Manif, émeute, émoi

Bernard Chevalier

paru dans lundimatin#413, le 30 janvier 2024

Retour sur quelques moments chauds de la rue parisienne lors des mobilisations contre le projet de réforme des retraites. S’il y a mille et une façons de manifester en voici une ni franchement militante ni carrément guerrière mais vénère c’est sûr. Celle d’un parisien plus tout jeune qui cherche sa ligne entre le dehors et le dedans, le nous et le je. Extraits de son journal de l’année.

7/3

La silhouette en noir
caracolant sur les toits
s’immobilise lève le poing
et salue la foule
qui défile contre le projet
de raccourcir les vies
Fantômas acclamé
il reprend sa course
bondissante vertigineuse
de cheminée en cheminée
un défi aux lois de la pesanteur
du haut et du bas
du lourd et du léger
de la terre et du ciel
une invitation
à suivre

16/3

Nous s’qu’on veut
C’est la grève générale
Le type juché sur le camion
répète en chantant sur tous les tons
le mot d’ordre
repris par les jeunes des lycées et des facs
qui forment l’essentiel du cortège
parti de la place de la Sorbonne
Sur les murs et les pancartes
Tu nous mets le 49.3 on te mai 68
fait recette et se chante aussi
Je marche à côté du cortège
ou dedans mais toujours à l’avant
En d’autres temps bien lointains
ça se passait plutôt à l’arrière
on progresse
Les flics bloquent le pont de la Concorde
qui mène au parlement
Des manifestants s’en vont
d’autres arrivent du fond de la place
J’attends un bon moment
et ne voyant rien venir je décroche
Chez moi je découvre sur les réseaux
les affrontements avec la police
J’hésite à ressortir
finalement je reste
scotché aux images nocturnes
qui défilent en boucle sur les chaînes
Je repense à la douceur
du soleil printanier de l’après-midi
à la joie des manifestant.e .s
de se retrouver ensemble
qui les débordait
et les faisait défiler
au pas de course
Quelque chose se passe
il était temps
et je m’assoupis devant la télévision
alors que Place de la Concorde
éclate l’émeute

18/3

Je ne rejoins la manif
qu’à la nuit tombée
à la sortie du métro Tolbiac
Le cortège file devant
pourchassé par les flics
dressant des barricades
et incendiant des poubelles
pour les retarder
Des jeunes surtout
Tendu.e.s rapides mobiles
Je rattrape la cavalcade
j’échange des impressions
j’attrape au vol des infos
sur le quartier que je ne connais pas
sur les points de regroupement
Après une charge surprise
je me retrouve avec deux jeunes
planqué dans un renfoncement
de porte d’immeuble
tout va bien monsieur ?
me demande l’un d’eux

20/3

Après le rejet de la motion de censure
c’est de nouveau l’émeute à Paris
comme partout ailleurs
Cette fois j’ai pris mon vélo
pour la suivre au plus près
mais j’arrive toujours après
au cul des flics ou des pompiers
c’est frustrant
Des petites bandes dispersées
très mobiles et rapides
parcourent les rues
s’agrègent tout à coup
en cortèges bruyants
aux cris de ACAB ACAB
puis se volatilisent aussi vite
quand les flics arrivent en nombre
Je vois ça en live sur mon portable
mais c’est du réel que je veux
Dès que je croise des piétons
à l’air de factieux en maraude
je leur pose la même question
ça se passe où
mais personne ne sait
Tout est dispersé éclaté
et ça se passe là où ça peut
Je suis l’émeute de loin
tenant d’une main le guidon
de l’autre le portable
et je m’épuise à pédaler
pour rejoindre un big cortège mythique
alors qu’il n’y a que des micro manifs
volatiles
mobiles
insaisissables
Rentré chez moi j’allume la télé
où sur fond d’images de poubelles en feu
j’entends un idiotocrate asséner
Oui la cinquième république c’est un bijou sacré
Ca sent l’affolement
spectacle jouissif
M’en tire un grondement sourd et menaçant
qui me force à ouvrir la fenêtre
C’est la BRAV que de nom
qui fonce en vrombissant comme
un essaim de mouches noires
Place de la République à deux pas
pour taper les manifestant.e.s
qui tentent de se regrouper
L’émeute n’est pas finie
mais il est tard et je vais me coucher
Le jour c’est pour les vieux
la nuit c’est pour les jeunes
merde

23/3

Énorme manifestation
de la Bastille à Opéra
qui tourne à l’émeute
Je suis à l’avant
du cortège de tête
derrière les jeunes en noir
avec Anne-Elise ma camarade de manif
et ses amis Jules et Thibaud
Les flics en surnombre
chargent brutalement
pour nous couper
du cortège syndical
Même pas peur
Porté par la foule
je danse léger
entre deux charges
entre deux gazages
Dans le no man’s land
entre nous et les flics
jonché de barrières de chantiers
et de poubelles en feu
j’aperçois Jules
une canette à la main
qui paraît donner des instructions
à des black blocs
pour la construction d’une barricade
trop drôle
Je photographie à tout va
n’importe comment
tout ce qui bouge
ou s’écrit sur les murs
comme ces paroles d’Edith Piaf
Emportés par la foule qui nous traîne
nous entraîne, écrasés l’un contre l’autre
nous ne formons qu’un seul corps
Bouclage policier impressionnant
Place de l’Opera
D’une fenêtre de l’immeuble de la BNP Paribas
un homme en cravate chemise blanche
immobile nous observe les bras croisés
puis disparaît sous les sifflets et les huées
Anne-Elise m’abandonne pour rejoindre
des ami.e.s dans un café
Je refais seul à l’envers le parcours
de la manif pour rentrer chez moi
Les flics débordés sont embusqués
dans les rues adjacentes
et laissent les manifestants se replier
Sur les grands boulevards flottent
les odeurs mêlés de cramé
et du gaz lacrymogène
C’est le chaos après la bataille
poubelles éventrées ou en flammes
Decaux pulvérisés matériels de chantier
dispersés et partout des graffitis
en noir noirs et rouges
Internet ou la rue
Mort au roi
Tout cramer
On reviendra
Aucune voiture ne circule
La rumeur de la ville a changé
et sur le boulevard repris par la rue
résonnent des voix des rires
et de temps en temps des slogans
On circule librement
encore un peu sonné.e.s tout de même
on se raconte les hauts faits de la manif
c’est sûr on reviendra

25/3

Dans nos assiettes ce soir
un gratin de ratatouille
A la télé des images
de la manifestation à Sainte-Soline
contre les mégabassines
brutalement réprimée par les flics
Dans la verte campagne
ce n’est pas le brouillard
mais un tapis de gaz lacry
les manifestants s’y meuvent
comme ils peuvent
parfois offensifs
le plus souvent défensifs
Pleuvent les flash-balls
et les grenades de désencerclement
qui trouent les chairs
Les images font penser
aux peintures de batailles du quattrocento
ou les gueux habillés en fantassins combattent
contre des cavaliers lourdement équipés
au milieu des lapins et des biches qui détalent
Deux camions et une voiture
sont en flamme
La télé nous les montre en boucle
sans un mot pour les deux cent blessés
côté manifestants
Tout cela paraît loin vu de Paris
Mais non
J’aurais pu y être
J’aurais dû y être
Je voulais y être
Mais j’étais tout seul
et l’audace m’a manqué
C’est aussi bien me dit-elle
J’aurais eu bien peur pour toi
Et nous avons regardé notre série

3/28

Après la manif
on s’est retrouvé.e.s
au Lelek Café
à deux pas de Nation
Nathan nous attendait
avec des ami.e.s
Clara nous a rejoint
On a mis trois tables bout à bout
Le cercle était mouvant
On se levait pour aller fumer
pour commander des bières
pour aller pisser
J’ai discuté avec Pierre-Albert
de son film documentaire
avec Agathe de la police
d’amour et d’enfant
avec Simmon de la raison
et de l’affect en politique
avec Audrey du prénom
de son fils de cinq ans
et de son travail d’archiviste
avec Natacha la seule à boire du vin
de son statut d’immigré biélorusse
C’était rapide fluide drôle piquant
De temps en temps
quand passaient les cars de flic
on leur faisait des doigts d’honneur
et on criait en chœur ACAB ACAB
Je suis rentré à pied
par les rues de la folie Regnault
du Chemin vert et d’Oberkampf
Les cafés brillaient dans la nuit
comme des lampions aux couleurs flashy
et les gens devant se parlaient un verre à la main
La manif et ses violences étaient passées
ne restaient que quelques éclats de voix
et les lumières bleues des voitures de la police
tapies sournoisement au coin des rues
J‘ai marché d’un pas rapide
l’œil aux aguets mais l’âme tranquille

6/4

Des Invalides à Place d’Italie
j’ai retrouvé Anne-Elise
avec Guillaune et Luc
nous perdant entre deux gazages
entre deux charges de brutasses
nous retrouvant les yeux rouges
excité.e.s de l’avoir échappé belle
Deux banques ont été explosées
Pas de pitié pour les voleurs
et joie La Coupole où Macron
avait fêté sa victoire en 2017
a failli cramer comme l’avait été
sur les Champs Le Fouquet’s de Sarko
C’est la mémoire de la rue
qui se venge comme elle peut
des avanies du pouvoir qu’elle
subit depuis trop longtemps
Nous avons retrouvé Clara
dans un café aux Arts et Métiers
Un de ses amis nous a raconté
sa garde à vue de 72 heures
pour avoir un soir de beuverie
écrit ACAB sur un panneau
On en est là
Luc et moi on a poursuivi notre discussion
dans un chinois puis à la maison
en buvant des verres de martini
l’œil sur la télé pour les images
de la fin de manifestation
On a parlé de la politique dans nos vies
comment elle brise les amitiés anciennes
comment elle en créée de nouvelles
et l’heure passant de révolution

13/4

Opéra-Bastille cette fois-ci
Pour cette énième manif
je ne les compte plus
Je m’y rends à pied
sous la pluie et le ciel gris
Place de l’Opéra soudain
le soleil revient
et claquent les couleurs
des syndicats et les clameurs
Je remonte le cortège
bientôt rejoint par Anne-Elise
et ses ami.e.s du pink bloc
Deux trois vitres brisées
suffisent à faire sortir
les flics du bois
Nous sommes chargés
gazés coursés frappés
mais l’immense cortège de tête
où les black blocs cheminent avec
des retraité.e.s des étudiant.e.s
des syndiqué.e.s et autres divers.e.s et varié.e.s
toustes reprenant en cœur
des slogans antiflics
ne se laisse pas faire et repousse
comme il peut les brutes carapaçonnées
Le caillassage va bon train
Un pigeon traverse le ciel
et retombe en pavé
ou c’est l’inverse
On avance on recule
tant bien que mal
C’est tendu nerveux
On sent les gens vénères et déters
Place de la Bastille la banque de france
à peine attaquée
quelle victoire cela aurait été
est aussitôt protégée par une myriade
de keufs et de Brav mêlés
La Place est noire de monde
Le face à face est extrême
Au pied de la colonne ce graffiti
en rouge la commune ou le désert
m’électrise
Circule le mot d’ordre
On occupe la Place
Un sexagénaire qui injurie les flics
comme pas possible
clame On n’en sortira
que par la force des baïonnettes
nom de dieu
mais basta les flics finissent
par nous disperser
Je sens que la tension ne remontera pas
quelques escarmouches encore
mais plus ce sentiment de puissance
collective
le débordement est retombé
Je rentre à pied par le boulevard du Temple
hésitant à m’arrêter pour boire une bière
en terrasse comme après chaque manif
mais je suis de nouveau seul
et j’ai le dîner à assurer
Sur le chemin je croise un grand type
habillé de couleurs vives
qui me demande ce qui se passe à la Bastille
Je lui explique le prenant pour un touriste
mais pas du tout c’est un curieux
qui veut voir ce qui se passe
et peut-être en être
Je lui dis qu’il faudrait attendre
avant un départ possible en sauvage
Le type chaleureux est très partant
et m’invite tout à trac
à y aller ensemble
Je décline expliquant minablement
que je suis attendu
Je fais une halte à la librairie L’Acacias
où je feuillette un petit livre de Georges Steiner
au titre plutôt désolant
Dix raisons (possibles) à la tristesse de pensée
Ensuite c’est les courses au biocoop
Je repense au grand type du boulevard
et me dis que j’ai vraiment été con
de n’être pas reparti à l’aventure
avec peut-être
un nouveau camarade

14/4

Le conseil constitutionnel a tranché
C’est ok pour faire travailler
deux ans de plus
les plus cassé.e.s
les plus pauvres
Enfoiré.e.s
J’apprends la nouvelle au
Fluctuat nec mergitur
le café de la Place de la République
où je retrouve Patrice
un universitaire écolo
qui m’explique que la police
devrait être désarmée et mieux formée
Ha ha ha je laisse tomber
et lui propose d’aller voir
Place de l’Hôtel de ville
ce qui s’y passe
Nous arrivons juste à temps
pour rejoindre le rassemblement
qui s’évade direction La Bastille
Très vite nous quittons la rue de Rivoli
pour nous enfoncer dans le Marais
Patrick qui n’a pas l’habitude de manifester
et moins encore hors des clous
a un peu la trouille
de ces rues étroites
où les flics pourraient facilement
nous choper et nous gazer
Je le rassure à ma façon
en rigolant sur les robocops
qui rament à nous trouver
et sur nos appels à l’insurrection
aux cris de Paris soulève toi
La manif est bientôt
nassée
tronçonnée
dispersée
et nous oeuvrons en mode moléculaire
à sa difficile reconstitution
Je lui dis à un moment
Regarde
c’est nous la manif
Retourne toi tout le monde nous suit
Et c’est vrai
Pas grand monde pourtant
derrière nous
mais c’est l’idée
marrante
Je le photographie devant
le musée de La chasse et de la nature
où sur le mur est écrit en rouge
Sauve un cycliste
Tue un chasseur
Nous dérivons vers République
où rien ne se passe
puisque tout se passe à la Bastille
Nos portables nous l’apprennent
mais trop tard
Je lui propose de manger un bout
mais il préfère rentrer
Un boulot l’appelle
En me quittant il me dit
Demain ou après-demain
appelle-moi si ça bouge
Bien sûr que ça va bouger
Bien sûr que je l’appellerai
A demain

15/4

Au réveil j’apprends par la radio
que Macron a promulgué sa loi
de nuit
comme un voleur
Une pure provocation
Un pur mépris
Une pure violence
Pire un crachat
Le type est parti en roue libre
protégé par ses flics
Partout des manifs sauvages
ont enflammé la nuit
en brulant des poubelles
Rattrapés les audacieux en colère
ont été gazés matraqués
Les vidéos sur les réseaux
en témoignent
Journalistes ministres et député.e.s
avec leur âme de versaillais
font du vent avec leur bouche
quand ils défendent leur ordre
aussi établi que pourri
Le discrédit est massif
mais d’où viendra le coup de balai
À Rennes aujourd’hui les manifestant.e.s
se sont affronté.e.s aux flics durement
La veille iels avaient brulé un commissariat
Mon cœur de breton est avec eux
A Paris place des fêtes
les gens se rassemblent
et partent en manif
Je n’en suis pas
Ce soir je reste chez moi
et suis sur les réseaux
ce qui se passe
Vers minuit
il n’y a plus qu’un seul live
celui d’un micro media
indépendant et inconnu
Les images sont prises d’un bus
dans lequel le reporter amateur
est monté avec sa trottinette
pour tenter de retrouver les manifestant.e.s
A ses followers
cent huit exactement
il annonce
Je vais essayer
Bastille République
Et puis Châtelet
et s’il n’y a rien
j’irai voir Gare de Lyon
je finirai bien par les retrouver
La voix du gars est jeune
l’accent maghrébin
Il semble parler à lui-même
et s’encourager
son obstination
sa fatigue
sa solitude
me touchent
Je lui envoie un petit mot
avec un cœur
avant d’éteindre mon ordinateur
Et d’aller me coucher

17/4

A dix-neuf heures cinquante
j’enfourne mon gratin de légumes
mais dix minutes plus tard
au moment où Macron
commence à parler
je file à la mairie du dixième
quand j’apprends que se tient là
le principal point de rassemblement
Je rejoins éberlué la foule de manifestants
tapant dans des casseroles
au cri de Macron démission
puis démarrant une manif sauvage
incendiant les poubelles
dans la rue du château d’eau
où j’habite
Arrivé à hauteur de mon immeuble
je salue comme au cirque un gladiateur
mes proches et mes voisin.e.s
qui de leur balcon contemplent
la rue en feu et me font signe
Mes poubelles ne sont pas épargnées
mais je laisse faire sans état d’âme
prêt même à me battre pour les laisser brûler
Ha ha ha
Je m’attarde
fais des photos
hésite à suivre la manif
y renonce par manque de courage
et aussi parce que je suis seul
et plus tout jeune
A vingt et une heure dix
je suis devant mon gratin et ma télé
comme un con
à suivre du dedans
ce qui se passe dehors
sans moi

23/4

Je cours à l’avant
du cortège de tête
mais pas assez vite
tout le monde me dépasse
et je me retrouve à l’arrière
J’entends les flics taper sur leurs boucliers
les gaz lacrymogènes exploser
Je titube n’y vois plus rien
Cassé en deux je m’écroule
contre un mur
Mes poumons brûlent
mes yeux piquent
ma tête résonne
des bruits d’explosion
Je crois m’évanouir
Quand je me relève
la rue est déserte
jonchée de poubelles incendiées
de matériaux de chantier dispersés
d’opercules de grenades
Le silence est complet
La nuit est tombée
Je ne sais où rejoindre les manifestant.e.s
Je ne sais plus où je suis
peut-être dans un cercle du
purgatoire de Dante
Tout le monde est parti
Sans moi
Sans m’attendre
Et je reste là à errer
dans une ville ruinée et abandonnée
seul et perdu
La radio me tire de ce mauvais rêve
J’entends un type dire
que l’on passe nos vies
sans savoir que l’on est mort
J’éteins et je sors

6/6

Dernière manif avant l’été
la quatorzième depuis janvier
plus d’un un mois après la dernière
c’est long
Dans l’attente ouverte
par les chef(taines) à plume
des confédérations syndicales
qui pleurent de n’être ni reçues
ni entendues par le suprême chef à plume
et qui misent tout sur le parlement
heureusement les casserolades
partout où les enfoiré.e.s se pointent
même hors de France
Les flics de Darmanin ont beau faire
le roi est nu
Je retrouve Anna-Elise
puis Jules et Audrey
puis Thibaud et Antoine
Il fait très chaud
On se dit soit les gens
sont vénères qu’on se foute
autant de leur gueule
et ça va péter
parce que quitte à perdre
autant finir en beauté
en semant un méga zbeul
en faisant cavaler les flics
suant sous leurs carapaces
de robocops malfaisants
soit ça va défiler chiant pépère
traine-savate encordage
ballons et pouët-pouët CFTC
La première option n’est pas la plus sûre
mais l’un n’empêche pas l’autre
L’expérience et la dialectique l’attestent
de l’inertie nait le mouvement
Qu’importe on est content d’être là
On remonte la manif
pour être là où ça peut bouger
devant la grande banderole
sauvage de Black Lines
où un tigre rugit
Tout ce qui ne nous tue pas
nous rend plus fort
ou juste derrière
ou encore carrément devant
dans cet espace flottant
où l’on se repose
et où l’on voit venir
C’est selon le moment
l’humeur pas de règle
On est déter.e.s mais pas organisé.e.s
pas non plus en k-way noir
A hauteur de La Rotonde
on se dit que cette fois-ci
ça va être sa fête
mais rien presque rien
quelques caillasses et
ca charge aussi sec
On se recule un peu
On les regarde passer gesticuler
comme des bêtes curieuses
même plus peur
Les keufs sont pourtant bien là
avec leur camion à eau
garé à côté du limonadier
de Jupiter
Et de l’eau on en demande
Fait tellement chaud
On les supplie
Allez les gars arrosez-nous
Soyez pas vaches
Mais queue dalle
sinon leur tronche
et leur regard mauvais
de flic facho robotisé
Alors qu’on se traine
depuis deux trois heures
on achète des bières
à Port Royal
C’est là que ça commence à bouger
Quand les flics chargent
on les siffle
on les conspue
on se fout de leur gueule
quand ils nous nassent
pareil
et ça fait du bien
On balance des ACAB
sur tous les tons
On corrige fils de pute
en fils de flics
On tente sans succès
ce n’est qu’un combat
continuons le début
Les cannettes vides
trop légères pour être balancées
on les garde à la main
on ne sait jamais
Il fait chaud
On est chaud
et chaud bouillant
quand on fait cercle
autour du grand feu de velibs
que vient nourrir une roulotte
de chantier poussée
dans des clameurs de joie
Au carrefour des gobelins 
les flics sont si nombreux
que l’on se demande qui manifeste
Je laisse les autres à la terrasse d’un café
et poursuis jusqu’à Place d’Italie
Plus on s’en rapproche
plus les flics font des attaques ciblées
dans le cortège
Un interpellé qui résiste
en s’accrochant à un poteau
est délivré par des manifestants
qui repoussent les flics dans un assaut
aussi bref que violent et jubilatoire
Sur la place j’avale un sandwich merguez
caoutchouteux avant de retrouver
Anne-Elise et Thibaud
Comme lors du dernier Invalides Place d’Italie
nous nous installons à la terrasse
de Chez Mamane le couscous
rue des cinq diamants
où nous commandons bière sur bière
Avec l’arrivée de Jules d’Audrey
d’ Antoine et de Valentine
une Suisse de passage à Paris
c’est l’after qui commence
Il est encore assez tôt
pour parler politique
Voter ou s’abstenir que choisir
Sainte-Soline le soulagement
ou le regret de n’y être pas allé
les festivals militants de l’été
et de nos vies à cheval entre l’alimentaire
et l’engagement mais à quoi et comment
ne pas se prendre les pieds
l’un dehors
l’autre dedans
difficile
Plus tard à la table d’un thaî
nous lâchons la bière pour du blanc
en racontant nos histoires
d’amour de séparation de coming out
qui s’embranchent les unes aux autres
dans une polyphonie parfaite
Plus tard encore dans le square Brassai
havre de verdure où la ville n’existe plus
dans le silence de la nuit
Jules en souvenir d’Astrud Gilberto
qui vient de mourir
lance sur son portable
The girl of Ipanema
que lui faisait écouter sa mère
Avant de nous séparer
à l’initiative de Valentine
nous nous tenons par les épaules
pour une étreinte collective
qui me prend par surprise
Un cercle point d’orgue
d’heures passées ensemble
amicales joyeuses inventives
un cercle ouvert à tant d’autres
que nous ne connaissons pas
La vie elle est à qui
A nous à nous à nous

Bernard Chevalier


Vous détestez le lundi matin mais vous adorez lundimatin ? Vous nous lisez chaque semaine ou de temps en temps mais vous trouvez que sans nous, la vie serait un long dimanche ? Soutenez-nous en participant à notre campagne de dons par ici.

lundimatin c'est tous les lundi matin, et si vous le voulez,
Vous avez aimé? Ces articles pourraient vous plaire :