L’instant t ou le Paradoxe de Condorcet

Lire 19h59 de David Dufresne entre deux tours.
Kamel Daoudi

paru dans lundimatin#343, le 13 juin 2022

Je viens de finir 19h59 de David Dufresne et j’ai déjà envie déjà de le relire.
Je ne sais pas si le coup était commercial et prémédité mais cette idée de publier le livre en même temps que la présidentielle était sûrement, une audacieuse envie de faire la nique à l’autre révolution, celle de l’info. En tout cas, c’est mon interprétation.

Le double épistolaire de David Dufresne aura bien l’occasion un jour de s’exprimer sur le plateau de Blast dans le futur « Apostrophes Reloaded » imaginé par Denis Robert. Mais ça, c’est une autre histoire, en cours d’écriture...
En attendant, j’avoue que m’être fait lire par mon synthétiseur vocal 19h59, tantôt à vélo, tantôt assis sur un banc municipal, tantôt allongé sur la natte me servant de lit (excellent pour conserver une colonne vertébrale alerte) après tout le monde et à quelques jours d’une autre échéance électorale n’est pas pour me déplaire.
Je déteste me précipiter sur un film ou sur un livre lorsqu’il fait un tabac. Je n’ai toujours pas regardé Titanic et ne le regarderai sans doute jamais pourtant Leonardo di Caprio est un excellent acteur. Pour les livres, c’est différent !
Avec celui-ci, il y avait plusieurs éléments attractifs, le sujet, le titre rondement choisi, l’œil affûté de l’auteur sur des sujets dramatiquement d’actualité et d’autres répulsifs, notamment la crainte que son auteur ne soit cette Cassandre avec un quinquennat d’avance.
Il fallait donc le lire ou se le faire lire – pour pasticher M. Rex – dans un temps raisonnable. Certains livres risquent de perdre un peu de leurs arômes s’ils sont abandonnés avec trop de désinvolture sur une étagère surtout à une épique époque où le mécanique clic bouscule le doux froissement de la page retournée (je ne parlerais même pas du frottement étouffé du coupe-papier pour les extrémistes canal historique de la lecture au mini-coupe-coupe (existent-ils encore, existent-elles encore ?)
David Dufresne avait raison, cet ouvrage est un pavé dans la bataille de l’hégémonie culturelle. Et beaucoup d’autres attendent si l’on ne veut pas que des pavés en granit pleuvent un jour sur tous les lieux de pouvoir... ou pas.
La Sénestre — la vraie — celle qui donne encore au peuple le courage de se réveiller le matin pour donner un sens à sa vie a encore fort à faire. Et la première chose qu’elle a à faire, c’est mettre un coup de pelle bien senti à sa sinistre sœur maléfique, la Sénestre de gouvernement, la Sénestre petite-bourgeoise, la Sénestre de toutes les trahisons, poussive avec son embonpoint acquis à coup de louchées de caviar républicain et ses poignées de désamour de hussard laïcard pour les franges, les périphéries, les ultrapériphériques, pour celles et ceux qu’elle a toujours assigné sous la table du banquet républicain, juste bons à se pourlécher les babines en rêvant du festin comme les premières nuits d’une grève de la faim. Méluche, la coqueluche de celles et ceux qui ne sont rien tente bien quelque chose avec sa NUPES. C’est un bretteur avec une langue effilée mais un proverbe algérien dit à peu près ceci : « langue pendue, bras court. » Alors espérons que le leader du φ et maintenant du ν ne soit pas contraint de faire sien le proverbe hongrois : « Si ton épée est trop courte, allonge-la d’un pas. ».
L’homme qui voulait devenir premier ministre en cohabitant avec le résident de l’Élysée parti pour un second quinquennat sur les chapeaux de roues avec déjà quelques scandales à son actif, semble réussir son pari qui paraissait jusque là insensé. Mais l’implantation de la nouvelle union populaire n’a pas la même densité partout dans le pays. Beaucoup d’espoir est mis dans cette initiative pour redonner au peuple sa voix.
J’ose espérer que cette dynamique ne sera pas une n-ième déception de celles et ceux qui aspirent à un retour triomphant d’une gauche assumée qui renoue avec ses principes assumés sans rougir sinon de plaisir.

Une défaite n’est plus envisageable sinon toutes les frustrations accumulées provoqueront une crue qui emportera tout sur son passage. Lorsqu’on demande aux « sans-dents », déjà à cran de serrer de nouveau la ceinture et qu’il n’y a plus de perforation où coincer l’ardillon, ils n’ont plus qu’une chose à faire : arracher la dent, montrer les dents – il leur reste encore quelques canines bien assérées – et se saisir de la ceinture pour fouetter avec l’énergie du désespoir leurs oppresseurs avec la boucle bien sûr pour que ces-derniers comprennent bien que trop, c’est trop et que la dignité n’a aucun prix que les nababs qui les gouvernent puissent se payer.
Dans le livre de David Dufresne, le peuple semblant jouer le rôle de l’Arlésienne de la nouvelle d’Alphonse Daudet finit par prendre corps au travers des images fugaces qu’Étienne Dardel aperçoit lorsqu’il décide de déguerpir et nous souffle le motto, la raison d’être d’ « Au Poste ».

Quelques jours plus tard...
Nous sommes le lendemain, du premier tour des législatives. La campagne du napoléonissime Emmanuel Macron s’est heurté à la détermination de Jean-Luc Koutouzov Mélenchon et la marche de l’Empereur autoproclamé et sa Grande Armée de clones nourris à la langue des startups s’est cassé le nez sur le réel. Un réel pas si tangible que ça pour la plupart des cibles des macronades car les nupesiens sont encore loins du prolo de base, le vrai, le tatoué ou de la pimbêche idoine. Ils sont encore trop bourgeois pour comprendre les préoccupations des gens que Macron aime bien emmerder ou pour qui il se dévouerait corps et âme pour leur trouver un travail en traversant la rue ou encore celles et ceux qu’il ne croisera jamais dans une gare car son projet n’est pas de rendre l’écologie great again et encore moins pour les gaulois réfractaires au changement, les fainéants, les cyniques ou les extrêmes.
M’enfin, il faut bien que la nouvelle union populaire commence par un commencement et il ne faut pas trop en demander à celles et ceux qui souhaitent faire le bonheur du peuple si l’on en croit leur programme commun. Il ne s’agit pas de leur faire un procès d’intention surtout qu’il sera difficile de faire pire que M. Big Mac.

En attendant, les résultats même partiels sont sans appel. Les éditorialistes et autres publicistes bonimenteurs se sont cassé les dents sur leurs indubitables certitudes. Certains ont même tenté de présenter la défaite du président sortant, en match nul.

Les deux points inquiétants sont la montée du Rassemblement National qui n’aura jamais autant raflé de circonscriptions correspondant à autant de sièges dans la chambre basse et l’abyssale abstention des plus jeunes et des plus humbles qui n’ont même plus l’impression d’appartenir à ce pays.
Le livre de David Dufresne est en cela dramatiquement divinatoire. Quelle sera l’évolution d’un pays dont les mandataires sont inconscients de la colère qui gronde surtout après un nouveau quinquennat jalonné de fatalités inexorables liées aux décisions et surtout aux non-décisions des décideurs qui les ont précédés ?

L’avenir nous le dira. Et si nous ne voulons pas que cet avenir soit inexorablement sombre, il faudra inventer d’autres façons de faire de la politique sur des chemins de traverses et les mettre en musique. Car l’espoir ne viendra pas d’en haut. Cela, on en est désormais sûrs. C’est bien la seule certitude dans ce monde aléatoire.

lundimatin c'est tous les lundi matin, et si vous le voulez,
Vous avez aimé? Ces articles pourraient vous plaire :