L’humanité est morte à Gaza

Jacques Fradin

paru dans lundimatin#408, le 18 décembre 2023

L’humanité est morte à Gaza
Et ce sont des visionnaires mythomanes qui l’ont tuée
Enterrant les droits humains sous une montagne de ruines. Et précipitant tout le droit dans une fosse commune.
Introduction (d’outre-tombe) à l’analyse critique du droit.

(Dé) Lire (une bible)

Nous commencerons par une série de notes éparses sur « la vocation messianique » (et les visions mythomaniaques).
Notre point de départ, « d’actualité », pourrait être cette belle forme prophétique (et apocalyptique) qu’est le sionisme chrétien.
La Pétition (l’Appel) en faveur de la restauration du Royaume Juif de Palestine.

Le Royaume Juif de Palestine : si une telle chose a jamais existé.
Enfin réaliser, faire paraître dans ce monde, « La Cité de Dieu », l’empire de « la justice » !
Dont « l’attente » est insupportable. Et place chacun (chaque fidèle) en situation « d’urgence ».
La Parousie.
Dont l’État d’Israël, et son triomphe, est le vecteur.

Première rencontre de l’opposition, que nous pourrions placer au centre de cet essai, l’opposition entre le « normatif » et le « descriptif ». Où il en va de l’écrasement du « symbolique » (de l’histoire « en réalité ») dans l’imaginaire (la grande mythologie, voire l’idéologie : la réécriture de l’histoire à des fins nationalistes, ou, plus généralement, utilitaires).
Bien entendu cette opposition, trop simple, est, comme le dirait Derrida : déconstructible.
Mais dans le cadre d’une introduction « pour faire penser » (et introduire à la critique du droit) et, peut-être, pour intriguer (ou énerver) nous en resterons à cette opposition dualiste scolaire (type d’opposition que nous avons, par ailleurs, longuement critiqué).
Le thème organisateur de cet essai pourrait, alors, être : il est absolument nécessaire de « dégonfler » les prétentions prophétiques, messianiques et apocalyptiques ; les prétentions à « la justice » (surtout lorsque ces prétentions s’annoncent comme « divines » et peuvent mobiliser « la violence divine »). Abandonner ces drogues dures : l’opium des peuples mobilisés. Qui mènent à des conflits interminables entre « dealers ».
À toute prétention prophétique, alimentée à « l’espérance », il faut opposer une cure de désintoxication. Comme nous verrons qu’il est nécessaire de déployer une critique du droit (le droit n’ayant aucun rapport avec « la justice »).
Ici, pour l’exemple choisi, « de circonstance », il faudrait étudier le travail de Shlomo Sand, travail de critique historique (où le descriptif s’oppose au normatif, voire à la propagande) :
Comment le peuple juif fut inventé, nouvelle édition 2018 ;
Comment la terre d’Israël fut inventée, 2012.
Travail critique sur l’imaginaire constituant, en particulier sur l’imaginaire national (et nationaliste).
Nous serions alors renvoyés aux travaux qui ont suivi le texte pionnier de Benedict Anderson :
Imagined Communities, First edition 1983, Revised edition 2006.
Le thème que nous avons choisi de déplier, au moyen d’exemples, l’opposition du normatif (de l’imaginaire) et du descriptif (de l’histoire réalisée), opposition trop scolaire et dont nous avons affirmé qu’elle était « déconstructible » (relançant, pour plus tard l’analyse critique), cette opposition, prosaïquement, au ras des pâquerettes, peut s’exprimer de diverses manières :

(1) La boursouflure prophétique messianique, « l’Appel à Dieu » ou à toute « destinée manifeste », cette pompe n’est que la mise en musique (militaire) du plus stupide nationalisme éculé, et cependant catastrophique, l’apocalypse nationaliste.
L’imaginaire projection dans un futur fantasmé, « utopique », voire « uchronique », se retourne en affect réactionnaire : bien loin d’un 21e siècle supposé enchantant et mirifique (toujours cette parousie), nous sommes propulsés en arrière (de manière « steam punk »), dans le pire 19e siècle colonialiste et raciste. Le futur Royaume de Dieu est le règne rêvé des blancs suprémacistes.

(2) Et, sans doute pire, parce que le nationalisme est encore un idéalisme (pervers), l’emphase prophétique n’est que de la propagande, de « la poésie viriliste », pour repeindre, en bleu ciel, en rouge étoile, ou en rose barbie, les plus viles « pulsions bestiales » (et non pas « animales ») : le ressentiment gonflé imaginairement (avec une histoire falsifiée), qui justifie le vol, l’expropriation, l’extorsion, l’accaparement, jusqu’au meurtre ; meurtre crapuleux (tuer sa grand-mère pour capter l’héritage), qui comme l’a parfaitement expliqué (en son temps) Soljenitsyne se mue en hécatombe, en meurtre de masse jusqu’au génocide, lorsqu’il est appareillé idéologiquement ; le modèle des pogroms, des persécutions religieuses, des inquisitions, des « nettoyages ».
L’histoire humaine, bien sûr, où le vol crapuleux, l’exploitation sans vergogne, la mise en esclavage généralisée, le mépris de tout autre, tout cela se déguise en « voie divine », ou « voix divine » ; la crapule coloniale « croisée » étant « guidée » par son trip sous acide idéologique, le bad trip du colon halluciné et rigolard.

Le sionisme chrétien est donc un mouvement très intéressant, tout à fait « moderne » (qui renvoie au 19e siècle). C’est un mouvement politique théologique qui développe des positions idéologiques : la défense du nationalisme israélien (nationalisme qui est, également, un beau produit « moderne » du 19e siècle).
L’apocalyptique, la révélation, l’annonce, l’appel, qui structure ce mouvement, est celui de « la fin de l’histoire », du Grand Retour, de la Parousie. Le « Salut » viendra de la nation israélienne ; nation qui a donc une vocation similaire à celle des États-Unis, une vocation impériale, celle d’être « l’empire de la liberté » (« destinée manifeste » qui explique le lien entre l’évangélisme américain et le sionisme israélien).
Et ici même, l’apocalypse, au sens initial de révélation ou de dévoilement, à partir du moment où elle impulse ou justifie « une révélation par le vide de la catastrophe », par la colonisation (de style américain, l’effacement du passé « autochtone » — un peuple sans terre pour une terre sans peuple), l’apocalypse prend tout son sens actuel, celui de la catastrophe, mais reste toujours un dévoilement (la révélation passe par la catastrophe – la Nakba).

À partir de cet exemple d’évangélisme, d’annonce d’une bonne nouvelle, à partir de cette forme hypernormative (sotériologique), ou performative forte (combattante), la bonne nouvelle du Salut passe par le combat (la guerre coloniale), on peut opérer une plongée : le dévoilement du dévoilement.
Il s’agit de décaper le normatif, d’enlever toute normativité au normatif.
Décapage que nous effectuerons par touches successives, au moyen du déploiement d’une série d’exemples.
Encore une fois, nous essayerons de rejoindre Giorgio Agamben : enlever toute normativité au normatif, c’est le faire fonctionner à vide (la désactivation).
À vide ou avide ?
La Prophétie justifiant la cupidité. La convoitise.
Il faut, ainsi, immédiatement, poser la question de « l’utilité » de la révélation apocalyptique.
Le Grand Discours Prophétique ne cache-t-il pas la plus plate « volonté » (une pulsion), celle de l’enrichissement (toujours le modèle américain de « La Conquête de l’Ouest » — maintenant « La Conquête de l’Est » par des colons cupides) ?
Et ces évangélistes sionistes chrétiens ne sont-ils pas les nouveaux « idiots utiles » ?
Comment alors ouvrir (découvrir) « l’utilité » du prophétisme ?
À partir du moment (ou par un premier décapage) nous ramenons la prophétie à l’utilité, à un simple calcul économique, il peut s’ensuivre que la critique de l’économie ou de l’utilitarisme doive se prolonger en critique des « imaginaires religieux » (la réciproque du travail de Feuerbach Marx).
Travail que nous avons entamé il y a déjà quelque temps, au moyen de la critique de l’économie comme religion, ou au moyen de l’analyse critique de l’entrelacement économie / religion. (Voir : l’économie envisagée comme religion, LM 128, 129, 130).
Ici nous envisageons la réciproque : la religion pensée en termes économiques. L’utilité de la religion.
Comment critiquer la croyance en « la nécessité » de croire ?
Peut-on se passer des « bonnes nouvelles », évangéliques, ou des « annonces fracassantes », apocalyptiques ? Sommes-nous condamnés à errer dans le château des courants d’air, le château de la théologie politique ? Là où se manipule « l’espérance », avec les drogues dures de l’utopie (« l’opium du peuple »).
Comment envisager le normatif, le théo-technologique (utilitaire), d’un point de vue descriptif, ou en termes d’analyse critique ?
Faut-il faire son auto-analyse devant le miroir, pour introduire la réflexivité ?
Comment quitter les positions normatives, qui sont des positions (militaires) fortifiées ?
Toute la philosophie n’est-elle pas normative ? Autant que l’économie ?
Lorsqu’il est affirmé que « l’éthique est première » (Levinas) ne faut-il pas entendre cette proposition de manière critique ? Ne s’agit-il pas d’une description du philosophique, encore théologique ?
Peut-on construire une science sociale totale (« descriptive », donc critique) dont la philosophie, dégrisée, ne serait qu’un élément (la question de « l’en-dehors ») ?
L’affirmation de « la lutte » (« la lutte d’abord ») n’est pas normative (« il faut lutter ») mais descriptive : il y aura toujours de la lutte, et cela à l’infini (sans « fin de l’histoire »).
Les finalités, buts, espoirs, utopies, sont rajoutées « après coup » (l’opium du peuple).
Il faut affronter la division, l’antagonisme insurpassable (la dialectique est coupée).
Prendre comme solution le fait qu’il n’y aura jamais de solution : la réalité est le bunker militarisé du pouvoir indiscutable, et, pourtant, toujours mis en cause.
D’illusion en illusion, d’imaginaire en imaginaire, « sans salut ».
On sait cela depuis fort longtemps ; au moins depuis les gnostiques.
On peut « couper » Saint Augustin, le « couper » de « sa sainteté », et le ramener au gnosticisme (qu’il a prétendu pouvoir dépasser) : l’humain est un animal « dénaturé » (une bête), DAMNÉ, hors monde, déplacé dans l’univers des signes, c’est un animal biblique, poussé par la soif d’espérance, qui double la soif d’argent.
Mais peut-on dépouiller le monde de toute espérance, de tout montage religieux ?
Encore une fois, cette question est ancienne. Et pour la reprendre, il faudrait revenir à cette fin de l’empire romain, divisé, en guerre civile permanente, lorsque « Le Christ » fut inventé, lorsque l’empire a fini par devenir « chrétien » (penser sur 2 ou 3 siècles de luttes inexpiables).

Comment arriver à une position descriptive et non pas normative ?
Reprendre « le roman chrétien » d’un point de vue historique et non pas dogmatique.
Et analyser la guerre des utopies.
Toute construction (alternative ou pas) sera détruite : principe de corruption.
Toute participation à une construction est « infernale ». Même si la construction est inévitable.
La Liberté, la militance, est alors le DEVOIR de s’engager à « déconstruire » les constructions.
Le Gnosticisme (de Saint Augustin tronqué, vidé de toute sotériologie « politique » ou institutionnelle) est la pensée générique de la NÉGATION sans sursomption qui s’arrête devant « la violence apocalyptique » (la violence divine de Benjamin). Et qui NIE : la bonne nouvelle d’un autre monde, l’apocalypticisme utopiste, est la source de la violence (théologico-politique). « L’autre monde » est un monde qui SERA NIÉ : l’apocalypse ne sera pas eschatologique.
Être humain, c’est se tenir prêt pour la lutte infinie.
L’apocalypticisme utopiste ou messianique fort (évangélique) constitue un DANGER, tant qu’il est incapable de s’auto-critiquer ou de rejeter l’espérance de l’autre monde (espérance dont nous avons dit qu’il s’agissait d’un utilitarisme).
Le monde s’auto-détruit sans fin : les fameuses « contradictions internes ». L’histoire est l’histoire des auto-destructions, par suite des luttes insurpassables (et des conflits d’utopies).
L’apocalypse ne peut être que « la révélation » du chaos monde ; mais ce n’est pas cette « mauvaise nouvelle » qui brise le monde : celui-ci se brise tout seul.
L’apocalypse est la science critique du chaos monde.
En aucun cas l’annonce de la parousie distordue.

Un effet classique de l’écrasement du descriptif (il y a de la lutte, il y aura toujours de la lutte, il y aura toujours de l’antagonisme) en normatif (la lutte finale, la solution finale) pourrait-être nommé « politique symptomatique ».
Ne traiter que les symptômes, jamais les causes.
Prenons la question des banlieues ou son homologue, la question palestinienne : ne jamais traiter les causes, l’apartheid social politique ; les pauvres doivent rester pauvres et garder leur place ; toute révolte (inévitable, il y aura toujours de la lutte), est traitée militairement ; sur le modèle ineffable de la révolte des Canuts : la demande d’égalité n’est pas recevable et se « traite » dans le cadre d’une police coloniale.
Le soulèvement inévitable n’est pas lié, « causalement », à l’espérance ou au rêve. Il n’est que l’expression de la pulsion « de survie ».
Il faut donc penser une apocalypse purement négative ; que l’on pourrait nommer « contre-pouvoir » : tout pouvoir (en réalité et réaliste) implique (en dualité) un contre-pouvoir, toujours déjà agissant.
Sortir de l’évangélisme, la lutte d’abord, sans habillage théologico-politique, sans appui ou garde-fou (et cela est important : tout un monde de fous), sans être incorporé dans une grande destinée messianique.
Le messianisme (eschatologique) n’est que l’expression de l’échec des luttes : le messianisme est une position de défaite.
Pourquoi des « terroristes islamistes » ?
Parce que les forces de la lutte ont été vaincues ; et que la lutte s’est rétrécie à l’espérance vide (à vide) messianique.
La question n’est pas celle du meilleur évangile (pour mieux convertir) : c’est celle de la lutte.
De la compréhension qu’il y aura toujours de la lutte ; que l’antagonisme est insurpassable.
La désérance désespérance du « précariat » se trouve absorbée par l’illusoire promesse.
Le schéma messianique avec promesse semble insurmontable. Voilà ce qu’il faut penser.
L’idéalisme, il faut croire pour lutter, l’espérance soutient la lutte (position manichéenne et non pas gnostique), cet idéalisme est trop facilement convertible en intégrisme religieux ; l’espérance s’autonomise de telle manière que ne subsiste plus que le jeu avec cette espérance frelatée : nous sommes alors la proie des religieux, télé-évangélistes (américains) ou diverses sortes de « pasteurs » mal intentionnés.
Cet idéalisme est la marque du Grand Retour, à la politique ecclésiale (depuis la christianisation politique de l’empire jusqu’aux prétentions de pouvoir séculier des évêques).
Comment gérer le retour indéfiniment déplacé de la parousie ? Instaurer une théocratie : donner le pouvoir aux professionnels de l’espérance ; gérer la désespérance en injectant toujours plus d’opiacés.
Et revoilà « les pasteurs » colériques.
Où Lire (les prophéties) devient Dé-Lire.
Y a-t-il messianisme sans nihilisme, sans négation du monde ; mais négation récupérable, sursumable, dialectique ?
Peut-on penser une eschatologie, une voie de salut, sans apocalypse ? Une apocalypse purement négative (nihiliste) ? Peut-on penser le Salut sans la Négation ? Et la Négation sans l’Annonce (évangélique) ?
La Parousie n’arrivera jamais !

Décentrement : destitution de l’actualité

Il faut reprendre là où s’achève (dans un cri) l’article de Jean Vioulac, Révolution et Destruction, L’obstacle fasciste (LM 407, 11 décembre 2023).
Et, contrairement à l’angoisse commune, il ne faut jamais succomber à l’impératif, « militant » par excellence, celui de « l’urgence » ! Déjà les proto-chrétiens (romains) du IIe siècle PC étaient dans « l’attente » (de la Parousie) ! Anticipant de deux mille années nos célèbres sionistes chrétiens ! « L’urgence » dure longtemps !
Et, donc, pour poursuivre la magistrale analyse de Jean Vioulac, il faut lire (et relire), avec la plus grande attention, les multiples articles récents publiés sur LM, et maintenant même, ce 11 décembre 2023, LM 407, articles concernant « la guerre contre le terrorisme » [1], la récupération du thème à la Bush Jr, néoconservateur évangéliste, par les faucons israéliens. Avec le thème du « génocide ». De l’Irak à la Palestine.
Il faut également lire une récente tribune (10 décembre 2023) de William Bourdon, dans Libération, au titre explicite (de ce que sera, dans cette section, notre suite) : Le droit international a succombé dans les gravats de Gaza. Et il en est de même de l’ONU, le cadre du droit international. Mais cette faillite ne date pas d’aujourd’hui ! Peut-être l’intervention américaine en Irak, avec l’objectif assumé de générer le chaos, peut-être cette intervention est-elle « originaire » ?
Alors, question (sans réponse ?) : que faire de (dans) cette faillite ?
Reconstruire (une nouvelle ONU, un nouveau droit, reformuler « les droits humains », par exemple – mais toujours en pensant à « l’implémentation », à la réalisation : fortifier la justice !) ? Ou déconstruire, destituer : un pas de côté ?
D’abord se décaler, se décentrer : sortir de « l’actualité », trop répétitive, lancinante ; toujours le même refrain : destruction & urgence.
Toutes les interventions « dans l’urgence », dans l’actualité immédiate, sont certes « nécessaires » ; mais toujours trop dans l’instantanéité : hystérie, propagande, concurrence des fictions. Et toutes ces interventions « nécessaires » ne sont jamais « suffisantes » ; depuis les proto-chrétiens, en situation « d’urgence », ça se saurait ! Jésus va revenir ! On sait même que « l’urgence » a toujours tendance, dans la réponse (« responsable »), à dégénérer en une nouvelle catastrophe (institutionnelle, par exemple, ah l’Église ! La gestion du « retard de Parousie » !) ; qui relance « l’urgence ».
Trop de réactivité circulaire [2].
Il est absolument « nécessaire » de passer à un niveau de généralité supérieur : effectuer « une généralisation », un déplacement, un décentrement (notons que cela est un travail de « mathématicien »).
Il est possible de commencer ce décentrement par une réflexion critique sur le droit ; le droit institué, dont le droit pénal international offre une image caricaturale, donc plus compréhensible (de ce point de vue, il faudrait commencer l’étude du droit par l’étude du droit pénal international ; avec les nations & l’inter-national, comme « sujets du droit »).
Une réflexion critique sur le droit : ce qui est un vieux thème.
Le dernier Derrida ne faisait que cela. En écho à Agamben [3].
Si l’on ne veut pas rester embourbé dans « l’actualité » (et l’urgence toujours urgente), dans l’immédiateté « journalistique » (au jour le jour) il faut passer à l’analyse critique « généralisante ».

Une critique du droit peut prendre appui sur l’étude de l’actuelle criminalisation de l’action politique (intra-nationale ou inter-nationale), déclarée violente ou « terroriste », dès qu’elle outrepasse « le cadre autorisé ».
Avec deux exemples « actuels » : celui de la guerre en Ukraine, celui de la colonisation de la Palestine [4].
Donc, nous assistons au naufrage complet des illusions juridiques (comme l’illusion du « droit pénal international », avec ses institutions logées dans l’ONU).
Naufrage que nous posons comme la résultante de l’incapacité à repenser le droit.
Naufrage qui, nous le posons, dérive du « conservatisme » des juristes (des agents de la loi) qui ne sont pas capables de mettre en cause la structure juridique, mais restent « réformistes ».
Tenter d’agir DANS le droit ou PAR le droit.
Avec le motif du « réalisme » ou de « l’efficacité » (immédiate et contrainte).
Alors : la critique du droit (au nom de « la justice ») ?
Voilà un bon point de départ « critique » pour un « échappement ».
Voilà de l’utopie (« concrète ») !
L’ONU et le droit international sont morts ! Victimes collatérales (ou centrales ?) des guerres actuelles (qui sont des guerres mémorielles ou idéologiques, et qui nous renvoient au pire 19e siècle des nationalismes coloniaux).
Vive l’ONU (refondée). Vive le droit inter-national (repensé).
Alors même que « la nation », l’imaginaire national, est ce qu’il faut destituer.

Commence alors un long chemin.

Comment (commencer à) penser la criminalisation de l’action politique ?

Prélude documentaire : Désobéissance civile ou soulèvement, et répression de l’activisme environnemental.
Partons d’un exemple bien connu, celui de l’activisme environnemental, de la désobéissance civile au soulèvement ; avec sa répression, jusqu’à la criminalisation.
Posons une question préliminaire : la désobéissance environnementale, de la rébellion au soulèvement, est-elle une action répréhensible, une infraction, voire un délit ou un crime, ou bien n’est-elle que l’exercice d’un droit ? L’exercice d’un droit humain « opposable », que les gouvernements économiques ne veulent pas reconnaître, et qui donc exige le soulèvement (ce droit humain, non reconnu, ou bafoué, étant complété par le droit de soulèvement, pour la défense du droit : le « hors loi » pour le droit).

Voyons cela, d’abord à la manière de dépêches d’agences de presse.
Marais Poitevin : La guerre de l’eau est déclarée, LM 312, 8 novembre 2021.

Pour plus de détails, renvoyons au site Bassines Non Merci.
La Bassine de Trop, LM 355, 17 octobre 2022.
Manifestation contre la Méga-Bassine de Sainte Soline, LM 357, 2 novembre 2022.

Et pour une extension du mouvement contre « les voleurs d’eau » :
Ultra-Méga-Bassine de ST Micro, à quand un soulèvement ? LM 365, 9 janvier 2023.

Où se pose le problème de l’extension de l’action politique, face à un pouvoir qui ne veut ni ne sait négocier, face à un pouvoir conservateur non démocratique.
Avec, en contrepoint, la répression.
Une des caractéristiques de ce dernier gouvernement néolibéral autoritaire, celui de Macron, étant l’usage massif de la force policière.
1700 gendarmes pour contrôler le mouvement anti-bassines, 27 octobre 2022.
Niort ; quatre manifestants anti-bassines présentés en comparution immédiate, 1er novembre 2022.
Prison avec sursis pour des opposants aux bassines, le gouvernement amplifie la répression, 6 janvier 2023.

Entre répression et criminalisation, en refusant tout « dialogue » qui ne rentrerait pas dans un cadre « caméral » contrôlé, le gouvernement choisit, volontairement, d’ignorer qu’il existe des droits humains, de 3e génération, les droits environnementaux ; tout en se revendiquant de ces droits humains (première apparition du mensonge ou du cynisme du plus fort).
Il existe, à ce sujet, un programme d’étude, conjoint de l’École de Droit de Sciences Po et de Greenpeace :
Programme Justice Environnementale et Transition Écologique (JETE), avec un rapport annuel : clinique JETE.

La répression contre « le soulèvement de la Terre » se retrouve en Allemagne.
Avec la grande manifestation contre le développement de la mine de charbon de Lützerath, 15 janvier 2023.
Où la police est accusée de violence, malgré le dit modèle allemand d’encadrement « pacifique ».
La manifestation contre la mine de charbon vire à l’affrontement, mi-janvier 2023.
Greta Thunberg interpellée, 18 janvier 2023.
La lutte à Lützerath s’enflamme, LM 366, 19 janvier 2023.
En Allemagne la loi est très durement appliquée et utilisée abusivement. Il n’est pas rare que des militants occupant des arbres disparaissent en prison pour plus d’un an.

Finissons par un exemple américain (USA).
Les États-Unis sont très répressifs contre les mouvements écologistes ; pour défendre un ancien nouveau modèle extractiviste.
Mi-janvier 2023, un militant écologiste a été tué par la police à Atlanta : Manuel Esteban Paez Teran a été tué par les forces de police, le 18 janvier 2023.
Ce militant de 26 ans militait pour la préservation d’une forêt, menacée par le projet de construction d’une « cop city », ville factice conçue pour l’entraînement à la répression urbaine.
Il est clair que les États-Unis sont devenus, depuis la découverte du pactole du gaz de schiste, un territoire dangereux pour les écologistes.
L’avocat Steven Donziger a été le premier à alerter sur ce crime policier.
Cet avocat est mondialement connu pour avoir fait condamner, au bout de plus de 20 années de procédure, le géant pétrolier américain Chevron pour la pollution d’une vaste région de l’Amazonie équatorienne, le « Tchernobyl de l’Amazonie », et avoir obtenu le versement de dommages et intérêts les plus lourds de l’histoire du droit de l’environnement, 8,5 milliards de dollars.
Mais depuis, cet avocat est victime d’une offensive judiciaire de la part de Chevron.
Steven Donziger est devenu le symbole du harcèlement judiciaire et de la criminalisation des écologistes.
Depuis sa condamnation en 2011 par la Cour Suprême de l’Équateur, la compagnie Chevron s’est lancée dans une offensive judiciaire hors norme.
Aux États-Unis, Steven Donziger a été condamné pour fraude et corruption ; sur la base de mensonges payés 2 millions de dollars.
Steven Donziger aura passé plus de 2 ans en détention, sur la base de faux témoignages.
Et Chevron aura employé 60 cabinets d’avocats et 2000 avocats pour un procès bâillon (SLAPP, Strategic Lawsuit, détournement de la loi, mésusage de la loi par des entités dominantes).

À partir de ces exemples, où apparaît l’absence de négociation (négociation supposée être la base de la démocratie), l’usage biaisé de la loi, et autres manipulations style SLAPP, nous allons introduire le thème du droit de soulèvement : de la désobéissance civile aux grandes manifestations (« violentes ») et au soulèvement.
Qu’est-ce qui explique et justifie le soulèvement ?
Réponse : les autorités refusent un dialogue ouvert, s’arc-boutent comme défenseurs de l’ordre économique, interprètent la loi (et les droits humains) de manière tronquée et conservatrice, et refusent toute négociation hors des cadres économiques protégés par ce gouvernement conservateur. Et, bien sûr, ces autorités refusent de discuter du cadre dans lequel DOIT s’effectuer la discussion (impossible de remettre en cause la constitution).
Il ne reste, donc, que « la solution » du soulèvement.
Lorsque le maintien ou le développement de la structure économique (coloniale de prédation) sont posés comme indiscutables, non négociables (« le mode de vie impérial est non négociable »).
Par exemple, lorsque la grande agriculture industrielle, avec ses prélèvements en eau exorbitants, est maintenue de force comme indiscutable.
Si l’on suppose que la démocratie repose sur la négociation, il est évident, ici, qu’il n’y a jamais de négociation, toujours une intervention policière (nous en déduirons qu’il n’y a pas de démocratie).
L’opposition classique du réformisme technocratique et du radicalisme « subversif » (renversant) se retrouve.
Est-il possible, ou pas, d’obtenir un changement « radical » des structures économico-politiques et, donc, des constitutions ?
Le gouvernement accepte le réformisme, si ce réformisme a uniquement le sens de : gestion technocratique des contraintes, économiques, politiques, légales, contraintes posées indiscutables et non négociables.
Le réformisme est alors porté par des entreprises commerciales qui proposent de nouvelles installations industrielles, méthanisation, éoliennes, etc. ; ces entreprises capitalistes étant « parties prenantes » au maintien des structures.
Tout ce qui excède ces constructions techniques réformistes, constructions portées par des entreprises gérant économiquement « la transition écologique », tout ce qui sort du cadre industriel est non négociable.
Si la démocratie repose sur la négociation, et si celle-ci est canalisée, encadrée, limitée, biaisée, trafiquée, alors il faut dire que le gouvernement n’est pas démocratique : c’est un despotisme technocratique [5].
Cet énoncé sera notre point de départ.
Le maintien de la structure industrielle, de l’agriculture par exemple, implique un état d’urgence.

État d’urgence en deux sens opposés :
(1) Le durcissement de la répression contre ceux qui excèdent « le réformisme », technocratique et conservateur (versaillais, même), ceux qui refusent de reconnaître le maintien conservateur des structures productives, qui sont mortifères. Ceux qui rejettent « notre mode de vie ».
(2) La nécessité « urgente » du soulèvement et du changement radical du mode de production.
Urgence, état d’urgence, état de nécessité, à la fois pour « sauver la vie », le soulèvement se fait au nom du droit à la vie (le droit le plus fondamental), ET au nom des droits humains bafoués, le refus de reconnaître les droits environnementaux.
Deux sens opposés : d’où le conflit.
Antagonisme, conflit, désobéissance, soulèvement : voilà ce qui caractérise la politique, qui ne serait pas de la gestion (ou de l’ingestion).
Mais voilà ce que le gouvernement cherche, à toute force, à interdire : par une politique de dépolitisation.
Dont la criminalisation de l’action politique d’opposition n’est qu’une expression ; expression d’un conservatisme offensif (versaillais) ; expression d’une guerre civile cachée.
L’usage offensif et répressif du droit est la manifestation de la guerre civile qui définit la politique.
Avec la politique anti-politique, comme la répression anti-terroriste : toute personne refusant le réformisme est un terroriste.
Toute personne n’acceptant pas les règles fermées, dites démocratiques, de la négociation, c’est-à-dire de l’absence de négociation (au nom de la loi du plus fort), toute personne réfractaire sera déclarée criminelle.

Préalable à l’analyse critique du droit.

Le préalable à l’analyse critique du droit, analyse critique du droit que nous allons commencer à déployer, est l’affirmation :
« Nous ne sommes pas en démocratie ».
Affirmation centrale de la tradition critique de « la démocratie » ou de « la représentation » (voir note 11 sur Derrida), tradition dans laquelle nous nous inscrivons (voir en fin de texte une bibliographie limitée de cette tradition).
Nous ne sommes pas en démocratie : le régime qui nous gouverne, qu’il s’auto-désigne république ou démocratie (libérale), ce régime est le despotisme.
C’est même, actuellement, un despotisme devenant de plus en plus autoritaire, une tyrannie.
Il est donc légitime, justifié et nécessaire, de se soulever contre ce despotisme, tournant à la tyrannie.
Un préalable à l’analyse critique du droit (que nous allons commencer à déployer) est la réécriture complète de la constitution et des codes civils (napoléoniens), trop centrés sur « la propriété » et « le propriétaire » (le sujet individuel des droits).
Pour en revenir, par exemple, « avant Napoléon » (avant Thermidor ou Versailles), à la constitution de 1793, en particulier à son article 35 [6] : le droit de soulèvement ; droit de soulèvement à intégrer comme nœud d’un nouveau corpus juridique (non thermidorien).

L’argument musclé, frappant et policier (ou versaillais), que les autorités étatiques ou gouvernementales opposent à toute manifestation « dans la rue », à toute rébellion, ou pire insurrection, à tout mouvement politique « posé violent » (Black Bloc ou déconstruction de banques ou de bassines), l’argument « imparable » est que « nous sommes en démocratie ».
Et que, donc, il est toujours possible de s’exprimer, d’exprimer son mécontentement ou sa colère, À CONDITION de RESPECTER les RÈGLES (et de rester en chambre).
« Nous sommes en démocratie » : il y a, DONC, « des règles » pour encadrer les débats, débats qui DOIVENT toujours être « non violents », respectueux de la diversité des opinions, et, SURTOUT, de style « caméral ».
Seuls les mouvements en chambre (ou sur canapé) sont autorisés : ceux qui ne prêtent à aucune conséquence ! La violence doit être canalisée : d’où le monopole policier de cette violence, monopole indiscutable (et qui est le premier élément du despotisme).

Le point de départ de toute contestation (plus loin que son canapé) doit donc être : « la critique de la démocratie », exactement de cette imposture nommée démocratie représentative.
Le premier CRI doit être : NON, nous ne sommes pas en démocratie, mais soumis à un régime despotique.
Nous sommes encabanés (ou vissés sur nos canapés, devant la propagande permanente).
Voilà ce qu’il faut argumenter d’abord.
Déconstruire l’argument fallacieux des débats réglementés (en « Conseils » caméraux). Car les fameux « débats démocratiques » sont encadrés, étouffés (en particulier par l’absence d’information fiable ou complète, par le secret).
La critique de « la démocratie », nous ne sommes pas en démocratie, mais dans un état despotique, cette critique est un préalable à toute analyse critique du droit.
Il y a donc, ici, un point que nous considérerons comme acquis et que nous ne développerons pas du tout : le système représentatif, avec élections, chambres ou « Conseils », est sans signification, c’est une imposture, une mascarade.
Nous pouvons simplement reprendre un grand résultat de la déconstruction (Derrida) : toute représentation implique déformation, transformation, travestissement, spectacle théâtral.
Le système représentatif est une mascarade ; une pièce de triste vaudeville.
Entrer dans le détail diabolique des opérations du système, l’ingénierie électorale, la propagande, le simulacre des « Conseils » ou des « jurys populaires », et tutti, cela permet de comprendre que « la démocratie représentative » n’est pas « représentative » du tout, mais opère un renversement des sens. Combien « d’ouvriers » dans le « peuple » ? Combien dans « les chambres » ?
À partir du moment où « l’élection » conserve un pouvoir théologique (élu de dieu, Emmanuel) le statut de « la représentation », avec élection, devient indiscutable. Quelles qu’en soient les modalités : absence de quorum, abstention massive, refus de respecter les « promesses électorales », mensonges généralisés, système « non impératif », opposition du secret.
La littérature sur ce sujet étant conséquente (et censurée) nous y renvoyons sans plus (voir bibliographie introductive).
Pour reprendre Haaretz : la démocratie ne s’arrête pas dans les urnes, elle ne commence même pas là !
« Vous ne pouvez ignorer la volonté des électeurs » : voilà un diktat qui permet d’écraser toute réflexion critique sur ce que signifie « volonté des électeurs », en particulier les mensonges « électoraux », la propagande et la manipulation constante (ne pas tenir compte de l’abstention, abstention qui est cependant l’expression d’une « volonté », même négative).
Il serait très intéressant d’analyser les arguments de l’extrême droite israélienne (en février 2023), arguments pour camoufler la corruption (et plus) et pour écraser le pouvoir judiciaire, ou pour rejeter la séparation des pouvoirs (thème typique de la France néolibérale, pour repousser la justice anti-corruption) ; les juges ne sont pas élus, mais sont des techniciens (en principe aux ordres), seule l’élection (divine) a un sens (théologique).

Nous pouvons alors résumer l’analyse critique du système représentatif, analyse bientôt bicentenaire :
Où système représentatif comprend : démocratie représentative, élections, procédures camérales, manipulations électorales comme le charcutage, information contrôlée et tout ce que nous apprend la sociologie électorale ;
Nous pouvons résumer l’analyse critique sous forme d’un principe méta-politique (et méta-juridique) :
Le conflit, ce qui définit la politique, l’antagonisme ne peut être « réduit » à un débat caméral, a priori truqué ou biaisé.
L’ordre politico-policier de respecter « les règles » du débat représentatif truqué (où les promesses n’engagent que les dupes), cet ordre n’a aucune signification, ce n’est qu’un ordre de conservation (versaillais) pour maintenir l’ordre.
Arrive immédiatement le point crucial (que nous allons retrouver régulièrement) : la loi du plus fort, la loi de la majorité.
C’est cette loi de la majorité qu’il faut mettre en cause.
L’instruction de respecter les règles est entachée de circularité vicieuse : puisque les règles sont imposées par la force (pourquoi est-il impossible de critiquer régulièrement une constitution ?).
Le système représentatif caméral électoral est un appareil du despotisme.
Le droit de soulèvement exprime l’absence de signification (ou de légitimité) du système représentatif ; ce système n’étant qu’un appareillage (un habillage) du despotisme (nommé par antiphrase « démocratie »).
La seule violence « légitime » est celle de l’insurrection (à partir du moment où nous comprenons que « nous ne sommes pas en démocratie » — et ceux qui ne le comprennent pas sont des conservateurs légitimistes versaillais).

Donc, la plaidoirie se déploie de la manière suivante :
(1) Nous ne sommes pas en démocratie ;
(2) Le soulèvement est toujours justifié (contre la tyrannie, des médias monopolisés, par exemple) ;
(3) Le droit de soulèvement est un des « Droits Humains » les plus fondamentaux ;
(4) Donc il peut être invoqué avant chaque procès (politique) où se trouve jugée « la violence politique ».

Arrivons alors à l’analyse critique du droit.

L’analyse critique du droit est très développée aux États-Unis (voir la bibliographie). Et s’est déployée en France avec le mouvement « Critique du Droit » (dans les grandes années 1970-1980 – voir également bibliographie).
Nous en resterons à une introduction à ce sujet bien méconnu (et qui n’est toujours pas enseigné dans les facultés de droit françaises, les plus conservatrices des facultés).
Notre introduction à ce sujet de la critique du droit prendra la forme d’un exercice à propos de la criminalisation de l’action politique (contestataire ou d’opposition, de rébellion – les rebelles face à la justice instituée – la question du droit d’insurrection).
Précisément nous allons tenter un exercice de politique affirmative.
Mais qui sera une démonstration par l’absurde (une démonstration négative) de la nécessité d’une politique négative [7].
Le domaine de l’exercice sera celui du droit ou de la justice (justice au sens institué du terme, avec des « palais de justice »).
Nous allons nous mettre dans les traces de Giorgio Agamben le (contre) juriste (sur ce thème voir Thanos Zartaloudis, en bibliographie). Contra Iurem.
La justice (toujours au sens réalisé) est supposée être rendue sur la base de normes, des textes de lois, ou sur la base de précédents ou d’une jurisprudence (essentielle dans le monde anglo-saxon et pour la justice internationale, avec l’encyclopédie des précédents).
Pour couper au plus court, nous poserons que cette justice (mondaine) est guidée par une norme supérieure ou ultime : les Droits Humains, réaffirmés par des constitutions ou des traités internationaux, compilés dans le cadre de l’ONU (avec les tribunaux internationaux organisés dans ce cadre, que nous nommerons : modèle Nuremberg).
Toute critique du droit ou toute analyse critique de la jurisprudence renvoie à une critique des Droits Humains.
Pour commencer cet exercice affirmatif, il faut donc en appeler à une critique radicale des Droits Humains [8]. Pourquoi est-il temps de critiquer les Droits Humains ?
Et, surtout, ce qui nous concernera dans la suite de cette note (« absurde »), pourquoi est-il temps de critiquer la matérialisation des Droits Humains sous la forme d’une justice (politique) criminelle, agissant par « criminalisation » de l’action politique, dès que celle-ci est minoritaire, contestataire, rebelle – ou vaincue (tout vaincu est un criminel) ?
Ou, pour couper court, pourquoi faut-il critiquer, déconstruire, abolir le modèle Nuremberg de justice criminelle internationale (mais qui se déploie aussi bien à l’intérieur des nations, par exemple en ne retenant qu’un seul aspect des Droits Humains, en ne s’appuyant que sur une seule strate, propriétariste et sécuritaire – en refusant, par exemple, de rendre les droits environnementaux opposables !) ?

Le modèle Nuremberg effectue deux opérations :
(1) La juridiciarisation de l’action politique ;
(2) La criminalisation de cette action.
Ce modèle nous met directement au cœur du droit et de la justice : la loi du plus fort (qui décide qui doit être jugé ?) ou la loi du vainqueur (avec les retournements possibles de ce statut : quand les victimes deviennent, à leur tour, des criminels).
Ce noyau (la loi du plus fort) est masqué par une construction juridique qui renvoie à « la norme indiscutable », les Droits Humains.
C’est pourquoi il est temps de critiquer ces Droits Humains.
De les critiquer lorsque le despotisme économique devient de plus en plus autoritaire et policier. Les Droits Humains dans l’inégalité la plus flagrante deviennent un simple simulacre !
De critiquer ces droits comme étant un simulacre, un théâtre, une parodie de justice (il faut exiger « TOUS les Droits Humains ou pas de droit du tout » : la strate « environnementale » est aussi importante que la strate sécuritaire ou propriétariste), une pantomime pour forclore ce qui fonde la justice (mondaine) : la loi du plus fort.
L’Appel pour une critique des Droits Humains est un appel (affirmatif) à transformer les principes juridiques fondamentaux (ou à « résoudre » les contradictions qui fracturent le droit : pourquoi cette priorité au droit de propriété et à la sécurité afférente ? Que devient le droit au logement « opposable », par exemple ?).
Avec l’exemple qui nous retient : pour instruire une véritable justice politique qui ne serait pas immédiatement fondée sur une réduction, sur la réduction criminelle du droit de soulèvement contre « la tyrannie » ou contre le despotisme économique et le propriétarisme [9].
Soulever alors la question de « la réformation » de la justice : comment passer d’une justice autoritaire (policière) irréflexive (il est interdit de juger la justice, interdit de poser un préalable de compétence en matière politique) unilatérale (une décision de justice ne se discute que de manière juridique, au sein d’institutions autorisées, et ne peut jamais se discuter de manière politique, dans une arène ouverte à la critique du droit) asymétrique (la loi du plus fort ou du plus riche, les puissants), comment passer d’une telle justice, essentiellement irréflexive ou simple force de l’ordre imposé, à une justice réflexive, égale pour tous, et où il serait possible de juger la justice (critiquer les normes, refuser les principes, mettre en cause le fonctionnement institutionnel, le statut des procureurs, par exemple) avant que la justice ne puisse juger ?
Question de la compétence en matière politique : la justice devrait se déclarer incompétente (sur la question de la résolution des contradictions entre les strates de droits).
Qu’est-ce qui fonde cette justice irréflexive, avec les déclarations : il n’y a pas de matière politique, pas de prisonniers politiques ? Réponse : « en démocratie » les cadres de l’action politique sont imposés (par la loi !) et cette action doit être « pacifique » (ou, plutôt, pacifiée), c’est-à-dire enfermée dans un jeu sans issue (la question du despotisme étant essentielle : d’abord critiquer l’idée de « démocratie » et de « débat démocratique »).
Le contre principe d’incompétence, à opposer à toute cour de justice qui criminaliserait l’action politique (ou qui obéirait à une décision politique de criminalisation), ce contre principe est l’expression de la réflexivité à imposer à la justice : au nom de quoi suis-je traduit en justice ?
L’incompétence des cours en matière politique (et donc en matière de définition, de ce qui est ou pas politique), l’incompétence doit être opposable comme préalable.
Lorsque les objectifs de la violence sont politiques, cette violence doit toujours être déclarée politique et ne doit jamais être traitée comme criminelle.
Les tribunaux traitant de telles affaires de violence politique doivent se déclarer incompétents et doivent refuser de traiter l’affaire en termes de justice criminelle (ce qui implique une refonte des schémas judiciaires). Les cours de justice traitant de tels cas doivent se déporter vers des tribunaux supérieurs (à constituer) et spécialisés en matière de critique juridique ; il ne peut s’agir de « tribunaux spéciaux » de triste mémoire !
C’est le refus de reconnaître le caractère politique de la violence qui génère les cercles illimités de violence ; c’est le refus de traiter politiquement (et non pas judiciairement) un problème politique qui est à l’origine de la violence circulaire. Car la juridiciarisation des conflits antagonistes (au niveau national ou au niveau international) ne permet pas de traiter la violence institutionnelle (asymétrie de la justice), en imposant l’idée d’une « violence non violente », celle de l’État ou de sa police ou de sa justice.
Faire face à la violence étatique, policière, administrative, juridique, implique, au moins, de formuler certains principes (déconstructifs des Droits Humains et de ce qu’ils cachent, la loi du plus fort).
Notre exercice de politique affirmative (« absurde ») exige de formuler des méta-principes politiques emboîtés ; méta-principes qui organisent une justice réflexive (où il est possible de juger la justice) :
Destitution de l’État nation unitaire et unifié ; construction d’une communauté sans unité ;
Définition d’institutions auto-destituantes (RIC généralisé, par exemple) ; fin des institutions rigides et fixes ; fin des réifications (et du despotisme) ;
Construction d’une justice réflexive avec un niveau critique ; tribunaux supérieurs de critique juridique (en place d’une cour de cassation), permettant le traitement séparé des affaires politiques.
Contrairement à ce que l’on imagine habituellement, la juridiciarisation de la vie politique n’est pas une caractéristique « démocratique » (la justice est-elle « démocratique », égale pour tous ou symétrique, pouvant traiter l’État de manière commune ?) ; c’est, au contraire, un trait caractéristique du despotisme (qui plonge ses racines dans l’ancien régime), avec son état d’exception permanent et l’ordre judiciaire soumis.
Surtout lorsque cette réduction juridique (la juridiciarisation) de la vie politique (les confrontations politiques sont canalisées vers les tribunaux) se fait au nom des Droits Humains (avec le modèle Nuremberg), se fait au nom de l’interdiction d’exercer la violence, autre que celle supposée « légitime » ; ce qui renforce le despotisme – comme le signale le droit de soulèvement ou d’insurrection : s’il y a soulèvement c’est parce que les supposées « règles démocratiques » (les affaires politiques se traitent « en chambres ») sont des mascarades (ici il faudrait revenir à la critique de « la représentation »).
La juridiciarisation conforte une asymétrie radicale, entre la violence autorisée, légitime et légale (mais d’où vient la loi ?), ET la violence interdite (avec les moyens policiers de l’interdiction, toujours la loi du plus fort), celle de toute contestation qui refuse les entourloupes ou machinations parlementaristes, qui refuse l’enfermement dans « le dialogue », avec ses trappes, attrapes, ses comités Théodule et le mensonge institué des « Conseils » sans pouvoir (avec le gouvernement qui scande : je ne tiendrai jamais compte de vos conseils, palabrez autant que vous voulez, il n’en restera jamais rien, je n’accepterai d’avis qu’autant qu’il est conforme à mes projets, etc.).
Cette asymétrie radicale est une caractéristique immémoriale du despotisme, et qui peut s’énoncer philosophiquement (comme nous l’avons déjà fait) :
La justice n’est jamais réflexive ; on ne peut pas juger la justice ou mettre en cause les principes par lesquels les jugements sont rendus.
Il est impossible, lors d’un procès politique déclassé en procès criminel, d’exiger une analyse critique des principes juridiques. Pourquoi juger seulement une certaine violence ? Pourquoi ne pas juger « les voleurs d’eau » (ce sont des entrepreneurs propriétaires) plutôt que ceux qui se battent contre la destruction instituée (le vol de l’eau) ? Toujours l’asymétrie de la justice.
Ce qui peut s’énoncer vulgairement : la justice est aux ordres, c’est un rouage de la défense de l’ordre ; ce pourquoi la politique, et son antagonisme principiel, est toujours ramenée à une affaire de police.
Toute confrontation qui met en cause l’ordre, les principes constitutionnels (le 49.3 !), les grands principes juridiques (le droit de propriété comme principe supérieur à tous les autres, y compris les droits sociaux – l’emprisonnement des misérables), toute mise en cause un peu persistante est déclarée criminelle.
De ce point de vue, de la loi de la force ou de la loi du plus fort, tout militant contestataire est un casseur en puissance, un terroriste, un gangster.
Jamais, par définition, la justice de l’ordre dominant n’a pu, ou même cherché à, obliger un gouvernement à respecter les termes d’un engagement (comme pour les fameux « Conseils » sans filtre) ou les termes d’un débat (les promesses n’engagent que ceux qui y croient : proverbe typique du despotisme).
Peut-on juger l’État pour non-respect d’une parole, non-respect d’avis formulés par des Conseils bidons, Conseils que l’État projette comme pantomime ou mascarade ?
Cette non réflexivité de la justice, l’impossibilité de juger la justice, est au cœur de la violence politique.
Asymétrie, inégalité, droit du plus fort, voilà les termes qui relativisent les Droits Humains.

La criminalisation peut alors s’entendre de deux manières :
(1) Des voleurs en bande ou des gangsters organisés (des « hommes politiques ») prennent le pouvoir.
Ou encore : le pouvoir, qui engendre la corruption, d’abord mentale, transforme les détenteurs du pouvoir, « les représentants élus », en gangsters ou en voleurs.
Nous le répétons sans cesse et partout :
L’action politique sans contre-pouvoir effectif (et efficace, sans 49.3 !) génère la corruption jusqu’à la violence débridée. Un pouvoir constant, stable et assuré, conduira à la corruption généralisée (des « mêmes » qui perdurent sans retraite).
La violence, le contrôle, la police, l’ordre ingéré, intégré, incorporé, sont les dimensions essentielles de la vie citoyenne, dans les villes impériales ou post-coloniales.
L’autorité policière (représentant l’autorité politique) est démultipliée, rhizomatique, déconcentrée plutôt que décentralisée.
À la police la surveillance des jeunes, des migrants, des racialisés, l’intervention anti-émeute.
À la stratification bureaucratique fine, avec les associations « humanitaires » et les organisations para-gouvernementales, revient la pénétration intime qui compose un ordre derrière l’ordre, ordre caché se situant à mi-chemin de la bureaucratie et de l’auto-organisation surveillée.
Une forme de gouvernement colonial surplombe les métropoles impériales.
Avec son déchaînement de violence, toujours anticipée.
Avec la définition de sous catégories bannies : les femmes seules avec enfants, les vendeurs de rue, les migrants, les familles à très bas revenus, les immigrés racialisés, et toutes les exclusions généralisées, les interdictions de rassemblements non déclarés, le gouvernement des « démocraties » est constitué sur une architecture de pratiques sécuritaires, pratiques appuyées sur un gigantesque appareillage bureaucratique (comme les préfectures) d’exclusions néocoloniales (nous renvoyons à la littérature conséquente sur l’état d’exception permanent, voir bibliographie, section « nous ne sommes pas en démocratie »).
L’action politique policière violente des gouvernements est sans contre-pouvoir efficace.
Cette action devient criminelle, « une violence industrielle » (Mathieu Rigouste), mais sans possibilité de « justice ».

(2) Mais il y a une seconde manière d’entendre la criminalisation. Seconde manière dont la fonction est de masquer la première manière (la corruption et la répression).
La juridiciarisation (criminelle) est une simple méthode de pouvoir, utilisant la justice, et la police, pour interdire ou étouffer toute opposition, rapidement déclarée violente (et criminelle, terroriste) ; la colère devant le cynisme du pouvoir, devant sa violence, ses caractéristiques proto-fascistes, sa corruption, ses mensonges, cette colère doit être étouffée.
Dans cette seconde manière la justice est intégrée comme un simple moyen du pouvoir. Moyen in fine appuyé sur la force : force de loi (voir le texte de Derrida à ce sujet).
Toute action politique qui met en cause la loi (du plus fort ou de la majorité – il est temps de déconstruire le principe de majorité) est déclarée criminelle.

C’est cette seconde manière d’entendre la criminalisation qui nous retiendra.
En n’oubliant jamais qu’une de ses fonctions est de cacher la criminalisation première manière (avec la corruption, le mensonge autorisé et la répression violente impunissable).
La propagande autour des « casseurs » permet de masquer la criminalité en col blanc cravate (souvent justifiée par des « raisons politiques »).
Il s’agit donc, encore et toujours, de critiquer la loi du plus fort (relire les merveilleux textes de Louis Sala-Molins).

La criminalisation de l’action politique.

Nous n’allons, donc, pas, ici, nous intéresser à la corruption (criminelle) de « la démocratie » [10], c’est-à-dire soit à la possibilité (vérifiée !) d’élection de « voleurs » ou, même, de « criminels », soit à la possibilité (également vérifiée !) de voir « des élus » ou des ministres « profiter » du pouvoir (et de l’impunité associée) pour devenir des « voleurs ».
Nous ne nous intéresserons pas, également, à « la zone grise » immense qui définit le pouvoir politique, cette corruption quotidienne gigantesque : pantouflage, vente de carnets d’adresses, conflits d’intérêts, prise illégale d’intérêt, abus de pouvoir, usage criminel du « secret » (dont le secret défense), à l’infini, une encyclopédie de la politique normalisée.
Nous allons nous intéresser à la réciproque (ou au négatif) de cette criminalisation (des élites), la criminalisation (à l’instigation de ces élites) de l’action politique contestataire ou d’opposition.
Il faut bien noter qu’il est plus facile et plus rapide de juger des « défenseurs de la Terre » (terre que le gouvernement aide à massacrer) que de juger d’anciens présidents de la république (l’affaire Sarkozy étant une caricature de la perversion de la justice).
Notons également qu’il s’agit d’un conflit sur les Droits Humains : pourquoi la strate environnementale serait-elle secondaire ? Cela étant valable pour les Droits Sociaux. Et tous les Droits supposés « opposables », mais impossibles à faire valoir (quelle contrainte exercer sur l’État ?).
Le thème de la criminalisation des rebelles (politiques) se développe, alors, facilement :
Le pouvoir politique s’octroie un monopole de ce qui est supposé ou déclaré être « une action politique légale » ; action autorisée, du style intervention policière frappante ou meurtrière, et qui restera sans suite (impunie) ; avec l’argument d’autorité (versaillais) : il ne peut y avoir de violence policière ; il n’y a que des actions légales, déléguées à la police, aux forces de l’ordre.
Apparaît immédiatement ce qui soutient le droit : la loi du plus fort.
Dans le cadre du despotisme devenant de plus en plus autoritaire, le despotisme économique néolibéral (aux abois), le pouvoir, despotique donc, réduit, sans cesse, le champ d’action de toute opposition et finit par criminaliser cette opposition, quelle qu’en soit sa forme, à partir du moment où elle ne se tient pas en chambre (pour des palabres illimitées : cause toujours).
C’est le pouvoir qui décide du champ possible du « débat démocratique », en jouant sur le conservatisme des institutions et le caractère autoritaire des lois (ou de la constitution – née pendant une guerre civile). Le fameux débat démocratique doit être un ensemble de palabres sans conséquences (le fameux « cause toujours » définissant la démocratie – Coluche) ; ou sans effets. Les diverses pantomimes nommées « Conseils consultatifs » (comme le nouveau CNR, Conseil National de la Refondation) participent au spectacle démocratique ; où « être démocrate » signifie directement : participer au bruit de fond, être un comédien (peu comique) du théâtre.
Encore une fois, de quoi s’agit-il ?
De la loi du plus fort (du despotisme le plus ancestral, relire Pascal !).
De la loi d’un pouvoir dont la force est sclérosée, rigidifiée, réifiée en structures incontestables (produisant des croyants conservateurs et légitimistes).
La loi du vainqueur.
Lorsque cette victoire est sans cesse reprise et améliorée (réifiée, objectivée en réalité effective).
L’histoire de la victoire s’écrit en termes juridiques.
Et la juridiciarisation (on devrait plutôt dire : juridicalisation, pour indiquer l’aspect offensif de la chose) est le phénomène de la propagation du droit, par la force (fortifier la justice !).
Cette juridiciarisation, avec les solutions juridiques imposées (en place de l’antagonisme politique), bien loin de définir un « État de Droit » (au sens de gouvernement « juste ») est une des clés du despotisme. Pouvoir traduire en justice signifiant « transformer » le politique en police.
La gestion judiciaire, droit ou administration de la légalité, gestion exercée exclusivement par le pouvoir est un symptôme du despotisme. L’embastillement désignant le pouvoir indiscutable.

Mais plutôt que de poursuivre une analyse juridique critique (renvoyons à la bibliographie, sur ce sujet de « la critique du droit »), nous allons tenter d’introduire une archéologie de la juridiciarisation, une archéologie de la gestion judiciaire de la politique, à entendre, exclusivement, gestion judiciaire des oppositions politiques et de la violence des rébellions ; les élites restant impunies, puisque ce sont elles qui punissent – principe à la Carl Schmitt : est souverain celui qui décide et peut punir, le souverain est « au-dessus » des lois, c’est lui qui décide de la loi et de son application.
Certes, ce thème est ancien, et classique.
Ici, nous ne suivrons qu’une ligne, qui mène de Benjamin à Derrida et à Agamben (voir bibliographie).
Mais nous reprendrons ce thème non pas en termes de philosophie politique (il suffit de lire Derrida [11]), mais plutôt en termes historiques ; notre archéologie.
Avec comme point d’ancrage : le Procès de Nuremberg, ce que nous avons nommé modèle Nuremberg.
Et à la lumière des conséquences de cette juridiciarisation de la politique, qui commence à Nuremberg (1945-1946) : le déploiement juridique, légalisé, légitimé, de la loi du plus fort ou du vainqueur.
À la suite d’un conflit, de plus ou moins longue durée, les vainqueurs décident de « juger »les vaincus ; et, pour ce faire, développent des outils juridiques permettant de « faire le procès » des vaincus ; au nom des droits de l’homme, par exemple, ou selon toute construction juridique imposée, par les vainqueurs.
Il est entendu que nous comprenons le terme « vainqueur » au sens que donne Benjamin à ce terme : ceux qui réussissent à imposer une structuration politique durable, et ainsi légale.
Les termes vainqueurs / vaincus renvoyant à la violence (constituante ou structurante), ou renvoyant à un conflit (une guerre civile) par lequel des seigneurs imposent leur loi.
Impossible, ici, de reprendre le gigantesque débat conflictuel sur la violence politique : une rébellion violente n’étant que l’envers de la violence institutionnelle.
La politique se déploie toujours par la violence et son institutionnalisation. Les institutions sont des agrégats ou des congélations de violence (pensons à l’inhumanité de l’administration ou à la « nouvelle gestion » par l’humiliation et la terreur, style France Télécom).
Il faut donc reprendre « le procès des procès politiques » : procès politiques à l’instigation des vainqueurs, des seigneurs, des autorités victorieuses.
Pensons au jugement (expéditif) des Communards.
Ou à la propagande concernant « les crimes des Russes » en Ukraine : quand est-ce que Poutine sera jugé comme « criminel » ?
Ou, plus directement, pour nous, à la criminalisation des mouvements politiques qui considèrent que, dans la situation actuelle du despotisme, aucun débat démocratique n’a de sens, ce débat démocratique imposé n’étant qu’un étouffoir.
Comment pouvons-nous juger la justice ?
Comment analyser la justice comme un simple appareil du pouvoir au service des vainqueurs ou des dominants ?
Plutôt que de juridiciariser la politique, en appliquant la loi du plus fort, il est temps de politiser la justice, c’est-à-dire de démasquer l’exercice du pouvoir qui tient la justice.
Encore une fois, le Procès de Nuremberg peut servir de support critique : comment faire le procès du Procès de Nuremberg ?
Ce procès qui ouvre une voie royale à la justice politique des vainqueurs ou des plus forts.
Et qui, donc, constitue une véritable régression dans le domaine de « la justice ».
Nous placerons ce Procès de Nuremberg comme l’origine archéologique de toute la dynamique régressive (et répressive) de juridiciarisation des mouvements politiques (irlandais, basques, corses, et tous les autres).
Traiter juridiquement une action politique, c’est, bien sûr, effectuer une (contre) action politique, en utilisant une arme, arme toujours aux mains des vainqueurs (mais vainqueurs et vaincus peuvent être substitués les uns aux autres, sans que rien ne change dans le traitement de la défaite politique).

Comme la politique est indistincte de la conflictualité, la politique est le prolongement de la guerre, et vice versa, la justice est indistincte de la politique ; c’est toujours l’exercice de la loi du plus fort ; la justice est, ainsi, une arme dans l’antagonisme qui définit la politique.

Contrairement à l’image rosie de « la pacification du monde », avec l’interdiction de l’usage de la violence, avec le triomphe supposé de la démocratie, nous vivons, depuis la dernière guerre, et le Procès de Nuremberg pour juger les crimes politiques ou juger la violence politique, nous vivons dans une époque de guerres permanentes, de guerres civiles, de guerres coloniales, de nouveaux génocides ; mais heureusement ces violences se produisent essentiellement dans les anciennes colonies ; avec le contre-exemple de la guerre en Ukraine, après le contre-exemple de la guerre en Yougoslavie. Guerres souvent précipitées par les vainqueurs de la dernière guerre ; Américains, Russes, Français (tous protégés par le droit de véto à l’ONU) – et de nouveau l’Allemagne : le véritable responsable de la guerre civile yougoslave.
Disons même que la violence extrême s’est encore plus déployée que durant la période coloniale d’avant-guerre : car il s’agissait désormais d’interdire radicalement toutes les rébellions (Kenya pour les Anglais, Algérie pour les Français, Viet Nam pour les Américains).
Cette violence de l’antagonisme exacerbé (anti-communiste, par exemple) est un peu différente de la violence que l’on observe entre 1830 et 1930, qui était plutôt une violence liée à des conflits sociaux ou à des révolutions par lesquelles les classes dominées répondaient à la violence des dominants. L’actuelle violence est plus directement politique ; et porte sur la question de l’indépendance.
D’un côté nous avons ceux qui affirment que l’indépendance (d’un État ou d’une communauté) doit se définir de manière patrimoniale, le patrimoine de la nation (ou de la communauté), nation définie culturellement ou ethniquement ou religieusement. L’indépendance ainsi conçue implique l’unité, l’unification : un groupement « indépendant » doit constituer une communauté unifiée (one commonwealth).
Et cette conception renvoie encore à l’ancien régime, avec les « domaines royaux » ou les propriétés seigneuriales (ce qui constitue la réalité réalisée : réale).
De l’autre nous avons tous ceux qui sont exclus de cette définition unitaire, nationaliste ou religieuse, et qui, alors, sont exclus politiquement et sont définis comme des non citoyens ou des citoyens de seconde classe.
La division antagoniste inclus / exclus clive les communautés unitaires et devient (de nos jours) la division politique essentielle et interne aux États.
Cette division interne peut se combiner à une conflictualité externe (plus classique).
La guerre d’Ukraine étant significative de cette combinaison interne / externe.
Mais ce n’est qu’un tout petit exemple de la violence qui a explosé « après l’indépendance » ou la décolonisation. Soudan, Rwanda, Congo, Somalie, Angola, Mozambique, Algérie, une liste très longue (de guerres civiles larvées). Dans presque tous les cas (cités) ces guerres civiles meurtrières trouvent leur origine lointainement dans la période coloniale ; le cas du Rwanda ayant été bien analysé.
Reconnaître cette conflictualité, et la violence exacerbée, génocidaire, qui lui est liée, implique de comprendre ce que signifie « indépendance ».
La dépendance ne se limite pas à l’absence d’indépendance externe (l’État indépendant ou la communauté autonome) ; mais doit aussi se comprendre comme le déploiement de frontières internes, le plus souvent subjectives (ou spirituelles), doit aussi se comprendre en termes d’apartheid généralisé (dont Israël offre le parfait exemple), comme le déploiement d’une stratification entre riches et pauvres, natifs et émigrés, inclus et exclus, et, finalement, vainqueurs et vaincus.
La question des frontières internes (psycho-sociales) est, de loin, la plus importante dans la nouvelle configuration post-coloniale (ou d’après la guerre froide).
C’est, pour reprendre une vieille terminologie, la question de l’inégalité qui ressurgit ; malgré les supposés droits humains qui posent que tous les vivants sont égaux !
Cela est aisé à comprendre en reprenant le schéma colonial ; avec la colonisation interne (depuis plus d’un millénaire) pour les nations impériales (le redressement et l’assimilation des Bretons ou des Auvergnats, l’annexion de la Provence).
Le colonialisme ne s’exprime pas seulement par la perte de l’indépendance externe (l’annexion de la Bretagne ou de la Franche Comté), mais se manifeste essentiellement par le déploiement de frontières internes, par une hiérarchisation inégalitaire, entre des langues, des religions, des « races » (on peut « racialiser » les Auvergnats !), des statuts.
Ce pourquoi nous pouvons identifier les nations impériales, indépendantes en externe, mais peuplées de dépendants classifiés, racialement par exemple, ET les ex-territoires coloniaux, avec une double dépendance.
Les frontières internes, les murs de classifications, l’apartheid généralisé, séparent, clivent, des « races », des classes imaginaires et politiquement construites, comme « les sales ritals », créent des ghettos, des bantoustans, au cœur même de la métropole. Et génèrent des administrations stratifiées (comme celle de la gestion de la pauvreté) et une justice inégale.
Tout ce découpage et ce découplage est source de tensions ; la forme actuelle de l’antagonisme politique.
Toutes les frontières, externes, souvent le résultat de découpages coloniaux ou de guerres d’annexion, ou internes, résultant aussi des guerres coloniales, toutes ces frontières sont artificielles, imaginaires ou symboliques.
Le découpage, interne ou externe, des États nations unifiés, États anciens ou nouveaux, est toujours le résultat de conflits armés, de conquêtes militaires ou d’occupations violentes.
L’idée actuelle, mais d’origine très ancienne, de « découpage ethnique », la France aux Français, cette idée est une source intarissable de conflits violents.
La politisation des identités culturelles conduit à une impasse : la purification ethnique jusqu’au génocide.
Tout ordre politique est fondé sur la violence. Tout ordre tente d’interdire la violence pour se conserver.
La difficulté, l’impossibilité même, est de réimaginer des communautés politiques qui ne recréent pas les catégories coloniales, internes ou externes. Et cette impossibilité se traduit en antagonisme insurpassable.
La pacification, la suppression de la violence, est aussi fantasmatique que l’idée d’État nation unifié ou unitaire ou que l’idée d’une communauté harmonieuse, « en paix » (un groupe de copains – un couple !).
Comment, alors, décoloniser l’imaginaire politique ?
Comment sortir du fantasme de la communauté « purifiée », composée uniquement « d’amis » (ou, anciennement, de frères) ?
Comment donner place, et toute sa place, aux exclus, aux minorités ?
Comment abolir le système majoritaire ; et sa terreur par l’exclusion ?
Comment rejeter le mirage de l’assimilation inclusive ?
Sans que tout cela se traduise en un simulacre de démocratie ; simulacre qui maintient, caché, le pouvoir d’un groupe (uni, un clan) se réclamant de « la majorité », et s’autorisant ainsi « légalement » (puisqu’il est majoritaire) à pratiquer l’apartheid généralisé.
Comment abolir la loi de la majorité, cette loi qui cache la loi du plus fort ?

Qu’est-ce qui définit la politique ?
Une question centrale de la pensée politique est : qu’est-ce qui définit la politique ?
Qu’est-ce que cette politique ? Quelle est la signification de la politisation ?
La réponse minimaliste (et « démocrate ») est que la politique est liée à la négociation.
Négociation des frontières, internes ou externes.
Mais que signifie alors négociation ?
Qui peut négocier ? Et comment ?
Une réponse plus étendue (à la question : qu’est-ce qui définit la politique ?) implique une définition historique de la politique.
La politique est liée à la contestation des frontières, ou à la mise en cause des appartenances.
Et cette contestation, historiquement, a toujours pris une forme violente.
Encore une fois, même en notre monde (soi-disant démocratique et pacifié) où la violence est supposée être bannie, cette violence est omniprésente : violence institutionnelle des pouvoirs établis et qui veulent perdurer, violence de la contestation, dès que la non-violence implique l’impuissance, contre-violence policière, ad infinitum. Le cercle permanent de la violence est loin d’être arrêté, à supposer que cela puisse arriver.
Pour comprendre historiquement ce qui définit la politique, il faut nécessairement analyser la relation qui lie la violence et la constitution d’un ordre, supposé, ensuite, légal.
Pensons à la constitution de la 5e république et au coup d’État qui l’a permise.
Renvoyons là aux analyses autour de Benjamin sur la violence constituante.
Cette violence constituante est toujours associée à la constitution d’un ordre ou d’un État ; vis-à-vis de l’extérieur ; mais, surtout, vis-à-vis des clivages internes (qui sont enforcés).
Et c’est là que nous revenons à la juridicisation du politique : c’est-à-dire à la définition (dé-finition) de l’ordre supposé ensuite incontestable.
Et où la contestation se retrouve avec un prix énorme à payer, pour mettre en cause l’ordre.
La juridicisation (de l’institution) mène immédiatement à la criminalisation de la violence (destituante).
Juridicisation et criminalisation sont toujours les effets de l’ordre établi par force ; ordre imposé qui rejette toute mise en cause, au nom de « la défense de la constitution » (style allemand) ou de « la défense de la démocratie » (style OTAN).
La violence destituante est ainsi criminalisée au nom de la violence instituante.
Mais l’analyse historique de la violence constituante est rejetée, effacée, est mise entre parenthèses par un discours officiel, du pouvoir ou de l’ordre, discours qui impose de rejeter toute violence hors du domaine politique.
Forclusion de la violence instituante, puis conservatrice, et mensonge institutionnel : « il n’y a pas de violence policière ». Toujours l’asymétrie du droit.

La violence qui n’est pas celle de l’ordre est déclarée criminelle [12].
Avec le paradoxe que cette déclaration (de la violence contestataire comme action criminelle) est le résultat d’une série d’actions violentes (considérées comme légales et légitimes).
Les actions institutionnelles violentes (qui sont permanentes, dans les entreprises ou les administrations) ne sauraient jamais être jugées violentes.
Comment juger un patron coupable de harcèlement psychologique ?
Où l’on retrouve l’asymétrie de la justice (deux poids deux mesures).
L’État et son ordre, et les forces de l’ordre, déclarent que seule la violence de la contestation est irrationnelle, antisociale, pathologique. Et cette déclaration, et ses conséquences juridico-policières, constituent la pire violence. D’autant plus violente que la violence de cette déclaration, et de ce qui en résulte, la répression, sont purement et simplement niées.
L’idée, à la Max Weber, de la violence légitime, se déploie en une série de dénégation : non, il n’y a pas de violences policières, l’idée même de violence institutionnelle est une production « gauchiste » (ou woke !), mais non, il n’y a pas de violence institutionnelle ou bureaucratique, sans limite du mensonge (de la dénégation).
Et les sociologues qui documentent, analysent, expliquent la violence administrative ou structurelle sont au bord de la participation à une bande de criminels casseurs. Ainsi va le despotisme.
Le rôle de la violence dans l’exercice quotidien ou administratif, ou juridique, du pouvoir est toujours traité à part (la dénégation) : jamais la violence exercée par le pouvoir ne saurait être jugée criminelle.
Retour à la loi du plus fort ou du vainqueur.
La dépolitisation de la violence, par la criminalisation de la légitime défense, effet de la monopolisation étatique, est un trait essentiel du despotisme.
Là où « la démocratie » est réduite au service minimal de la justification de la répression (avec : « nous sommes en démocratie »).
Cette scission entre violence criminelle, la violence de l’opposition ou de la contestation, et violence répressive, légale et légitime, cette scission est au cœur de la dite démocratie (qui est, en réalité, un bon vieux despotisme, fondé sur l’usage de la force, policière ou institutionnelle).
Le schéma criminel, associé au Procès de Nuremberg, et à tous ses successeurs dans le cadre de la matérialisation des droits humains, ce schéma est au centre de la dépolitisation, de la juridicisation qui organise « la démocratie », et qui conforte le despotisme.
Le despotisme s’appuie sur l’État de droit et non pas sur sa négation ou son contournement.
État de droit ne veut rien dire : tout dépend du droit ! A priori, il n’existe pas d’État sans droit ou sans législation ; même la pire des tyrannies est « fondée en droit ».
Démocratie, État de droit, sont des expressions « bienheureuses » pour cacher la loi de la force.
La criminalisation, style Nuremberg, énonce que la violence est toujours un excès, une irrationalité, quelque chose qui n’a rien à voir avec l’action politique.
Comme il ne peut y avoir de violence étatique ou institutionnelle (la dénégation analysée plus haut), le schéma Nuremberg individualise l’excès ou l’irrationalité.
Il ne peut y avoir d’État criminel ou d’institution violente (« pas de violences policières »), il ne peut y avoir que « des fous », des malades, des dérangés.
Ce sont toujours des agents individuels qui génèrent les atrocités découlant de la violence irrationnelle [13].
Seuls des individus sont responsables.
Encore une fois, la violence étatique ou institutionnelle est déniée.
La justice n’est pas de la sociologie (critique).
La déclaration, en style despotique : il n’ y a pas de violences policières, cette déclaration est conforme au schéma Nuremberg ; et conforme à la logique (tronquée) des droits humains.
Nul ne peut s’engager à contester les frontières communautaires. Car un tel engagement implique la violence ; puisque ces frontières (internes essentiellement) définissent un ordre certainement inégalitaire, mais constituant, un ordre à défendre. L’engagement « sociologique » de contester les frontières (ou l’inégalité) est à la source de la violence contestataire (on connaît « le procès » fait à la sociologie : objectivement, le sociologue participe à une organisation criminelle).
Tout sociologue ou tout agent contestataire (disons de style Bourdieu) est en puissance d’action violente ; cet agent doit, donc, être pourchassé, traduit en justice et puni (et peut-être médiatiquement lynché ; mais la lapidation exercée par la police de la pensée est tout à fait légitime).
L’élimination, violente ou par la force, de la criminalité politique (la contestation des inégalités) est nécessaire au maintien de l’ordre ou au maintien des frontières, surtout internes.
Dès que l’apartheid ou la ségrégation sociale ou racialisée sont mis en cause, la justice doit agir avec force et violence.
Le modèle criminel de juridicisation du politique a pour unique objet de perpétuer le statu quo, maintenu par la force et la violence.
Dès que le statu quo est confirmé et n’est plus menacé, la violence constituante et son ombre, la violence de la défense de l’ordre, cette violence devient superfétatoire ; et toute violence semble, alors, se volatiliser ; mais peut revenir si nécessaire et plane comme menace permanente.
La violence inéluctable de l’opposition à l’ordre institué, ordre imposé, conservé par la violence sous-jacente et menaçante, cette violence de l’opposition (à la violence instituée ou intégrée) est, alors, considérée comme une aberration.
Pour paraphraser Quesnay, le soulèvement ne peut être que l’œuvre d’insensés.
Le pouvoir se vend comme le garant de la paix et de la tranquillité (manière Hobbes).
Et cette propagande commerciale exige d’enfermer les cadavres dans des caves hermétiques (style Bure généralisé).
Et, exactement, le prix à payer pour contester l’ordre est augmenté considérablement.
La juridiciarisation de l’action politique a pour objectif économique d’augmenter massivement le prix de toute opposition, qui ne se contenterait pas de participer à des messes républicaines et des génuflexions démocrates.
La violence d’État est posée « juste », légale évidemment, et correspondant à un esprit de paix : la paix conservatrice et sécuritaire.
La violence de l’opposition à l’ordre, inéluctable en régime de despotisme, cette violence est déclarée infernale, satanique ; par opposition à la violence pacifique de l’administration légale. Cette violence démoniaque est d’autant plus inacceptable qu’elle met en cause l’ordre, la loi, la justice et se présente comme « véritable justice » en opposition aux « valeurs » de la supposée démocratie.
Le pire crime politique (ou le pire dérangement mental) est celui d’affirmer que « nous ne sommes pas en démocratie », et d’en tirer toutes les conséquences logiques.
Comme démasquer, derrière la logorrhée républicaine, le jeu extrêmement violent des intérêts acquis et à défendre. Comme refuser opiniâtrement de participer aux « Conseils » ou aux palabres, pour le coup infernales, à tout ce qui n’est que pur théâtre. Comme rejeter l’idée même de représentation ou d’élection pour une chambre.
La criminalisation est l’expression frappante de l’interdiction de contester l’ordre, légal, juridique, politique, constitutionnel, économique.
Tout cela expliquant pourquoi, à Nuremberg, il fut tellement important de ne juger que des individus, des « déviants ». Il ne fut jamais question de juger un système, ou de juger l’État allemand (supposé pris de force par les nazis), ou de juger « collectivement » les Allemands collaborateurs ou simplement attentistes (il est bien connu que le système nazi, extrémalisation d’un système conservateur autoritaire, a été maintenu, à quelques nettoyages près, dans l’Allemagne enrôlée par les Américains pour continuer la lutte anti-communiste ; l’enrôlement dans le camp de « la démocratie » exigeait de modérer les jugements et de ne condamner que quelques personnes notables – la dénazification n’a jamais eu lieu ; elle s’est limitée à un retour au conservatisme autoritaire qui avait engendré ce nazisme, de von Papen à Adenauer et à l’ordolibéralisme autoritaire crypto-nazi).
À partir du moment où l’État ne peut être jugé, où il est impossible d’analyser tout un système (et sa généalogie), il était clair que l’ordre du IIIe Reich ne put pas être plus déclaré responsable d’actes de violence que les États Alliés ne purent l’être pour les bombardements indiscriminés qui touchaient d’abord les civils [14].
La purification ethnique qui a suivi la Seconde Guerre, avec le déplacement des populations allemandes (causant la mort de plus d’un demi-million de civils allemands) pour constituer des nations « ethniquement pures » (la Tchécoslovaquie sans les Allemands), cette violence meurtrière ne put être jugée. La loi est celle des vainqueurs, loi qui se présente comme un retour à la loi du talion (« on ne va pas plaindre les Allemands ») et qui se déploie comme loi de « la majorité », avec le compte des victimes (qui a eu le plus de victimes ?).
À partir du moment où juger prend la forme d’un procès (international), avec un tribunal, et sur la base de lois supposées universelles [15], l’impossibilité de juger les crimes des Alliés (les vainqueurs) montra immédiatement que la loi n’est pas égale pour tous ; et que le vainqueur peut refuser et rejeter la loi universelle (supposée), loi universelle créée pour juger les vaincus.
On sait que les États-Unis refusent toute législation universelle, à partir du moment où un militaire américain serait mis en cause ; il n’existe pas de crimes de guerre pour les forces américaines.
Le modèle criminel, avec procès, tribunal, loi naturelle, renforce l’ordre étatique, l’ordre établi des vainqueurs.
Le modèle criminel style Nuremberg absout l’État de toute responsabilité : il ne peut y avoir de violence étatique.
À l’envers, ce même schéma Nuremberg déclare que toute violence non étatique, non légitime, commise par des entités ou des personnes hors les règles (et hors la loi, ou, plutôt, « hors loi »), cette violence est purement criminelle. La violence non étatique, qui se déploie en opposition au despotisme, avec le droit de soulèvement contre le despotisme, cette violence est déclarée dénuée de tout contenu politique.
C’est l’idée même de « procès politique » qui est repoussée, rendue impossible (il ne peut y avoir de procès politiques en démocratie, il n’y a que des procès criminels).
Ainsi les juges, comme les policiers, diront qu’ils ne font pas de politique, mais appliquent la loi, autant que seuls des misérables ou des rebelles sont concernés.
Encore une fois, il ne saurait être question de juger la justice ou de juger les juges.
Car pour rendre cela possible, la seule solution serait de renverser l’ordre des pouvoirs, de transformer l’ordre constitutionnel – mais toute menace contre la constitution est déclarée criminelle.
Un programme du style : changer la constitution, transformer le droit, abolir le droit commercial, changer les règles politiques, ne plus donner aux partis politiques un monopole d’expression constitutionnalisé, modifier le système représentatif, avec le mandat impératif ou le RIC, supprimer le sénat, intégrer la chambre des députés à un Conseil social (« soviétique »), etc., un tel programme (comme celui « révolutionnaire » à l’origine de la 5e république), un tel programme sera toujours déclaré « folie » ou « œuvre de fou » ; avec la criminalisation de l’action politique se trouve la médicalisation, au moins la psychologisation (« ce sont des fous ») ; l’action rebelle devient une action folle s’appuyant sur un programme délirant.
La violence nécessaire pour mettre en cause l’ordre & la loi, lorsque la loi est déclarée injuste, inégale, asymétrique, cette violence est toujours requalifiée en termes de violence criminelle.
L’asymétrie du droit, dont nous parlons sans cesse, se manifeste là clairement : la violence est traitée de manière asymétrique selon qu’elle est exercée de manière conservative, pour maintenir l’ordre despotique, ou selon qu’elle est déployée, par nécessité, pour transformer un ordre injuste ; la violence légitime, étatique, n’est pas le symétrique de la légitime défense, du droit d’insurrection.
Comme la justice criminelle normale ou normalisée n’est pas habilitée à recevoir des plaintes contre l’ordre, n’est pas autorisée à juger la justice elle-même, la justice criminelle n’est jamais réflexive, n’est même pas capable de produire une analyse critique des contradictions entre les strates des droits humains, la justice ne pense pas, c’est une machine, cette machinerie judiciaire automatiquement ramène la contestation de l’ordre à une action criminelle, sauf si cette contestation n’a aucune portée ou aucun effet, et reste dans le registre des palabres sans suites ou des conseils gratuits ou des actions en chambre.
Répétons : la justice criminelle a pour fonction de protéger l’ordre des vainqueurs.
Et si, par absurdité, un juge cherchait à introduire de l’analyse critique dans un jugement (au nom de quoi je juge ?), ce juge serait démis – on ne peut même pas imaginer qu’existe un tel juge critique ! Alors qu’une juridiction critique (qui ouvre), en place d’une cassation (qui ferme), serait une nécessité.
Tout acte de désobéissance ou de contestation politique, comme le refus de reconnaître l’ordre constitutionnel républicain (avec sa constitution monarchique des temps despotiques anciens), un tel acte est toujours jugé comme une transgression criminelle.
Désobéir constitue un crime majeur.
Qui justifie souvent l’ouverture de centres de torture (des centres de punition).
La criminalisation de l’action contestataire immunise l’État contre toute volonté de réforme, quel que soit le degré de cette réforme.

Il est alors nécessaire d’affirmer :
Loin d’être une transgression d’un état normal pacifique (« démocratique »), la violence politique représente la normalité ; normalité qui s’exprime asymétriquement sous forme du gouvernement des vainqueurs, seul détenteur de la violence posée (par la victoire) légitime.

Nous retrouvons une forme distordue du pragmatisme : est « juste » ce qui réussit.
Cela ne signifie pas que la violence doive être célébrée.
L’esthéthique de la violence n’est jamais un élément de la politique de rébellion.
Nous devons faire entièrement nôtres les critiques que Foucault adressait à Mesrine.

Cela signifie (malheureusement dans notre monde de malheur, dans l’enfer monde du despotisme) que cette violence est inévitable.
Penser la politique sans la violence, c’est penser une politique dépolitisée ; comme le café décaféiné ou le chocolat laxatif.
Depuis plus d’une dizaine d’années, et l’échec des printemps arabes, nous voyons bien que la violence est au centre de la politique.

Puisque la tache de la politique est de redéfinir sans cesse les frontières, internes ou externes, puisque la tache de la politique est d’apporter la justice aux dominés, aux exclus, aux exploités, aux défenseurs de la Terre, toute politique est donc constituante, fondatrice, violente. Elle fera toujours violence aux conservateurs de l’ordre.
La politique fait toujours violence à quelqu’un.
Au lieu de tenter de prévenir ou d’empêcher la violence en réduisant un acte de révolte politique à un crime (non politique), il serait plus judicieux d’analyser la violence, en particulier la violence constituante.
Non pas juger un criminel, mais jauger les raisons de la rébellion inévitable (dès que le pouvoir se barricade).
Tout ordre politique sépare des vainqueurs et des vaincus ; il n’existe pas d’ordre politique « universel », « favorable à tous » (toujours revenir à Hobbes).
Il faut donc repenser la notion même d’ordre politique.
Rendre l’ordre politique provisoire, toujours provisoire, jamais établi, rendre cet ordre provisoire transformable, évolutif, optionnel.
La contestation, comme le devoir de soulèvement, n’a pas à être jugée comme une action criminelle mais doit toujours être jugée comme une leçon philosophique.
Qui nous apprend ce qu’est le pouvoir : la dictature des vainqueurs et des majorités légitimistes ET la marginalisation des vaincus et des minorités.
La démocratie (véritable) se place du point de vue des minorités, jamais des majorités (le principe de majorité doit être aboli).
Il faut absolument abolir les systèmes majoritaires ; qui sont les plus violents
La violence est liée à l’exclusion, qu’elle soit « raciale », ethnique, religieuse, économique : là où des groupes majoritaires (ou traditionnalistes) oppriment des minorités (à qui on dénie le droit à l’existence).
L’appel à un ordre provisoire est d’abord le cri des victimes ; c’est un affect lié à la ségrégation.
On sait que le lien entre la violence politique et la transformation politique, révolte, insurrection, révolution, on sait que ce lien est circulaire : la violence politique ne peut être prévenue que par la réforme, et non par la criminalisation (la défense conservatrice), OU alors la violence est nécessaire pour accomplir la moindre réforme (que le pouvoir refuse toujours).
Avec la question centrale : est-on condamné à des cercles de violence sans fin ?
Il est évident que le schéma criminel (style Nuremberg), en refusant de juger, analyser, au fond (l’injustice de l’ordre et l’injustice de la justice aux ordres), est un moteur puissant de développement de la violence.
Le cercle des victimes devenant des criminels ne peut se déployer qu’autant que l’ordre est pensé comme statique, « le meilleur ordre indépassable », étatique, national, et non pas transformable, modifiable.
Combien de problèmes politiques violents, en France, seraient en voie d’analyse, sinon de résolution, s’il était possible, sans frais de justice, de changer de constitution ?
Les moyens légaux de transformer une constitution sont trop étriqués ou renfermés (et dans les mains du pouvoir) ; c’est cela, déjà, qu’il faut « démocratiser ».
Mais la politisation de la vie, le débat ouvert sur tous les sujets, et hors des cadres conservateurs, en refusant la représentation parlementaire et les syndics de l’ordre, l’extension du champ référendaire (avec la préparation nécessaire rendue obligatoire), tout cela n’est que folie.
Ce sont le conservatisme, le légitimisme, le suivisme, le conformisme, la croyance en la démocratie, qui sont à la base de la violence et de ses cercles.
Seule la pensée d’un ordre optionnel et provisoire peut nous sortir des cercles de violence, par la politisation, et donc par l’analyse critique, par l’étude de la sociologie, et non pas par la criminalisation.
À quand une formation juridique des juges qui viendrait uniquement après une formation sociologique ? Ou après une formation à l’économie critique de l’inégalité (dans la justice) ?
Passer des facultés de droit, « à droite » sinon adroites, à des départements juridiques DANS des facultés de sciences sociales, départements juridiques optionnels qui seraient uniquement de second cycle (les études de droit devraient durer plus longtemps que les études de médecine, pour permettre le développement d’une justice critique).
Abolir les facultés de droit ! Les départementaliser, au sein d’universités philosophiques ! Voilà qui est déjà conflictuel !
Un ordre conservateur est le moteur tout à la fois de la corruption, par l’impunité qu’il assure aux vainqueurs, détenteurs de pouvoir, ET de la violence, par l’inégalité flagrante qu’il maintient.

Imaginer une communauté politique au-delà d’un ordre stable et fixe, une communauté toujours provisoire et toujours contestable, optionnelle, avec une justice toujours réflexive, où il est possible de mettre en cause les principes juridiques lors d’un procès, voilà la tâche la plus urgente (depuis deux millénaires).
Ouvrir la possibilité de contester le droit et les droits humains en particulier.
Commencer par la sociologie politique ou par la philosophie du droit, plutôt que par l’histoire du droit (romain, puis canonique).

Méditer sans cesse l’exemple le plus terrible : en Israël, les victimes de la « question juive » sont devenues les criminels de la « question palestinienne ».
Parce qu’elles, les victimes devenues criminelles, ont repris le thème de l’ordre et de l’État, militarisé ou policier. Et ont été incapables d’inventer une politique nouvelle.
La seule réforme politique qui a suivi l’Holocauste a été le soutien à la fondation d’un nouvel État (soutien hypocrite et calculateur, de la part de l’Empire Britannique Colonial).
Mais cet État tout à fait classique, « ethnique », et qui va vite déboucher sur une nouvelle purification, cet État ne concernait que les victimes juives, au détriment de nouvelles victimes, palestiniennes.
Conserver la structure étatique, avec la justice du plus fort, impliquait, de manière infernale, de conserver la structure majoritaire autoritaire, ici « ethnique », qui avait réduit les Juifs à l’état de victimes, sans pouvoir de défense ; Juifs Israéliens, étatistes classiques, qui devenaient de nouveaux persécuteurs.
L’analyse politique nommée « Sionisme » était bien insuffisante.
L’erreur fondamentale, à la source de la violence circulaire, a été l’incapacité radicale d’imaginer une structure non étatique qui intégrerait TOUS les protagonistes, une structure qui ne reposerait plus sur la loi du plus fort ou de la majorité.
Mais les inventeurs de l’État d’Israël étaient complètement maraboutés par les principes politiques de l’occident colonial despotique. Ces principes (majoritaires ethniques ou culturels – chrétiens) qui ont transformé les Juifs en victimes (minoritaires).
Il fallait travailler le droit des minorités plutôt que d’imaginer une nouvelle forteresse théocratique. Il fallait critiquer l’occident plutôt que d’en transférer les pires aspects coloniaux.

Nous pouvons, alors, énoncer un principe déconstructif :
Lorsque les objectifs de la violence sont politiques, défendre une minorité contre l’oppression majoritaire, ou défendre un principe (encore) minoritaire, la violence doit toujours être déclarée politique, et ne doit jamais être traitée comme criminelle.
Il ne peut donc pas y avoir de procès valable. La question du droit des minorités exigeant une critique politique.
Les tribunaux doivent alors se déclarer incompétents et refuser de traiter l’affaire en termes de justice criminelle.
Les juges doivent alors monter un syndicat pour exiger une justice réflexive et critique.
Pourquoi ne pas inventer une sorte de Cour de Justice Politique ?
Comme celle que les représentants élus se réservent (la cour de justice de la république) mais qui devrait être étendue ; avec tout ce que cela implique en termes de refonte des principes du droit.
Bien entendu, une telle « invention » est hautement antagonistique ; c’est une déclaration de guerre à la justice de l’ordre imposé.
Le maintien de la structure juridique étatique s’appuie sur l’idée de droits naturels ou de droits humains considérés comme indiscutables. C’est pourquoi la critique doit commencer par là.
Nous l’avons répété : il faut une critique du modèle juridique de Nuremberg.
La combinaison du néolibéralisme (et de son individualisme) et des droits humains génère une structure impossible à déplacer ou à déconstruire.
Où trouver les critiques des droits humains ?
D’autant plus que cette structure juridique, modèle Nuremberg, est sans cesse renforcée : Cours Internationales de Justice Criminelle, Guerres anti-terroristes, etc.
Et ce renforcement de l’emprise des droits humains et du schéma Nuremberg signale le néocolonialisme (les États-Unis et leur justice extraterritoriale).

L’échec de la dénazification, échec exprimé par les révoltes, en Allemagne des années 1968, est la manifestation de la faillite politique à laquelle conduit le schéma Nuremberg, juger des individus, jamais un système (pas de sociologie dans un tribunal).
Par suite du refus des États-Unis d’accepter POUR EUX le schéma de cour internationale de justice, avec l’interdiction de juger les Américains (alors que les États-Unis extraterritorialisent leur justice), il est devenu inimaginable, pour un tribunal, d’exercer une justice, selon les droits humains, qui ne soit pas biaisée ou truquée.
Seuls des États faibles, faillis ou vaincus peuvent voir conduire leurs dirigeants à être traités comme des criminels.
Imagine-t-on l’ex-président Bush conduit dans une prison aux Pays-Bas ?

La loi du plus fort, est-ce cela la justice ?
Citons le grand juriste Hans Kelsen : [16]
« Si les principes appliqués lors du procès de Nuremberg constituaient un précédent, alors, à la fin de chaque guerre, le gouvernement de l’État victorieux pourrait déclarer que les dirigeants de l’État vaincu seraient des criminels, à juger comme criminels, étant donné que toute guerre implique un déferlement de violence.
Les crimes des vaincus seraient unilatéralement considérés comme des crimes contre l’humanité. Alors que les crimes des vainqueurs seraient purement et simplement effacés. »
Nous le répétons : une telle logique asymétrique, de la loi du vainqueur et où le pouvoir ne peut être jugé, ne peut que propager la violence en cercles illimités.
Le modèle Nuremberg, déployé à l’intérieur des États, sous forme de justice asymétrique, représente un échec politique, sans doute le plus grave des échecs de la justice (aux ordres).

Cette logique asymétrique, de la loi du plus fort, est habituellement nommée : système à double standard (dual standard system) [17].
Justice sur mesure, au profit des vainqueurs, des majorités ou de l’ordre dominant.
Les vainqueurs, l’État de droit et sa justice irréflexive, ne sont pas soumis au même droit que celui qui concerne les vaincus, les minorités.
Seule une guerre perdue constitue un crime.
Les succédanés du Tribunal de Nuremberg, le Tribunal International Criminel pour la Yougoslavie (1993), le Tribunal International Criminel pour le Rwanda (1994), le Tribunal, Supérieur Criminel Irakien (2005), et la Chambre Extraordinaire pour le Cambodge (2006), tous ces succédanés illustrent parfaitement le principe que la justice ne concerne que les minorités ou les vaincus.
Il n’existe pas de justice neutre, « juste » ou symétrique.
Une telle justice « juste » ou « égale pour tous » est une impossibilité, tant que la loi du plus fort règne.
On attend avec impatience une Cour pour juger les crimes et les délits des États-Unis !
Et bien que la propagande occidentale actuelle mène à croire qu’un Tribunal Criminel sera créé pour juger les crimes russes (et Poutine), la place de la Russie à l’ONU, avec son droit de véto, interdit toute illusion à ce sujet.
Encore une fois c’est la structure juridique qui doit être mise en cause (ainsi que la conception de l’ONU comme syndicat des vainqueurs de la guerre).
Les statuts juridiques (de Rome) qui définissent les Cours Internationales Criminelles instituent ces Cours comme des appareils de l’ONU ; avec les droits humains comme principes.
Ces Cours, comme le Tribunal de Nuremberg, sont donc des machineries politiques dans les mains des grandes puissances disposant du droit de véto. Et, en particulier, entre les mains des États-Unis qui s’excluent de toute possibilité de jugement. Il est évident qu’une telle Cour Criminelle ne pourra jamais juger l’action d’un État disposant du droit de véto.
Ni Bush ni Poutine ne seront jamais jugés.

Cette configuration internationale est la meilleure image possible de la justice criminelle nationale.
Les crimes de l’État ne peuvent jamais être jugés.
Reprenons le principe de Nuremberg : il n’y a pas d’État criminel, pas d’administration criminelle, pas de police criminelle, pas de système criminel, il n’y a que des individus criminels, en particulier ceux qui s’opposent à l’État ou à son administration ou à se police.
Cette justice asymétrique assure l’impunité des agents de l’État et assure la criminalisation automatique de toute contestation.

Et pour terminer sur une note humoristique concernant notre thème fétiche, la corruption :
« Je n’ai qu’un moteur, c’est le rejet total des inégalités ; j’ai une haine, une fureur totale contre les inégalités… »
Olivier Dussopt, 5 janvier 2017, débat Mediapart, Les soutiens de Manuel Valls face à la rédaction de Mediapart. [18]

Jacques Fradin
Photos : Bernard Chevalier

Bibliographie

Introduction (limitée) à la tradition : critique de « la démocratie » et de « la représentation ».
L’imposture démocratique.
Luciano Canfora
L’imposture démocratique, Flammarion, 2003 ;
La nature du pouvoir, Les Belles Lettres, 2010.
Eduardo Colombo
Contre la représentation politique. Trois essais sur la liberté et l’État, Acratie, 2015.
Précis d’anti-électoralisme élémentaire
120 motifs de ne pas aller voter
Introduction de Raoul Vilette, Les nuits rouges, 2007.
David Van Reybrouck
Contre les élections, Babel, 2014.
Claude Guillon
La Terrorisation Démocratique, Libertalia, 2009.
Antoine Vauchez
Démocratiser l’Europe, Au Seuil, 2014.
Colin Crouch
Post-démocratie, diaphanes, 2013.
Wendy Brown
The Rise of Antidemocratic Politics in the West, Columbia UP, 2019 ;
Défaire le Démos : Le néolibéralisme une révolution furtive, Amsterdam, 2018 ;
Politique du stigmate : Pouvoir et Liberté dans la Modernité avancée, PUF, 2016.
Eugénie Mérieau
La dictature, une antithèse de la démocratie ? 20 idées reçues sur les régimes autoritaires, Le Cavalier Bleu, 2019.
Revue Critique, juin juillet 2021, 889-890
Démocratie : la peau de chagrin.

En plus général :
Philippe Braud
Sociologie Politique, LGDJ, 15e édition, août 2022.
Bruno Amable & Stefano Palombarini
L’illusion du bloc bourgeois, Alliances sociales et avenir du modèle français, Raisons d’Agir, 2018 ;
The Last Neoliberal, Macron and the Origins of France’s Political Crisis, Verso, 2021.
« Nous ne sommes pas en démocratie », le despotisme et l’état d’urgence permanent.
Marie Goupy, L’état d’exception, ou l’impuissance autoritaire de l’État à l’époque du libéralisme, CNRS Édition, 2016.
Contre l’arbitraire du pouvoir, 12 propositions,La fabrique édition, 2012.
Nicolas Bourgoin, La République contre les libertés, Le virage autoritaire de la gauche libérale, L’Harmattan, 2015.
Jean-Claude Paye, La fin de l’État de droit, La lutte antiterroriste de l’état d’exception à la dictature, La Dispute, 2014.
Paul Cassia, Contre l’état d’urgence, Dalloz, 2016.
Denis Salas, La volonté de punir, Essai sur le populisme pénal, Pluriel, 2010.
Mathieu Rigouste, La domination policière, Une violence industrielle, La fabrique édition, 2012.
Laurent Mucchielli, La frénésie sécuritaire, La Découverte, 2008.
Démocratie et inégalité (Droits humains et inégalité)
Mitchell Dean, The Constitution of Poverty, Toward a genealogy of liberal governance, Routledge, 1991.
Élisa Chelle, Gouverner les Pauvres, Politiques sociales et administration du mérite, Presses Universitaires de Rennes, 2012.
(Voir en fin de bibliographie : critique des droits humains, Samuel Moyn)
Mouvement de critique du droit (États-Unis) :
Critical Legal Studies
Roberto Mangabeira Unger
The Critical Legal Studies Movement, Verso, 1986
Chap. 8, Another Politics, Reimagining Transformative Politics.
Critical Jurisprudence
Costas Douzinas
Critical Jurisprudence, The Political Philosophy of Justice, 2005.
Criminalization of Politics
Counter Terrorism and the Criminalization of Politics
All you need to know about criminalization of politics, 2022-10-4.
https://blog.ipleaders.in
Critical Studies in Jurisprudence, Routledge Collection ;
Markets, Constitutions and Inequality, sept 2022
Anna Chadwick, Eleonora Lozano-Rodriguez, Andrés Palacios-Lleras, Javier Solana.
Mouvement « Critique du Droit » (France)
Accompagner l’État ou le contester ? Le mouvement « Critique du Droit en France ».

Des juristes en rébellion.
Voir introduction à ce mouvement par Martine Kaluszynski, 2014
https://doi.org/ 10.400/criminocorpus.2831
Revue hypermédia, Histoire de la justice, des crimes et des peines
Les rebelles face à la justice, 2014.
Michel Miaille Une introduction critique au Droit, Maspero, 1976

Et pour renvoyer à des ouvrages de « notre jeunesse », d’un auteur à relire absolument :
Louis Sala-Molins, La Loi de quel Droit ? Flammarion, 1977 ;
Sodome, Exergue à la philosophie du droit, Albin Michel, 1991
Droit (du plus fort) et Violence (institutionnelle).
Walter Benjamin Zur Kritik der Gewalt
Mit einem Nachwort von Herbert Marcuse, Suhrkamp, 1965.
Jacques Derrida Force de Loi : le fondement mystique de l’autorité, 1994.
Hanssen Beatrice Critique of Violence : Between Poststructuralism and Critical Theory, Routledge, 2000.

Walter Benjamin and the Architecture of Modernity

Ed. By A. Benjamin and Ch. Rice, Melbourne re.press, 2009.
Robert Sinnerbrink, Violence, Deconstruction and Sovereignty, Derrida and Agamben on Benjamin Critique of Violence.
Agamben and the Politics of Human Rights
Statelessness, Images, Violence
John Lechte and Saul Newman, Edinburgh, 2013
Chap 2 : Human Rights in History
Chap 6 : Politics, Power and Violence in Agamben.
Towards the Critique of Violence, Walter Benjamin and Giorgio Agamben,
Ed. By Brendan Moran and Carlo Salzani, Bloomsbury, 2015
Part 2 : Agamben’s Readings of Benjamin
Chap 10, Thanos Zartaloudis, Violence without Law ? On Pure Violence as Destituent Power.

Sur Agamben juriste critique :
Agamben and Law, Thanos Zartaloudis, Routledge, 2015
Thanos Zartaloudis Law and Philosophical Theory, Critical Intersections, Rowman, 2018 ;
The Birth of Nomos, Edinburgh, 2020.
Gavin Rae
The Problem of Political Foundations in Carl Schmitt and Emmanuel Levinas, Palgrave, 2016 ;
Critiquing Sovereign Violence, Law, Biopolitics, Bio-Juridicalism, Edinburgh, 2019.
The Meanings of Violence, From Critical Theory to Biopolitics
Ed. By Gavin Rae and Emma Ingala, Routledge, 2018.

Pour la critique des Droits Humains, spécifiquement :
Justine Lacroix, Jean-Yves Pranchère, Le Procès des Droits de l’Homme, Généalogie du scepticisme démocratique, Seuil, 2016
Justine Lacroix, Jean-Yves Pranchère, Les droits de l’homme rendent-ils idiot ? Seuil, 2019.

Et les livres de Samuel Moyn :
The Last Utopia, Human Rights in History, Harvard UP, 2012 ;
Human Rights and the Uses of History, second edition, Verso, 2017.
Not Enough : Human Rights in an Unequal World, Belknap, 2018 ;


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[1Yazid Ben Hounet, Génocide en Palestine, LM 407, 11 décembre 2023 ;
Noor Or, En Dystopie, Diviser la Division, LM 404, 20 novembre 2023 ;
Banalités de base sur la situation en Palestine, LM 403, 13 novembre 2023.

[2Sur ce thème nietzschéen du cercle vicieux, voir Sortir des Cercles vicieux de la Souveraineté, LM 333, 4 avril 2022.
Ici, il faudrait, peut-être méditer les derniers séminaires de Jacques Derrida : La Bête et le Souverain, où ce « souverain » apparaît comme « la bête » (bestiale) qui dévore tout humain (et toute humanité).
Notons que ce séminaire se veut une analyse en réponse à la somme de Giorgio Agamben, Homo Sacer. Somme qui était, déjà, un déplacement de la « déconstruction » en « destitution ».
Les rapports d’Agamben à Derrida (et vice versa) pourraient faire l’objet d’une très longue étude (avis aux thésards intéressés).

[3Agamben est un « juriste critique ».
John Lechte and Saul Newman, Agamben and the politics of Human Rights, 2013.
Et sur le rapport d’Agamben à Derrida, voir l’étude pionnière :
Kevin Attell, Giorgio Agamben, Beyond the Threshold of Deconstruction, 2015.
Et, à propos de Derrida, en ne retenant que quelques études :
Jean-Clet Martin, Derrida, un démantèlement de l’Occident, 2013 ;
Jacques de Ville, Deconstructive Constitutionalism, October 2023 ;
Ryan Gustafson, Derrida’s Social Ontology, Institutions in Deconstruction, December 2023.

[4L’homologie entre ces deux « évènements » (anti-juridiques) pourrait être longuement explicitée. Ne notons qu’un seul point : celui de « la mémoire infaillible » (alors qu’il est exigé partout de « faire son deuil »).
Les Russes hallucinent l’Ukraine comme « La Russie des Origines » ; avec Kiev, capitale de la Russie ancestrale.
Les Israéliens hallucinent « Israël » comme la Terre des Ancêtres, Terre immémoriale dont ILS « les israéliens » auraient été chassés.
Sur ce thème de « la mémoire construite » (et de la nation imaginaire, voire de « la race imaginaire ») il faut lire toute l’œuvre de Shlomo Sand, en particulier le percutant Comment j’ai cessé d’être juif, 2013.

[5En faisant une confiance absolue au lecteur, nous laissons à ce lecteur la tâche de penser par homologie : le despotisme régnant pouvant prendre la forme néocoloniale d’un État de colonisation extensive ; tout despotisme économique reposant sur la colonisation, interne ou externe, et, donc, sur la répression (nommée classiquement « lutte des classes »).

Si nous commençons par le droit pénal interne (et la criminalisation de l’action politique « hors loi » ou contre la loi, contre la constitution, pour faire allemand), pour ensuite en arriver au droit pénal inter-national (avec les cas ukrainiens et palestiniens), c’est que la structure juridique de la criminalisation politique interne est plus « popularisée ». Même si, nous l’avons dit, c’est au niveau inter-national que cette structure juridique, caricaturée à ce niveau, est la plus simple à expliciter.

Tout État colonial criminalise la résistance à son ordre oppressif. Et dénie vigoureusement (les armes à la main) toute accusation « d’apartheid » (ou de séparation sécuritaire).

[6Renvoyons à un de mes articles de Blog du 19 mai 2017 :
Le Blog de l’article 35, Le Club de Mediapart.

[7Sur la politique négative, voir L’hypothèse destituante, LM 368, 30 janvier 2023.

[8On peut débuter par :
Danièle Lochak, Les droits de l’homme, collection Repères, 2018.
Toujours insister, pour commencer, sur le fait que ces droits sont composés de plusieurs strates, bien au-delà des fameux droits fondamentaux (propriété, sûreté), comme les droits sociaux ou les droits « environnementaux ».
Les strates des Droits Humains sont souvent contradictoires (droit de propriété et droit au logement par exemple). Et donc, comme l’explique bien Danièle Lochak, ces droits doivent être considérés comme des supports pour des offensives juridiques.
Sans parler du fait, qui est au centre de cette note, que ces droits doivent être transformés (généralisés).
L’Appel que nous formulons est un appel (affirmatif) à repenser les Droits Humains.
Voir, par exemple :
Droits de l’Homme, quelle universalité ?
Sous la direction de Frédéric Rognon, Presses Universitaires de Strasbourg, novembre 2022.

[9Rappelons que nous raisonnons par « l’absurde » : toutes les propositions « affirmatives » que nous formulons seront immédiatement considérées comme « absurdes ».
Le Droit de Soulèvement (énoncé dans une seule constitution mort-née, celle de 1793) pose des problèmes juridiques considérables. Ce sont ces problèmes qui nous intéressent ; car ils permettent une radiographie du droit. Nous sommes confrontés à la question du « méta-droit » : qui peut juger les limites de la justice ? Toujours la critique des Droits Humains et de leur matérialisation processuelle.

[10Ce sujet étant très bien traité, par Mediapart, par exemple (le cas Sarkozy), nous ne renverrons qu’à quelques auteurs :
Éric Alt & Irène Luc, L’esprit de corruption, Le Bord de l’Eau, 2012.
Pierre Lascoumes, L’Économie Morale des Élites dirigeantes, Presses de Sciences Po, 2022.
Renvoyons à tous les livres de Pierre Lascoumes.
Jean-François Gayraud, Le Nouveau Capitalisme Criminel, Odile Jacob, 2014.
Titre à lire : le nouveau capitalisme est criminel.
Renvoyons, de même, à tous les ouvrages de Jean-François Gayraud.
Ce sujet, la corruption, étant un objet fétiche (pour nous), nous renvoyons à nos autres écrits (autour de la politique négative, voir note 7, et les renvois que contient le texte sur L’hypothèse destituante).

[11La plus profonde et intégrale critique de « la représentation » se trouve chez Derrida.
Pour deux introductions simples à la critique du logocentrisme :
Marc Goldschmitt, Jacques Derrida, une introduction, Agora, Pocket, 2003 ;
Charles Ramond éditeur, Derrida : la déconstruction, PUF, 2005.
Puis, pour poursuivre :
Niall Lucy, A Derrida dictionary, Blackwell, 2004 :
Democracy, identity, logocentrism, phonocentrism, presence, teletechnology, and so.
A Companion to Derrida, ed. By Zeynep Direk and Leonard Lawlor, Wiley, 2014.
Et ouvrage très important :
Administering Interpretation, Derrida, Agamben, and the Political Theology of Law,
Ed. By Peter Goodrich and Michel Rosenfeld, Fordham UP, 2019 ;
III, The Justice of Administration
Contra Iurem : Giorgio Agamben’s Two Ontologies.

[12Voir Violence Légitime ou Légitime Défense ? LM 168, 7 décembre 2018.

[13Ici il faudrait revenir à la critique générale du droit et à son individualisme. Le droit est un rouage du despotisme économique ; c’est un instrument de propagande efficace pour l’exercice de la volonté individuelle. L’individualisation qu’exprime le droit, non seulement est en contradiction avec les droits sociaux ou collectifs, mais, plus profondément, est le moyen le plus efficace pour « immuniser » le pouvoir.
Il n’y a pas de gouvernement ou de collectif « coupable » (de crimes ou de délits), il n’y a que des personnes « insensées ».
Poutine est un malade : voilà à quoi conduit le schéma Nuremberg (s’il pouvait être appliqué à un État disposant du droit de véto à l’ONU).

[14Voir Kurt Vonnegut, Abattoir 5, 1971.

[15Les Droits Humains sont une version des Droits Naturels.

[16Will the Judgement in Nuremberg Trial constitute a Precedent in International Law ?
International Law Quarterly,1947, pp. 153-171.

[17Danilo Zolo, Victors’Justice, From Nuremberg to Baghdad, Verso, 2009.

[18Et sur cet Olivier :
Lire  : Olivier Dussopt menacé d’un procès dans une affaire de marché truqué, Mediapart, 3 février 2023, Fabrice Arfi, Antton Rouget, Ellen Salvi, Marine Turchi.
Olivier Dussopt, le traître à l’épreuve des retraites, Mediapart, 5 février 2023, Ilyes Ramdani.

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