Mayday ?

Les colibris peuvent-ils ramer contre les moulins ?
Gédicus

paru dans lundimatin#419, le 11 mars 2024

C’est une question ouverte, depuis au moins l’invention de la pluie et du gobelet. Faut-il le voir à moitié vide ou à moitié plein ? Dans ce billet, Gédicus propose clairement et simplement d’ajourner le débat comme les prophéties. Par-delà l’optimisme et le pessimisme, il y a toujours la lutte.

« Au bord du précipice ? »
Publicité pour le Bilan du monde. 2023.

« Des vents mauvais soufflent sur notre monde (…) Comment ne pas nous laisser gagner par une anxiété croissante et paralysante ? »
François Euvé, Jésuite, éditoraliste, Ouest-France, 31 janvier 2024.

« Comme dans un cauchemar, nous avons les yeux grands ouverts et nous voyons arriver la catastrophe sans pouvoir réagir (…) C’est tragique, mais c’est ainsi. »
Bertrand Méheust, La catastrophe les yeux ouverts.

La galère « civilisation » est prise dans une tempête qui semble bien devoir la faire couler dans un horrible gouffre.
Pessimiste considère cette apocalypse comme plus que probable. Il ne cesse d’énumérer les nombreuses raisons de désespérer comme autant de preuves que la galère va sombrer. Et il s’énerve contre l’indécrotable Optimiste dont il raille la ridicule naïveté et l’obstination à gâcher ce qu’il considère comme de la lucidité. Pour lui, il est bien évident qu’il est inutile de ramer pour tenter d’échapper à ce destin, déplorable mais inévitable.

Au contraire, Optimiste soutient que la menace d’apocalypse doit être considérée comme une chance car elle suscite une prise de conscience engendrant une résistance capable de renverser la situation. Cela pourrait non seulement éviter la chute dans le gouffre mais aussi transformer la galère en moderne « Santa Maria » fendant les flots vers un nouveau monde. Optimiste reproche donc à Pessimiste de désarmer cette possibilité en affirmant que tout est foutu d’avance et qu’il est vain d’essayer de maintenir le navire à flot. Il lui oppose à son tour des preuves que la résistance progresse et que rien n’est joué ; que le pari d’une mer apaisée et d’un échouage sur une île paradisiaque n’est pas qu’une utopie. Ce pronostic positif lui épargne de faire l’effort de trop ramer pour changer de cap puisque, de toutes façons, le courant va se retourner dans le bon sens. On peut donc encore se promener nonchalament sur le pont plutôt que s’user les muscles à un effort superflu.

L’un comme l’autre s’étonnent donc de voir un galérien resté seul sur le banc de chiourme s’obstiner à ramer à contre courant. Mais, leur répond-t’il, que voulez-vous que je fasse ? Que je me laisse mener sans réagir vers une extermination dans la douleur ? Qu’ayant perdu tout espoir je prête la main par ma passivité à ce qui veut me détruire ? Ce serait idiot. Tant que j’ai des muscles et un soupçon d’énergie je veux essayer d’éviter le naufrage du rafiot sur lequel le hasard m’a posé. Je n’ai pas besoin, pour agir ainsi, de me droguer de certitudes rassurantes, pas plus que je ne me laisserai dissuader par des certitudes désolantes. Cet effort est un réflexe vital. C’est ma rage de vivre qui me guide. Tout mon être refuse de faire à mon agresseur le cadeau de mon suicide. Il est d’ailleurs fort probable que je ne sois pas le seul à réagir ainsi. Il y a de fortes chances que d’autres agissent pareil, et que nos forces jointes, aussi maigres soient elles au départ, permettent à nos efforts d’être récompensés. Peut être que, partis à quelques uns, chacun dans sa barcasse, nous nous verrons bientôt Armada cinglant vaillamment vers le port. Mais, n’ayant pas la capacité de prédire ce que feront les autres galériens, je n’ai pas à « calculer » mon action sur des hypothèses. Je préfère donc ramer sans attendre plutôt que rester les bras ballants à décortiquer des supputations tandis que l’ouragan avance.

Je n’ai que faire de vos prophéties pessimistes ou optimistes. Je vous laisse à vos pronostics contradictoires et à vos affrontements d’humeurs. Je n’ai pas de temps et d’énergie à y perdre. Les chemins se font en marchant et les flots s’affrontent en ramant. Demain sera ce que nous aurons su rendre possible par nos actes d’aujourd’hui. Appelez moi Colibri si ça vous amuse. Moquez mes prétentions Don Quichotesques. J’ai assez d’expérience pour savoir que le pire n’est jamais sûr, et que la résignation est la meilleure pourvoyeuse de défaites. Seuls ceux qui entrent dans les batailles ont une chance de les gagner. Seul celui qui rame a une chance de ne pas se noyer. Ce n’est peut être qu’une toute petite chance. Et alors ? Mieux vaut la tenter que se laisser anéantir. Plutôt que patauger dans le cloaque autant s’aventurer à marcher sur les eaux.

Gédicus
1 mars 2024

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