La Flèche, 2021

Image et politique 3
Jérôme avraham Benarroch

paru dans lundimatin#286, le 4 mai 2021

Jérôme Avraham Benarroch est philosophe et photographe. Il a notamment publié Deux, un, l’amour aux éditions NOUS. Ce troisième volet de Image et politique [1] nous amène dans les rue de La Flèche, ville anonyme de la Sarthe où il tente de « tirer une signification émancipatrice de ces lieux peu signifiants ».

L’inexistence faut il croire que depuis ce lieu insane où se retire ce qu’il avait de sa raison propre (et peut-être que par raison il faudrait entendre cet excès même de l’être sur soi), ce qu’il y a ne disparaît pourtant pas en totalité il apparaît découpé, taillé, telle une brisure béante et vive qui ne souffre pas une fragmentation inintelligible et première



pour les photographes il n’y a pas en fin de compte de différence pas de supériorité esthétique entre l’effort d’embellir le monde et l’effort inverse de lui enlever son voile l’effort d’intellectualité et l’effort inverse de la folie brute l’effort d’abstraction et le renoncement documentaire l’effort de délivrer la forme des os et l’effort inverse du rien et du nu en général, les gens sans nom sans argent sans défense sociale incapables de protester contre l’autre les tares et les rides les mendiants ou les domestiques au chômage envoyés par un bureau de placement les blanchisseuses est ce que tout cela a à voir avec l’impossible compréhension de l’existence sa cruauté la réalité toute entière la réalité de la stupéfaction muette toute entière la vision et cette impossible compréhension

ce qu’est une intellectuelle pour une image une chose une vie une femme aurait pu être défini comme une pudeur et l’adhérence pure et géométrique à l’anonymat il ne se trouve alors rien dans cela qui corresponde à la représentation du temps aucune figure d’un cours temporel rien donc qu’on pourrait assimiler à une négation presqu’aucune sensibilité au relatif inaltérable est-elle et comme inflexible




mieux vaut ainsi que tout soit à terre en ruine plutôt que quelque chose de plus inhumain encore que cette infortune nous égare je lui donnerai cette chose impossible ce sera le meilleur moyen de l’adoucir, d’impossible non, de parallèle et contigu à l’impossible : tel un vaisseau volant dans lequel les murs seraient chauffés à blanc et où la princesse se dirait en elle-même : le pauvre simplet si indésirable hier est si changé ce matin : les lances et les armures étincelantes qui jetaient mille feux dans le soleil ordinaire ont disparu d’un coup dans un affreux vacarme mais vous êtes arrivé que se passe-t-il maintenant que le possédé a disparu dans les airs eh bien, disons que j’ai toujours soif et davantage même j’aurais été contente d’une tâche encore plus insurmontable

la signification morale d’une image qu’il aurait trouvé trop peu satisfaisante sur le plan esthétique trop peu suggestive pensant qu’en inscrivant sous elle une légende exacte qui la sauverait des ravages de l’insignifiance ou de la mode de la reconnaissance des animaux et de l’agitation des foulards et lui conférer une valeur d’usage révolutionnaire ou bien a contrario gêné par sa façon inexorable de tout tordre en un objet de forme l’effort pathétique d’en extraire une image mentale à la mesure de son âme retorse un taudis, une décharge, un entrepôt, une usine de câbles électriques un toit de garage sans pourtant les transfigurer

quelles qu’elles soient les plus spectaculaires ou les plus quelconques les manipulations politiques d’une photographie sont inévitablement suivies par d’autres contextes pour lesquels ces manipulations deviennent secondaires et progressivement incongrues tout particulièrement en tant que discours esthétique mais il faut s’entendre par politique inévitablement ainsi par exemple elles sont susceptibles d’être traduites et absorbées mais non seulement les amères réalités une auge de ciment ou le monde des pestiférés non seulement l’absence manifeste de société ne valent jamais que comme anticipation future ou passée d’ailleurs d’un monde en soi mais encore le véritable sujet de toute dramaturgie en témoigne telle la souffrance les d’une mère à genoux ou un empoisonnement au charbon d’une masse anonyme tout ce silence qui suit n’est qu’un fragment mais monadique si bien que sa charge émotive et morale dépend d’une sorte de point d’indifférence absolue ou de point d’absorption et de prolifération de la notion même de sens

pour qu’il vienne au monde il faut donc que au moins partiellement les moyens de production aient déjà été arrachés que ces affranchis ne deviennent eux-mêmes qu’après avoir été dépouillés eux-mêmes de tous leurs moyens de production et de toutes les garanties d’existence offertes par l’ancien ordre des choses elle est détruite comme leur affranchissement du servage et de la hiérarchie industrielle en lettres de feu et de sang indélébiles et comme celle-là forme la base de celui-ci, il ne saurait s’établir sans elle il faut donc que la dissolution de l’un ait dégagé les éléments constitutifs de l’autre ou que celui-ci se soit non seulement mis sous la dépendance de celle-là mais qu’il ait renoncé à tout titre de propriété sur son propre produit brûlés à la vie ordinaire brûlures d’amour entre les représentations des choses et cette expression irrationnelle de leur réalité

dans un certain état toujours le même toute trace de sentiment est chassée blanc, gris-blanc, d’une blancheur accablante attendant ce jour toujours le même, n’ayant jamais autant attendu ce jour où il ne se passera rien, l’avoir sous les yeux je ne sais pas, je ne sais quelque chose que sur l’immobilité de la vie, sa vue seule sidère et ravit

[1Les deux précédents sont accessibles ici et

lundimatin c'est tous les lundi matin, et si vous le voulez,
Vous avez aimé? Ces articles pourraient vous plaire :