou non) ne serait-ce que pour comprendre en quoi consiste, pour eux, le déclin actuel de l’Occident et pourquoi les Lumières leur apparaissent à l’origine d’autant de désagréments. Si les néoréactionnaires rejettent les Lumières c’est un rejet étrange et bien particulier.

2. Querelles des Lumières

Suite au 11 septembre, Thiel a prédit l’augmentation de la sécurité dans les aéroports étasuniens et la plus grande fermeté dans les politiques migratoires. Ces réglementations ont atteint un nouveau palier avec le décret intitulé « Protéger la Nation de l’entrée de terroristes étrangers aux États-Unis » (travel ban) imposé par l’administration Trump. Ce produit de ’la Démocratie Américaine’ est parvenu à sidérer jusqu’à Francis Fukuyama qui faisait récemment remarquer, en pur hégélien, qu’ « il y a vingt ans, je ne concevais pas, même en théorie, que les démocraties puissent régresser ».

Néanmoins cette question dépasse de loin la démocratie étasunienne : « État d’exception », cette expression employée pour décrire des mesures d’urgence comme les « travel bans » devient d’une banalité déconcertante dans la bouche de Trump dont l’exercice du pouvoir n’a plus rien d’exceptionnel mais se mue en exercice banal de la souveraineté, nous rappelant le pouvoir absolu des monarchies des 16e, 17e et 18e siècles.

Le retour à la monarchie espéré par les néoréactionnaires est une attaque directe des valeurs des Lumières que sont la démocratie et l’égalité qu’ils considèrent respectivement comme dégénérée et restreignante. Dans une série d’articles de blog que l’on pourrait traduire par « Sombres Lumières » (devenue depuis une sorte de classique néoréactionnaire) le philosophe britannique Nick Land acclame les seigneurs Moldbug et Thiel pour avoir déclaré ces idoles mortes. Et de les remplacer par celle de la liberté, dont l’origine ne réside pas que dans les ombres.

Land cite l’essai de Thiel sur l’éducation d’un libertarien (2009) et son fameux : « Je ne crois plus à la compatibilité entre liberté et démocratie ». Mais qu’implique cette compatibilité ? Thiel soutient que les libertariens se sont fourvoyés en pensant pouvoir atteindre la liberté par des politiques démocratiques quand le seul moyen d’accomplir le projet libertarien est l’application d’un capitalisme dépassant la politique par l’exploration extensive du cyberespace, de l’univers et des océans. La démocratie empêche l’accomplissement de la liberté nous dit Land, suggérant qu’elle n’est qu’un mythe issu des Lumières : 

« Dans l’antiquité européenne classique la démocratie était considérée comme une phase au sein d’un développement politique cyclique, profondément décadente dans sa nature et précurseure d’un glissement vers la tyrannie. De nos jours, cette vision classique est tout à fait perdue, remplacée par une idéologie démocratique globale, incapable d’auto-critique qui n’est pas comprise comme une théorie socio-scientifique, ni même une aspiration populaire spontanée, mais plutôt une croyance religieuse d’une nature particulière aux racines historiques connues. »

Land et Moldbug soulèvent également la question des choix (alternatives) qui, dans l’esprit de Thiel, nécessitent de « se relever de la démocratie », à la façon dont l’Europe de l’Est « se relève du communisme ». Dans ’Une lettre ouverte aux progressistes ouverts d’esprit’, Moldbug raconte son parcours de progressiste à Jacobite. Il rejetait le politiquement correct et la politesse des progressistes en proposant d’instrumentaliser Hitler et la pensée réactionnaire du fascisme. C’est une forme d’idéologie critique issue de la gauche radicale qui réfléchit aux conséquences de l’institutionnalisation des idées et des pratiques. Il n’y a que dans la ’cathédrale’ que les dogmes et l’éthique peuvent se rencontrer. Mais là où, pour la gauche non-académique, ce dogme est inefficace et bénin, il s’agit pour les néoréactionnaires d’une menace existentielle ; le politiquement correct devient une menace toxique pour la civilisation européenne.

Cette querelle à propos des Lumières entre en résonance avec un débat qui fit rage dans l’Europe des lumières. D’un côté on trouve des penseurs radicaux comme Diderot, d’Holbach, Paine, Jefferson et Priestley ; philosophes et unitariens qui attaquèrent l’Église et la monarchie constatant les progrès de la raison dans l’accomplissement de l’universalisme. De l’autre côté se trouvaient des penseurs plus modérés à l’image de Ferguson, Hume et Burke en faveur de l’ordre aristocratique d’une monarchie. Les Lumières, semble-t-il, ne sont pas nécessairement liées à l’idéal démocratique. Bien au contraire, ce point est disputé depuis le début.

Les fréquentes références de Moldbug au caméralisme de Frédéric le Grand exagèrent cette dispute, illustrant les sentiments embrouillés de la conscience malheureuse. D’un coté Moldbug se décrit comme un Jacobite, défenseur du pouvoir divin des rois qui propose un nouveau caméralisme considérant l’État comme une entreprise (une vision qui semble trouver écho dans l’administration Trump). De l’autre il ignore le fait que les Lumières étaient, pour ainsi dire, la marque de fabrique du vieux Fritz (Frederic II) ; non seulement il rejetait la nature divine du pouvoir royal à la faveur du contrat social, mais il a écrit un illustre traité sur le despotisme éclairé dans lequel il affirmait : « Ma principale occupation est de combattre l’ignorance et l’injustice... d’éclairer les esprits, cultiver la morale, et rendre les gens aussi heureux qu’il sied à l’humaine nature et que le permettent le moyens qui m’échouent. » Il a même accueilli Voltaire quand ce dernier avait des problèmes avec l’Église. Et pourtant il n’y a pas à douter que les néoréactionnaires se considèrent comme autant de Voltaires des temps présents luttant face à l’Église nouvelle du politiquement correct nommée ’cathédrale’ par Moldbug. Voici donc la conscience malheureuse écartelée entre la reconnaissance des contradictions des Lumières et leur transcendance : pour eux, les Lumières donnent et les Lumières reprennent. Le symptôme clair de cette maladie est d’une implacable ironie quand Land remarque :

« Sans appétence pour l’ironie, Mencius Moldbug est tout sauf insupportable et assurément inintelligible. De vastes constructions d’ironie historique modèlent ses écrits, les avalant même parfois. Comment sinon un partisan des structures traditionnelles de l’ordre social (et Jacobite auto-proclamé) pourrait-il proposer une œuvre aussi résolument tournée vers la subversion ? »

Mais cette contradiction est précisément ce qui rend la conscience néoréactionnaire si malheureuse, dans la mesure où Land et Moldbug permettent à leurs sentiments de perte et de deuil de prendre le pas sur les rigoureux protocoles de la raison qu’ils ne cessent d’évoquer avec une compulsion qui régalerait Freud. Moldbug souhaite lier l’autoritarisme jacobite et l’économie politique Whig, quand bien même cela n’aurait pas de sens – tant pis ! – car quelqu’un est certainement en train de se faire harceler par la Cathédrale quelque part sur internet. Land, au moins, en ancien universitaire avisé, évite de s’embourber dans d’éprouvantes questions d’acuité historique, et alors que les Sombres Lumières prennent forme, on le sent s’éloigner sensiblement de Moldbug. Après avoir récité son catéchisme libertarien, Land se tourne vers son vrai objectif primordial : dénoncer la conscience contradictoire des blogueurs progressistes du moment, un environnement riche en gibier quoiqu’un poil en dessous de sa condition de penseur. Il est ici remarquable que Land a inversé la pression : en réutilisant la critique formulée par les philosophes radicaux à l’encontre des penseurs monarchistes des Lumières contre eux-mêmes, les accusant astucieusement — rejouant, d’après Moldbug, le prétendu universalisme du protestantisme radical — d’hypocrisie et de contradiction, suivant son propre mouvement et son propre scénario :

« En vertu de cette analyse, ce qui est posé comme la Raison universelle et qui détermine la direction et le sens de la modernité, se révèle être une branche très spécifique d’un culte issu des « ranters », des « levelers » et des autres variantes sectaires de la dissidence ultra-protestante – comme si la Raison universelle ne devait à peu près rien aux conclusions des logiciens. »

Cette attaque menée à l’encontre des politiques social-démocrates posées comme la conséquence de l’institutionnalisation des Lumières est en fait un retour aux penseurs conservateurs de la période des Lumières elle-même : une négation de la négation. Land incarne le retour des refoulés même s’il s’en garde :

« Le thème de base était le contrôle de l’esprit, ou la suppression de la pensée, comme en témoigne le complexe médiatique et académique qui domine les sociétés occidentales contemporaines et que Mencius Moldbug nomme « la Cathédrale ». Lorsque les choses sont écrasées, elles disparaissent rarement. Au lieu de cela, elles sont déplacées, fuient à l’abri dans les ombres et parfois se transforment en monstres. Aujourd’hui, parce que l’effet de censure de l’orthodoxie de la Cathédrale faiblit, de diverses manières, et en de nombreux sens, l’époque des monstres approche. »

De telles complexités font partie de la raison pour laquelle il est trop simple de dénoncer les néo-réactionnaires comme racistes, bien que la plupart d’entre eux le soient probablement. Leur rejet des Lumières provient d’une « conscience de soi » qui n’a pas encore saisi un concept unifié de sa contradiction. Plutôt que d’affronter le fait, difficile à supporter, que leur Dieu n’a jamais existé, les néo-réactionnaires s’efforçaient de le tuer en sabotant la Cathédrale et en poursuivant une déterritorialisation absolue. La volonté d’un tel changement radical les laisse avec l’illusion d’une belle histoire de l’autre côté du monde, et avec des spéculations élaborées sur une super-intelligence qui sauverait les êtres humains de la politique. Par exemple, la célébration par Land des villes asiatiques telles que Shanghai, Hong Kong et Singapour, est simplement une observation détachée de ces endroits, qui projette une volonté commune de sacrifice de la politique pour la productivité. La lassitude de la politique pousse régulièrement l’occident à se tourner vers les promesses de l’utopie technico-commerciale dépolitisée de l’Asie orientale ; le « sinofuturisme » devient un modèle de changement radical. Par « sinofuturisme », on entend l’idée que la Chine a pu importer la science et la technologie occidentales sans aucune opposition, tandis qu’en Occident, selon cette vue de l’esprit, toute invention technologique significative ou découverte scientifique sera toujours limitée et ralentie par la dogme politiquement correct de la Cathédrale. Il n’est pas surprenant que Milton Friedman, qui considère Hong Kong comme une expérience économique néolibérale telle qu’il l’avait envisagée, et l’Écossais John Cowperthwaite (le secrétaire financier de Hong Kong dans les années 1960) ont fait la même observation, ce dernier écrivant dans son essai – L’expérimentation de Hong Kong – que l’économie de Hong Kong a devancé celle des États-Unis dans sa capacité à fonctionner sans aucun « aléa de la politique ».

Ce désir de productivité est cohérent avec le principe néolibéral selon lequel une dépolitisation technico-commerciale est nécessaire pour sauver l’Occident. Mais le sauver de quoi ? J’ai tendance à croire que la montée des néoréactionnaires révèle l’échec d’une universalisation de la mondialisation depuis les Lumières, mais du à une raison bien plus nuancée. Pour les néoréactionnaires, l’égalité, la démocratie et la liberté proposées par les Lumières et leur universalisation ont conduit à une politique improductive caractérisée par la politique du juste. Il faut donc « avaler la pilule rouge » pour renoncer à ces concepts afin de rechercher une autre configuration, qu’elle soit déguisée en politique ou apolitique par essence. La pensée néoréactionnaire, comme conscience malheureuse, est une protestation contre une transformation dialectique de la mondialisation.

3. La Conscience malheureuse des Néo-réactionnaires 

Peu importe à quelle secte Chrétienne on l’attribue, l’universalisme demeure un produit intellectuel occidental. En réalité, il n’y a pas eu d’universalisme (du moins pas encore), seulement une universalisation (ou synchronisation) – un processus de modernisation rendu possible par la mondialisation et la colonisation. Ceci créé un problème pour la droite et la gauche, rendant très difficile la réduction de la politique à la dichotomie traditionnelle. La modernisation réflexive décrite par les sociologues les plus éminents du 20e siècle comme un basculement d’une première modernité de l’État-nation à une seconde modernité caractérisée par la réflexivité semble être discutable dès le départ. La réflexivité, qui repose sur « une conscience accrue de l’impossibilité de la maîtrise » plutôt que sur une négociation constante pour les différences, se révèle n’être qu’un moyen d’universalisation à travers des procédés autres que la guerre.

Ceci n’empêche pas le retour des États-nations, ni des monarchies, qui n’ont jamais vraiment disparu – comme en témoigne le Royaume d’Arabie Saoudite dont le soutien aux terroristes du 11 Septembre est bien connu.

Le processus d’universalisation fonctionne selon des différences de puissance : les pouvoirs technologiquement plus forts exportent leurs savoirs et leurs valeurs aux plus faibles, détruisant ainsi leur intériorité. Le paléontologue français André Leroy-Gourhan illustre magnifiquement ce processus dans son ouvrage Milieu et Techniques publié en 1945. Il définit un « milieu technique » comme une membrane séparant l’intériorité et l’extériorité des différents groupes ethniques. Les différences de développement technologique définissent, en grand partie, la frontière entre les cultures et les pouvoirs. Bien entendu, il n’est plus question aujourd’hui d’anciens groupes ethniques, mais plutôt d’États-nations et d’ethno-nationalismes qui définissent les frontières des cultures. Dans le processus de modernisation, la dynamique décrite par Leroy-Gourhan doit être largement actualisée, puisqu’un tel milieu n’existe pratiquement pas, puisque tous les pays non-occidentaux ont été obligés de s’adapter aux innovations et au développement technologique constant. Prenons la Chine comme exemple : la défaite de la Chine lors des deux guerres de l’opium a conduit à une modernisation rampante dans laquelle une telle membrane technique est devenue quasiment insoutenable en raison de différences fondamentales dans la pensée et le développement technologiques (la membrane existante la plus importante est probablement le Grand Pare-Feu de Chine, mais sa construction n’est possible que grâce à la Silicon Valley).

Le processus d’universalisation a été largement unilatéral, réduisant la réflexion non-occidentale à un amusement. Même pour Leibniz, qui a pris la pensée chinoise au sérieux au dix-huitième siècle, l’écriture chinoise n’est qu’une source d’inspiration pour construire un characteristica universalis  ; en d’autres termes, la pensée chinoise n’est qu’un passage à l’universel. La modernisation faisant suite aux guerres de l’opium s’est intensifiée pendant la Révolution Culturelle, puisque la tradition – par exemple, le Confucianisme – a été naïvement jugée comme un retour au féodalisme, allant à l’encontre de la vision marxiste du progrès historique. Les réformes économiques qui ont débuté dans les années 80, dirigées par le plus grand accélérationiste du monde, Deng Xiaoping, ont encore accéléré ce processus de modernisation. Aujourd’hui, les technologies militaires et industrielles du sud mondialisé rattrapent celles de l’Occident, renversant l’universalisation unilatérale de la modernité occidentale depuis le tournant du siècle dernier. La conscience hégélienne doit reconnaître que le « climax et terminus du processus mondial » est bien au-delà de la « propre existence à Berlin » de Hegel.

La dernière scène d’une telle conscience hégélienne joyeuse était celle d’expatriés américains et européens pratiquant le yoga en Inde, gravissant la Grande Muraille de Chine et jouissant des délices exotiques de la nature hors de leurs pays. Aujourd’hui, alors que Shanghai n’est pas moins cher que New York et que Trump accuse la Chine de voler des emplois et de détruire l’économie américaine, cette histoire est terminée.

L’histoire de la mondialisation se poursuit, mais la conscience heureuse est dépassée par les conditions matérielles. Et pas seulement aux États-Unis. Quand j’ai visité Barcelone l’été dernier, j’ai été frappé par le fait que tant de restaurants espagnols et de magasins soient gérés par des Chinois. Un ami anthropologue qui étudie les banlieues de Barcelone m’a dit que la situation y est encore plus étonnante, la plupart des bars locaux étant possédés et gérés par des familles chinoises. Il m’a fait remarquer que quelque chose d’important aura lieu dans les prochaines décennies en raison de changements démographiques, sans même parler de la question des réfugiés du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. Nous devons nous rappeler que la limite de la mondialisation n’est pas établie par le mensonge des Lumières, comme le prétendent les néo-réactionnaires, mais plutôt qu’il ne s’agit que de l’air du temps historique au sein duquel la colonisation, l’industrialisation et la naissance de l’économie se chevauchent. La nouvelle configuration de la mondialisation révèle maintenant son autre – ce qui était déjà présent au début, mais qui restait encore impensable.

Fondamentalement, le mouvement neo-réactionnaire et « l’alt-right » sont l’expression d’une angoisse sur le fait que l’Occident est incapable de surmonter la phase actuelle de la mondialisation et de maintenir les privilèges dont il a joui ces derniers siècles. Nick Land l’avait déjà admis il y a vingt ans, dans un texte intitulé « Meltdown » :

« Le boom sino-pacifique et l’intégration économique mondiale automatisée écrase le système néocolonial… générant des réactions de panique néo-mercantilistes euro-américaines, une détérioration de l’État-providence, des enclaves cancéreuses de sous-développement domestique, un effondrement politique et la libération de toxines culturelles qui accélèrent le processus de désintégration dans un cercle vicieux. »

La critique néo-réactionnaire expose la limite des Lumières et de son projet, mais de façon surprenante, elle ne peut que montrer que les Lumières n’ont jamais véritablement été mises en place, ou plutôt que leur histoire est faite de compromis et de distorsions. Clarifier l’émergence d’une politique néofasciste à l’échelle mondiale exige au moins d’admettre ceci : de même que l’amour de Hitler pour la « race suprême » n’a en aucun cas menacé son alliance avec l’Empire du Japon – c’est en effet le commandant Britannique de Singapour qui a laissé la façade continentale de l’île non-défendue pensant que les yeux bridés des Japonais ne pourraient leur permettre de voir la possibilité d’une attaque terrestre – l’ultranationalisme contemporain constitue un phénomène véritablement international. Le mouvement néofasciste s’étend bien au-delà de l’Europe et des États-Unis, avec différentes façons d’orienter le « global » et le « local ». Prenons, par exemple, le théoricien politique russe et Heideggerien auto-proclamé Aleksandr Dugin et sa « quatrième théorie politique ». Comme Land, Dugin n’est pas à discréditer ou dénoncer facilement. Oui, il doit être compris comme un véritable réactionnaire. Sa quatrième théorie politique prétend aller au-delà de l’échec des trois théories politiques précédentes : le libéralisme, le communisme et le fascisme. Si les sujets des trois théories politiques précédentes étaient respectivement, l’individu, la classe et l’État-nation ou la race, alors le sujet de la quatrième théorie politique est le Dasein Heideggerien. Le Dasein résiste au déracinement du post-moderne, à minuit, « quand le Néant (nihilisme) commence à s’infiltrer par toutes les fissures ».

La quatrième théorie politique est en effet une théorie réactionnaire, qui trouve ses racines dans la révolution conservatrice et les mouvements fascistes (Arthur Moelle van den Bruck en Allemagne, Julius Evola en Italie), le traditionalisme (René Guémon) et la nouvelle-droite (Alain de Benoist). Pour Dugin, le « global » est le monde moderne et le « local » la tradition russe.

Dans les villes asiatiques comme Hong-Kong, un mouvement semblable est apparu ces dernières années, initié par l’intellectuel folklorique Wan Chin, qui a effectué un doctorat en ethnologie à Göttingen dans les années 1990. Sa théorie de « Hong-Kong en tant que ville-état » est basée sur un néo-racisme gênant contre les Chinois du continent, remplaçant le « global » par la Chine et le « local » par un mélange d’histoire coloniale et de culture chinoise datant de la dynastie des Song. Je ne suis personnellement pas un traditionaliste ; j’apprécie cependant la tradition et je crois toujours que l’échec de toutes les révolutions communistes est dû au refus de prendre en compte la tradition, là où il faudrait tirer parti de ses forces, plutôt que de poser à nouveau la matière contre l’esprit. L’opposition entre matière et esprit conduit à un nihilisme qui pousse la modernisation à son extrême. La question aujourd’hui n’est plus d’abandonner la tradition ou de la défendre, mais plutôt de savoir comment dé-substantialiser la tradition et s’approprier le monde moderne depuis la perspective d’une tradition dé-substantialisée en termes d’épistémè et d’épistémologie, comme j’ai essayé de le proposer dans mon livre le plus récent.

Je souligne à la fois l’épistémè et l’épistémologie, puisqu’un changement épistémologique reste dans une trajectoire de la pensée européenne et sert à la diversification et à la perfection du système technique d’homogénéisation alors que la question de l’épistèmè va plus loin, car elle concerne aussi la question des formes de vie. Cela signifie qu’il faudra transformer la tradition elle-même pour se réapproprier la modernisation technologique et reconstituer une nouvelle épistémè. Ce sont les nuances que nous devons faire, et faire prudemment, plutôt que de subsumer le discours d’une opposition claire et exclusive entre les catégories de droite et de gauche.

Les critiques ont souvent souligné que la mondialisation est un autre nom pour le capitalisme mondial. Nonobstant les distinctions entre la mondialisation capitaliste et la mondialisation alternative, le silence du mouvement anti-mondialisation depuis la fin du millénaire a amené certains auteurs à suggérer que s’accorder d’une certaine stérilité devrait faire que les révolutionnaires s’écartent des contraintes de la politique de gauche qui garde « le Gulliver de la révolution attaché au sol ».

Une politique radicale est appelée à la fois par les révolutionnaires et les neo-réactionnaires, bien qu’elle soit radicale dans deux directions complètement différentes.


4. Penser après la fusion (en anglais, meltdown, qui signifie aussi effondrement ici)

Alors comment l’Occident se sauvera-t-il, pour dépasser la contradiction de la conscience malheureuse ? La réaction, comme le fascisme, ne dit pas la vérité, mais ne fait que permettre aux gens de s’exprimer eux-mêmes. La victoire de Trump est plus ou moins une victoire de la penée réactionnaire et de droite, qui n’offre pas une analyse plus valable de la situation mais fais plutôt appel aux émotions, comme le disait Ernest Bloch à propos de la situation en Allemagne.

Des commentateurs ont essayé de suggérer, sur la base de la relation entre Thiel et Girard, que Trump et les entrepreneurs de la tech sont comparables à des boucs-émissaires ; comme le pharmakos dans la Grèce antique ou le Roi décrit par Sir James Frazer dans Le Rameau d’or, leurs sacrifice met fin à la crise sociale et politique. Cependant la figure du bouc-émissaire est semblable à la « red pill » (« pilule rouge ») : ce n’est qu’une tactique rhétorique qui justifie sa tendance réactionnaire comme une vérité cachée. Le sacrifice du bouc-émissaire est une redéfinition de l’ami et de l’ennemi, ce qui est plutôt clair dans la position de Trump sur les relations Chine-USA-Russie. Afin de maintenir une mondialisation asymétrique et d’éviter les coûts de la guerre, de vrai boucs-émissaires seront sacrifiés, étant donné qu’ils sont des vaisseaux pour cacher la vérité en faveur de mouvements populistes. En d’autres termes, comment l’Occident peut-il maintenir une mondialisation unilatérale afin de préserver ses privilèges et sa suprématie ? Cette question n’est pas posée par Land, dont la mobilisation des néo-réactionnaires n’est qu’un moyen vers la poursuite de son propre agenda bionique. Cependant, qu’importe le degré de réluctance, nous ne pouvons nier le fait que le monde d’aujourd’hui ne peut plus maintenir l’ordre ancien ; la militarisation moderne du siècle dernier rend ceci impossible.

Bloch avait raison, mais l’émotion ne suffit pas. Les modernistes réactionnaires apportèrent aussi quelque chose de substantiel. Ils voulaient surmonter l’opposition entre natur et technik, et par conséquent réconcilier technik et kultur (kultur était considéré comme étant opposé à zivilisation) dans l’intériorité (innerlichkeit) de la culture Européenne. C’est aussi pourquoi après avoir publié Le Déclin de l’Occident (1922), Spengler poursuivi avec L’Homme et la Technique : Contribution à une Philosophie de la Vie (Der Mensch und die Technik. Beitrag zu einer Philosophie des Lebens, 1931) pour réaffirmer son attachement aux technologies. Nous pouvons observer aujourd’hui la manière dont la technologie revient afin d’offrir une vision futuriste de la singularité technologique comme une solution à toutes politiques, avec la nuance ajoutée que le innerlichkeit n’est plus une préoccupation centrale. Thiel est un capitaliste daventurier qui a financé des compagnies majeures de la tech tel que Facebook, Google, et Paypal. La technologie, tel qu’il l’écrit dans Zero to One, signifie la complémentarité, et « une IA forte est comme un ticket de loterie cosmique : si nous gagnons, nous obtenons l’utopie ; si nous perdons, Skynet nous remplace. » Moldbug est le développeur du système Urbit, qui fonctionne sur des principes libertariens. Nick Land s’intéresse à la singularité technologique et « l’explosion de l’intelligence » depuis les années 1990, ce qui l’a récemment amené à promouvoir la technologie blockchain (« chaîne de blocs » NDT) qui se cache derrière le Bitcoin et ce parce qu’elle propose une « solution du problème de l’espace-temps ». De l’avis de Thiel, ce n’est qu’à travers une intervention technologique invasive que l’Occident peut se guérir de la démocratie. L’accélérationisme de Land est le plus sophistiqué des divers accélérationismes, et bien plus philosophique que la version de gauche, qui se fonde sur une compréhension plutôt superficielle de la technologie. Sa position transhumaniste par contre, est un autre type « d’universalisme », dans lequel toute activité culturelle est soumise à une machine cybernétique intelligente, menant à une « fusion » – une déterritorialisation absolue et une explosion d’intelligence qui capture la force créative de l’intuition intellectuelle, au sens Kantien. Land cherche une ré-mythologisation du monde à travers un étrange réalisme Lovecraftien. « Le sans-fin [qui] se termine en lui-même » : cette phrase poétique tirée de Phyl-Undhu, l’œuvre de fiction de Land, pointe vers une genèse récursive idéaliste.

La compétition visant à réaliser la singularité technologique est devenu un champ de bataille majeur, et la menace de la guerre n’a jamais été si imminente. Thiel écrivit un jour que « la compétition est pour les perdant », étant donné que c’est le monopole qui « produit la combinaison de la quantité et du prix qui maximise ses profits. » L’ironie est que la non-politique que Thiel soutient se dirige vers un tel destin indésirable. Nous devons éviter cette guerre à tout prix. Ceci ne veut pas dire que nous devrions rejeter entièrement la possibilité d’une super-intelligence. Mais nous devrions résister à nous soumettre à une destiné prédéfinie par le développement technologique. Nous avons besoin de manière urgente d’imaginer un ordre du monde nouveau, et de saisir l’opportunité offerte par la « fusion » afin de développer une stratégie qui s’oppose à l’implacable dépolitisation et prolétarisation que mène la chimère transhumaniste de la super-intelligence.

Cette « fusion » ne signifie pas nécessairement la fin du monde. Elle peut aussi être abordée comme un moment politique et philosophique ayant un rôle pivot, lors duquel une restructuration tant sur le plan mondial que local est possible du fait que les anciennes structures ont été dissoutes par de nouvelles technologies. Comme le dit Bernard Stiegler, nous pouvons décrire notre époque comme une « épochè numérique, » dans laquelle les anciennes formes institutionnelles ne sont pas seulement suspendues conceptuellement, mais aussi matériellement. Par exemple, la Finlande songe à recourir aux nouvelles technologies numériques pour remplacer la méthode traditionnelle d’enseigner en fonction d’une matière et développer un cursus qui implique une collaboration accrue entre les enseignant.e.s. C’est un moment au cours duquel de nouvelles formes d’institutions éducatives peuvent être crées, quand une « destitution » (au sens d’Agamben) peut être réalisée afin de déconstruire une synchronisation qui n’a pour le moment servi uniquement les intérêts de la mondialisation. Cette destitution peut mener à l’émergence d’épistémè qui divergent de la synchronisation hégémonique interne à la singularité technologique. C’est une opportunité de développer de nouvelles réflexions et de nouvelles constitutions qui vont au-delà des débats actuels centrés sur le revenu universel de base et les taxes sur les robots. Nous ne devons pas attendre que les technocrates parviennent à ce genre de réflexion via de longs rapports en provenance de la « Cathédrale. »

Concluons à propos des Lumières et de leur processus mondial. La philosophie est essentielle aux révolutions, a affirmé Condorcet, car elle change d’un seul coup les principes de base de la politique, de la société, de la morale, de l’éducation, de la religion, des relations internationales, et de la législation. Une telle conception de la philosophie doit être tournée vers l’objetctif de penser à une nouvelle histoire du monde. Peut-être devrions-nous donner à l’activité de penser une tâche opposée à celle que la philosophie des Lumières lui avait donné : fragmenter le monde selon la différence plutôt que l’universaliser à travers l’identique, induire l’identique à travers la différence, plutôt que de déduire la différence de l’identique. Une nouvelle pensée historico-mondiale doit émerger face à la fusion du monde.

Yuk Hui

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Yuk Hui a étudié l’ingénierie informatique, la théorie culturelle et la philosophie à l’université de Hong Kong et au Golschmiths College à Londres, avec une spécialisation en philosophie de la technologie. Il est l’auteur de On the Existence of Digital Objects et The Question Concerning Technology in China. An Essay in Cosmotechnics (Urbanomic, December 2016).

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