La logique de guerre du Hamas

Ivan Segré

Ivan Segré - paru dans lundimatin#398, le 9 octobre 2023

Le samedi 7 octobre à l’aube le Hamas lance la plus importante attaque armée jamais entreprise sur le territoire israélien depuis le jour de Kippour de l’année 1973.
Les sempiternelles prises de position des uns, condamnant l’attaque du Hamas et réaffirmant le droit d’Israël à se défendre, et des autres, condamnant la colonisation israélienne et réaffirmant le droit des Palestiniens à se défendre, se font déjà entendre.
Mieux vaut donc couper le son. Et ouvrir les yeux.

Depuis des mois, en Israël, la société civile se dresse contre le gouvernement le plus à droite de l’histoire du pays. Au départ centrée sur la réforme de la justice souhaitée par ce gouvernement, la contestation commençait à s’étendre, depuis plusieurs semaines, à la question palestinienne. Et des haut-gradés de l’armée, et des milliers de réservistes, se joignaient au mouvement, en des termes inimaginables il y a seulement quelques mois. Une possible révolution était en cours.

Or ni l’Iran des Ayatollahs, ni le Hamas, ni le Hezbollah, ni la Syrie d’Assad, etc., ne veulent de révolution, du moins au sens où nous l’entendons. Ce qu’ils veulent, c’est que le conflit entre le monde arabo-musulman et Israël occupent toutes les forces et tous les esprits dans cette région du monde, pour qu’il n’y ait pas de révolution au sens où nous l’entendons, pour qu’il n’y ait que la contre-révolution.

C’est le sens de l’attaque du Hamas à l’aube de la fête de Sim’hat Torah (la joie de la Torah) tombée un jour de Shabbat, ce samedi 7 octobre 2023.

Car ils choisissent toujours une date éminemment symbolique, que les assaillants soient des nationalistes de la contre-révolution, comme le jour de Kippour 1973, ou des islamistes de cette même contre-révolution, comme le jour de Sim’hat Torah 2023, cinquante ans et un jour plus tard.

Rien n’est laissé au hasard. Tout fait signe. Le « Déluge d’Al-Aqsa » s’abat sur l’Etat juif le jour de Sim’hat Torah. Cela se veut une guerre de l’islam contre la présence juive en Palestine, sinon contre le judaïsme en tant que tel.

Netanyahou va donc pouvoir pointer du doigt le Hamas et dire aux contestataires : « Votre ennemi, c’est lui, pas moi ».

Et il aura raison.

Car ce n’est pas contre la politique du gouvernement le plus à droite de l’histoire de l’Etat d’Israël qu’a été lancée l’attaque du Hamas. C’est contre la société civile qui en contestait la légitimité d’une manière inédite depuis janvier 2023.

Et nous étions plusieurs à le pressentir : une attaque du Hamas, voilà qui mettrait aussitôt fin à la possible révolution…

L’enjeu de cette attaque du Hamas, à court, moyen et long terme, c’est en effet de faire taire la contestation, de la rendre littéralement hors-sujet, à l’intérieur d’Israël comme à l’intérieur de la Palestine, pour que seules les armes aient la parole, quand la parole commençait, en Israël, à prendre le dessus sur les armes.

Le parti Baas en Syrie, le Hezbollah au Liban, le Hamas en Palestine, les Ayatollah en Iran, etc. : ils aspirent au même monde ; ils pratiquent la même politique.

S’imaginer que résister à la dévastation capitaliste du monde exige aujourd’hui, au nom de la « contradiction principale », d’embrasser ponctuellement la cause de ces obscurantismes tyranniques, c’est donc soit se représenter la révolution en des termes fondamentalement nihilistes, soit s’être trouvé un moyen de haïr le nom d’Israël, soit les deux à la fois, indissociablement.

Ivan Segré est philosophe et talmudiste
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