La pirouette donc, consiste à montrer une photo de Ladj Ly, le réalisateur qui a fait Les Misérables, prise par JR, le photographe qui a fait... euh... des anamorphoses sur la Pyramide du Louvre. C’est un cliché en noir et blanc. On est au pied des tours à Montfermeil. Il y a des enfants un peu flous qui font des gestes festifs ou menaçants, c’est à voir, et Ladj Ly au premier plan a un regard dur dirigé vers l’objectif, et ce regard est redoublé par la caméra qu’il tient dans les mains pointée elle aussi vers l’objectif, et donc à tous les coups les gens - les ados - qui contemplent cette photo ils croient, pendant un temps vraiment long, que c’est une arme qu’il tient dans ses mains, et quand la prof contente de sa pirouette qui fonctionne à tous les coups leur dit : « Mmh pas exactement non, continuez à décrire l’image, vous n’y êtes pas... », on peut être sûr qu’il y aura débat sur est-ce que cette chose dans ses mains s’appelle un fusil, un bazooka, un ak-47, une kalash – t’es con ou quoi c’est la même chose - un lance-roquette madame ! c’est un lance-roquette ! Et puis, bien heureusement, au bout d’un moment, un élève dira : « Ah mais non, attendez, c’est une caméra en fait. », et on se rendra compte que les clichés ont la vie dure et, souvent, la peau foncée.
- Ladj Ly, caméra braquée | CNC
L’an dernier, j’étais face à une classe de 5e, il n’était question ni de Ladj Ly ni de Montfermeil. Le chapitre s’intitulait « Pourquoi aller vers l’Inconnu ? ». Il ne me paraissait pas impossible qu’à force d’exercer leurs doux yeux de douze ans, encore curieux et déjà critiques, sur quelques récits de voyage coloniaux, ils y décèleraient l’idée que, souvent, les vainqueurs se chargent de raconter l’histoire.
Ce jour-là nous progressons dans notre ascension avec une séance sur la véritable histoire de Pocahontas – qui n’est pas, vous vous en doutez, exactement la même que celle que nous a vendue le dessin-animé. [1]
Je commence par montrer l’affiche du Disney dont il s’agira ensuite de déconstruire la représentation édulcorée. Les élèves font tous les commentaires utiles sur la tenue coachella de la princesse amérindienne et la bonhommie des colons en arrière-plan. Parmi eux, on aperçoit John Smith. Il ressemble comme deux gouttes d’eau au Phoebus du Bossu de Notre-Dame, un autre imposteur de dessin-animé que les atours de prince charmant (i.e. carré blond mi-long) font passer pour un chic type, une target légitime, un crush potentiel. [2]
John Smith donc, en armure, crinière de surfeur, regard inspiré vers le ciel bleu d’Amérique. Ses mains reposent sur une carabine plantée dans le sable.
Je demande alors : « Vu tous ces éléments, à votre avis, que va-t-il se passer dans le film ? » Et voilà que le petit Franck Junior déclare : « Bah elle va tomber amoureuse du blond qui joue de la guitare ».
Lucile B.
