Ce 25 mars 2023 nous étions des mille et des mille. Là, les pieds dans les champs, nous sommes des « ravagés », des « pue la pisse », des « résidus de capotes ». Mais déterminés, pacifistes dans l’âme pour la très très grande majorité d’entre nous. Nous ne sommes pas belliqueux. La violence ne coule pas dans nos corps.
Face à nous, encore à quelques centaines de mètres, un trou démesuré et inutile fait face au ciel. Il est là comme une bavure sur une toile. Déjà les premières grenades fumigènes. Déjà l’un, l’une d’entre nous est littéralement fauché(e) par un de ces projectiles porteur d’une possible létalité. Le ton est donné par les FDO. Déjà le « t’en crève deux trois » accompagne l’objet volant identifié. Déjà nous comprenons que chacun, chacune, doit veiller sur son binôme, sur son groupe. Nous sommes des quatre coins de la France et même d’ailleurs. De simples citoyen(e)s soucieux et conscients des lendemains possibles si nous restons immobiles et insouciants sur la Terre qui se désole.
La fumée des lacrymos ne tue pas le Care. L’attention à l’autre. Nous ne savons pas et n’imaginons pas qu’en face c’est la haine qui appuie sur la gâchette des armes létales. Nous n’imaginons pas les « tu en crèves deux ou trois... ».
La haine n’est pas notre énergie. Elle ne nous porte pas. Nous sommes là pour l’eau. Pour ce commun vital. La haine ne nourrit pas nos muscles. Même pour les FDO qui se lâchent, éructe « des merdes comme ça, il faut les brûler » la haine ne se faufile pas dans nos pensées. Nous ne savons pas que le danger est face à nous. Nous ne savons pas que dans ce temps enveloppé de fumée, de détonations, de « médic, médic, médic » qu’il est possible qu’à cet instant l’un, l’une d’entre nous meurt.
« Tendu, tendu, tendu ! » constitue la gamme des FDO. Des gradés jouent cette mauvaise partition de la « violence légitime ».
Au fil des minutes qui s’écoulent comme les larmes lacrymées sur nos visages, des corps se plient, touchent le sol et crient la douleur. Ici du sang s’écoule d’un crâne, là un pied est éclaté comme un fruit trop mûre, plus loin un visage éclate, le maxillaire inférieur pendant...Pourtant même à ces instants, même si nous avons compris que le mot d’ordre des FDO est l’arrêt de nos élans via 5000 grenades, nous n’entendons pas les sommations, le « ça m’a traversé l’esprit de sortir mon pétard ».
C’est un temps dystopique. Une sale découverte réelle et non littéraire. Un temps de destruction autorisée et légitimée par l’État de « droit ». La violence n’est pas de notre côté. Nous ne la voulons pas et nous n’en n’avons pas les moyens. Même les quelques dizaines de manifestants de noir vêtus sont des petits « soldats de plombs » portés par l’illusion fausse que l’affrontement physique peut faire basculer le rapport de force. Iels se trompent.
Nous sommes peu de chose face à cette haine armée, caparaçonnée, robocopée. Nous n’avons pas saisi à ces instants que face à nous la testostérone est gonflée et légitimée par le Pouvoir. Pour les FDO le mandat est clair. Faire couler dans les veines policières la violence. Allez y, vous pouvez. Balancez les lacrymos, les GM2L, les désencerclantes … Vous êtes l’ETAT.
Ce jour là la dystopie c’est installée. Ce jour là, un représentant de l’État, un représentant de l’Ordre Républicain, un homme, a dit « Faut qu’on les TUE ».
C est 2 ans et demi plus tard que nous apprenons les mots, les injures, les menaces verbales qui ont été tenue par des membres des FDO. Que nous comprenons que cela a eu lieu face à nous, que cela a été encouragé par des gradés. Dans l’impunité totale.
Nous ne savions pas que ce 23 mars de nuages lacrymos porté ces mots, ces syllabes, ces phrases constituées sciemment pour faire mal.
Les découvrir, les entendre, rouvre la plaie, réveille la cicatrice. Mais éclaire après coup. Après plusieurs écoute je me dis « Nous en étions là », puis « Nous en sommes là ». La dystopie est devenue réalité. Une réalité où se profile la possibilité d’un État totalitaire et policier.
L’ombre de l’Extrême droite au pouvoir en 2027 plane.
Alors ces hommes lobotomisés, armés, dénués d’altérité, d’humanité, de conscience, totalement désinhibés dans leurs élans de violence pourront passer des mots à l’acte « Faut qu’on les TUE ».
Est-ce cela que nous voulons ? Un monde surchauffé, sec, où la conscience de l’autre a disparu, où le temps est borné par une liberté de manifester disparue ? Demain si nous n’y prenons pas garde ces représentants de l’Ordre, sensés garantir également notre protection, seront des milices au service de l’extrême droite.
Meadows






